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Heureux qui, comme Ulysse ...

Publié le 29/07/2010

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Orthographe modernisée  Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison[1], Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge !  Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos[2] de ma pauvre maison, Qui m'est une province[3], et beaucoup davantage ?  Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :  Plus mon Loire gaulois, que le Tibre[4] latin, Plus mon petit Liré[5], que le Mont Palatin[6], Et plus que l'air marin la douceur angevine[7].  Orthographe traditionnelle  Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son aage!  Quand revoiray-je, helas, de mon petit village Fumer la cheminée: et en quelle saison Revoiray-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage?  Plus me plaist le sejour qu'ont basty mes ayeux, Que des palais Romains le front audacieux: Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine,  Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin, Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la doulceur Angevine  Situation  Joachim Du Bellay rédige ce sonnet lors de son séjour de quatre ans à Rome. Il y accompagne en effet son oncle, le cardinal Jean Du Bellay, qui est en ambassade pour le roi de France auprès du pape. Joachim lui sert de secrétaire particulier et d’intendant. Ce séjour est pour Du Bellay long et pénible : il a beaucoup de travail , est malade, et voudrait revoir la France. De plus, il ne lui plaît guère d’être obligé de se comporter en courtisan. Ce sont ces deux thèmes que l’on retrouve tout au long des Regrets, recueil de 191 sonnets qu’il publiera à son retour en France, en 1558, deux ans avant sa mort, le 1er janvier 1560, à l’âge de trente-sept ans.  Axe de lecture : Les sentiments du poète  Si ce sonnet célèbre est le symbole de la nostalgie (du grec « nostos « : retour, et « algie « : douleur), il peut être intéressant d’y découvrir quels sont les autres sentiments représentés.  1. La tonalité épique : les références mythologiques du début présentent de grands voyageurs, audacieux et emblématiques. Ulysse mettra dix ans pour rentrer chez lui, et Jason devra affronter maintes épreuves avant de revenir triomphant. Les personnages choisis sont héroïques, victorieux : si l’on part de chez soi, c’est pour la gloire ! 2. Le plaisir d’apprendre : « plein d’usage et raison «… le voyage peut être un apprentissage, et n’est pas simplement un déplacement inutile. D’ailleurs, le bonheur est, selon cette définition, le plaisir de rentrer ensuite « entre ses parents « (métonymie) afin de partager avec eux les fruits de ce voyage. La sagesse devra s’acquérir à l’extérieur. « Les voyages forment la jeunesse «, dit le proverbe. 3. La tonalité lyrique : la souffrance et l’amour du foyer : l’impatience (« quand reverrai-je «) se transforme en doute et en inquiétude (« reverrai-je «). L’exclamation « hélas « au milieu du cinquième vers est bien ce cri de nostalgie que poussent tous ceux qui sont loin de chez eux et qui aspirent à y retourner. 4. L’amour du pays : les anaphores insistent sur le côté familier et simple de l’Anjou, opposé à la glorieuse, mais trop froide ville de Rome. On pourrait presque parler de chauvinisme (le terme est anachronique !) car tout ce qui est « petit «, « pauvre « semble préférable au narrateur, simplement parce que c’est chez lui (cf. les adjectifs possessifs « mon petit village «, « ma pauvre maison « s’opposent aux articles définis « Mon Loire… ( Le Tibre… «). 5. La simplicité des goûts, la modestie : « ardoise « plutôt que « marbre « ne sont pas sans ambiguïté. Les adjectifs en antithèse (« dur «, « fine «) montrent le caractère irrationnel de ces préférences. Il s’agit d’aimer son pays sans vraiment se l’expliquer. Le luxe des palais romains ne déplaisait pas tant que cela à du Bellay. Les palais ont des « fronts audacieux « et l’auteur admire par cette personnification leurs constructeurs. 6. Le manque affectif : la famille est l’une des valeurs mises en évidence dans ce poème avec des références architecturales ou géographiques. Au « front « (la façade) des palais s’oppose la « cheminée « du « petit village «, dans une métonymie qui évoque le foyer, au sens propre comme au sens figuré. L’on retrouve cette idée de petit chez soi avec « le clos « (la clôture) qui enferme, ainsi que dans le dernier vers : la douceur angevine, c’est la douceur du repos, de la maison, du coin du feu, de la stabilité, opposée au voyage et à l’agitation de l’extérieur, « l’air marin « qui caractérise les héros mythologiques Ulysse ou Jason. Le personnage est casanier, et il rêve de cheminée, de portes fermées… quand il vit dans un froid (« marbre dur «) palais romain.  Conclusion  La partialité de l’auteur est certaine, mais il ne s’agit pas ici de logique : Rome, ville antique, éternelle, magnifique, reste une ville impersonnelle aux yeux de l’exilé qui soupire en songeant à sa famille et à son pays natal. Les sentiments qu’il exprime sont universels et peuvent être résumés dans une formule : le mal du pays. ----------------------- [1] Jason, parti à la conquête de la Toison d’or avec les Argonautes. [2] La clôture, la barrière [3] Pays, nation, royaume, dans le sens classique [4] Fleuve qui coule à Rome [5] Village natal de l’auteur [6] La plus célèbre des collines entourant la ville de Rome : Le Palais Farnese, décoré par Michel-Ange, abrite l’ambassade où vit et où travaille Du Bellay. [7] De la région de l’Anjou

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