Devoir de Philosophie

La morale relève-t-elle de la compétence de l'Etat

Publié le 04/04/2011

Extrait du document

morale

La morale relève-t-elle de la compétence de l’Etat ?

 

Ce sujet nous invite à nous interroger sur le rapport entre la morale et l’Etat (qui pourra être caractérisé par le droit ou la politique). L’Etat est un organe juridique, plus ou moins centralisé, qui impose des normes et organise la société. L’Etat dispose d’un grand pouvoir mais qui, dans un Etat de droit, est limité par des textes et une constitution. Dans les sociétés démocratiques, laïques et pluralistes, l’Etat est supposé être « neutre » à l’égard des grandes conceptions morales – ensemble de valeurs relatives au bien et au mal, qui permettent la vie en société.

Dans quelle mesure l’Etat peut-il dicter sa propre morale ? Cette dernière est-elle indépendante du droit ? Peut-on concilier morale et politique ?

Il s’agira de mettre en évidence les dangers que l’Etat dicte sa propre morale, puis de distinguer le partage entre droit et morale et enfin de montrer que l’Etat doit suivre une certaine morale.

 

 

Une morale de l’Etat comporte plusieurs risques.

D’abord, le danger du totalitarisme est facilement représentable. Par exemple, Hitler disait : « la loi c’est l’éthique ». Le danger est ici d’assimiler droit et morale : en décidant du droit, Hitler décidait de la morale. Le totalitarisme (et plus particulièrement le nazisme) a engendré un effondrement de la morale traditionnelle pour en instaurer une nouvelle. Cet ordre nouveau visait à éliminer toutes les populations non aryennes. Cela n’avait rien à voir avec des objectifs de guerre et d’ailleurs, pour les Allemands, la mort des Juifs n’était pas un assassinat mais une mort douce. Le génocide commis dans les camps de concentrations a entre autres été permis par l’indifférence des citoyens de la société allemande, qui avaient majoritairement adhéré à cette nouvelle morale. Celle-ci fut en effet très conformiste, les citoyens avaient l’habitude d’appliquer les règles mécaniquement et au bout d’un moment, ils ne faisaient plus la différence entre ce qui était bon ou mauvais, criminel ou non. Certes, nombreuses sont les personnes qui ont accepté cette nouvelle morale, cependant, d’autres citoyens ont adopté une attitude de déviance vis-à-vis de l’ordre nouveau. Par exemple, on sait que, dans plusieurs pays, des gens ont caché des Juifs pour ne pas qu’ils soient déportés, car ils trouvaient les idées nazies complètement immorales.

Ensuite, on peut se demander si les intérêts de l’Etat justifient des pratiques immorales. La violence faite contres les citoyens, la violence de l’Etat, n’est pas considérée comme telle puisqu’elle n’est appliquée qu’en cas de crise et qu’en vue de favoriser l’intérêt général. Ainsi selon Weber, l’Etat a le « monopole de la violence légitime ». La raison d’Etat, autrement dit l’appel aux intérêts supérieurs de l’Etat, est invoquée par les politiques quand ils veulent recourir à des pratiques immorales. Pourtant, la raison d’Etat peut aboutir à une injustice à l’égard d’un individu ou d’un groupe. Par exemple,  lors de l’Affaire Dreyfus, l’Etat a sacrifié un Juif innocent (qui fut acquitté après sa mort). Ici, il ne s’agit pas seulement d’avoir sacrifié une sorte de bouc-émissaire, mais aussi d’avoir été contraire aux droits de l’homme. On peut aussi penser à la torture qui a été faite lors de la guerre d’Algérie.  Ainsi selon Machiavel, en cas de crise, le « Prince » peut faire quelques écarts avec la norme morale mais ce de façon cachée et d’un seul coup.

  Enfin, il se peut que l’Etat soit « moraliste ». En effet, il peut privilégier sa conception morale au détriment des autres. Par exemple la loi Léonetti (2005) a instauré le droit au « laisser mourir ». Celle-ci limite l’acharnement thérapeutique, ce qui admet donc que les médecins peuvent provoquer la mort comme effet indirect dans certaines conditions.

