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« Faut-il chercher le sens d'une oeuvre dramatique dans son dénouement ? »

Publié le 19/09/2010

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Qu’il soit tragique ou heureux, c‘est par son dénouement que s’achève une œuvre dramatique.  Aussi, celui-ci maintient souvent l’intérêt du spectateur jusqu’à la chute du rideau. Est-il alors le lieu crucial pour l’herméneutique de la pièce ? Le dénouement révèle-t-il le sens d’une œuvre dramatique ? On reviendra dans un premier temps sur le statut même du dénouement, puis on envisagera comment le schéma dramatique qui mène l’intrigue jusqu’à sa résolution finale fait du dénouement le lieu propice à la délivrance d’une morale de l’histoire. Mais on verra ensuite que certains dénouements problématiques nécessitent de chercher ailleurs le sens de l’œuvre. 

 

La nature même du dénouement peut donner son sens à une œuvre dramatique. Boileau l’évoque dans L’Art Poétique Chant III  en définissant le dénouement comme un « secret « qui devient  « tout à coup la vérité connue « et « change tout, donne à tout une face imprévue «. Ainsi la logique du dénouement contredit parfois celle de l’intrigue ou au contraire permet de la retrouver avec l’intervention d’un « Deus ex machina « . Aussi, dans certaines réécritures, le dénouement modifie également le sens de l’œuvre.

 

Le sens et la logique du dénouement s’opposent parfois à la logique de l’intrigue d’une œuvre dramatique. En effet, on ne saurait prévoir certains renversements de situations qui apparaissent en contraste avec toute l’intrigue dramatique et qui en changent ainsi la signification. On observera par exemple que dans Le Tartuffe de Molière tout laisse à croire que le faux dévot, l’imposteur va réussir à escroquer la famille d’Orgon qui ne s’aperçoit en rien de la supercherie. Pourtant, c’est au dernier moment que l’exempt, représentation du roi, va se présenter pour rétablir miraculeusement la situation en punissant le coupable et en faisant triompher l’autorité royale. De la même façon, on retrouve un dénouement allant à l’encontre du contexte dramatique dans Dom Juan, du même auteur, dans lequel le personnage éponyme, un noble, séducteur et libertin blasphémateur accumule les conquêtes amoureuses sans vergogne et en se moquant des conséquences et du châtiment qui pourraient s’ensuivre. Aussi, le dénouement se distingue par un châtiment exemplaire : le sol se dérobe sous les pieds de Dom Juan qui est emporté dans les flammes de l’enfer. Lui qui n’a cessé de provoquer Dieu, sa punition est exemplaire autant par sa sévérité que par sa fulgurance. Dans ces deux œuvres dramatiques, rien n’annonçait un tel dénouement, en décalage avec la logique du reste de l’intrigue. Le sens de l’œuvre prend donc toute son importance dans cette conclusion.

 

Par ailleurs, on observe dans certaines œuvres dramatiques l’intervention  d’un « Deus ex machina «  , une personne ou une action se ralliant aux divinités et arrivant de façon impromptue à la fin  de la pièce et par laquelle le dénouement s’effectue. Cette  intervention  modifie ainsi le cours de l’action pour résoudre une situation désespérée ou revenir à la logique initiale de l’intrigue tout en proposant un « happy end «. C’est ainsi que dans Philoctète de Jean-Pierre Siméon ou dans celui de Sophocle, c’est l’intervention de Héraclès, alors mort, qui va remettre Néoptolème et Philoctète sur le chemin de la guerre de Troie et permettre ainsi la victoire des Grecs, ce qui est à l‘origine de l‘intrigue. De la même façon, dans Iphigénie à Aulis de Euripide, après qu’Agamemnon se soit résigné à sacrifier sa fille pour le bien des Grecs, la déesse Artémis intervient afin d’éviter à Iphigénie d’être tuée. On observe ainsi à travers l’intervention d’un « Deus ex machina « un retour à la logique initiale de l’intrigue ainsi qu’une issue lors d’une situation désespérée.

 

Aussi, dans le cadre de certaines réécritures, en modifiant le dénouement de l’œuvre, on en modifie le sens. C’est le cas de Philoctète de André Gide et de Heiner Müller. Dans ces réécritures, Ulysse et Néoptolème, censés ramener Philoctète à Troie avec son arc et ses flèches pour la victoire des Grecs, ne surmontent pas leur haine. Dans ces deux versions, Philoctète meurt, ce qui éloigne  le dénouement du modèle humaniste de l’Antiquité et plus précisément de celui de Sophocle. Car dans la version de celui-ci, les personnages surmontent leur haine et l’espoir triomphe en mettant en avant la leçon selon laquelle il faut faire passer le devoir (ici celui de la Patrie) avant les raisons personnelles. Philoctète mourant, l’espoir est abandonné et tout le sens de l’intrigue est modifié. Ainsi, le dénouement  révèle le sens de l’œuvre car en le modifiant,  on change  la signification de l’œuvre dramatique.

