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En attendant Godot – Analyse pages 114-116 (Beckett)

Publié le 20/09/2010

Extrait du document

godot

 

1 Présentation de l’Auteur

 

Samuel Beckett est né en le 13 avril 1906 à Dublin, date qui coïncide avec le jour de la mort du Christ, ce qui l’amènera à porter une certaine culpabilité durant sa vie. Il écrira des romans et des nouvelles tels que Murphy, Watt et Molloy, des poèmes, des essais dont Proust, et des pièces de théâtre telles que Eleutheria, En attendant Godot et Fin de partie.

 

Situation du passage :

C’est la deuxième journée, Vladimir et Estragon attendent Godot (ils n’en ont toujours pas marre). Ils ont déjà rencontré Pozzo et Lucky, et voilà que ces deux derniers reviennent, mais cette fois Pozzo est aveugle et Lucky muet. En arrivant, ils trébuchent et tombent tous les deux, Estragon et Vladimir essayent, après de longues hésitations, de relever Pozzo mais tombent aussi. Ils restent un moment à terre car ils n’arrivent pas à se relever, puis Estragon se lève le premier et va frapper Lucky qui est toujours au sol, inanimé. Après cette scène, Pozzo et Lucky se relèvent et partent.

 

Plan du passage :

l. 1-15 : Estragon frappe Lucky et se blesse lui-même - échec

l. 16-36 : Effondrement des repères spatio-temporels

l. 36-54 : Départ de Pozzo et Lucky – leur rapport

 

Analyse :

 

Mon analyse sera fondée en trois parties, se regroupant toutes sous la même matrice, qui est l’absurdité de la condition humaine.

 

Effondrement des repères spatio-temporels

Dégradation de la vie et échec perpétuel

Soumission réciproque

 

2 Axe 1 : Effondrement des repères spatio-temporels

 

Dans ce passage, on peut constater une sorte de déséquilibre, de perdition profonde due à la perte des repères spatio-temporels, qui nous plongent dans un doute sur l’existence, comme si le sol s’effondrait et qu’un chat n’était plus un chat.

« Pozzo. – Et Lucky ?

Vladimir. – Alors c’est bien lui ?

Pozzo. – Je ne comprend pas.

Vladimir. – Et vous, vous êtes Pozzo ?

Pozzo. – Certainement, je suis Pozzo.

Vladimir. – Les mêmes qu’hier ?

Pozzo. – Qu’hier ?

Vladimir. – On s’est vus hier. (Silence). Vous ne vous rappelez pas ?

Pozzo. – Je ne me rappelle avoir rencontré personne hier. Mais demain je ne me rappellerai avoir rencontré personne aujourd’hui. Ne comptez donc pas sur moi pour vous renseigner. Et puis assez là-dessus. Debout ! 

Vladimir. – Vous l’emmeniez à Saint-Sauveur pour le vendre. Vous nous avez parlé. Il a dansé. Il a pensé. Vous voyiez clair.

Pozzo. – Si vous y tenez. Lâchez-moi, s’il vous plaît. (Vladimir s’écarte.) Debout !«

 

On voit ici deux éléments importants :

Vladimir peine à identifier Pozzo et Lucky  car il doit leur demander s’ils sont bien eux-mêmes. Ce manque de certitude amène des doutes sur la réalité, comme si les sens trompaient les personnages, qu’ils ne pouvaient pas s’y fier alors ils usent de la parole pour confirmer leurs hypothèses. Tout cet enchaînement provoque une remise en cause de la réalité, qui amène finalement à la grande question, puisque je ne sais pas si ces objets, ou ces jours existent, « Est-ce que j’existe ? « Si je n’en suis pas sûr, alors pourquoi vivre ? C’est là une absurdité qui rejoint la pensée de Beckett sur la condition humaine, à savoir qu’elle est murée et insensée.

