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Goulemot : les pratiques littéraires ou la publicité du privé

Publié le 27/02/2008

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Les pratiques littéraires ou la publicité du privé (de la Renaissance aux Lumières)

JM. Goulemot – Histoires de la vie privée

Intro

L'espace privé qui se constitue (et les idéologies qui le prennent en charge) durant l'âge classique est à la fois une nécessité dictée par les nouvelles formes d'organisation de l'échange social et aussi un moyen de se protéger contre un ensemble de normes et de contrôles => dialectique du refus et de l'imposition.

*Au Moyen-âge, une littérature de la communauté

Litté qui ignore l’espace, l’intimité et peut-être même le particulier. K profondément oral et public de la litté médiévale : chansons de geste, chansons de toile, fabliaux, œuvres théâtrales => l’appréhension de la litté n’est pas encore conçue comme un acte strictement individuel. Répond aux conditions de la production même des œuvres et aux pratiques contemporaines de la lecture.

Thématique des œuvres renvoie en priorité au collectif => monde féodal engagé dans la défense de la chrétienté ou les luttes fratricides, ou de la corporation des clercs qui se reconnaît dans la symbolique du Roman de la Rose. K essentiellement religieux de la plupart des œuvres médiévales => fusion du particulier dans la général. Lyrisme de François Villon => conscience malheureuse de s’être écarté des règles de la communauté => malheur naît de la séparation. Volonté de retrouver une communication ac l’autre communautaire, de + anonymat largement majoritaire des œuvres.

*Espace privé et littérature de l’âge classique

E d’un espace privé => roman libertin d’un Crébillon ou d’un Nerciat se situe traditionnellement son intrigue dans la chb, mais est-ce suffisant pr en déduire un témoignage sur l’espace privé à une époque où le roman des grd espaces, du voyage intercontinental demeure très imp ? Opposition La Nuit et le Moment de Crébillon fils ≠ errance de Jacques de Fataliste ou des héros de Manon Lescaut. Romans de grd espaces ≠ romans de cadre intime.

Roman libertin témoigne de l’E d’un lieu privé des plaisirs (« petites maisons » ou « folies ») => le paradoxe n’est-il pas justement dans leur exhibition romanesque ? Alors que les formes nv de l’échange social conduisent à une privatisation et à une occultation de la vie amoureuse, le roman libertin n’introduit-il pas une transgression qui consiste à parler de ce qui doit être tu et à transformer, pr le lecteur attentif, en acte public ce qui dorénavant relève de l’espace intime et privé ? Mais tout nous incite à prendre la proie pr l’ombre => lecteur = position de voyeur ds le roman libertin privatise l’appréhension même du privé par un tiers.

Plus que des contenus narratifs, c’est sur la présence d’un espace privé médiatisé dans les formes nouvelles de la narration, les idéologies et les pratiques neuves de la littérature : journaux intimes, Mémoires, romans à la première personne, récits utopiques. L’écrivain, dorénavant, fonde à lui seul, par sa seule personne morale, la vérité de son œuvre => cf JJR + objets nv que se donne la litté : la connaissance du moi propre (Les Confessions) par l’autobiographie, ou la pornographie.

II/ Les tensions contradictions de la Renaissance

  1. Montaigne ou la mutation du savoir

Mutation du savoir que représentent les Essais = écriture fragmentaire. Ce qui donne aux Essais sa cohérence, c’est d’abord Montaigne => cf formules célèbres par lesquelles Montaigne a défini son art de lire (volonté de butiner, de frotter sa cervelle contre celle d’autrui) mais il E aussi celle de « L’oisiveté ».

Liberté qui se veut entière, affirmation des pv du moi et de l’attention qu’il est nécessaire de lui prêter. Montaigne refuse tt savoir préconstitué. Il ne lui reconnaît d’E que ds la démarche à travers laquelle le moi interroge les évidences, les savoirs reconnus, les sagesses institutionnelles ou révélées. Rien n’est jms acquis. Allant plus loin même, Montaigne non seulement fait de son moi lisant et pensant le fondateur de tout savoir, mais il le transforme en objet privilégié de sa réflexion : « Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point à connaître les choses, mais moi. », mais aussi « J’ose non seulement parler de moi, mais parler seulement de moi ».

