Devoir de Philosophie

John LOCKE (1632-1704) L'esclavage est la continuation de l'état de guerre

Publié le 19/10/2016

Extrait du document

locke

John LOCKE (1632-1704)

L'esclavage est la continuation de l'état de guerre

La liberté naturelle de l'homme consiste à vivre affranchi de tout pouvoir sur terre, sans dépendre de la volonté, ni de l'autorité législative, d'aucun homme et à ne connaître d'autre règle que la loi de la nature. La liberté de l'homme en société consiste à ne relever d'aucun autre pouvoir législatif, que celui qui a été établi dans la République d'un commun accord et à ne subir l'empire d'aucune volonté, ni la contrainte d'aucune loi, hormis celles qu'institue le législatif, conformément à la mission dont il est chargé. La liberté n'est donc pas ce que nous dit sir Robert Filmer : la liberté pour chacun de faire ce qui lui plaît, de vivre comme il l'entend et de n'avoir les mains liées par aucune loi ; mais la liberté des hommes soumis à un gouvernement consiste à posséder une règle permanente à laquelle se conformer, une règle commune à tous les membres de la société et instituée par le pouvoir législatif qui s'y trouve établi. C'est la liberté de suivre ma propre volonté toutes les fois que cette règle garde le silence et de ne pas me trouver soumis à la volonté inconstante, incertaine, secrète, arbitraire d'un autre homme, exactement comme la liberté naturelle consiste à ne subir d'autre contrainte que celle du droit naturel.

Cette absence de sujétion vis-à-vis de tout pouvoir absolu, arbitraire, est si nécessaire, si étroitement associée à la conservation de l'individu, que seul peut la lui faire perdre ce qui anéantit à la fois la conservation et la vie. Incapable de disposer de sa propre vie, l'homme ne saurait, ni par voie conventionnelle, ni de son propre consentement se faire l'esclave d'autrui, ni reconnaître à quiconque un pouvoir arbitraire, absolu de lui ôter la vie à discrétion. Nul ne saurait conférer plus de pouvoir qu'il n'en possède lui-même et celui qui ne peut pas détruire sa vie ne peut en rendre un autre maître. Même s'il encourt la peine capitale par sa faute, par quelque action qui mérite la mort, le créancier de sa vie, quand il le tient à sa merci, peut surseoir à la lui prendre et faire usage de sa personne à son propre service ; il ne lui cause aucun tort. En effet, si l'intéressé croit que la peine de l'esclavage outrepasse la valeur de sa vie, il garde la faculté de résister à la volonté de son maître et, de cette manière, d'attirer sur lui-même la mort qu'il désire.

Voilà la condition de l'esclavage sous la forme parfaite et ce n'est rien d'autre que la continuation de l'état de guerre entre le vainqueur et son captif ; dès qu'un pacte intervient entre eux, s'ils conviennent que l'un exercera un pouvoir limité, auquel l'autre obéira, l'état de guerre et d'esclavage cesse pour toute la durée de ce pacte ; car, on l'a dit, nul ne peut donner à autrui, par le moyen d'une convention, ce qu'il ne possède pas lui-même : c'est à- dire le pouvoir de disposer de sa propre vie.

Deuxième Traité du gouvernement civil, II, tr. Bernard Gilson, Paris, Vrin, 1997, p. 150-151.

Liens utiles