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La conscience est-elle une source d’illusion?

Publié le 21/05/2012

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conscience

 

            La conscience est la connaissance que l'homme a de ses pensées, de ses sentiments ou de ses actes, en rapport avec son entourage. Quand on dit "Il reprit conscience après son accident" ou "J’ai eu conscience qu’il pleuvait", aucune évaluation d’ordre moral n’est concernée, il est simplement dit que la conscience était en état de fonctionner. Aussitôt qu’elle le fait, que nous le voulions ou pas, elle se retourne continuellement sur nous-mêmes en vue d’un jugement sans appel "Ai-je raison? Ai-je tort? Ai-je bien fait?". C’est tout le problème de la morale qui se pose. 

 

            Mais quel lien il y a-t-il entre la conscience et l’illusion? La plupart des dictionnaires définissent l’illusion comme une perception discordante avec le réel. Mais sait-on toujours où finit le réel et où commence l’illusion? On peut caractériser l’illusion comme la confusion de deux plans : celui de la subjectivité, d’une part, celui de l’objectivité, d’autre part. Dans l’illusion, nous serions victimes d’une puissance trompeuse impossible à vaincre, contrairement à l’erreur dont nous sommes responsables et que nous pourrions corriger. L’illusion peut bien, si nous n’y prenons garde, induire en erreur, mais elle n’est pas une erreur en elle-même.

 

            Vu la difficulté que nous éprouvons pour distinguer la vérité de l’illusion, dans le légitime désir d’habiter un monde cohérent, nos espoirs se reportent sur la conscience, que nous sommes tentés de considérer comme un élément majeur de raison, de connaissance et de vérité. Alors, la conscience peut-elle engendrer l’illusion? La question pourrait bien être remplacée par "La conscience est-elle à l’origine de l’illusion?" ou encore "La conscience est-elle une source d’illusion?". Mais en effet, ne l’est-elle pas? Ou n’est-elle qu’une source d’illusion? Ne pourrait-on faire un bilan entre les deux conceptions?  

 

 

 

            Faire travailler notre conscience, nous demande un certain effort, et nous voudrions que cet effort ne soit pas inutile. Notre première réaction devant la question de savoir si la conscience peut être une source d’illusion est donc de répondre par la négative.

            Chaque fois que nous avons une prise de conscience, nous la voyons se préciser de façon à écarter nos illusions préalables. Ce processus est progressif. Et les changements de nos opinions ou de nos perceptions se modifiant peu à peu, nous sommes portés à croire dans une amélioration de notre connaissance. Notre jugement serait plus juste et nos perceptions plus précises. Ce perfectionnement nous fait supposer que notre conscience se rapproche de la vérité, du réel. Notre interprétation des faits est de plus en plus objective au fur et à mesure que s’accroit notre expérience.

            Un grand effort de la conscience a lieu lorsqu’elle se reporte sur elle-même. À ce propos, dans Esthétique (1835), Hegel distingue deux façons qu’a l’homme d’acquérir cette conscience : « Primo, […] se pencher sur lui-même […], se reconnaître dans ce qu’il tire de son propre fond » et « Deuxièmement, […] se reconnaître […] dans ce qui s’offre à lui extérieurement […] qu’il marque de son propre sceau ».

Hegel estime que cette double approche est la conséquence de la condition humaine. L’homme est à la fois chose de la nature, innée et immuable, et esprit qui se perfectionne sans cesse cherchant à détruire les illusions.

            Dans le tome I de son Traité de la nature humaine (1739), D. Hume insiste sur la multiplicité des perceptions quand il déclare : « notre pensée est encore plus variable que notre vue » et plus loin, « ce sont les seules perceptions successives qui constituent l’esprit ». Puis, il conclut « l’esprit est une sorte de théâtre où diverses perceptions font successivement leur apparition ».

            Hume constate comme Hegel la continuelle modification des jugements que nous portons sur toute chose et surtout sur nous-mêmes ; ces changements réitérés s’opèrent en vue d’une meilleure perception de la réalité. Notre conscience, donc, est davantage d’accord à celle-ci, évitant d’être en proie à des erreurs ou des illusions.