 

Pozzo ne reconnaît pas ce qui s’est passé, et il dit même que demain il ne se rappellera pas de ce qui se passe en ce moment. Cet acte de non reconnaissance amène à penser qu’on n’aurait eu aucun effet sur le personnage, puisqu’il ne se rappelle pas de m’avoir vu, c’est comme s’il ne m’avait pas vu, c’est donc comme si je n’existais pas. Une fois de plus, remise en cause de l’existence, qui amène à l’absurdité de la vie.

 

Une telle analyse est aussi applicable à cet extrait de la page 108-109 :

« Estragon : Ce serait amusant.

Vladimir : Qu’est-ce qui serait amusant ?

Estragon : D’essayer avec d’autres noms, l’un après l’autre. Ca passerait le temps. On finirait bien par tomber sur le bon.

Vladimir : Je te dis qu’il s’appelle Pozzo.

Estragon : C’est ce que nous allons voir. Voyons (il réfléchit) Abel ! Abel !

Pozzo : A moi !

Estragon : Tu vois !

Vladimir : Je commence à en avoir assez de ce motif.

Estragon : Peut-être que l’autre s’appelle Caïn. (il appelle) Caïn ! Caïn ! «

 

Pour conclure sur l’absurdité, le passage finit sur une note totalement insensée :

 

« Vladimir : Qu’est-ce qu’il y a dans la valise ?

Pozzo : du sable. «

 

Pozzo transporte du sable, ce qui est absolument grotesque et inutile, et qui pourrait signifier que sa quête est nulle ; il transporte du sable, ce qui, à priori, ne sert à rien, donc, Pozzo ne sert à rien. Sa vie ne sert à rien. L’absurdité de la vie humaine est donc une fois de plus soulevée ici avec cette quête inutile.

 

3 Axe II : Dégradation de la vie et échec perpétuel

 

Dans ce passage, on peut sentir comme une dégradation de la vie humaine, dans le sens où les personnages régressent, ils se retournent du côté de la poussière plutôt que d’avancer vers le bonheur.

 

« Vladimir : Regarde s’il est vivant d’abord. Pas la peine de lui taper dessus s’il est mort.

Estragon : (s’étant penché sur Lucky) Il respire. «

 

La vie de Lucky, qui est un être humain, est réduite à sa ventilation, comme si tout ce dont Lucky était capable était de respirer. De plus, Vladimir dit que ce n’est pas la peine de lui taper dessus s’il est mort, il n’éprouve ni chagrin ni compassion, ce qui déshumanise le personnage de Vladimir. Il y a ici une réduction de l’image de l’Homme, un rabaissement de sa valeur.

 

« Subitement déchaîné, Estragon bourre Lucky de coups de pied, en hurlant. Mais il se fait mal au pied et s’éloigne en boitant et en gémissant. Lucky reprend ses sens.

Estragon (s’arrêtant sur une jambe) Oh la vache !

Estragon s’assied, essaie d’enlever ses chaussures. Mais bientôt il y renoncera, se disposera en chien de fusil, la tête entre les jambes, les bras devant la tête. «

 

Ici, Estragon passe d’un homme qui « bourre Lucky de coups de pied, en hurlant. «, à un « chien de fusil, la tête entre les jambes, les bras devant la tête. «  Il est d’abord tel un gorille frappant sur sa poitrine, puis se ratatine en un chien rentrant dans sa niche. Notons la position fœtale, qui marque l’ultime repli, l’ultime retour vers le néant, car le fœtus est le stade du développement durant lequel on est « homme pour la première fois «, un retour vers ce stade est donc signe de régression totale. De plus, cette attaque contre Lucky est un échec, il entreprend quelque chose, mais il rate, car c’est finalement lui qui a mal. En entreprenant de battre Lucky, il va même régresser, car il changera son statut de « debout et sain « à « recroquevillé avec une douleur «.

