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En quoi le roman reflète-t-il le regard du romancier sur l'homme et la société?

Publié le 17/01/2011

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Depuis son apparition dans la littérature française au Moyen-Âge, le roman n'a cessé d'évoluer au fur et à mesure des changements et des mutations du monde. Nous nous demanderons donc en quoi l'oeuvre d'un romancier peut exprimer l'opinion de celui-ci sur l'homme et la société. Ainsi, nous verrons d'abord que l'univers romanesque propose une représentation et une interprétation du monde et de la société, que le choix des personnages vient préciser, et enfin que certains genres romanesques permettent à un écrivain d'exprimer ouvertement son point de vue sur l'homme et le monde.

 

L'univers romanesque, s'il reste original dans chaque oeuvre reprend, la plupart du temps, des caractéristiques du monde réel. Cette volonté de rester fidèle à la réalité se retrouve particulièrement dans les romans réalistes, comme Eugénie Grandet de Balzac, où ce dernier s'attache à décrire au lecteur le plus exactement possible les lieux de l'intrigue, soit une ville  de province au milieu du XIXème siècle. On peut donc, à travers ces descriptions, interpréter la vision que Balzac avait de la société provinciale de son époque. D'autre part, d'autres auteurs appartenant à d'autres courants littéraires que celui de Balzac et à d'autres époques ancrent leur récit dans le monde réel. C'est le cas du roman historique de Madame de la Fayette, La Princesse de Clèves, dont tous les personnages et lieux sont réels hormis Mademoiselle de Chartres, héroïne du livre. Malgré la modification de leurs noms, ils renvoient à des personnages de la cour de Louis XIV peints par l'auteur. Beaucoup de ses contemporains se sont ainsi amusés à chercher qui se trouvait bien présent dans ce roman à clé. La fidélité au réel permet donc d'en souligner les traits chers au romancier.

Plus généralement, même si lieux et personnages ne sont pas réels, l'univers romanesque peut être rattaché au monde par des allusions et des traits communs à celui-ci.Ainsi, dans la dictature décrite dans le roman 1984 de George Orwell, on peut reconnaître les régimes totalitaires de la seconde guerre mondiale. Dans ce roman, les caractéristiques du régime de big brother, délibérément grossis par rapport à ceux de l'URSS et du régime nazi, permettent à la fois au lecteur de reconnaître un élément de son monde et de susciter son inquiétude quant à l'avenir de l'humanité. Certains auteurs comme Mac Carthy avec La Route vont même jusqu'à décrire le monde après l'Apocalypse. Ainsi, ce roman qui raconte l'odyssée d'un père et de son fils au milieu d'une Amérique ravagée par le feu, parcourue de bandes d'hommes violents et affamés, permet de montrer la violence des homme lorsqu'ils n'ont pas le cadre de la société. L'univers romanesque peut donc manifester l'inquiétude du romancier par rapport à l'humain et à son avenir.

Enfin, le roman qu'il soit réaliste ou non, aborde souvent les grands problèmes auxquels la société est confrontée. Nombre de romans de Zola traitent ainsi des questions nouvelles auxquelles la société industrielle doit faire face. Dans l'Assomoir, l'auteur raconte ainsi la déchéance d'une famille ouvrière par l'alcool, qui devient un des grands fléaux qui frappent les classes populaires au XIXème siècle. Dans Germinal, Zola s'intéresse cette fois au travail des mineurs et à l'émergence des premiers mouvements de grève. En s'intéressant au prolétariat plus qu'à la bourgeoisie ou la noblesse de son temps, Zola montre quelles sont les préoccupations qui aboutiront à son engagement humaniste. Le choix de l'univers romanesque informe donc le lecteur, dans une certaine mesure, des sujets chers à l'écrivain et peut l'éclairer sur son engagement par rapport à ceux-ci.