 

            Pour Spinoza, la meilleure façon d’écarter l’illusion c’est de penser sous forme de démonstrations mathématiques, c’est-à-dire d’élaborer des textes extrêmement logiques, rigoureux, structurés et parfaitement cohérents. Son système est totalement clos sur lui-même, ce qui lui vaut des interactions complexes entre chaque élément, la règle fondamentale étant de ne pas se contredire,  l’objectif principal de tout démontrer.

            Cette volonté d’imiter la rigueur des mathématiques se fait évidente par l’emploi réitéré de certaines expressions relevant du vocabulaire scientifique, telles que : « les corollaires de la proposition 32 », « j’ai expliqué dans ce qui précède », « empêcher qu’on saisisse mes démonstrations », « comme je l’ai démontré à la proposition 16 », etc.

            Spinoza admire les géomètres. Comme eux, il part de principes élémentaires fondés sur des évidences pour arriver au plus complexe. Il pense qu’étant froide, calme et dénuée de sentiments, sa logique des enchaînements des idées ressemble davantage à la réalité. Les géomètres vérifient le résultat final en éliminant toute trace de subjectivité. Vu que l’illusion a son origine dans l’expression d’un désir, Spinoza, écarte toute possibilité de tomber dans l’illusion en évitant de désirer ; il ne peut être question d´un gain à la loterie ou de la rencontre d’un prince charmant. Il est toujours difficile de renoncer à une illusion du fait qu’elle est issue de notre désir. Pour pouvoir effacer ce désir, il faut se convaincre qu’il ne s’agit que d’un mauvais jugement des règles. Il faut donc penser le désir comme totalement intelligible. En effet, tout le réel est intelligible, gouverné par des lois sans la noindre place laissée au hasard. Tout ce qui est ne peut être différent ; c’est le déterministe, c'est-à-dire un univers mû par des lois éternelles. L’illusion c’est de penser qu’elles pourront être différentes, mais il n’y a pas d’effets sans causes, d’événements sans origines, toute chose est déterminée par quelque autre chose, ne serait-ce que  l’inconscient. Si nous adoptons cette forme de pensée, on sera d’avis que la conscience pourrait ne pas être une source d’illusions.

 

            Un autre argument, qui prouve que la conscience est une source d’illusions, est le fait que celles-ci ont leur origine dans les désirs. Le désir peut être confondu avec l’illusion d’origine psychologique, puisque celle-ci n’existe qu’à condition de désirer quelque chose. Autrement dit, il n’y a pas d’illusion sans désirs.

            Pascal, dans ses Pensées (fragment 582), l’indique clairement à travers cet extrait: « On n’aime personne que pour des qualités empruntées » et donne les exemples suivants : « celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non ; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on ? Non ; car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même ».

                        Il fait allusion à la beauté, au jugement et à la mémoire qui sont unes des principales qualités que nous désirons le plus trouver dans l’être humain ; hélas, elles s’effacent avec la vieillesse ou la maladie. Quand nous désirons quelque chose c’est parce que nous supposons que cela nous fera du bien ou nous procurera du plaisir. Le désir a des objectifs spécifiques. Par exemple, la beauté nous provoque l´admiration, le jugement d’un autre nous permet de nous orienter et de connaître ses valeurs, la mémoire, de partager l’expérience et les savoirs d’une autre personne, etc. Dès quand nous devenons conscients du pourquoi et de l’origine du désir, il n’y aura plus d’illusions : "Je désire une broche pour mes cheveux. N’en posséder qu’une me donne déjà du plaisir. Je m’illusionne sur la possibilité d’en avoir plusieurs. Mais je me rends compte que je ne pourrais en porter plus d’une à la fois, et que je n’obtiendrais pas davantage de plaisir ; je cesse donc, de m’illusionner d’avoir un plus grand nombre de broches." Une fois que l’objectif ne nous donne plus de plaisir, nous ne le désirerons plus : "Je désire une broche. Je prends conscience que je suis chauve. Je ne la désire plus." Il est clair que si le personnage a tant désiré porter une broche c’est que dans son subconscient, elle savait très bien qu’elle était chauve. Ainsi, nous sommes portés à croire que la conscience n’est pas une source d’illusions.

