La Littérature Doit-Elle Prendre Part Aux Débats De Société ?

L'occident, depuis une dizaine de siècles,  ne peut envisager l'évolution de ses sociétés sans y inclure l'influence de la littérature.

Parmi les fonctions de la littérature dans une société Aragon ne cite que celle qui semble essentielle à ses yeux, en affirmant : « notre plume doit être une épée «. Il pose ainsi le problème des différentes fonctions possibles de la littérature dans une société.

À partir de là, on pourra considérer , à la suite d'Aragon, que la littérature doit s'engager ; cependant, on considère qu'elle peut aussi être instructive et distrayante. Pour finir, on pourra constater que certains ouvrages présentent l'ensemble de ces fonctions. 

Effectivement, la littérature peut s'engager comme l'affirme Aragon.

Tout d'abord, dans Boule de Suif, nous voyons que Guy de Maupassant s'engage énormément pour la France dans la guerre franco-prussienne et contre la société bourgeoise de son époque. En effet, en mettant en scène Élisabeth Rousset, prostituée et patriote qui n'acceptera de coucher avec un Prussien que pour aider ses compatriotes à s'enfuir il prouve son engagement pour la France. En peignant la réaction des bourgeois qui l'accompagne, la méprisant et l'ignorant, il prouve son engagement contre la société bourgeoise de l'époque.

Ensuite, dans l'erreur de l'homme, nous pouvons voir que Massat s'engage contre la modernité dans l'agriculture. En effet, en affirmant que les aviculteurs de Bretagne et de Gascogne ont failli dégoûter les français du poulet il prouve son engagement contre la modernisation de l'agriculture. En affirmant également que la cueillette prématurée des fruits prive les citadins des délices de ceux-ci gorgés de soleil prouve tout autant son engagement contre la modernisation de l'agriculture.

De plus, dans Nous, les Seznec, nous pouvons voir que Denis Le Her-Seznec s'engage en faveur de son grand-père, condamné aux travaux forcés à perpétuité sans preuve, sans aveu et sans cadavre pour le meurtre de son ami, Pierre Quemeneur. Guillaume Seznec, qui clama toute sa vie son innocence, reviendra en France après vingt-quatre ans de bagne. Son petit-fils, se bat encore aujourd'hui pour sa réhabilitation. En effet, nous le suivrons jusqu'en Guyane sur les traces du bagnard, mais aussi dans sa quête du passé, il va, pendant des années, enquêter, retrouver des documents perdus, consulter des dossiers officiels interdits, interroger des témoins et reconstituer ainsi la machination dont fut victime Guillaume Seznec. Denis Le-Her Seznec prouve son engagement contre la coup monté dont fut victime son grand-père.

Enfin, dans le poème de Victor Hugo, Le manteau impérial, le poète s'engage contre Napoléon III. En effet, Victor Hugo fait d'abord référence aux abeilles pour introduire sa critique de Napoléon III. Les abeilles ne seront pas choisies par hasard, puisqu'elle font référence au manteau d'apparat en velours, orné d'abeilles en filigrane d'or que  l'empereur portait dans les cérémonies et sur les portraits officiels : les abeilles symbolisaient l'activité de l'Empire français. En faisant référence à d'anciens tyrans Victor Hugo, sous-entend que le nouvel empereur français en est aussi un. En écrivant « Et qu'il soit chassé par les mouches, Puisque les hommes en ont peur ! «, il encourage les français à remplacer Napoléon III. Ce poème de Victor Hugo, qui est un long cri de haine, de déception et de colère contre l'empereur, est recueilli dans Châtiments, une œuvre uniquement dédié à son aversion envers Napoléon III.

En somme, nous voyons que la littérature, comme le disait Aragon, peut s'engager dans les débats de sociétés puisque plusieurs auteurs se sont engagés comme Guy de Maupassant, Massat, Denis le Her-Seznec ou encore Victor Hugo. Chacun agira selon ses moyens et avec son siècle, mais influencera tout de même le sujet qu'il a traité. 

Cependant, la littérature, à la différence de ce qu'affirme Aragon, peut remplir, dans une société, d'autres fonctions. En effet, elle est aussi présente pour divertir et, ou instruire le lecteur.

