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Dissertation sur « Mélancholia »

Publié le 25/09/2010

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Selon Victor Hugo, un poète est un homme des utopies qui, à travers ses projets idéalistes, inspire la société dans le but de l’améliorer. En transmettant ses idées à travers ses nombreux œuvres littéraires tout au long de sa vie, Victor Hugo a été un modèle de poète selon cette définition, l’élevant ainsi au rang des plus proéminents artistes engagés de l’époque du romantisme. En tant qu’écrivain, son meilleur outil de persuasion consiste en son art de manier sa plume. En effet, par son habile manipulation du langage écrit dans son poème « Mélancholia« tiré des Contemplations, Victor Hugo éveille les consciences dans la société en interpellant le jugement de valeur morale de ses lecteurs face au travail des enfants via la sensibilisation et l’opposition à l’opinion publique.

 

Pour débuter, la manière d’écrire de Victor Hugo permet d’éveiller les consciences en sensibilisant la société à ce qu’il défend qui est, dans le cas de « Mélancholia«, la non-exploitation des enfants. En effet, afin de sensibiliser la société, le style de Victor Hugo lui permet en premier lieu de plaindre à ses lecteurs des pauvres conditions de travail des enfants. La présentation de ces conditions médiocres est introduite dès les premiers vers du poème. En employant trois phrases interrogatives pour débuter « Mélancholia «, Victor Hugo interpelle le lecteur afin de se questionner sur la raison pour laquelle les enfants ne rient pas et marchent seuls.  Le fait de présenter les états des enfants par un questionnement au lieu d’une description permet à Hugo de montrer à ses lecteurs le caractère anormal de la situation. En effet, il illustre d’autant plus cette anormalité dans l’état des enfants en présentant le frappant exemple que « pas un seul [enfant] ne rit«. L’emploi de cet oxymore permet à Hugo de contraster la nature souriante des enfants avec la sombre allure des jeunes travailleurs, ce qui suscite la pitié de son auditoire par la contradiction de la croyance populaire qu’un enfant devrait être heureux. Les enfants exploités dans « Mélancholia « ne rient pas puisque « jamais on ne s’arrête et jamais on joue «, pour « faire éternellement […] le même mouvement «. L’emploi de l’anaphore et de l’hyperbole dans ces deux extraits amplifie la continuité et la monotonie du travail des enfants, ce qui attire une fois de plus la pitié et la compassion des lecteurs, étant eux-mêmes aussi majoritairement des ouvriers victimes de l’industrialisation dans les années 1800. En raison de leur travail sans arrêt, les enfants sont « maigri[s par la] fièvre « et couverts de cendres, ce à quoi Hugo réagit en exprimant « quelle pâleur! « Ici, l’utilisation de la phrase impersonnelle ainsi que de la phrase exclamative amplifie la description de la faiblesse physique des enfants causée par le travail, ce qui attire surtout le côté maternel des lecteurs, les sensibilisant ainsi aux lamentables conditions de travail de ces jeunes.

 

Dans le but de sensibiliser la société sur les injustices subies par les jeunes travailleurs, non seulement la manière d’écrire de Victor Hugo lui permet d’insister sur la désolante situation vécue par les enfants, son écriture lui permet aussi de déresponsabiliser ces jeunes en les présentant en position de victime. En les désignant en tant que « doux êtres pensifs « ainsi que « filles de huit ans «,  Hugo utilise ces compléments du nom dans son écriture pour créer chez les enfants l’effet de fragilité et d’innocence, ce qui suggère leur position de victime, soulevant ainsi un désir de justice chez les lecteurs. Comme ils sont victimes de leur sort, ces enfants « semblent prier à Dieu « pour éclaircir leur confusion. Dieu étant l’ultime puissance dans le christianisme très proéminent à l’époque, le fait de prier à Dieu illustre l’absence de d’autre support envers les enfants. La comparaison dans cet extrait démontre l’aspect sans défense de ces enfants qui doivent même appeler Dieu pour plaider leur cause, ce qui renforce le désir protecteur du public en raison du désespoir et de la solitude de ceux-ci. Non seulement Hugo décrit que les enfants semblent prier à Dieu, il inclut aussi le discours rapporté de leur prière dans « Mélancholia«. L’extrait « voyez ce que nous font les hommes « montre que les enfants se déresponsabilisent en déplaçant le blâme sur le dos des adultes. Comme à l’époque d’Hugo, l’expansion rapide de l’industrialisation était la cause du surtravail d’une grande partie de la classe ouvrière, plusieurs personnes prennent pour acquis qu’il est normal que les enfants travaillent pour le fonctionnement de l’industrialisation. Ils croient ainsi que ces enfants sont responsables de leurs misérables conditions, étant payés et devant ainsi accepter leur sort. Toutefois, l’extrait de prière permet de montrer que les enfants ne sont que victimes d’une force incontrôlable et hors de leur portée. Ainsi, la méthode d’écriture de Victor Hugo sensibilise les lecteurs sur le côté victime des enfants en réveillant certains lecteurs de leurs croyances, innocentant les jeunes afin de pointer son accusation vers une autre direction.