 

Cependant, l'expression du regard du romancier ne se limite pas à l'univers romanesque. Une autre dimension à prendre en compte est celle des personnages. Certains d'entre eux peuvent ainsi, par la personnalité que leur prête l'auteur marquer tout un roman et illustrer, sur certains points, le regard du romancier sur le monde. Julien dans Le Rouge et le Noir permet ainsi à Stendhal, qui dissèque consciencieusement la psychologie de son personnage, de créer un lien avec le lecteur et de lui présenter sa propre vision de la société dans laquelle Julien évolue. Ce genre de personnage se retrouve chez Wilde, dans Le Portrait de Dorian Gray, où, par l'intermédiaire du héros, l'écrivain nous fait découvrir une aristocratie londonienne à la fois débauchée et hypocritement moralisatrice. L'auteur peut donc, à travers l'analyse d'un personnage, orienter sa vision de la société.

Cette manipulation de la perception du monde peut aussi être faite grâce au choix d'un narrateur qui verra l'histoire à travers le prisme du regard de son personnage. C'est le cas pour L'Etranger de Camus, où le narrateur qui parle à la première personne semble « étranger au monde «. A travers cette oeuvre, camus présente de fait sa théorie philosophique de l'Absurde qui veut qu'il y ait divorce entre le besoin de grandeur et d'absolu de l'homme et sa condition mortelle, à laquelle il trouve une réponse en fin de roman en faisant prononcer à son narrateur Meursault un hymne à la vie alors qu'il est sur le point de mourir. De la même manière, Céline avec Voyage au bout de la nuit, nous fait partager sa vision d'une époque et de la guerre, puisqu'il s'agit d'un roman autobiographique. Le narrateur-personnage actif dans l'histoire, peut donc être un moyen pour l'auteur de nous faire partager sa vision du monde.

Enfin, certains romanciers choisissent de faire de leurs personnages des représentants, voire même des caricatures, d'un certain milieu social ou d'une catégorie particulière de personnes. Marguerite Duras, dans Barrage contre le pacifique, fait ainsi des riches colons français d'Indochine, des monstres corrompus, qui ne se soucient absolument pas des indigènes qui ne disposent ni de soins, ni de médicaments et dont les enfants meurent par milliers, ni des colons pauvres qui ne versent pas de pots de vins suffisants. A travers la description de ces personnages, Duras propose sa propre vision de la société coloniale parmi laquelle elle a vécu et n'hésite pas à en faire la critique. Les personnages jouent donc un rôle fondamental dans le roman pour refléter l'opinion de l'écrivain sur l'homme et la société.

 

Certains romanciers décident même de s'engager ouvertement en faveur d'une cause, et de faire de leur roman un manifeste de cet engagement. Le roman satirique permet ainsi à un écrivain une critique ouverte de la société. Ainsi, Albert Cohen dans Belle du Seigneur, par le biais du risible Adrien Deume, petit fonctionnaire imbu de sa personne, trompé par sa femme et méprisé de tous, se moque du jeu social auquel se prête en permanence la société de Genève et les employés de la Société des Nations. Plus tard dans le roman, Solal, le héros, déchu et banni de toute bonne société, après avoir été plusieurs années dirigeant d'une organisation internationale, fait lui-même la satire de sa propre existence, qui lui semble avoir été vaine. Ainsi, le roman satirique est l'expression d'un véritable engagement de la part du romancier pour une cause qu'il s'agisse de l'homme ou de la société.

Enfin, certains romans, oeuvres de personnalités souvent engagées politiquement, ont pour but principal de témoigner et de plaider pour la cause que défend leur auteur. C'est par exemple le cas de Claude Gueux de Victor Hugo, qui a été distribué aux députés français immédiatement après sa parution. Cet ouvrage a en premier lieu pour but l'interdiction de la peine de mort. Cependant, l'auteur va bien au-delà de cette simple demande. Il accuse en effet les dirigeants français et leur justice d'iniquités envers les pauvres et les supplie de bien vouloir éduquer le peuple, « d'éclairer et de moraliser sa tête, plutôt que de la couper «. Le discours de la chambre en fin de roman renforce encore la portée politique de celui-ci.

 

Nous avons donc vu que l'univers que construit le romancier en écrivant un livre ainsi que le choix de certains personnages, permettent à l'auteur de présenter le monde sous un certain angle. D'autre part, certains écrivains font de leurs romans des manifestes politiques et engagés contre les travers de la société et de l'homme. Ces trois dimensions dont les deux premières sont toujours présentes dans un roman, permettent ainsi de découvrir le regard que porte un romancier sur le monde.

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