Montaigne a parfaitement conscience de dévoyer l’acte d’écrire sans pour autant plaider coupable : « C’est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t’avertit dès l’entrée que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privée : je n’y ai eu nulle considération à ton service, ni de ma gloire » (Avertissement « Au Lecteur »). K privé de l’écriture et un usage privé de la litté.

  1. Rabelais divisé

Théorie de Mikhaïl Bakhtine => Rabelais serait l’héritier de ce burlesque qui définirait la culture populaire médiévale. Expression de la culture carnavalesque peut tt aussi bien se lire comme renvoyant à un état de société qui, par sa nature, exclut la possibilité d’un espace privé. On peut interpréter l’œuvre de Rabelais comme un espace de tensions contradictoires :

  • D’un côté la présence de la fête, du carnaval, de ce qui incarne le mieux la sociabilité ouverte de la communauté médiévale

  • De l’autre, à travers le projet éducatif, la critique des autorités religieuses et politiques, le ralliement à des formes de l’échange social qui les contredisent.

Choix de Rabelais, affirmation de la liberté de se constituer hors des idées reçues, des croyances admises, un savoir propre, mai, à bien des égards, la volonté de totalité qui lui est implicite => renvoie à la somme médiévale.

  1. Ronsard : l’exhibition du singulier

Lyrisme poétique = expression de sentiments et d’expériences propres. Si la poésie de Ronsard n’échappe pas totalement à des formes collectives (et nn plus communautaires) de l’échange social et culturel, il n’est pourtant plus l’homme qui, comme François Villon, souffre de sa séparation de la communauté croyante et dont les formes nouvelles (ode, sonnet…) s’exprime uniquement par le biais d’un destin propre. Exaltation du sujet, de son désir, de ses angoisses et de ses amours. Les poèmes qu’écrit Ronsard à la veille de sa mort illustrent l’appropriation du thème général par le discours particulier.

Abs totale de référence à la communauté X. La solitude est vécue comme malheur, l’approche de la mort comme une déchéance physique sur le mode de l’individuel. Description de la souffrance sur le mode du « je », mais continue pourtant à se proférer dans l’espace public litté.

  • Rabelais contradictoire et Ronsard à l’aube d’une mutation du discours poétique qu’occultera l’âge classique. Ac Montaigne et les poètes de la Pléiade se dessinent de nv rapports du sujet à la litté => intime du sujet, le moi, sa liberté et son H qui légitiment l’acte d’écrire. Constitution d’un espace privé pas encore marqué par le secret ni par un interdit de discours en cette époque transitoire.

II/ L’âge classique : occultation et vérité du privé

  1. Le primat de l’universel

Maintien d’une trad = processus d’occultation du privé et de l’intime qui définit l’âge classique. Le théâtre classique n’appartient pas à un rituel civil ou religieux, appréhendé comme un art, esthétiquement codifié, cad ne renvoyant qu’accessoirement à autre chose qu’à lui-même, et fondamentalement coupé du quotidien et de l’org du tps vécu. Son enjeu est esthétique, secondairement moral ou religieux. La tragédie sacrée devient un genre à part ac ses auteurs : Boyer (Judith, 1696), Duché (Jonathan, 1699, Absalon, 1702), Nadal (Hérode, 1709).

Le théâtre, à travers des situations particulières, des destins individuels parle de l’homme et le particulier n’est que le moyen de parvenir au général. L’époque croit à un universel et à un intemporel des passions. Les intimités révélées ont d’abord une valeur d’exemple. Le recours à des sujets antiques ou orientaux (Bajazet de Racine) confirme une volonté de distanciation exemplaire. Les cœurs mis à nu ne sont que le moyen d’approcher une vérité générale abstraite.

Il n’E pas de poésie lyrique propre à l’âge classique => abs csq d’une rupture ac le lyrisme pratiqué par la Pléiade. Le poète cesse d’être un maudit ou un inspiré pour devenir un personnage ridicule « Pas plus utile à l’Etat qu’un jongleur de quilles » se moquait Malherbe. Le poète se transforme en un pédant grotesque (Molière) ou en un goujat incapable de se soumettre aux règles de la civilité nv.

