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Jean Cocteau, La machine infernale - Commentaire de l'extrait p. 86-88

Publié le 15/09/2006

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La pièce de théâtre à laquelle appartient cet extrait s’intitule La machine infernale. Elle fut écrite par Jean Cocteau en 1932 et mise en scène en 1934. Cocteau est un poète français, artiste aux multiples talents, graphiste, dessinateur, auteur de théâtre, mais aussi cinéaste. Il compte parmi les artistes qui ont marqué leur époque grâce à l’écriture de nombreux poèmes, de romans comme Le Potomak ou Les Enfants terribles, et de pièces de théâtre telles que L’Aigle à deux têtes et Œdipe Rex. Dans ce texte qui est un dialogue entre la sphinx et Anubis, Cocteau retrace le destin d’Œdipe. Quelle image des Dieux cette scène offre-t-elle au spectateur ? Dans cet extrait l’image des Dieux n’est pas habituelle, nous chercherons comment l’auteur crée cette originalité en étudiant d’abord la complexité du Sphinx et de ses différents visages, puis en étudiant comment le destin se met en place dans le dialogue. La Sphinx est un personnage complexe car s’opposent son apparence, son côté humain, et son rôle de déesse. En premier lieu, la Sphinx exprime ses sentiments (« je le déteste «) tandis qu’Anubis, par une opposition, annonce l’idée de vengeance qui sera pleinement remplie par la tragédie à suivre : « S’il lui arrivait le pire, le pire vous paraîtrait encore trop doux ? «. La Sphinx emploie des phrases courtes, affirmatives, exclamatives, et interrogatives qui traduisent son exaltation et son impatience à connaître l’histoire d’Œdipe qui semble la combler par tous ses malheurs. Dans ce dialogue, Anubis et la Sphinx paraissent cruels, ils se réjouissent de toutes les horreurs qui vont arriver à Œdipe. De plus, la Sphinx exprime sa satisfaction avec le champ lexical du bonheur en employant des mots comme « doux « ; « joie « ; « beau « ; « délices ; ou encore « je savoure «, ce qui contraste avec la situation et l’affreux destin d’Œdipe. Puis, le niveau de langue est courant. Le lecteur pourrait presque s’identifier aux Dieux par leur conversation qui, à certains passages, est rendue plus humaine grâce à l’expression des sentiments. Enfin, la présence des Dieux n’est pas banale. En effet, habituellement, dans les tragédies, les Dieux ne sont pas des personnages concrets. Leur présence sur Terre ne fait que les humaniser un peu plus. Cette situation nous renvoie donc une image inhabituelle. Cependant, l’apparence humaine de la Sphinx contraste avec son statut de déesse, comme le lui a rappelé Anubis : « j’estime nécessaire de vous rappeler qui vous êtes et quelle distance risible vous sépare de cette petite forme qui m’écoute «, « Vous la Déesse des Déesses !«. La Sphinx paraît oublier son rôle et ses pouvoirs de déesse, elle est toute excitée lorsqu’Anubis lui annonce qu’il connait le destin d’Œdipe, alors que c’est tout à fait normal étant donné que lui aussi est un dieu. Elle en oublie son importance, c’est pourquoi lorsqu’elle confie qu’elle voudrait être là pour voir l’étape finale du destin d’Oedipe, Anubis se charge de lui rappeler qui elle est et à quel point elle est au-dessus des humains. Par son humanisation mais aussi son rôle de déesse, la Sphinx est un intermédiaire entre les Dieux et les humains. Anubis et la Sphinx s’amusent du sort d’Œdipe, ridiculement inférieur et impuissant face aux Dieux et à son destin. La domination de ces derniers sur les hommes et la présence du destin sont mises en valeur à travers le texte. Tout d’abord, Anubis annonce que le destin d’Œdipe est déjà tracé et qu’il est horrible, à la hauteur de la vengeance voulue par la Sphinx. Il introduit le récit de son destin par une métaphore : « Regardez les plis de cette étoffe. Pressez-les les uns contre les autres. Et maintenant si vous traversez cette masse d’une épingle, si vous enlevez l’épingle, si vous lissez l’étoffe jusqu’à faire disparaître toute trace des anciens plis, pensez-vous qu’un nigaud de campagne puisse croire que les innombrables trous qui se répètent de distance en distance résultent d’un seul coup d’épingle ? «. L’étoffe représente le déroulement tragique du destin d’Œdipe, et les trous de l’étoffe les différentes étapes de l’accomplissement de ce destin. Cette métaphore souligne le fait qu’Œdipe est inconscient de ce qui ce trame et que sa chute sera d’autant plus forte lorsqu’il se rendra compte de tout, pour le plus grand plaisir de la Sphinx (« Je tremble de joie « ; « C’est trop beau, trop beau « ; « Que pourrais-je espérer de plus ? «). Puis, le destin dans ce texte est principalement exprimé par Anubis qui conte à la Sphinx celui d’Œdipe. En effet, il voit « de sa naissance à sa mort la vie d’Œdipe s’étale[r], sous [ses] yeux, plate, avec sa suite d’épisodes «, ce qui signifie que son destin est déjà choisi, fatal et inévitable. Le fait que les Dieux connaissent le destin des hommes et s’en amuse révèle leur supériorité. Anubis dit fièrement : « Le temps des hommes est de l’éternité pliée. Pour nous, il n’existe pas.«, cette métaphore montre que les Dieux, immortels, dominent les hommes et le temps. Enfin, Anubis rappelle à la Sphinx sa réelle identité à l’aide d’une allégorie (« Vous la Vengeance «), et d’une anaphore (« Vous «) qui insiste sur la Sphinx pour accentuer son importance. Anubis cherche ici à la glorifier et clôture l’extrait en se prosternant pour amplifier l’effet de domination. Nous apprenons ainsi que la Sphinx est en réalité Némésis, la déesse de la Vengeance, ce qui colle tout à fait avec sa haine pour Œdipe et le désir de se venger exprimé par un oxymore : « -S’il lui arrivait le pire, le pire vous paraîtrait encore trop doux ? -Trop doux.« Ce n’est donc pas une coïncidence si ce fut à Némésis d’assumer le rôle de la Sphinx, cela relevant encore évidemment du destin toujours présent dans la tragédie. Dans ce texte l’image des Dieux est originale, l’auteur a décidé de les humaniser, par leur présence concrète, et par leur ressemblance avec les humains, autant physique que mentale. Cette humanisation reste tout de même partielle car l’extrait est révélateur de leur pouvoir sur les hommes et leur destin. Cocteau a donc cherché à troubler, créer une ambiguïté, sur leur rôle et leur nature.

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