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Faut-Il Faire Preuve De Nulle Sensibilité Au Théâtre ?

Publié le 19/09/2010

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Diderot était un philosophe et écrivain du siècle des Lumières (XVIIIème siècle). Il a participé à l’élaboration de la première Encyclopédie aux côtés D’Alembert. Diderot s’est essayé à plusieurs genres littéraires dont le roman et le théâtre. Il pense à ce sujet qu’un comédien doit faire preuve de « nulle sensibilité « dans ses représentations.

Il conviendra de se demander si, au théâtre comme au cinéma, il faut ou non faire preuve de nulle sensibilité.

Nous verrons d’abord les arguments qui sont du côté de Diderot, puis nous étudierons les arguments inverses.

 

Tout d’abord, Denis Diderot pense que, pour être un bon comédien, il faut « dans cet homme, un spectateur froid et tranquille « il demande de ce fait « de la pénétration et nulle sensibilité «.

En effet, un comédien, au cinéma comme au théâtre, ne doit pas laisser paraître ses sentiments et les « problèmes « qu’il rencontre en dehors de son travail. Il doit mettre son vécu de côté pour qu’il ne prenne pas le pas sur le personnage joué. Sinon, on assisterait à un jeu inégal de représentations en représentations. On peut ainsi constater que si un acteur vient de d’avoir une déception amoureuse, il peut être ébranlé et ces émotions peuvent transparaître dans son jeu, qui ne correspondrait pas forcément à son personnage.

De plus, comme le dit Diderot, « si le comédien était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? «. Il est vrai qu’on ne peut pas jouer avec la même justesse plusieurs fois d’affilée. Au cinéma, les acteurs doivent effectuer un grand nombre de prises avant d’arriver à jouer la scène parfaitement, comme le réalisateur le voudrait. De ce fait, à force de dire les mêmes répliques maintes fois, une routine peut s’installer et au fur et à mesure, on assiste à une récitation plutôt qu’à un jeu. D’ailleurs, cela peut être pour ces raisons que le metteur en scène fait rejouer la scène : il peut attendre un détachement de l’acteur par rapport au texte pour qu’il abandonne les émotions superflues. Ou bien, le réalisateur peut faire rejouer souvent une scène en énervant fortement l’acteur pour qu’il ressorte toutes ses émotions comme un flot. Pour ce faire, la nulle sensibilité est de mise au début des répétitions de scène. On voit que des actrices comme Isabelle Huppert ou Catherine Deneuve dont le jeu est plutôt froid, arrivent à jouer leur rôle sans la moindre sensibilité, elles se servent alors de leur expérience.

Aussi, un bon acteur doit être capable d’interpréter des rôles très différents qui lui demandent parfois un travail préparatoire, avec des recherches sur son personnage pour qu’il paraisse plus vrai. Pour ce faire, il vaut mieux ne pas avoir de la sensibilité pour pouvoir jouer une palette de rôles divers et variés, sinon, on aurait des rôles où l’acteur jouerait mieux que d’autres car cela lui conviendrait mieux en terme d’émotion. Ainsi, pour jouer Harvey Milk (de Gus Van Sant), dans le film éponyme, Sean Penn a dû travailler sur le personnage pour reproduire les signes particuliers de l’homme politique, il a dû voir comment Harvey Milk commençait ses discours par exemple. C’est la même chose pour les acteurs qui se travestissent, comme dans Mrs Doubtfire (de Chris Colombus), Tootsie (de Sydney Pollack) ou Certains l’aiment chaud (de Billy Wilder) : Robin Williams, Dustin Hoffman, Tony Curtis et Jack Lemmon, dans leurs films respectifs, ont dû apprendre à marcher avec des talons, à parler avec une voix plus aigüe, avoir une démarche plus féminine, ce qui n’est pas de la plus grande facilité !

C’est pourquoi, pour jouer des rôles et les enchainer avec plus de facilité, il est mieux, comme le pense Diderot, de faire preuve de nulle sensibilité dans l’interprétation des rôles.

 

En revanche, on peut aussi se dire qu’un acteur doit faire preuve d’une certaine sensibilité quand il est sur scène ou devant la caméra.

Effectivement, certains acteurs choisissent donc des rôles qui leur ressemblent ou dont ils ont l’habitude pour qu’ils puissent se servir pleinement de leurs émotions dans leur jeu. C’est ainsi le cas de Jean-Pierre Bacri, ou d’Agnès Jaoui dans leurs films. Lui, joue plutôt l’homme un peu « macho «, qui râle tout le temps comme dans Un air de famille (de Cédric Klapish), Parlez-moi de la pluie (d’Agnès Jaoui) ou encore Comme une image (d’Agnès Jaoui), ce qui fait rire le public. Agnès Jaoui est plutôt sure d’elle face aux autres, mais en réalité assez fébrile, elle apparaît comme une « grande gueule «. C’est le cas dans bon nombre de ses films tels que On connait la chanson (d’Alain Resnais) ou bien Le rôle de sa vie (de François Favrat) où elle joue une actrice qui traite mal les gens, mais qui finit toujours par fondre en larmes à la fin.

De plus, on se rend compte que la sensibilité d’un acteur ne peut qu’enrichir son jeu et le personnage qu’il incarne. Le comédien est obligé de ressentir quelque chose, alors il faut qu’il le fasse passer aux spectateurs. C’est tout à fait le cas de Roberto Benigni dans La vie est belle (de Roberto Benigni) quand il explique les règles du jeu, par exemple, dans le camp de concentration : il transmet tellement d’émotion qu’il fait rire et pleurer le spectateur à la fois. On peut aussi penser à Charlie Chaplin qui est débordant d’émotions dans son rôle, notamment dans The Kid (de lui-même)…

Enfin, un acteur sensible est touchant pour le public, ce dernier se sent alors plus proche du comédien. Quelqu’un qui suscite des émotions forte chez le public ne peut être qu’attachant, le spectateur vit avec le personnage, il peut même s’y identifier et souffrir pour lui, si l’histoire est triste. Par exemple, dans Dancer in the Dark (de Lars Von Trier), Björk (Selma, dans le film), atteinte de cécité, est très attachante dans sa quête d’argent pour soigner son fils. Sa route est semée d’embûches, ce qui évoque de l’injustice, de l’empathie, de la compassion. Le spectateur peut en venir à pleurer tant l’actrice est touchante et débordante d’émotion.

L’émotion enrichie le personnage et lui donne plus de corps. Le spectateur peut s’identifier au personnage, ce qui ajoute de l’intérêt pour ce dernier.

 

Au final, on peut dire que, comme Diderot, la « nulle sensibilité « peut être de rigueur pour certains acteurs et qu’il est plus facile de jouer un rôle sans apporter d’émotions. Mais certains acteurs s’en accommodent très bien et s’en servent pour être plus touchants, d’autres ne choisissent que des rôles qui leur correspondent.

Chaque acteur choisit son mode de fonctionnement, sensibilité ou non, et s’en sert pour donner un jeu de la meilleure qualité. Un bon acteur n’est pas forcément un acteur insensible ou l’inverse, tout dépend de son jeu.

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