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Gorazde, l'échec de la communauté internationale

Publié le 22/02/2012

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19 avril 1994 -   " C'est l'échec total de la communauté internationale et de l'OTAN. Bravo ! " Haris Silajdzic, le premier ministre bosniaque, ne pesait pas ses mots après l'ultime liaison radio avec Gorazde. Ultime contact, puisque les forces bosniaques ont abandonné, dimanche 17 avril, la défense de la ville devant l'avancée serbe. " Gorazde était d'une importance stratégique capitale pour la Bosnie, sa chute est la mort de notre résistance " : à 20 h 30, le pragmatique chef du gouvernement bosniaque s'inclinait devant les faits.    Après dix-neuf jours d'offensive serbe contre l'enclave musulmane de Bosnie orientale, la ville sur la Drina n'était plus défendue et plusieurs quartiers étaient tombés dans la journée aux mains des forces serbes bosniaques. C'est ce que M. Silajdzic venait d'apprendre de la bouche du responsable local de la défense civile, Esad Ohranovic. " Nous sommes attaqués de trois côtés, la rive droite est tombée, mais l'hôpital n'a pas été investi, il est sous le feu nourri des snipers, quasiment déserté, sauf par les malades. Les combats ont fait [dimanche] vingt et un morts et cinquante-cinq blessés, les cadavres jonchent les rues ".    La voix couverte par le vacarme des déflagrations et des rafales de mitrailleuses, Esad Ohranovic s'efforçait de décrire en direct les dernières heures de Gorazde. " C'est un véritable cauchemar, civils, réfugiés, observateurs militaires et personnel humanitaire international, personne ne peut se protéger des tirs, le centre-ville est sous le feu direct des chars et des snipers, et l'infanterie est en train d'avancer ".    Précisant que douze chars étaient entrés dans l'après-midi au centre de la ville, sur la rive gauche de la Drina, où s'entassent désormais les soixante mille réfugiés que comptait l'enclave, il ajoutait encore : " Nous les avons repoussés, mais ils tirent en ce moment même sur nous. Depuis le cessez-le-feu, les attaques ont gagné en intensité ". L'aveu de M. Akashi    Peu avant 20 heures, le représentant de l'ONU pour l'ex-Yougoslavie, M. Yasushi Akashi, qui achevait une journée de pourparlers difficiles avec le leader des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, déclarait avec une note de pessimisme et un grand sourire : " J'ai au moins obtenu du docteur Karadzic un résultat modeste, un accord de cessez-le-feu immédiat à Gorazde et un retrait des troupes de la ligne d'affrontement aussi loin que possible, aussi rapidement que possible ".    Déçu que les négociations " n'aient pas produit de résultats tangibles et significatifs sur le terrain ", le diplomate japonais, émissaire du secrétaire général des Nations unies, reconnaissait implicitement son impuissance à sauver l'enclave de Gorazde, décrétée zone de sécurité de l'ONU il y a un an. Il concédait devant la presse à Sarajevo que la ville, " encerclée par les forces serbes bosniaques ", était " sérieusement menacée " et qu'il y avait peu de chances que la situation s'améliore dans l'immédiat.    L'aveu indirect de M. Akashi ne donnait cependant pas toute la mesure de la situation, que certains officiers supérieurs de la FORPRONU décrivaient dimanche soir dans les termes suivants : " La ville est tombée, dans la mesure où l'armée bosniaque ne la défend plus. M. Akashi s'est fait dicter les conditions du cessez-le-feu par les Serbes de Pale, et il est venu à Sarajevo demander au président bosniaque Izetbegovic de se rendre ".    Rappelant que le projet de cessez-le-feu, élaboré la veille après consultation des parties en conflit, prévoyait la création d'une zone d'exclusion de trois kilomètres, d'où se retireraient les forces en présence et où s'interposeraient immédiatement les forces multinationales, les officiers - qui ont requis l'anonymat - déclaraient, au vu de l'accord proposé dimanche soir par Radovan Karadzic : " Il n'est plus question de forces d'interposition ni de zone d'exclusion, l'enclave est à eux. Ils le savent, et c'est pourquoi ils ont demandé maintenant de retourner à la table des négociations, afin d'entériner leur victoire ".    Il est vrai que le leader serbe avait déclaré sans détour la veille : " Il n'y aura pas de paix tant que la communauté internationale n'aura pas reconnu la République serbe ", c'est-à-dire les territoires conquis que les Serbes proclament " République " sur 70 % du territoire de la Bosnie.    