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La nation selon Johan Fichte

Publié le 07/04/2011

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fichte

LA NATION SELON FICHTE Revenons brièvement sur l’auteur, Johann Gottlieb Fichte (1762-1814). D’origine d’une famille modeste de Rammenau, il découvre rapidement et par hasard la philosophie d’Emmanuel Kant, à qui il doit son premier succès sur un malentendu ; Essai d'une critique de toute révélation (1792) est publié anonymement et le public l'attribue à Kant. Enthousiaste de la Révolution française, il la défend dans deux écrits intitulés Revendication de la liberté de penser à l'encontre des princes de l'Europe qui font jusqu'ici comprimée et Contribution au redressement des jugements du public sur la Révolution française. Il partage avec les intellectuels allemands de son époque une dérive allant du cosmopolitisme de l’Aufklärung et de la philosophie populaire vers la ferveur patriotique inspirée de la nostalgie du Saint Empire germanique. Il est nommé en 1794 professeur de philosophie à Iéna puis, accusé d'athéisme par des contradicteurs, il donne sa démission en 1799, et se rend à Berlin. Après la bataille d'Iéna, il se retire à Königsberg, puis à Copenhague. Mais dès 1807 il revient à Berlin, et c'est là qu’il prononce ses fameux Discours à la nation allemande. Lors de la création de l'université de Berlin, il y reçoit une chaire de philosophie. Il meurt le 7 janvier 1814. Les Discours à la nation allemande (Reden an die deutsche Nation) datent de l’hiver 1807 1808. A cette époque, la Prusse a été battue par Napoléon à Iéna, l’Allemagne est occupée par les troupes françaises, c’est alors qu’à Fichte la question se pose : Comment préserver l’originalité de la nation allemande ? Il s’agit selon Alain Renaut dans sa préface des Discours de réveiller chez un public découragé par la défaite un nouvel esprit commun. Mais si l’on retient plus particulièrement les ambigüités des Discours, l’on en oublie souvent leur audace et leur importance dans la philosophie politique ; ils sont majoritairement perçus comme contributeurs au nationalisme pangermanisme, impérialiste et belliciste, et, pour reprendre les mots de Charles Andler (1917), Fichte « a, le premier, donné un catéchisme clair et complet de la religion de la prédestination allemande ». A la lecture de ses extraits de discours l’on retient en effet une question principale, en quoi la définition fichtéenne de la nation navigue-t-elle entre une conception ethnique et particulariste et un horizon objectif et universaliste ? Peut-on alors parler du caractère relatif de l’opposition entre particularisme culturel et universalisme civique ? Nous y répondrons, à partir du texte, en deux temps : d’abord, en décelant chez Fichte une conception ethnique et particulariste de la nation, puis en nous interrogeant sur sa portée civique, morale et donc universaliste.      I. C’est par réaction à l’universalisme de la Révolution Française et à la domination napoléonienne que se construit avec Fichte une conception ethnique et particulariste de la nation.    A. Dans un contexte de domination française, Fichte propose ainsi une définition ethnoculturelle et particulariste de la nation (par la valorisation de la langue et de la culture) et ce, en dépit de l’époque « d’égoïsme individualiste »       « La question nationale s’impose [à Fichte] de manière circonstancielle » (Marc Maesschalk), car les Discours interviennent un an après la bataille d’Iéna et la disparition du Saint-Empire romain germanique. La nation allemande est alors morcelée et asservie à l’Empire français et dépourvue de toute unité politique réelle. Fichte tient à Berlin en 1807 et 1808 des conférences, dans lesquelles il défend avec le développement d’une conscience nationale allemande, ces 14 sermons visent à réveiller la conscience nationale du peuple allemand, et de permettre la création d’un Etat allemand. La conquête française conduit Fichte à s’opposer à la conception française de la nation, qui justifierait l’assimilation de peuples germains à la France. Fichte tente de trouver un fondement commun qui justifie cette résistance : la conception allemande est donc inscrite dans le particularisme. Ainsi le premier discours est marqué par cette permanente