Tout d'abord, la littérature peut divertir. Prenons l'exemple de Molière qui donna pour les divertissements de la cour ou pour le public parisien, de nombreuses pièces de théâtre en vers ou en prose. Dans Le bourgeois gentilhomme, Molière se moque de Monsieur Jourdain, petit commerçant, nouveau riche, qui rêve d'éblouir les autres par l'étalage d'un luxe, qui en devient ridicule car il ne correspond pas à l'éducation qu'il a reçu et qu'il veut ressembler aux nobles avec une outrance démesurée. En poussant à l'absurde l'ambition bourgeoise de Monsieur Jourdain, en effet, celui-ci désire marier sa fille à un noble pour prouver sa richesse, Molière réussit à divertir le public en le faisant rire. 

La prochaine fois, de Marc Levy est un roman fantastique. Dans cet œuvre les héros ont l'impression de déjà se connaître juste après leur première rencontre ; en effet, ils se côtoient depuis près d'un siècle... Marc Levy emmènera ses lecteurs de Boston à Londres, de Saint Pétersbourg à Florence et Paris dans une histoire où amour et énigmes défient le temps. Jonathan et Clara apprendrons sous les yeux des lecteurs à s'aimer, à se séparer et à se retrouver au delà de la mort. Ce roman divertit les lecteurs en les amenant dans un monde où tout est possible et réalisable, dans le monde dont beaucoup de personnes rêvent.

Ensuite, la littérature peut divertir et instruire dans la même œuvre. Dans Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas transporte ses lecteurs sous le siècle du roi Soleil. La plupart des personnages de Dumas sont empruntés à l'histoire comme le cardinal de Richelieu, D'Artagnan, le Duc de Buckingham, Anne d'Autriche... Alexandre Dumas s'inspira des Mémoires de Monsieur D'Artagnan de Gastien Courtilz de Sandras pour le sujet de son roman. Il ajoutera ensuite aux faits réels, une intrigue, des histoires d'amour et des affaires politiques. En revisitant l'histoire, Dumas, nous fait vivre une histoire semi-historique, semi-fantastique de D'Artagnan.

Dans Bel-Ami, Guy de Maupassant peint l'histoire d'un jeune employé d'une compagnie de chemins de fer, trop pauvre pour s'offrir sans réflexion un verre de bière, qui devient à travers quelques femmes, une vedette parisienne. Bel-Ami est une œuvre consacrée à l'ambition observée du point de vue instructif et du point de vue distrayant. En effet, Bel-Ami instruit le lecteur sur les conditions de vie d'un ouvrier moyen de cette époque mais aussi sur celles d'un journaliste reconnu ; Maupassant distrait également le lecteur en contant les histoires d'amours de Georges Duroy qui ira jusqu'à s'anoblir au cours d'un de ses mariages.

En somme, nous voyons que la littérature ne sert pas seulement, comme le disait Aragon, à s'engager dans les débats de société mais elle sert également à distraire et à instruire les lecteurs, comme nous le prouvent par exemple Molière, Marc Levy,  Alexandre Dumas et Guy de Maupassant. 

Toutefois, certaines œuvres possèdent la totalité des fonctions de la littérature étudiées ci-dessus. Ces fonctions seront présentes à pars égales dans l'œuvre. 

Tout d'abord, nous verrons que dans Au Bonheur des Dames, d'Émile Zola  différentes fonctions de la littérature sont abordées. En effet, Zola s'engage d'abord à décrire les passions dont les hommes sont victimes. Nous pouvons remarquer que le titre même nous illumine d'un sourire grâce au mot « bonheur «, introduisant ainsi la folle quête d'amour de Denise. Cette dernière symbolise le peuple à l'état pur, le peuple entrant dans Paris pour faire fortune, ou simplement pour survivre. Denise finira après maintes péripéties dans un grand magasin dont elle est l'employée, par se marier avec l'homme dont, au premier regard, elle fut amoureuse, qui est en l'occurrence son patron. Ensuite, Zola divertit ses lecteurs grâce à une « comédie humaine «, en effet, l'auteur joue avec ses personnages, il raconte l'histoire d'une femme qui lutte pour la survie de sa famille tout en y ajoutant de l'humour, en effet, quand Mouret fera tout pour coucher avec Denise cela en devient ridicule, donc drôle. Mais aussi une intrigue, le lecteur se demande pendant toute la dernière partie du roman, quand Denise acceptera enfin d'épouser Mouret, dont elle est follement amoureuse. Enfin, Zola instruit ses lecteurs en leur exposant l'évolution d'un grand magasin à son époque. Il expliquera comment un patron de ces magasins réussit à écraser la concurrence grâce à un large choix de marchandise pour la cliente et aussi comment un patron attire la femme, allant même jusqu'à chercher ses points faibles pour la faire dépenser. Zola décrira comment un gérant de grand magasin arrivera à rendre les femmes dépensières au point de vider le compte de leur mari.