 

Ainsi, la logique du dénouement est parfois en contradiction avec celle de l’intrigue ou au contraire la retrouve avec l’intervention d’un « Deus ex machina «. Le dénouement est donc porteur d’une signification de l’œuvre. Aussi, lorsqu’il est modifié, le sens de l’œuvre l’est également. On observera ainsi que le dénouement délivre la signification de l’œuvre en donnant à la fois une leçon de morale et une leçon psychologique ainsi qu’en révélant certaines forces.

 

Le dénouement transmet souvent une leçon de morale qui est ainsi une clé du sens de l’œuvre. On la retrouve particulièrement dans les comédies de caractère où les vices sont punis. Ainsi, dans L’Avare et dans Le Malade Imaginaire de Molière, Harpagon, l’avare et Argan, l’hypocondriaque apparaissent comme des personnes égoïstes qui refusent de laisser le choix à leurs enfants concernant leur futur époux(se). Dans ces deux comédies, lors du dénouement, les enfants triomphent sur leurs père qui sont ridiculisés. La morale passe de cette façon par le ridicule. On peut également observer  une leçon de morale dans les tragédies classiques. C’est le cas dans Bérénice de Racine. En effet, Bérénice, reine de Syrie et Titus, futur empereur,  s’aiment. Or,  un empereur romain ne peut épouser une reine étrangère. Dans son dénouement, Racine fait triompher la raison sur la passion, Bérénice choisit de régner et choisit la raison d’Etat sur celle de l’amour. Racine donne ainsi la leçon de morale suivante : il faut faire passer le collectif sur l’individuel, la cause public sur celle privée. 

Le dénouement comique ou bien tragique peut donc donner une leçon de morale, qui se révèle être une clé pour la compréhension de l’œuvre dramatique.

 

Par ailleurs, le dénouement peut aussi être porteur d’une leçon psychologique et se révèle ainsi science le l’âme.  On peut observer par exemple que dans Œdipe de  Sophocle, Corneille, Euripide et  beaucoup d’autres encore, c’est dans le dénouement que Œdipe découvre sa véritable identité et plus précisément qu’il a épousé sa mère et tué son père. L’Œuvre y prend donc tout son sens car c’est l’accomplissement du destin par la découverte de soi. Aussi, c’est dans le dénouement de  La leçon de Eugène Ionesco que l’on observe une leçon psychologique. En effet le maître finit par tuer son élève et le dénouement en fait apparaître une autre. La construction en boucle fait ainsi apparaître l’irrémédiabilité de la noirceur de cet homme qui abuse de son pouvoir.  On observe aussi une  leçon psychologique dans Pour un oui, pour un non de Nathalie Sarraute et dans En attendant Godot  de Beckett ou le dénouement montre l’absurdité de la vie en ne résolvant aucune situation. En effet, H1 et H2 continuent de se disputer et Vladimir et Estragon attendent toujours Godot. Le dénouement, en donnant parfois une leçon de psychologie, transmet donc  le sens d’une œuvre dramatique.

 

Aussi, le dénouement révèle des forces. Tout d’abord, on peut observer dans Antigone de Sophocle la présence de la fatalité dans le dénouement car c’est le destin d’Antigone de mourir pour ses convictions. La conclusion délivre donc toute la force de la fatalité. Le dénouement révèle également la force de l’amour comme dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux où Silvia et Dorante deux nobles promis l’un à l’autre vont se déguiser en valets pour pouvoir étudier l’autre, ne sachant évidement pas que celui-là aura eu  la même idée. C’est ainsi qu’il vont tout deux tomber amoureux l’un de l’autre mais en croyant être attiré par une personne de classe sociale inférieure. Ainsi dans son dénouement, Marivaux fait avouer à Dorante son amour pour Silvia, lui, en tant que noble elle en tant que servante, il délivre ainsi la force de l’amour et son ampleur dramatique. Enfin, E. Ionesco quand à lui met en avant la liberté de penser dans Rhinocéros . En ville, les rhinocéros prolifèrent et incarnent la montée au pouvoir d’un régime totalitaire auquel de plus en plus de monde adhère. Aussi lors du dénouement, lorsque tout le monde est devenu rhinocéros, seul Béranger refuse de suivre le mouvement et s’’éxclame : « Je suis le dernier homme, je le resterai ! Je ne capitule pas ! «. Ionesco, à travers son dénouement  révèle bien la liberté de penser et la résistance. Le dénouement peut donc révéler des forces importantes et ainsi donner un sens à l’œuvre. 