 

Outre que de sensibiliser ses lecteurs dans le but d’éveiller les consciences dans la société, la manière d’écrire de Victor Hugo lui permet en addition de s’opposer à l’opinion publique qui est, dans ce cas, l’acceptation collective du travail des enfants. En effet, une manière d’Hugo de manifester son opposition envers l’acceptation du travail des enfants consiste à rabaisser son estime envers celui-ci dans son écriture,  incitant ainsi le public à imiter son point de vue. Hugo commence son poème en décrivant défavorablement l’environnement des industries. Il désigne en premier les usines par le nom péjoratif de « prison«, ce qui illustre leur côté enfermé, sombre et isolant. Présentant les usines en tant qu’un milieu hostile au lieu d’un établissement révolutionnairement performant, Hugo brise ainsi l’idéalisation des industries chez une grande partie de son auditoire, ce qui remet en question l’acceptabilité de faire travailler des enfants dans de milieux si oppressants. Par la suite, Hugo décrit les machines des industries en tant qu’un « monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre «.  L’emploi de cette personnification fort péjorative soulève un aspect épeurant des machines, amplifiant leurs mouvements macabres, ce qui enlaidit ce que les gens considèrent comme « progrès scientifique et économique«. Non seulement Victor Hugo rabaisse l’image de l’industrialisation dans son écriture à travers la description de l’environnement industriel, il la noircit d’autant plus dans ses puissants qualificatifs dépréciatifs tels que « [travail] infâme «, « maudit « et « haï des mères«. Transmettant sa haine de l’exploitation des enfants à ses lecteurs, Hugo tente de les persuader de son point de vue en manipulant leurs émotions telles que la colère et l’amour maternel, une manière d’écriture typiquement romantique des artistes engagés.

 

Pour s’opposer à l’acceptation du travail des enfants, non seulement le style d’écriture de Victor Hugo rabaisse l’image de ce travail, il dénonce également l’injustice derrière ce phénomène social. En désignant ce type de travail par « servitude « plutôt que « travail «, l’écriture de Victor Hugo contraste la différence entre ces deux termes, en mettant de l’emphase sur l’injustice du peu de gains malgré l’immensité des efforts fournis, ce qui qualifie l’exploitation des enfants plus d’une servitude que d’un travail. Selon Hugo, cette « servitude « est tellement néfaste qu’elle « défait ce qu’a fait Dieu «. Cette métaphore décrit la sévérité des dommages du travail sur les enfants -les créations de Dieu- qui sont presque sacrés aux yeux d’Hugo. En argumentant en faveur de la religion du peuple, le style d’écriture de cet artiste engagé lui permet de s’opposer avec encore plus de polémique à l’injustice sociale derrière l’exploitation des enfants. Effectivement, Hugo affirme dans la même phrase que ce travail «ferait d’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin «. En insultant ainsi les idoles du pays, cet exemple choque le public avec éloquence et les permet d’imaginer les possibles conséquences du travail des enfants. Comme Voltaire était un important révolutionnaire de la pensée, le fait d’écrire que même Voltaire deviendrait un crétin sous le fardeau du travail remet en question la signification du mot « progrès «, ce qui rend l’injustice subie à long-terme par les jeunes travailleurs nettement plus flagrante, contribuant ainsi à éveiller la conscience endormie de la population.

 

En conclusion, la dissertation du poème « Mélancholia « de Victor Hugo permet d’affirmer que l’écriture, c’est-à-dire la manière d’écrire d’un auteur, peut éveiller les consciences dans la société in interpellant leur jugement, que ce soit par sensibilisation ou par opposition à l’opinion publique. Premièrement, il est démontré que la sensibilisation dans le cas du travail des enfants peut se faire par la plainte contre les mauvaises conditions de travail ainsi que par la victimisation des enfants. Deuxièmement, il est démontré que l’opposition à l’opinion publique –dans ce cas, l’acceptation collective du travail des enfants- peut se faire par la contestation de l’image du travail des enfants ainsi que par la dénonciation de l’injustice derrière cette problématique. Toutes ces méthodes utilisées dans l’écriture d’Hugo contribuent à la conscientisation de la société par rapport à l’exploitation des enfants. Il est pertinent de noter que « Mélancholia « a été composée en 1856, à cheval entre la transition de mentalité dans les romans-feuilletons qui ont grandement propagé le romantisme. Avant 1850, ces romans-feuilletons étaient contestataires tandis qu’après 1850, ils étaient plus conservateurs. Jugeant le côté dénonciateur de « Mélancholia «, il est plausible d’affirmer que Victor Hugo était parmi les derniers artistes engagés influents de la société française avant que celle-ci sombre graduellement dans l’étroitesse d’esprit du conservatisme.

 

Mots : 1600

 

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