volonté de révéler aux allemands leur « droit à l’existence en tant que nation » (Picq), pour lui l’époque présente est celle de l’autodestruction par l’égoïsme ; les liens de l’individu envers le Tout sont rompus et « c’est à travers cette rupture que la république s’est trouvée dissoute ». Les citoyens ne pensent qu’à eux-mêmes, les couches dirigeantes pactisent avec le vainqueur pour sauver leurs places et leurs privilèges, « les gouvernements sont contraints d’acheter leur maintien au pouvoir par soumission docile à des plans étrangers ». On notera alors que l’empire français n’est désigné que par le vocable « l’Etranger ». Pourtant Fichte, clairvoyant et lucide, ne désespère pas de l'avenir : il existe encore un moyen, un seul, de préserver la nation d'une déchéance définitive. Il faut pour cela que la génération naissante soit transformée moralement.    B. Pour cela Fichte développe une conception de la nation marquée par la conscience de la préservation d’une culture propre et d’une langue à travers l’histoire.       La langue est en effet un moyen de s’exprimer duquel on ne peut s’extraire et qui conditionne la pensée : « les hommes sont bien plutôt formés par la langue que la langue ne les forme». Abandonner la langue allemande « par laquelle parle la nature humaine » c’est donc adopter un autre moyen de penser et devenir étranger. La langue allemande est en effet supérieure aux autres langues parce qu’elle a gardé son authenticité et a résisté aux invasions ; en un mot, sa valeur tient au fait qu’elle a été parlée sans discontinuité depuis l’origine, puisque la langue a été soumise à « une loi fondamentale à laquelle les divers phénomènes linguistiques se conforment ». La nation puise donc ses racines dans la langue nationale, historique, commune à l’intégralité du peuple allemand.       La nation allemande se définit aussi par une ascendance commune caractérisée par le goût ancestral de la liberté, qui s’est transmis des Germains aux Allemands et a permis de résister à l’Empire romain et de préserver le « peuple souche », originel, l’Urvolk. Le huitième discours met alors en exergue le rôle des Germains dans l’Histoire et dans la formation des sociétés, qui s’opposèrent « à la menace d’une hégémonie mondiale de Rome », non pas par ingratitude des avantages de la culture romaine, mais aussi bien par amour de la patrie et de la communauté que par liberté, la liberté de rester allemands ; « l’esclavage, c’était pour eux tous ces bienfaits que les Romains leur proposaient, parce qu’en les acceptant il leur aurait fallu ne plus être allemands et devenir à moitié romains ». De plus, au moyen-âge, rappelle Fichte, c’est grâce au bourgeois des villes impériales que les Allemands ont une histoire « brillante et glorieuse », puisqu’ils ont offert, par un « esprit de piété, de dignité, de modestie et de solidarité » propre aux Allemands un support à la constitution républicaine, fait selon lui unique en Europe. La force de la nation allemande est cette capacité de ne pas se mélanger et de ne « souhaiter vivre que pour être et demeurer Allemand ». La culture et les origines communes allemandes sont donc l’autre fondement de la nation, et elles s’expriment à travers la langue « porteuse de la sphère d’intuition du peuple ».       L’on parle alors de conception particulariste puisqu’elle pose des critères objectifs d’appartenance à un peuple comme fondements de la nation. La conscience nationale, culturelle, est pré-étatique et va influencer les problématiques politiques de la construction et de la fonction de l’Etat.    C. « L’Etat […] ne constitue nullement quelque chose de supérieur »       La conception de Fichte consacre la préexistence de la nation par rapport à l’Etat : « Ce doit être le patriotisme qui régit l’Etat en lui assignant un but plus élevé que celui, si banale, du maintien de la paix intérieure ». L’Etat n’est qu’un moyen placé au service de la nation, de sa survie, qui doit permettre avant tout le développement de l’esprit allemand et de sa culture supérieure. « L’Etat est simplement le moyen, la condition et la charpente de ce que souhaite l’amour de la patrie », il doit créer la foi ardente en la patrie, et cette foi s’exprime plus particulièrement lorsque que la vie politique est mise en péril « Quand la question se pose d’employer la force armée, c’est alors que le vaisseau de l’Etat se trouve gouverné par une vie véritable originelle et première ». L’Etat allemand devrait de fait venir recouvrir la nation, former un Etat nation, et pour cela unifier tous les germanophones en son sein, L’on parle de conception ethno-culturelle de la nation.       