 

               Il convient de distinguer le droit - ensemble des lois qui organisent la vie collective des hommes au sein d’un Etat - de la morale.

                 D’abord, le droit se distingue de la morale du point de vue de sa forme. En effet, il a un caractère officiel, il se soucie de la vie des hommes en société tandis que la morale a un caractère officieux, elle se soucie de la vertu de la personne. De plus, le droit est une référence pour tout le monde, alors que la morale peut être différente selon les milieux sociaux. En outre, le droit est plus large que la morale, car des lois juridiques sont indifférentes à la morale, par exemple le code de la route. Il faut également distinguer la sanction juridique de la sanction morale, car la première a un caractère officiel et prévu alors que la deuxième a un caractère officieux et personnel. La première sanction morale, c’est le remord, mais il peut également s’agir de condamnation de la part de notre entourage. Si je commets un adultère (règle morale sans incidence juridique) et que cela se sait, je risque de voir mes amis et encore plus les amis de la personne que j’ai trompée, peut-être nos familles, me reprocher cet acte. Le groupe peut également manifester sa désapprobation de par le rejet ou l’exclusion.

De plus, le droit est différent de la morale du point de vue de son contenu. En effet, le droit va d’abord se préoccuper des conséquences de l’acte du criminel avant de se préoccuper de ses intentions. Par exemple, la préméditation constitue une circonstance aggravante d’un meurtre. Au contraire, la morale se préoccupe d’abord de l’intention, puis des conséquences de l’acte. De plus, le droit va réguler le rapport des hommes entre eux, tandis que le rôle de la morale concernera le rapport à soi-même.

                Ensuite, on peut envisager un rapport entre droit et morale. En effet, on a constaté que souvent, une évolution de la morale engendrait une évolution proportionnelle du droit. On peut penser à l’instauration de la laïcité en France. Dès que l’Eglise et l’Etat se sont séparés en 1905, une morale laïque s’est constituée et l’avortement, qui était dans la morale chrétienne considéré comme un crime, a été légalisé. Inversement, une évolution du droit peut être un préalable à une évolution de la morale. Par exemple, actuellement une grande majorité est contre la peine de mort, mais au moment de son abolition (décidée par Badinter), une grande majorité était pour.

               Enfin, Stuart Mill a établi une distinction bien connue entre droit et morale. Selon lui, le droit est un ensemble d’intérêts juridiques qui sont partagés et compatibles avec autrui. Si je nuis seulement à moi-même ou qu’autrui est consentant, c’est la morale qui doit intervenir (qu’il réduit à la peur du jugement des autres). Par contre, si je nuis à autrui, cela relève du domaine du droit. On peut cependant faire des objections à Stuart Mill. Premièrement, si je nuis à moi-même, il peut arriver que je nuise aux autres. Dès lors, cela ne relèvera plus de la simple morale mais du droit. Par exemple, l’alcoolique, en buvant, abîme son corps. S’il commet des infractions, il peut être soumis à une injonction thérapeutique, qui est un élément du droit français établi en 1970 et qui correspond à une obligation de soin contre une remise de peine. De plus, si l’alcoolique a des enfants, il peut leur faire du mal psychologiquement. En effet, pour un enfant, vivre avec un parent alcoolique peut être dur car cela signifie vivre dans un climat familial tendu et conflictuel. L’enfant peut aimer son parent mais aussi le redouter, se sentir en insécurité, parce qu’il arrive qu’il soit violent.

 

 

                L’Etat se doit donc de suivre une certaine morale, il doit parler au nom de tous, au nom d’une même communauté.

