en doute nos droits sur un bien qui nous vient par héritage.
Publié le 23/10/2012
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en doute nos droits sur un bien qui nous vient par héritage... La justice de nos Hindous est proprement plus que de la justice : c'est la vraie renonciation, la négation de la Volonté de vivre, l'ascétisme enfin : nous allons en parler. En revanche, celui qui vit sans rien faire, en utilisant les forces d'autrui, usant d'un héritage, et ne rendant service à personne, celui-là, tout en demeurant juste selon les lois positives, risque d'être considéré comme injuste au sens moral. La justice spontanée naît, nous l'avons vu, d'une intelligence capable déjà de voir quelque peu à travers le principe d'individuation, tandis que l'homme injuste en reste absolument la dupe. Mais cette intelligence peut ne pas s'arrêter là, et s'élever à un degré supérieur, où elle donne naissance à la bienveillance et à la bienfaisance positives, bref à l'amour de nos semblables : et quelle que soit la force, l'énergie de la Volonté en un individu, elle n'est pas plus empêchée de s'élever à cet état. En effet, il suffit que l'intelligence lui fasse équilibre, qu'elle lui enseigne à résister au penchant qui va vers l'injustice ; et elle pourra ainsi produire quelque degré que ce soit de bonté, y compris la résignation. Il ne faut donc pas croire que l'homme bon soit par là même une manifestation moins énergique de la Volonté qu'un méchant ; seulement, chez lui la connaissance maîtrise l'aveugle élan de la Volonté. Sans doute, il est des individus qui n'ont d'un bon coeur que l'apparence et qui le doivent à la faiblesse avec laquelle la Volonté apparaît en eux ; mais bientôt on voit ce qu'ils sont au fond : des êtres impuissants à remporter sur eux-mêmes une victoire un peu difficile, le jour où il s'agit de mener à bien une action juste ou bonne. Maintenant, voici un homme qui s'offre à nous : le cas est rare ; il possède de grands biens, mais il en use peu pour lui-même, et tout ce qui lui reste, il le donne aux malheureux ; il se prive ainsi de bien des plaisirs, et consulte fort peu ses convenances. Si nous essayons de nous expliquer la conduite de cet homme, et si nous écartons les croyances auxquelles lui-même rapporte le principe de ses actes pour les rendre concevables à sa Raison, nous verrons que l'expression générale la plus simple, le caractère essentiel de toute sa conduite, c'est qu'il fait moins de différence que personne entre lui-même et autrui. (Monde, I, 385-9o.) D'autres que moi peuvent proposer des principes de morale, et les donner pour des recettes à produire la vertu, comme des lois qu'il est nécessaire de suivre : pour moi, je l'ai déjà dit, je n'ai rien de pareil, je ne puis prescrire à la Volonté éternellement libre aucun devoir, aucune loi. Mais en revanche, ce qui, au point de vue de ma doctrine, joue un rôle à peu près analogue, c'est cette vérité toute théorique, dont tout mon écrit n'est que le développement, à savoir que la volonté, la réalité en soi cachée sous chaque phénomène, considérée en elle-même, est indépendante des formes phénoménales, et par là de la multiplicité : et cette vérité, je ne vois pas d'expression meilleure à en donner, au point de vue pratique, que la formule du Véda dont j'ai déjà parlé : Tat twam asi ! (« Tu es ceci ! «) Celui qui peut se la redire à lui-même, avec une connaissance claire de ce qu'il dit et une ferme conviction, en face de chaque être avec lequel il a rapport, celui-là est sûr de posséder toute vertu, toute noblesse d'âme : il est sur la voie droite qui va à la délivrance. Il me reste, pour terminer cet exposé, à montrer comment la douceur d'âme, cet amour qui a pour origine et pour substance une intuition capable d'aller au delà du principe d'individuation, nous conduit à la délivrance, c'est-à-dire à l'abdication de toute volonté de vivre ; il me reste aussi à faire voir comment il y a une autre route, moins douce, plus fréquentée pourtant, qui conduit l'homme au même résultat. Mais auparavant, je dois exposer et expliquer ici une proposition paradoxale, non par goût du paradoxe, mais parce qu'elle est vraie, et que sans elle on ne connaîtrait pas toute ma pensée. La voici : « Toute douceur (iyir-.-e;, caritas) est pitié. « (Monde, I, 392.) 2. « TOUTE BONTÉ EST, AU FOND, PITIÉ « Rappelons-nous que, d'après nos recherches antérieures, à la vie est essentiellement et inséparablement unie la douleur ; que tout désir naît d'un besoin, d'un manque, d'une douleur ; que, par suite, la satisfaction n'est jamais qu'une souffrance évitée, et non un bonheur positif acquis ; que la joie ment au désir en lui faisant accroire qu'elle est un bien positif, car en vérité elle est de nature négative ; elle n'est que la fin d'un mal. Dès lors que faisons-nous pour les autres, avec toute notre bonté, notre tendresse, notre générosité ? Nous adoucissons leurs souffrances. Qu'est-ce donc qui peut nous inspirer de faire de bonnes actions, des actes de douceur ? La connaissance de la souffrance d'autrui : nous la devinons d'après les nôtres, et nous l'égalons à celles-ci. On le voit donc, la pure douceur (aye,irn, caritas) est, par nature même, de la pitié ; seulement la souffrance qu'elle s'efforce d'adoucir peut être tantôt grande et tantôt petite, elle peut n'être qu'un simple souhait déçu. Le concept seul est aussi impuissant à produire la vertu vraie qu'à créer le beau véritable ; toute douceur sincère et pure est pitié, et toute douceur qui n'est pas pitié n'est qu'amour de soi. Qu'est-ce que l'amour, gpcaç ? De l'amour de soi. Qu'est-ce que la douceur ? De la pitié. Certes les deux se mélangent souvent. Ainsi la vraie amitié est toujours un mélange d'amour de soi et de pitié : on reconnaît le premier élément au plaisir que nous donne la présence de l'ami, dont la personne correspond à la nôtre, ou plutôt dont la personne est la meilleure partie de la nôtre ; la pitié se montre par la part que nous prenons sincèrement à ce qui lui arrive de bien ou de mal, et aussi par les sacrifices désintéressés que nous lui faisons. Spinoza a dit en ce sens : « La bienveillance n'est qu'un désir né de la pitié. « A l'appui de notre paradoxe on peut encore invoquer ce fait, que dans le langage de la pure douceur, le ton, les paroles, les caresses, sont tout à fait en harmonie avec ceux qui expriment la pitié ; et pour le dire en passant, en italien la pitié et la tendresse pure ont le même nom, pietà. (Monde, I, 393-4.) B) LA NÉGATION DU VOULOIR-VIVRE OU AB-NÉGATION : PREMIÈRE MANIÈRE D'Y ARRIVER I. CONNAITRE L'ESSENCE DES CHOSES Reprenons le fil de notre analyse du sens moral de nos actes, et montrons comment, de la même source d'où jaillit toute bonté, toute douceur, toute vertu, sort aussi ce que j'appelle la négation du vouloir-vivre.
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