            Nous avons appris, à travers Hegel et Hume, que la conscience est continuellement au travail, que Spinoza utilise des raisonnements en style mathématique et que, d’après Pascal, nous ne désirons que des qualités spécifiques ; cela nous a conduit à penser que la conscience n’était pas une source d’illusion. Pourtant, quelques philosophes se sont penchés sur la question et sont parvenus à une opinion contraire.

 

 

            Bien que l’on soit le plus souvent porté à croire que la conscience ne saurait être une source d’illusion, il y a plusieurs situations relativement fréquentes où un individu perd en partie sa conscience, ce qui ouvre la porte à l’illusion.

            Dans notre quotidien, les remarques et critiques de nos proches, par exemple, lorsque quelqu’un nous dit "ça ne te ressemble pas" ou "je ne te reconnais pas" nous amènent à questionner l’image que nous nous faisons de nous-mêmes. C’est là que nous comprenons que les autres savent davantage qui nous sommes que nous-mêmes. Les autres ont une conscience du réel et un point de vue sur le monde, différents des nôtres. Même si nous nous faisons une image de nous-mêmes, elle n’est pas forcément vraie. Cependant, il nous est donné de connaître nos vices et nos défauts, nos vertus et nos qualités. Nous sommes capables aussi de faire notre examen moral et de nous « connaître en matière morale » (Rousseau), en évaluant nos actions d’acceptables ou inacceptables, de condamnables ou d’encourageables. Si nous sommes aptes de nous juger c’est parce que nous savons nos intentions. La faculté de nous juger nous-mêmes, c'est-à-dire de nous autojuger consiste à nous évaluer constamment par rapport à la société, tout au long de notre vie. Il en ressort des règles, des devoirs, des autorisations et des censures. Quand ces règles ne sont pas respectées et que l’image que nous nous faisons de nous est négative, nous éprouvons remord, honte et culpabilité. C’est à cette occasion que l’on constate notre tendance à mentir davantage à nous-mêmes qu’à autrui, cela à moins que nous fassions une introspection, moyen privilégié qui nous rend capables de nous connaitre sans nous laisser emporter par notre amour propre.

            Alain, dans "Définitions" in Les Arts et les Dieux, définie cette introspection comme « un recul en soi-même qui permet de se connaître et de se juger ». D’après lui, cela « est proprement la conscience », et il précise qu’« inconscients [sont] ceux qui ne posent aucune question d’eux-mêmes á eux-mêmes ». Il reprend aussi l’idée que les autres peuvent également nous connaître, et que c’est à travers eux que nous avons tendance à le faire : « Je n’ai qu’á m’interroger; mais j’aime mieux m’en rapporter á d’autres».

            N’ayant ni subjectivité ni amour propre, autrui est mieux placé que nous pour nous connaitre ; il a une meilleure conscience que nous pour nous juger. Etant désavantagés par rapport à lui, par le fait d’être loin d’être conscients, nous pouvons facilement tomber dans l’erreur. Cette inconscience, qui consiste à ne pas nous poser de questions à nous-mêmes de nous-mêmes, est une source d’illusion. Cela ne veut pas dire qu’en étant conscient, ayant fait une introspection, ces illusions disparaissent totalement ; la conscience continue à être une source d’illusion. C’est le cas de l’amoureux, qui bien qu’essayant d’être conscient, reste une proie facile pour l’erreur.

 

            Une autre façon de tomber dans l’erreur est de se laisser porter par les superstitions et les préjugés, phénomènes collectifs autant que les effets de la propagande.

            Croire aux superstitions c’est croire qu’il y a d’autres règles que régissent la réalité. C’est croire constamment à des illusions. Par exemple, porter des dessous rouges en fin d’années donne de l’argent pour l’année suivante ; jeter une pièce dans une fontaine, voir une étoile filante et croiser les doigts au moment de formuler un vœu, donnent de la chance. Par contre, se lever du pied gauche, le nombre 13 et casser un miroir, augurent un malheur. Pour ceux qui croient à de telles supersitions, leur perception du monde se trouve perturbée. Ils sont victimes d’une puissance trompeuse impossible à vaincre, de laquelle ils ne sont pas responsables et ne pourront corriger. Cette illusion peut bien, si nous n’y prenons garde, induire en erreur, mais elle n’est pas une erreur en elle-même.

