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GÉNOCIDE CAMBODGIEN

Publié le 22/02/2012

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Le second conflit d'Indochine (dit « guerre du Vietnam ») s'achève sur la victoire des communistes. Au Cambodge, avant la chute de Phnom Penh, le 17 avril 1975, le nationalisme exacerbé et l'utopie meurtrière khmère rouge ne sont pas perçus. Nombreux sont ceux qui fêtent alors l'héroïsme des soldats aux pieds nus, le succès de leur « juste cause », l'effondrement du régime fantoche et corrompu inféodé aux États-Unis. Pourquoi les Khmers rouges auraient-ils continué à tuer après la victoire ? Bien sûr, les traditions militaires commandent l'épuration des « ennemis intérieurs »… Mais le renvoi à la campagne pour (re)trouver la « vraie » valeur des choses fascine. Il inquiète d'autant moins qu'il se déroule sans aucune révolte, dans la plus totale résignation des intéressés et en l'absence d'observateurs étrangers. On n'entend pas les slogans terribles tels que « Il vaut mieux tuer un innocent que de garder en vie un coupable » ou « Un à deux millions de Khmers suffisent pour construire la Révolution ». Au début de 1976, les témoignages réunis par le père François Ponchaud et publiés dans deux articles du quotidien français Le Monde démontrent la réalité d'une gigantesque épuration. Les 850 000 morts dont il est question font l'objet d'une vive polémique, mais la communauté internationale commence à prendre conscience de l'horreur du régime de Phnom Penh. « Cambodge année zéro ». En février 1977, le réquisitoire de F. Ponchaud, Cambodge année zéro, dévoile un peu plus le fonctionnement discriminatoire du régime et ses camps de travail forcé. Les témoignages sont si accablants que l'essayiste français Jean Lacouture signe en 1978 un livre indigné : Survive le peuple cambodgien ! Pour lui, ceux qui ont combattu le colonialisme français en Indochine et dénoncé l'impérialisme américain ne peuvent cautionner un tel régime autogénocidaire. Au cours des années 1980, les témoignages poignants des survivants se multiplient : Pin Yathay (L'Utopie meurtrière), Molyda Szymusiak (Les Pierres crieront), etc. Alors que les organisations de défense des droits de l'homme sont longtemps restées silencieuses sur ces événements, ils deviennent un enjeu politique et partisan. Les Vietnamiens et leurs alliés au pouvoir à Phnom Penh dénoncent un génocide qui aurait fait trois millions de morts. Les premiers entendent légitimer leurs actions politico-militaires au Cambodge, les seconds se démarquer des partisans de Pol Pot, qu'ils condamnent par contumace, début 1979, pour crime de génocide. L'origine, l'ampleur des massacres et les responsabilités individuelles et collectives sont autant de sujets à controverse. De nombreux Cambodgiens rejettent sur l'étranger la responsabilité des excès de cette révolution. Les dirigeants khmers rouges n'ont-ils pas fait leurs études supérieures en France, leurs haines n'ont-elles pas été attisées par la guerre américaine, leur programme politique n'a-t-il pas été influencé par la Chine communiste et le Vietnam ? Sans contester ces réalités, les racines proprement khmères de la tuerie ne doivent pas être occultées. À la différence des communistes chinois et vietnamiens qui ont tenté de « convertir » l'homme en « rééduquant » les « réactionnaires », considérés comme des « frères égarés », chez les Khmers rouges il n'y a pas de rémission possible. Pire : en les tuant, on donne une « chance nouvelle » aux victimes, la doctrine karmique voulant que l'individu coupable subisse son châtiment sans possibilité de rachat tandis que la conception cyclique de la réincarnation engendre un rapport moins tragique à la mort. Mais ces réalités sociales et religieuses diminuent-elles en quoi que ce soit la responsabilité des Khmers rouges dans la mort de 1,7 million de Cambodgiens ? Quel tribunal ? Une chose est sûre : l'accueil à Phnom Penh, à la Noël 1998, dans un esprit de réconciliation nationale, avec des bouquets de fleurs, de Nuon Chea et Khieu Samphan, deux des principaux dirigeants du régime polpotiste, a pu légitimement choquer, tout comme par le passé la volonté de certains d'associer sans barguigner les Khmers rouges à un gouvernement de large union nationale. Ce n'est que sous la pression de la communauté internationale que le gouvernement de Phnom Penh s'est résigné à juger les chefs khmers rouges. Deux options s'offraient à lui : faire juger ces hommes par un tribunal cambodgien ou les faire comparaître devant la juridiction d'un État tiers, dont la compétence à titre universel sur le crime de génocide serait établie. Hun Sen (1951-), chef de gouvernement à partir de 1985, a fait le choix d'un tribunal mixte pour juger les dirigeants coupables des plus graves violations des droits de l'homme au cours de la période 1975-1979, malgré les recommandations des experts nommés par le secrétaire général des Nations unies en faveur d'un tribunal international créé par le Conseil de sécurité. Vingt ans après avoir été chassés du pouvoir, certains chefs khmers rouges devaient donc être jugés. Ta Mok, arrêté le 6 mars 1999 puis inculpé sur la base de la loi de 1994 qui met les Khmers rouges hors la loi et Kang Kek Ieu, dit Deuch, le tortionnaire de Tuol Sleng, se trouvaient en tête de la liste. Christian LECHERVY

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