                D’abord, pour les citoyens, droit et morale ont une proximité apparente. En effet, cette proximité leur apparaît comme naturelle, parce que droit et morale annoncent tous deux une forme d’obligation et de régulation de la société. Il faut donc que leur structure, mais aussi leur contenu soit proche. Leur contenu est souvent proche, par exemple une règle de morale classique est de ne pas nuire à autrui,  et le droit condamne ce qui nuit à autrui. De plus, leur forme est proche, parce qu’elle énonce une forme d’impératif. La morale et le droit définissent tous deux des normes de comportements. 

                Ensuite, l’Etat doit tenir compte de la situation actuelle, de ce qui est faisable et de l’évolution des mœurs. Dans les sociétés traditionnelles, la religion, le droit et la morale étaient confondus. Par exemple, le Coran est un livre juridique, religieux et moral. Au contraire, dans les sociétés modernes, la religion est séparée de la politique (laïcité) et la morale est devenue une affaire de conscience. La laïcité se fonde sur trois exigences : premièrement,  le respect de la liberté de conscience et de culte; la lutte contre toute domination de la religion sur l’État et sur la société civile ; l’égalité des religions et des convictions. Par exemple, l’avortement et l’infanticide n’étaient pas des crimes dans l’Antiquité, c’est la loi d’inspiration chrétienne qui a fait de ces actes des crimes. L’avortement a été dépénalisé depuis avec la loi Veil (1975).

De plus, même si la morale est laïque, elle peut avoir des bases religieuses. Ex tu ne tueras point

              Enfin, l’Etat peut dicter une morale, mais la politique est souvent le champ des rapports de force et il arrive que les hommes politiques n’appliquent pas cette morale à eux-mêmes.

Pour Machiavel, tous les moyens sont bons pour parvenir au pouvoir et s’y maintenir. L’homme politique doit savoir aller au mal si l’intérêt de son pays l’exige. D’une part, il doit être simulateur parce qu’il doit paraître avoir des qualités morales et croire en Dieu. D’autre part, il doit être dissimulateur pour que son adversaire ait peur de lui. En définitive, le « Prince » instrumentalise la morale au lieu de la suivre.

L’idée de Machiavel pourrait, d’une certaine manière, éclairer la politique actuelle. En effet, la place importante accordée à l’opinion personnelle ainsi que la baisse des croyances collectives religieuses ont favorisé l’essor de l’idéologie libérale, celle-ci étant elle-même un individualisme. Aujourd’hui, les néolibéraux détruisent l’idée d’un intérêt général, car ils sont tout le temps soumis à des rapports de forces, ils promeuvent la rivalité et le mobile du gain. Souvent on constate que les hommes et femmes politiques ne veulent même pas réinstaurer une morale (qu’ils n’ont pas eux-mêmes). Par exemple, le ministre de l’Intérieur est censé faire respecter l’ordre et la morale mais fait des blagues racistes, la ministre des Affaires Etrangères profite de sa position politique, et des entreprises font du lobbying en finançant certains partis politiques.

L’homme d’Etat se doit donc d’être à la fois moral et réaliste. C’est ce que dit Weber quand il distingue deux types d’éthique, l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité. D’une part, l’éthique de la conviction se préoccupe du principe moral précédent une action sans se soucier des conséquences. D’autre part, l’éthique de la responsabilité se préoccupe seulement du résultat de l’action. Dans le domaine du politique, la morale ne sera pas celle de l’homme privé, c'est-à-dire de la conviction, mais l’éthique de la responsabilité. L’homme politique sera prêt à tricher avec certains principes moraux si les conséquences de ses actes doivent être favorables à son peuple. De plus, il sera jugé seulement sur les conséquences, positives ou non, de ses décisions.

 

 

               Ainsi, -manque REPONSE A LA PROBLEMATIQUE.

Le but d’une société est d’instituer une morale laïque, un intérêt général qui transcende les pulsions individuelles. Cependant, combattre le désordre moral suppose une société décidée à placer l’intérêt général au dessus de l’intérêt personnel, et de mener une politique morale. Pour cela, devrons-nous attendre un effondrement de la politique actuelle ou que des forces politiques qui se disent progressistes agissent ? 

Liens utiles