Ils existent également d’autres illusions comme les horoscopes et les cabales qui font parti des croyances très répandues.

            En outre, la conscience peut aussi tomber dans l’erreur de croire aux des préjugés. Ce sont des opinions adoptées en l'absence d'informations ou de pratiques suffisantes. Cependant, le préjugé, qui est une idée admise sans démonstration, est considéré par celui qui y adhère, comme une vérité absolue.

Spinoza, dans l’Appendice de la première partie de L’Ethique, qualifie de préjugé le fait que les hommes admettent que les choses de la Nature agissent en vue d’une fin et que Dieu, qui a tout fait en vue de l’homme, l’a fait pour qu’il lui rend culte : « Tous ceux que j’entreprends de dénoncer […] ce préjugé seul, […] cherchant […] la cause par laquelle la plupart y adhèrent, et pourquoi tout le monde a naturellement tendance à l’adopter. »

            Enfin, la propagande désigne un ensemble d'actions psychologiques influençant la  perception  publique des événements, des personnes ou des enjeux, de façon à endoctriner ou embrigader une population et la faire agir et penser d'une manière voulue. La propagande se différencie des superstitions et des préjugés par la manière comme elle est imposée.

            Que ce soit par une décision propre ou que notre entourage nous l’impose ou nous le communique, vivre dans un monde basé sur des règles inventées c’est vivre dans un monde d’illusions.

 

            La superstition souvent fait que nous soyons convaincus que, si ce que nous avons pensé qui arriverait n’arrive pas, cela va nous causer un mauvais sort. Ce n’est pas nous qui choisissons de croire à une superstition donnée, mais c’est notre conscience qui fait de cette illusion une réalité à laquelle nous finissons par croire, convaincus que si nous n’en tenons pas compte, il nous arrivera quelque malheur. La conscience nous invente des choses, et il en va de même de la mémoire.

            Bien souvent, nous constatons que la mémoire retient plus facilement certaines choses. De fait, la mémoire retient bien lorsque nous apprenons quelque chose qui nous plaît. Au contraire, rares sont ceux qui ont envie de se remémorer un événement ou une expérience douloureuse du passé, en particulier lorsqu’on en est responsable ; on peut se sentir tellement horrifié à la vue de quelque chose, que nous ne pouvons plus le supprimer de notre mémoire. Il y a un aspect émotionnel fort lors du processus de mémorisation. Un exemple qui nous montre à quel point les sentiments sont liés aux souvenirs et persistent longtemps dans la conscience, est celui des hommes qui ont perdu la mémoire et ne reconnaissent plus les visages de leurs proches, mais qui, devant un lot de photographies, manifestent cependant une attirance vers celles qui représentent les visages de leurs êtres chers, pourtant apparemment oubliés.

Plus notre amour propre est grand, plus des souvenirs peuvent être des menaces pour notre image de nous. Au lieu d’être lucide sur le passé, nous sélectionnons nos meilleurs souvenirs pour préserver l’image de nous-mêmes. Nous ne voulons pas nous rappeler toutes ces opportunités manquées, et encore moins d’affaires soldées par de lourdes pertes. Avec le temps, notre souvenir des événements tristes ou fâcheux ne sera plus objectif mais s’intégrera dans une représentation globale de soi.

            Toutes ces différences avec la réalité, font que nous ayons une image fausse du déroulement des faits. La subjectivité commet, sans doute, des erreurs. Nous avons donc, des illusions sur notre passé.

            Grâce à Rousseau et Alain, il nous a paru que nous pouvons tomber facilement dans l’erreur, puisque autrui est mieux placé pour nous juger, mais que pourtant, nous pouvons arriver à nous introspecter. Cependant, nous ne serons pas moins victimes des superstitions, des préjugés eti de la mémoire sélective, qui trompent la réalité.

 

 

            Il est des situations où il est difficile d’apprécier dans quelle mesure la conscience peut être source ou non d’illusions. Selon les époques, les milieux, ou les points de vue les critères peuvent être différents.

            Chacun a sa propre conscience et sa forme particulière de percevoir soi-même ou le monde qui l’environne. Pour ce qui est de cette conscience perceptive, il y a lieu de distinguer deux types de savoirs, chacun selon les différents points de vue d’une même situation.