  1. Résistances : l’ostentation de l’organique

Reproche vivement formulé par Pascal à l’encontre des Essais de Montaigne => « le moi est haïssable », et que c’est un « sot projet que celui de se peindre ». Litté se conforme elle aussi aux civilités nv qui posent la discrétion, le retrait, la conformité comme la norme d’un idéal de convivialité.

Résistance immédiate : survie de la farce + présence épanouie de l’obscène, de l’organique et du scatologique dans le roman baroque => LIM de ce triomphe apparent des sociabilités nv. Le Roman Comique de Scarron, par son tissu narratif hétérogène, par l’utilisation massive d’un comique de type scatologique contraire aux bienséances, brave les interdits de mœurs et de discours qui s’imposent à la société fr. Dans cette lignée => Sorel, Francion (1623), Furetière, Roman bourgeois (1666) => preuve d’un maintien déjà archaïque mais réel d’une sociabilité ancienne.

  1. Résistances : la nostalgie de l’échange communautaire

Tt au long du 17e siècle => regret de l’espace communautaire dans ses manifestations les + joyeuses de l’échange. Rousseau n’a cessé d’exprimer cette nostalgique qd il évoque les charmes de la fête populaire ou sur le mode de la fiction ds la Nv Héloïse, ou de manière + philosophique dans la Lettre à d’Alembert.

« Plantez au milieu de la place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres afin que tous soient unis. »

Idée d’une transparence des citoyens à eux-mêmes n’a cessé de tourmenter Rousseau dans l’angoisse dans sa solitude dernière. Dans l’état présocial, la société des familles favorise l’échange communautaire => « mythe du bon sauvage » constitue la figure nostalgique d’une org communautaire qui excluait le secret, le repli sur soi, la constitution de l’espace privé.

Supplément au voyage de Bougainville => Diderot y montre que la pudeur et tt les pratiques relatives au secret des amours sont d’institution et non de nature.

Nostalgie d’une transparence => cf Jacques le Fataliste => insistance du maître à interroger Jacques sur ses amours au mépris de tt le respect que l’on doit à la vie privée de l’autre, la longue tirade contre les hypocrisies du langage, de l’amour (« Et que vous a fait l’action, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour en exclure le signe de vos entretiens, et pour imaginer que votre bouche, vos yeux et vos oreilles en seraient souillés ? »)

  1. L’utopie ou la transparence du public

Utopie traduit des nostalgies bien réelles => réponse à l’angoisse du tps destructeur des formes politiques qui domine l’âge classique. Utopie apparaît comme un discours sur le passé et sur ses origines = l’avenir du passé. La société utopique org les relations de ses membres selon les règles d’une vie communautaire => on n’y est jms seul et chacun vit sous le regard de la communauté toute entière. Les maisons, dans l’Utopie, n’ont ni porte ni fenêtre pr que rien ne puisse dérober l’utopien à la présence de l’autre.

Etat omniprésent ds la majorité des utopies qui organise les formes de l’échange communautaire. C’est ds l’espace public, délimité et contrôlé par l’Etat que s’exprime la transparence des cœurs. Espace privé est aussi pensé comme ce par quoi l’individu se coupe de son semblable.

  • Illustration : théâtre de Diderot, le drame bg veut créer des conditions et nn plus des K, et par la suite, des individus. L’homme s’y définit par son inscription ds un ensemble de rôles, de fct et de pratiques sociales. Drame bg => refus de l’intime, du moi secret.

 

  1. Mémoires et journaux : une écriture de l’ambiguïté

Mémoires = genre implicitement codifié, limité à ceux qui ont pris une part à l’H publique, connue et reconnue. Les auteurs assument et justifient leur rôle de témoins ou d’acteurs. Genre aristocratique qui tente de réduire la personne à ses actes publics. Mémoires excluent de leur écriture tt ce qui ne relève pas de la vie publique. Réduction du dicible au seul espace public. Ms derrière les actes connus, on dévoile les motivations les + obscures. Accent mis sur le sujet aux dépens du collectif => cf journal.

Pratique du journal ne cesse de croître tt au long de l’âge classique. Importance accordée au regard du sujet => garant de la vérité du dire. Ms le dvpt de l’écriture intime ne traduit pas directement, par son obj même, la constitution d’un espace privé. Sujet écrivant posé comme le fondement de la vérité de ce qui est énoncé.