En début d'après-midi, le médiateur de l'ONU était néanmoins plein d'espoir. Arrivé quelques heures plus tôt à Pale, le fief des Serbes Bosniaques au-dessus de Sarajevo, il obtenait de Radovan Karadzic d'une part l'assurance que les forces serbes cesseraient immédiatement leur avancée sur la ville, et d'autre part l'autorisation pour le déploiement du détachement multinational sur la ligne de front à Gorazde. La colère de M. Izetbegovic    Prenant au pied de la lettre les promesses du leader serbe, M. Akashi, à l'instar de M. Vitali Tchourkine, le diplomate russe qui l'assistait dimanche dans sa mission à Pale, pensait alors avoir sauvé le processus de paix et être en passe de relancer les négociations entre Serbes et Bosniaques, en vue de la signature d'un accord de cessez-le-feu général sur toute la Bosnie. Vers 16 heures, l'ONU exigeait toutefois un soutien aérien rapproché de l'OTAN, les chars serbes venant d'entrer dans la ville où se déroulaient des combats de rue. Plusieurs porte-parole de la FORPRONU à Sarajevo confirmeront aux journalistes le déclenchement d'un nouveau raid aérien de l'OTAN contre les forces serbes à Gorazde. L'un d'entre eux, le major Annink, expliquera ensuite en détail que les frappes n'ont pas pu avoir lieu parce que les observateurs militaires de l'ONU qui, depuis l'enclave, devaient guider les avions de l'OTAN, avaient été contraints de se mettre à l'abri " tellement la ville était bombardée ". Soucieuse de sa réputation, l'OTAN choisissait de démentir les informations de la FORPRONU à Sarajevo, et convainquait M. Akashi de faire de même. Celui-ci n'hésitait pas, dimanche soir, à nier que des opérations de soutien aérien aient été menées au-dessus de Gorazde.    Dénonçant la débâcle de la communauté internationale, le président Izetbegovic a accusé M. Akashi de s'être laissé manipuler par le leader serbe bosniaque : " Karadzic a retenu Akashi tout au long de la journée à Pale pour l'empêcher de lancer des forces aériennes pendant que ses troupes entraient dans Gorazde ", a déclaré dimanche soir M. Izetbegovic, et d'ajouter : " Si Gorazde tombe, le devoir moral de Boutros-Ghali [secrétaire général des Nations Unies] sera de démissionner ".    Tout aussi outrés, les officiers de l'ONU déliaient leur langue; plusieurs d'entre eux ont fait remarquer dimanche à Sarajevo que M. Akashi " n'aurait pas dû se rendre à Pale, les conditions de sa visite n'ayant pas été remplies ". Alors que la situation allait en s'aggravant, M. Akashi, qui depuis le début de la crise de Gorazde privilégie la négociation, avait accepté l'invitation faite samedi par M. Karadzic de se rendre à Pale.    Le leader serbe avait conditionné sa proposition au retrait des avions de l'OTAN dans l'espace aérien de l'enclave de Gorazde. De son côté, M. Akashi avait exigé que tout le personnel de l'ONU détenu en otage depuis les premières frappes contre les positions serbes soit libéré dimanche avant le rendez-vous. Alors que M. Akashi prenait dans la matinée la route de Pale, aucun " casque bleu " n'avait encore été libéré. Dix-neuf d'entre eux retrouveront toutefois leur liberté de mouvement dans l'après-midi. Mais lorsque M. Akashi réitérera sa demande dimanche après l'annonce du " cessez-le-feu ", imposant comme délai lundi à 0 heure, les Serbes continueront à faire la sourde oreille. Comme un seul homme, les habitants de Sarajevo assiégée ont dénoncé " la capitulation de l'Occident " sans toutefois s'en étonner. " Nous n'attendons plus rien depuis longtemps ", disait l'un d'eux. Emir, éditorialiste à Oslobodjenje, analysait quant à lui les conséquences de cette démission de la communauté internationale. Très inquiet pour les autres enclaves de Bosnie orientale, Zepa et Srebrenica, il estimait en revanche que Sarajevo serait épargnée : " La stratégie des Serbes n'est pas de se retourner contre la capitale, car il y a ici bien trop de caméras ". La paix recule à Sarajevo    Quoi qu'il en soit, l'offensive serbe contre Gorazde a porté un coup sévère au processus de paix, y compris à Sarajevo. Le lieutenant-colonel Monfort, du 4 bataillon français chargé d'un des secteurs de Sarajevo, n'hésitait pas à dire samedi : " La paix recule  après une période d'euphorie où l'on croyait que l'on pouvait faire progresser rapidement les choses, le processus a commencé à piétiner et maintenant il est paralysé ".    Depuis quelques jours, la situation s'est tendue à Sarajevo, les quelques habitants qui avaient réintégré les appartements situés sur la ligne de front ont plié bagages après la réapparition, dans la semaine, des tireurs isolés.    L'étau se resserre une nouvelle fois autour de la capitale, et tous les acquis de la période d'après l'ultimatum de l'OTAN s'effacent petit à petit.    Vendredi, la ligne de tramway a été interrompue une bonne partie de la journée après que quatre personnes eurent été blessées par des tireurs isolés. Les accrochages entre forces serbes et bosniaques se multiplient, les provocations se font de plus en plus nombreuses. Les officiers français qui commandent certains secteurs de Sarajevo conviennent que la FORPRONU est désormais un ennemi pour les deux parties. " Quand on fait la guerre, on se donne les moyens de la gagner ", disent-ils en constatant avec regret que les frappes aériennes " ont non seulement bloqué la situation à Sarajevo mais n'ont rien réglé à Gorazde ".    La FORPRONU avait déjà définitivement perdu sa crédibilité samedi alors que l'OTAN renonçait aux frappes, officiellement en raison du mauvais temps : en fait, un Sea Harrier britannique venait de se faire abattre par les Serbes. Le pilote, récupéré en territoire sous contrôle bosniaque, s'en est tiré. Les Serbes, ignorant dès lors les menaces de M. Akashi, ont poursuivi leur avancée sur Gorazde. FLORENCE HARTMANN Le Monde du 19 avril 1994