            Nous le voyons très clairement dans les rapports d’un médecin avec son patient tels que les décrit  M. Foucault dans Naissance de la clinique, PUF, 1963, p. XIV. "Le malade n’est pas savant sur son mal", il éprouve sa douleur, donc "il est "sachant" d’une certaine manière". "Il sait ce que ce mal lui interdit de faire à ses normes propres", c’est-à-dire ce que son cœur lui exige. Il sent ses capacités diminuées. Le savoir du médecin n’est pas le même que celui du malade. Il est abstrait et théorique, fondé sur des lois ; c’est grâce à cela et à l’analyse des symptômes qu’il se forme l’image de la douleur et parvient à imaginer ce que le patient ressent. En revanche, le savoir pratique du malade est empirique et repose sur ce qu’il perçoit. Il a parfaitement conscience de ce qu’il lui arrive. Ce savoir est également intuitif, car il se sent directement en contact avec la réalité ; immédiat, parce qu’aucune réflexion préalable n’est nécessaire ; subjectif, car le malade a tendance à considérer son malaise comme quelque chose de personnel et de privé. C’est pourquoi, pour faire un jugement impartial, vrai et valable pour tout le monde, le médecin doit filtrer toute forme de subjectivité. Il objectivera le mal de son patient en une image abstraite, de connaissance générale. Le médecin ne souffre pas, il se projette à la place du patient, en faisant une froide recherche de la cause du mal. En construisant une connaissance du mal de son patient, le médecin fait du mal un objet de savoir et lui aussi a conscience du mal que subit son malade..

            Le savoir inconscient est différent du savoir de la connaissance scientifique. Devant la même situation, le malade et le médecin ont deux visions différentes, mais toutes deux sont réelles. Bref, tout deux ont une conscience différente de la même situation.

 

            On ne passe pas instantanément de la conscience à l’inconscience, ni vice versa. Quand l’origine de ces situations intermédiaires est d’ordre physique, l’analyse scientifique peut nous aider à comprendre le phénomène.

            En plus du rêve pendant le sommeil, qui est un phénomène normal, ces états intermédiaires, où la conscience est partielle, peuvent être provoqués par des substances chimiques (alcool, drogues et anesthésiques) ou par des évanouissements ou des états de coma (à la suite de traumatismes, maladie ou shock émotionnel). Ajoutons les phénomènes d’hypnose et de somnambulisme, dans lesquels, comme dans les cas précédents, l’individu présente un faible degré de conscience. Cela montre qu’il y a un rapport très fort entre la conscience et la fonction du cerveau.

Le théâtre constitue un cas particulier, en ce sens que le metteur en scène essaie de créer une illusion presque aussi cohérente que la réalité. Certains spectateurs s’y laissent tromper et sont capables d’attaquer des acteurs représentant des assassins ; inversement, ils peuvent être attirés par un acteur qui joue le rôle d’un héros.

            Peut-on dire que lorsqu’une personne qui vient d’être opérée reprend conscience et confond une infermière avec un ange, c’est ce début de conscient qui est la cause de son illusion? Dans ces cas où la conscience est affaiblie, il est difficile de répondre si la conscience est ou non, une source d’illusion.

 

            Parmi ceux qui voudraient arriver à comprendre l’univers, il y a deux tendances extrêmes, celle de ceux qui, comme Spinoza, voyant Dieu comme une entité distante et toute puissante, croient en conséquence à la prédestination, et celle de ceux qui pensent que le monde est en construction et soutiennent le libre arbitre. Tous ceux qui ont parié pour l’une ou l’autre de ces conceptions ont tendance à qualifier d’illusion tout ce qui s’oppose à leur approche.