III/ La nouvelle légitimité de l’écriture

  1. La crédibilité du romanesque

Nv syst de crédibilité de l’écriture romanesque => mise en scène visant à fonder l’effet de vérité du tx littéraire :

  • Manuscrit trouvé ds une soupente ou un coffre (Robinson Crusoé, La Vie de Marianne)

  • Lettres transmises ou découvertes (La Nv Héloïse, les Liaisons Dangereuses)

Effets qui définissent l’auteur comme un simple scripteur et dénient au livre son K de roman. Se présente comme un discours spontané, comme acte sous forme de discours produit par un non-écrivain, non destiné à la publication => le roman peut alors tenter de passer pour vrai. K privé et intime que mettent en scène prologues et avis au lecteur.

Multiplication des romans à la 1ère personne. Appropriation narrative de la bv pratique romanesque par un sujet qui fonde un effet de vérité. Intime, privé = fonde la vérité de ce qui est dit. Mvt par lequel la vérité se fonde sur une parole individualisée => l’effet de vérité tient alors à cette reconnaissance intime d’un sujet écrivant par un sujet lisant. Cf succès du roman picaresque (Gil Blas de Santillane de Lesage), roman à la 1ère pers semble formellement proche de l’oralité + illusion d’une communication immédiate.

  • Tt la litté du tournant du 17e porte la marque de cette affirmation du privé.

Constitution d’un espace privé + valorisation de l’intime => exaltation de l’homme public et de l’espace social de communication.

Roman par lettres connaît son apogée au 18e est à rattacher à cette évolution du roman qui fonde sur l’intime ses effets de vérité => s’authentifie par son K intime. Effet de vérité => se donne comme non fictionnel (les auteurs des lettres n’avaient pas pr but d’écrire un roman) ms aussi au K strictement privé, intime de la correspondance. JJR La Nv Héloïse, Crébillon fils les Lettres de la marquise de M. au comte, Laclos. Structure du roman épistolaire => jeu sur les temps romanesques, construction en écho.

Laclos : « Avertissement de l’éditeur » souligne ironiquement le K romanesque de la correspondance « Nous ne garantissons pas l’authenticité de ce recueil et […] nous avons même de fortes raisons de penser que ce n’est qu’un roman ». Effet de vérité est fondé sur la mise en scène d’une pratique privée. Pratique narrative ds une situation paradoxale => l’intime fait vrai, ms pour faire vrai devient public. Litté se présente comme une effraction.

  1. Le moi fondateur de vérité

JJR = le philosophe écrit poussé par une nécessité intérieure, « illumination » de Vincennes. Philosophe n’E que parce qu’il est un être libre et indépendant, refus du lien social, ascèse nécessaire pr accéder à la vérité. Exaltation du privé comme fondement de vérité de la philo => on ne peut dire la vérité du monde qu’à condition de s’en séparer.

  1. L’autobiographie nécessaire

Nécessité de l’analyse du moi (Confessions, Rêveries du promeneur solitaire) à l’origine même de son engagmt philo. « Voici le seul portrait d’homme peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui E et qui probablement E jamais » => parti pris de vérité et de sincérité est posé comme un absolu. Accent mis sur le moi intime et secret => comprendre la raison d’être du moi profond. Pacte autobiographique pose la nécessité du lecteur.

  1. La littérature érotique ou la publicité de l’intime

Classiques du genre : Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux, écrite par lui-même de Gervaise de la Touche, Thérèse philosophe du marquis d’Argens, Diderot Les Bijoux indiscrets… Galanterie commande très largement le mvt iconographique.

Par son obj, elle constitue une mise en scène de l’espace privé = lecture par effraction.

*CCL : Procès d’écritures, modes de lectures

Discours privé et de l’intime définit la pratique litté des hommes du 19e. La pratique litté évolue ensuite vers un discours du sujet adressé à un lecteur désigné comme personne unique et privilégié dans l’illusion d’un échange qui mime la confidence pr retrouver ensuite, au gré des évolutions sociales et idéologiques et de sa dynamique propre, les contradictions et les statuts différenciés dt l’âge classique avait pressenti l’extraordinaire et pbmatique diversité.

 

 

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