Ensuite, dans Les Misérables de Victor Hugo nous pouvons voir que diverses fonctions de la littérature sont utilisées. En effet, Hugo s'engage d'abord contre les misères dont sont victimes le peuple à cette époque. Il les peindra sous des aspects aussi atroces que grandioses dans des tableaux qui nous sont maintenant connus. Hugo utilisera Jean Valjean, un  ancien forçat qui est peut être un saint, Gavroche, un petit Parisien, Cosette, une fillette martyre, Javert, un policier inflexible, des malheureux et des coquins pour décrire ceux qu'il considère comme des « Misérables «. Ensuite, Hugo instruit ses lecteurs grâce à la minutieuse description des misères dont sont victimes ses « Misérables «. Enfin, Hugo arrive aujourd'hui, non pas à distraire ses lecteurs, car la vie misérable de ses héros n'a rien d'humoristique, mais à faire évader ses lecteurs dans un monde qu'il leur est désormais inconnu, car l'époque moderne ne leur permet plus d'imaginer les sacrifices, les injustices dont ses héros étaient victimes il y a deux siècles. 

Enfin, dans Le Cygne, de Charles Baudelaire, nous voyons également que différentes fonctions de la littérature sont abordées. En effet, Baudelaire s'engage d'abord en faveur des auteurs et des poètes exilés à l'époque, plus particulièrement pour Victor Hugo à qui il dédicaça son œuvre. Dans ce poème, le « cygne « et « Andromaque « symbolisent tous les exilés, tous les déchus et toutes les âmes meurtries tombées du haut de leur idéal, par la force d'un gouvernement qu'ils rejettent. Baudelaire prouve son engagement en écrivant « Andromaque, je pense à vous ! « dès son premier vers, et en finissant son poème par « Je pense aux matelots oubliés dans une île, Aux captifs, aux vaincus ! … à bien d'autres encore ! «. Ensuite, Baudelaire instruit ses lecteurs sur quelques points de l'histoire antique, en écrivant [Andromaque] « Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus ! «, informant ainsi ses lecteurs sur la situation d'Andromaque à son siècle. Enfin, Baudelaire divertit ses lecteurs en leur offrant un poème aux rimes parfaites, et en leur contant l'histoire  ce vieux Paris qu'il aimait et connaissait si bien ! En effet, il le prouve en affirmant « Le vieux Paris n'est plus […] Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts [...] «.

En somme, plusieurs auteurs, comme Émile Zola, Victor Hugo ou encore Charles Baudelaire, sont capables d'utiliser, contrairement à ce qu'affirmait Aragon, les différentes fonctions de la littérature. Cette dernière ne servant pas seulement à engager l'opinion que porte l'auteur sur le sujet qu'il traite mais également à mêler engagement, instruction et distraction dans une même œuvre pour le plus grand plaisir des lecteurs ! 

En conclusion, « la plume « ne doit pas seulement « être une épée « comme l'affirmait Aragon mais, elle doit aussi servir à instruire, à distraire le lecteur ou même à remplir ces trois fonctions en même temps. En effet, plusieurs auteurs et poètes ont montrés au cours des siècles leur capacité à varier leur utilisation des différentes fonctions de la littérature.

En somme, on peut se demander, si aujourd'hui, à l'heure du multimédia, la littérature n'est pas, ou ne sera pas, concurrencée par la télévision ou encore par internet dans ses différentes fonctions et plus particulièrement dans l'évasion et l'engagement.