 

De plus, Pozzo amène Lucky à Saint-Sauveur, ce qui aurait pu symboliser un espoir de par le nom « Saint-Sauveur «, mais c'est enfait pour le vendre qu'il s'y rend. Qu'est-ce qui pourrait mieux incarner l'affliction que le fait d'être vendu ? C'est ici une fois de plus une tentative qui retombe sur ses pattes, puisque sa condition ne changera pas malgré le nom alléchant se référant au Christ. Il y a même une pensée plus grave, comme si le Christ lui-même ne pouvait rien faire pour Lucky, puisqu'il sera en quelque sorte vendu en son nom; Dieu ne nous aidera pas.

 

Dans toute l’œuvre, les actes des personnages ne sont qu’échecs ; la potence, la chaussure, la fuite, la tentative de relever Pozzo, et maintenant il perd un combat contre un homme qui était couché au sol. Avec un parallel à « La divine comédie « de Dante, où l'Homme ne fait que descendre vers les enfers, s'enfonçant toujours  plus loin dans sa prison.  Cela montre une vision murée de la condition humaine ; l’Homme échoue.

 

4 Axe III : Soumission réciproque

 

La soumission entre Pozzo et Lucky est à première vue clairement marquée dans ce passage, Pozzo étant le dominant, et Lucky le dominé. Mais en regardant de plus près, la situation peut s’avérer plus complexe.

 

«Pozzo : Debout ! (Lucky se lève, ramasse les bagages.)

… 

Lucky, chargé des bagages, vient se placer devant Pozzo.

Pozzo : Fouet ! (Lucky dépose les bagages, cherche le fouet, le trouve, le donne à Pozzo, reprend les bagages.) Corde ! (Lucky dépose les bagages, met le bout de la corde dans la main de Pozzo, reprend les bagages.)

 

5 Pozzo : En avant ! (Lucky s’ébranle, Pozzo le suit). «

 

Dans tout le passage, Lucky reste inactif, gisant au sol,  il ne réagit même pas lorsqu’Estragon le frappe, mais il se lève et s’active dès que Pozzo l’ordonne. Sans ordre de Pozzo, Lucky ne fait rien, il a besoin des ordres pour vivre ; Pozzo lui donne la vie. Après chaque ordre, exprimé avec un point d’exclamation, Lucky se remplit d’existence car il s’active, il travaille, il vit. « Pozzo : En avant ! (Lucky s’ébranle) « Sans ordre, il ne ferait rien, il serait comme mort. Ce qui apparaît comme une soumission est en fait un abreuvoir de vie, mais cela amène un double phénomène de dépendance réciproque ; Lucky a besoin de Pozzo pour le guider, mais Pozzo a besoin de Lucky pour l’aider à porter le matériel et à ne pas tomber. Ils sont donc soumis l’un à l’autre, et l’échange de leurs places est impossible car Lucky ne saurait où aller, et Pozzo ne saurait supporter d’avoir une corde autour du cou.

 

Ceci nous ramène à la condition humaine, un serviteur est un serviteur car son supérieur l'a décidé ; chaque être humain est prédéfini, conditionné, le choix n'existe finalement pas, car l'environnement social défini la place des gens, en la coinçant, autant par la personne supérieure que par celle qui lui est inférieure. L’Homme est donc conditionné et enfermé dans un système de soumissions réciproques, n'ayant finalement aucune liberté sur sa condition, car le choix ne lui est pas proposé.

 

Conclusion :

 

Par cette oeuvre, Beckett répond à la question si souvent posée, « Quel est le but de notre existence ? «, par une vision très pessimiste disant que nous n’avons pas la preuve que nous existons, que les échecs à l’échelle de l’humanité sont fréquents (guerres, famines, exploitation, dégradation de la planète, extinction d’espèces etc) et que nous sommes conditionnés et bloqués par la personne en dessus, et par celle en dessous de nous. Beckett voit donc l'existence comme un échec.

 

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