Devoir de Philosophie

LA LIBERTÉ chez DESCARTES

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

descartes
Il n'y a que la volonté seule ou la seule liberté du franc arbitre que j'expérimente en moi être si grande que je ne conçois point l'idée d'une autre plus ample et plus étendue, en sorte que c'est elle principalement qui me fait connaître que je porte l'image et la ressemblance de Dieu. Car encore qu'elle soit incomparablement plus grande dans Dieu que dans moi, soit à raison de la connaissance et de la puissance qui se trouvent jointes avec elle et qui la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l'objet, d'autant qu'elle se porte et s'étend infiniment à plus de choses, elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même. Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une même chose ou ne la faire pas, c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir une même chose ; ou plutôt elle consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. Car afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires; mais plutôt, d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse ; et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent plutôt et la fortifient ; de façon que cette indifférence que je sens lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu'une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire, et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent. (Méditations, IV). Mais peut-être que par ce mot d'indifférence, il y en a d'autres qui entendent cette faculté positive que nous avons de nous déterminer à l'un ou à l'autre des deux contraires, c'est-à-dire à poursuivre ou à fuir, à affirmer ou à nier une même chose. Sur quoi j'ai à dire que je n'ai jamais nié que cette faculté positive se trouvât en la volonté ; tant s'en faut, j'estime qu'elle s'y rencontre, non seulement toutes les fois qu'elle se détermine à ces sortes d'actions, où elle n'est point emportée par le poids d'aucune raison vers un côté plutôt que vers un autre ; mais même qu'elle se trouve mêlée dans toutes ses autres actions en sorte qu'elle ne se détermine jamais qu'elle ne la mette en usage ; jusque là que, lors même qu'une raison fort évidente nous porte à une chose, quoique, moralement parlant, il soit difficile que nous puissions faire le contraire, parlant néanmoins absolument, nous le pouvons: car il nous est toujours libre de nous empêcher de poursuivre un bien qui nous est clairement connu, ou d'admettre une vérité évidente, pourvu seulement que nous pensions que c'est un bien de témoigner par là la liberté de notre franc arbitre. (Lettre à Mersenne, 27 mai 1641)

Liens utiles