« heures, l'ONU exigeait toutefois un soutien aérien rapproché de l'OTAN, les chars serbes venant d'entrer dans la ville où sedéroulaient des combats de rue.

Plusieurs porte-parole de la FORPRONU à Sarajevo confirmeront aux journalistes ledéclenchement d'un nouveau raid aérien de l'OTAN contre les forces serbes à Gorazde.

L'un d'entre eux, le major Annink,expliquera ensuite en détail que les frappes n'ont pas pu avoir lieu parce que les observateurs militaires de l'ONU qui, depuisl'enclave, devaient guider les avions de l'OTAN, avaient été contraints de se mettre à l'abri " tellement la ville était bombardée ".Soucieuse de sa réputation, l'OTAN choisissait de démentir les informations de la FORPRONU à Sarajevo, et convainquait M.Akashi de faire de même.

Celui-ci n'hésitait pas, dimanche soir, à nier que des opérations de soutien aérien aient été menées au-dessus de Gorazde. Dénonçant la débâcle de la communauté internationale, le président Izetbegovic a accusé M.

Akashi de s'être laissé manipulerpar le leader serbe bosniaque : " Karadzic a retenu Akashi tout au long de la journée à Pale pour l'empêcher de lancer des forcesaériennes pendant que ses troupes entraient dans Gorazde ", a déclaré dimanche soir M.