            Pour Spinoza le libre arbitre est une totale illusion qui vient de ce que l'homme a conscience de ses actions, mais non des causes qui le déterminent à agir. En effet, l'homme n'est pas un « empire dans un empire » mais une partie de la substance infinie qu'il appelle Dieu ou la nature. Cependant, l'homme disposerait d'une certaine liberté dans la mesure où il comprend avec sa raison pourquoi il agit. Dans, l’Ethique (livre III, scolie de la proposition II), Spinoza donne l’exemple de l’ivrogne : « Une homme ivre […] croit dire d’après un libre décret de l’esprit ce que, revenu à son état normal, il voudrait avoir tu ». Celui-ci est conscient qu’il va boire de l’alcool, parce que cela lui fait plaisir, mais, une fois ivre il n’est libre ni de ses actions ni de ses paroles. Il pense qu’il dispose du libre arbitre, mais tout au contraire, il agit par la seule nécessité de sa nature. Est donc libre celui qui sait qu'il n'a pas de libre arbitre et qu'il agit par la seule nécessité de sa nature, sans être contraint par des causes extérieures qui causent en lui des passions.

            Ainsi il en va du libre arbitre pour les suiveurs de Spinoza alors que les adeptes de Descartes et Pascal, pour qui la Raison est tout, rejettent toute forme de déterminisme ne serait-ce que l’astrologie. Le premier lancera, dans son Discours de la Méthode, « Cogito ergo sum » ; le second précisera « L’homme est un roseau mais c’est un roseau pensant ».

            Au XVIIe siècle, Spinoza a critiqué aussi une autre tendance qui se détache des précédentes, le finalisme. Il l’a fait, notamment dans l'appendice à la première partie de son Éthique, par un argument propre à sa philosophie selon lequel le monde et l'être suprême ne se distinguent pas : si l'être suprême poursuivait des finalités, alors il ne serait pas suprême.  Le finalisme repose sur l'idée qu'il existerait une volonté comparable à celle de l'homme ayant organisé toutes choses dans la nature pour son utilité. Or, tout ce qui existe dans la nature n'existe qu'en tant que façon d'être de Dieu. Rien ne peut donc être déterminé par des causes finales. Autrement ce serait considérer Dieu comme imparfait, manquant de quelque chose puisqu'il aurait besoin de la réalisation de ces fins pour son utilité.

            Vu la difficulté des hommes pour départagé le réel et l’illusion et, ne pouvant donner raison ni aux uns ni aux autres, il y a bien des cas particuliers, mais d’une façon générale la question posée restera sans réponse.

 

 

            Comme il arrive souvent de s’en convaincre, la vérité n’est rarement dans l’un des extrêmes mais dans un juste milieu.

            Le critère d’illusion peut sans doute varier radicalement d’après les époques ou les cultures ; ainsi, une séance de cinéma à laquelle nous assistons aujourd´hui d’un air blasé, plongerait dans l’effroi un homme primitif, lequel se refuserait à prendre pour du réel ce que ses yeux verraient. Inversement, devant un fait nouveau qu’ils ne peuvent expliquer, la première réaction des savants de nos jours est d’avancer l´hypothèse d’une illusion, tandis qu’à leur place, les hommes primitifs jugeraient tout naturel d’avoir été témoins de l’intervention de quelque entité animiste. Les critères pour départager le réel de l’illusion dépendent également des états d’âme ou des points de vue des observateurs. Ainsi, quiconque est atteint d’une maladie de persécution ne verra autour de lui que des ennemis, de même que l’adepte d’une religion donnée est tenté de voir des miracles dans ce qu’un libre penseur qualifie d’illusion.  

Ajoutons que notre décision de prendre un fait pour une réalité ou une illusion se fonde le plus souvent sur des considérations statistiques. Si toutes les données de nos sens concordent et les descriptions des témoins le fontt également avec notre expérience personnelle, nous sommes inclinés à retenir l´hypothèse de la réalité. Mais dans la mesure où surgissent des contradictions nous serons portés à parler d’illusions : une voix qui nous parle alors qu’on ne voit personne devant nous, un objet que l’on voit sans qu’on puisse le toucher ou inversement une main qui semble vous caresser sans qu’on puisse la voir ou la saisir , etc.

            En somme, nous sommes conscients de nos désirs et de nos représentations. Mais la conscience n’est ici qu’une connaissance incomplète, inadéquate, qui nous laisse dans l’ignorance des causes qui les produisent. De sorte que, loin d’être connaissance vraie, la conscience est plutôt constitutivement productrice d’illusions et notamment de l’illusion de la liberté.

 

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