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Francisco de VITORIA (1492-1546) L'esclavage est illégitime et contre nature

Publié le 19/10/2016

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Francisco de VITORIA (1492-1546)

L'esclavage est illégitime et contre nature

Pour procéder avec ordre, demandons-nous d'abord si, avant l'arrivée des Espagnols, les Indiens étaient véritablement leurs maîtres dans l'ordre privé et dans l'ordre public, c'est-à-dire s'ils étaient les propriétaires véritables de leurs biens et de leurs domaines, et s'il y en avait parmi eux qui étaient leurs princes et seigneurs.

On pourrait dire qu'ils n'ont pas de pouvoir sur les choses. L'esclave ne peut rien avoir à lui [...]. Or les Indiens sont esclaves par nature. En effet, comme le dit Aristote dans le premier livre de l'Éthique, certains sont esclaves par nature, c'est-à-dire ceux pour qui il est meilleur de servir que de commander. [...]

À cela on peut répliquer que les Indiens étaient en possession paisible de leurs biens, tant à titre public que privé ; donc, sauf démonstration contraire, on doit les considérer comme maîtres ou propriétaires. Il est certain que tout pouvoir vient de l'autorité de Dieu, puisque Dieu est le Créateur de toutes choses, et nul ne pourrait posséder ce pouvoir si Dieu ne lui concédait.

Il reste toutefois un point douteux : à savoir si, du moins, l'infidélité fait perdre le pouvoir. [...] Je réponds à cela par les propositions suivantes: [...] l'infidélité n'est pas un empêchement pour être un véritable maître. [...] Selon saint Thomas la foi ne supprime pas le droit naturel ni le droit humain, donc l'absence de foi n'affecte aucun pouvoir. [...] On peut conclure ceci : ni le péché d'infidélité ni d'autres péchés mortels n'empêchent les Indiens d'être véritablement propriétaires, tant au plan public que privé, et, à ce titre, les chrétiens ne peuvent s'emparer de leurs biens.

À l'argument qui affirme que les Indiens sont peu capables de gouverner, je réponds qu'Aristote n'enseigne pas que de telles personnes soient, par nature, des esclaves et qu'ils n'aient de pouvoir ni sur eux-mêmes ni sur d'autres choses. Cela serait l'esclavage civil ou légal, car nul n'est esclave par nature. Le philosophe ne veut pas dire que, s'il en est de peu intelligents par nature, il est licite de s'emparer de leurs biens, de les réduire en esclavage et de les vendre. Il veut seulement dire qu'il y a en eux, par nature, un besoin d'être dirigés et gouvernés par d'autres et qu'il leur est bon d'être soumis.

Leçon sur les Indiens prononcée à Salamanque en 1539, trad. J. Mignon, Paris, Cerf, 1997, p. 58, 59, 64, 69, 74, 75.

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