Izetbegovic, et d'ajouter : " Si Gorazdetombe, le devoir moral de Boutros-Ghali [secrétaire général des Nations Unies] sera de démissionner ". Tout aussi outrés, les officiers de l'ONU déliaient leur langue; plusieurs d'entre eux ont fait remarquer dimanche à Sarajevo queM.

Akashi " n'aurait pas dû se rendre à Pale, les conditions de sa visite n'ayant pas été remplies ".

Alors que la situation allait ens'aggravant, M.

Akashi, qui depuis le début de la crise de Gorazde privilégie la négociation, avait accepté l'invitation faite samedipar M.

Karadzic de se rendre à Pale. Le leader serbe avait conditionné sa proposition au retrait des avions de l'OTAN dans l'espace aérien de l'enclave de Gorazde.De son côté, M.

Akashi avait exigé que tout le personnel de l'ONU détenu en otage depuis les premières frappes contre lespositions serbes soit libéré dimanche avant le rendez-vous.

Alors que M.

Akashi prenait dans la matinée la route de Pale, aucun" casque bleu " n'avait encore été libéré.

Dix-neuf d'entre eux retrouveront toutefois leur liberté de mouvement dans l'après-midi.Mais lorsque M.

Akashi réitérera sa demande dimanche après l'annonce du " cessez-le-feu ", imposant comme délai lundi à 0heure, les Serbes continueront à faire la sourde oreille.

Comme un seul homme, les habitants de Sarajevo assiégée ont dénoncé" la capitulation de l'Occident " sans toutefois s'en étonner.

" Nous n'attendons plus rien depuis longtemps ", disait l'un d'eux.Emir, éditorialiste à Oslobodjenje, analysait quant à lui les conséquences de cette démission de la communauté internationale.Très inquiet pour les autres enclaves de Bosnie orientale, Zepa et Srebrenica, il estimait en revanche que Sarajevo seraitépargnée : " La stratégie des Serbes n'est pas de se retourner contre la capitale, car il y a ici bien trop de caméras ". La paix recule à Sarajevo Quoi qu'il en soit, l'offensive serbe contre Gorazde a porté un coup sévère au processus de paix, y compris à Sarajevo.

Lelieutenant-colonel Monfort, du 4 bataillon français chargé d'un des secteurs de Sarajevo, n'hésitait pas à dire samedi : " La paixrecule après une période d'euphorie où l'on croyait que l'on pouvait faire progresser rapidement les choses, le processus acommencé à piétiner et maintenant il est paralysé ". Depuis quelques jours, la situation s'est tendue à Sarajevo, les quelques habitants qui avaient réintégré les appartements situéssur la ligne de front ont plié bagages après la réapparition, dans la semaine, des tireurs isolés. L'étau se resserre une nouvelle fois autour de la capitale, et tous les acquis de la période d'après l'ultimatum de l'OTANs'effacent petit à petit. Vendredi, la ligne de tramway a été interrompue une bonne partie de la journée après que quatre personnes eurent été blesséespar des tireurs isolés.

Les accrochages entre forces serbes et bosniaques se multiplient, les provocations se font de plus en plusnombreuses.

Les officiers français qui commandent certains secteurs de Sarajevo conviennent que la FORPRONU est désormaisun ennemi pour les deux parties.

" Quand on fait la guerre, on se donne les moyens de la gagner ", disent-ils en constatant avecregret que les frappes aériennes " ont non seulement bloqué la situation à Sarajevo mais n'ont rien réglé à Gorazde ". La FORPRONU avait déjà définitivement perdu sa crédibilité samedi alors que l'OTAN renonçait aux frappes, officiellementen raison du mauvais temps : en fait, un Sea Harrier britannique venait de se faire abattre par les Serbes.

Le pilote, récupéré enterritoire sous contrôle bosniaque, s'en est tiré.

Les Serbes, ignorant dès lors les menaces de M.

Akashi, ont poursuivi leuravancée sur Gorazde. FLORENCE HARTMANNLe Monde du 19 avril 1994. »

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