De plus, l’Etat sert la nation car il a pour mission de faire vibrer la sensibilité patriotique de son peuple en l’éduquant à la grandeur de sa culture, de sa langue et de son histoire. Par conséquent « ce doit être le patriotisme qui régit l’Etat ». La dimension affective de la nation trouve là son sens plein et justifie le sacrifice d’individus membres de la nation si cela est nécessaire pour préserver cette dernière. « C’est la flamme dévorante du patriotisme supérieur pour quoi le caractère noble se sacrifie avec joie ».     II. Cependant, au-delà de cette conception, l’on trouve chez Fichte une tentative de concilier la citoyenneté universelle et le sentiment national, par l’idée de nation morale.    A. L’objectif de Fichte est en fait de combattre un nationalisme géographico-ethnique pour lui opposer un nationalisme culturel et populaire à visée universaliste. Fichte fait appel à une conception de l’être humain selon laquelle la vie humaine tend à la réalisation d’une forme d’humanité, d’une forme de morale supérieure « L’Etat est le moyen qui favorise la réalisation d’un but supérieur : le développement progressif, continu et éternel de ce qui correspond dans la nation à la dimension humaine ». La notion de progrès est au centre de la destinée humaine. De ce point de vue, le nationalisme ne renie pas le cosmopolitisme, mais il prétend jouer à son égard un rôle quasi messianique, par lui advient l’universel, en tant que négation et trans-figuration des particularités. L’on tombe alors sur une conception moraliste de la nation et de l’humanité de manière générale, qui n’est plus limitée au peuple allemand. Le huitième discours se caractérise par un élargissement de la problématique de la résistance germaine aux Romains, il a une portée universelle, on note l’usage d’expressions globalisantes comme « Ces peuples, et tous les autres », « Quiconque », « Un peuple »… L’on retrouve cette même idée au cours de l’extrait sur la formation et l’usage de langue, comme porteuse de sphères d’intuitions qui ne demandent qu’à se mélanger, échanger et être partagées. Fichte est un Allemand qui s’adresse aux Allemands dans un contexte critique. Il souhaite que “ le but du genre humain soit effectivement atteint dans le genre humain ”. La voie pour y parvenir, selon lui, est de travailler à partir de la situation de chacun en formant une culture nationale qui tend à se déployer au genre humain. Cette culture est un point de départ et non une fin en soi.    B. Le patriotisme de Fichte est en cela métaphysique et moral Le patriotisme de Fichte est en cela métaphysique et moral, il s’agit d’une invitation à la morale vivante, les critères moraux sont prééminents, dès le premier discours, on l’on remarque l’universalisme par le refus de désigner concrètement le dominant français, « L’Etranger ». « L’Etranger est en effet multiple, il est celui qui a perdu sa langue, qui ne « continue pas de parler une langue originelle », et qui a donc un système de perception différent, il est l’Auslander, celui qui vit à l’extériorité du pays. Mais sur le plan moral il est celui qui obéit à son intérêt, par égoïsme (à l’image des souverains soumis et corrompus par la domination française), et par intérêt calculateur – contrairement au Mahomet évoqué dans le 8e discours, qui agi par croyance et foi en sa vocation divine. Ainsi, ces extraits démontrent le caractère relatif de l’opposition entre particularisme ethno culturel et universalisme dans la conception de la nation chez Fichte. L’appartenance à la nation ne relève alors ni tu sentimentalisme national, ni de l’adhésion à une constitution. L’individu est donc lié à sa nation par l’action et par sa participation au progrès, ce qui élève la problématique au dessus de la simple question allemande et la généralise la conception fichtéenne, il n’y a de caractère allemand que le caractère au sens moral du terme.

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