 

C’est donc dans le dénouement que l’on trouve une leçon morale ou psychologique ainsi que la révélation de forces importante, qui donnent un sens à l’œuvre dramatique. Le dénouement peut donc être le lieu idéal pour révéler l’herméneutique d’une œuvre. Malgré tout, le sens de l’œuvre peut être lié à d’autres éléments car dans la tragédie, le dénouement tragique est souvent annoncé d’emblée, aussi,  le système même des personnages ainsi que la mise en scène peuvent apporter un sens à l’œuvre dramatique.

 

En effet dans la tragédie, le dénouement est connu d’emblée car il est annoncé ou su dès le début. C’est le cas de L’Antigone  d’Anouilh. En effet c’est à travers un Prologue que l’auteur annonce la mort future et inévitable d’ Antigone. Ainsi il est nécessaire de chercher le sens de l’intrigue dans le déroulement même de l’œuvre dramatique, car c’est là que Antigone prends toute sa mesure d’héroïne. C’est également dans l’intrigue que le spectateur est témoin de la force de résistance de Antigone, le sens même de l’œuvre étant basé sur le conflit entre Antigone et son oncle. Il n’y a donc pas de suspense, l’issue tragique de l’histoire étant annoncée. C’est également le cas de Roméo et Juliette, de W. Shakespeare. En effet la pièce  s’ouvre par on prologue qu’un chœur déclame. Ce prologue anticipe la pièce en annonçant l’issue de l’intrigue qui n’est autre que la mort des deux héros : « […] la rage obstinée de leur famille, que peut seule apaiser la mort de leur enfants […]. Le dénouement étant annoncé, le sens le l’œuvre peut résider dans le reste de l’œuvre dramatique. Ainsi, on peut chercher le sens d’une œuvre dramatique ailleurs que dans son dénouement, ce sens pouvant être dans le déroulement de l’intrigue.

 

On peut également observer que le système même des personnages peut être la clé du sens d’une œuvre dramatique, ce qui signifierai que ce sens apparaît dans l’intrigue même de cette œuvre. Dans les comédies de Molière, les personnages possèdent des traits distinctif qui apportent une signification importante à l’intrigue. Dans L’Avare, Harpagon représente l’avarice personnifiée, ce trait distinctif lui est  alors associé en tout point et on observera que toute la pièce est fondée sur cette avarice et sur ce qu’elle peut provoquer. Aussi, dans Le Malade Imaginaire, la pièce repose sur l’hypocondrie d’Argan, ainsi ce personnage devient une clé du sens de l’œuvre.  On observe également que dans Roméo et Juliette de William Shakespeare,  le personnage des parents porte le trait distinctif de la sévérité. En effet, autant dans la famille des Capulet que des Montaigu, les parents refusent de laisser le libre choix à leurs enfants sur la question du mariage. De plus ces familles sont représentatif d’un conflit car elles sont rivales, et c’est dans ce point que l’on trouve tout le sens de l’œuvre. Ainsi, le système même des personnages et ce qu’ils représente peut donner le sens d’une œuvre dramatique en étant une clé de celui-ci.

 

Enfin, la mise elle-même peut donner son sens à une œuvre. On observe par exemple que Ariane Mnouchkine transpose l’univers du Tartuffe dans un monde musulman menacé par l’islamisme. Ainsi le sens de l’œuvre de Molière est donné par le décor et les tenue islamistes sur scène.  Aussi, c’est également Ariane Mnouchkine qui transposa La Nuit des Rois en Inde où la danse kathakali croise magiquement les jeux d’illusion de Shakespeare. Dans cette version chaque personnage tel que Viola, Orsino ou Sir Toby Belch possède son propre thème musical pour chaque apparition. Ces thèmes apporte une précision sur le sens des personnage et de la pièce. Ainsi, en transposant des pièces de théâtre classique dans deux univers totalement différents par leurs cultures ainsi que par leurs mœurs, Ariane Mnouchkine donne un sens à l’œuvre originale par sa mise en scène. Ainsi, on peut trouver le sens d’une œuvre dramatique dans les partis pris scéniques de le mise en scène.

 

On peut donc chercher le sens d’une œuvre ailleurs que dans son dénouement, comme dans l’intrigue, dans le système des personnages ou dans le mise en scène de la pièce.

 

Le dénouement peut donc délivrer le sens d’une œuvre dramatique bien que celui-ci puisse être lié à d’autres éléments. Le dénouement  est ainsi profondément lié à l’intrigue dramatique, pas forcément objet d’un suspense insoutenable (comme il arrive souvent au cinéma), et ce quel qu’il soit, qu’il réjouisse paradoxalement le spectateur comme l’explique André Bonnard dans De l’Iliade au Parthénon , qu’il lui apporte un véritable soulagement comme dans les farces de Molière, ou qu’il le laisse sur sa faim  comme c’est le cas dans Dom Juan de Molière ou enfin qu’il le laisse à sa réflexion. Ainsi il dénoue un conflit, il met un terme à un objet littéraire, à un spectacle qui, le temps de quelques heures a tenu en haleine et a permis de réfléchir sur la vérité.

 

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