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La République De Platon: L'éducation

Publié le 16/01/2011

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platon

Le thème de l'éducation est d'une importance majeure dans La République. En effet, celui-ci représente une condition nécessaire (mais non-suffisante) à la réalisation d'une cité juste. La nécessité d'une bonne éducation, dès l'enfance, provient du fait qu'elle est essentielle pour équilibrer l'âme de l'individu. Or, on sait que, pour Platon, la justice dans la cité est concomitante à celle au sein de l'individu. On sait aussi que l'âme est divisé en trois parties: la partie rationelle (logos), la partie dynamique et vive (thumos) et la partie désirante (epithumia). De plus, chaque classe dans la cité représente une partie de l'âme. Les dirigeants (ou rois-philosophes) personnifient la partie meilleure, c'est-à-dire la raison. Pour la deuxième partie, le thumos, elle est attribuable aux guerriers (ou auxilliaires). La dernière division de l'âme, la partie désirante, représente la partie de la cité la plus massive (en terme de nombre d'individus), c'est-à-dire la troisième classe qui comprend tout le reste (producteurs et artisans surtout). Ceci est très important pour comprendre à qui doit s'adresser l'éducation platonicienne et envers quel but elle est exercée. 

Avant d'aborder le programme d'éducation platonicien, il faut tout de suite mentionné un principe fondamental pour la philosophie de l'éducation pour Platon. Pour celui-ci, il est clair que l'éducation doit se faire dès l'enfance car c'est à ce moment-ci qu'il est le plus influençable, «...tu sais bien qu'en toute tâche, la chose la plus importante est le commencement et en particulier pour tout ce qui est jeune et tendre? C'est en effet principalement durant cette période que le jeune se façonne et que l'empreinte dont on souhaite le marquer peut être gravée.« (377b).  Il faut interpréter ceci au sens fort, la jeunesse est le moment crucial pour entamer le processus du façonnement du caractère et de l'âme. On voit bien ici l'importance extrême d'une bonne éducation. En effet, si un jeune a été éduqué par des mauvaises influences (des sophistes par exemple), il est condamné à être corrompu, « un caractère ne se modifie pas-aucun ne s'est modifié ni se modifiera jamais-s'il est éduqué selon l'éducation transmise par ces gens-là...« (492e).

À qui l'éducation platonicienne s'adresse-t-elle?

Seulement le thumos et le logos peuvent être éduqués directement pour Platon. La partie désirante de notre âme ne peut être que contenue ou contrôlée. En effet, Platon a une vision très pessimiste de cette dernière partie de l'âme. Même si quantitativement elle correspond à la classe la plus nombreuse dans la cité juste, il ne s'intéresse pas au rôle du désir ,car il ne peut être éduqué. Cette partie a néanmoins une fonction, celle d'assouvir nos désirs de survie (boire et manger), mais ceux-ci ne sont pas suffisants pour la conception d'une cité juste. Il ne faut pas oublier que Platon se méfie de tout ce qui a trait au corps, car celui-ci est destiné à se corrompre. Pour lui, les plaisirs corporelles ne sont d'aucune utilité, sauf si ceux-ci permettent à l'individu d'atteindre le bonheur de l'âme véritable (préséance de l'âme sur le corps).

Il faut donc convenir que l'éducation correspond seulement à la classe des guerriers et à la classe des dirigeants, « Il est donc impossible, dis-je, que la multitude soit philosophe.« (494a). Pour Platon, ceci est suffisant puisque si les philosophes dirigent la cité par rapport aux finalités de toutes les techniques, la cité dans sa globalité sera juste. Il en est de même pour notre âme, si la partie rationnelle a été éduquée, elle pourra contenir les excès de la partie désirante. Quant à la classe des guerriers, ceux-ci doivent être formés afin d'être des alliés des dirigeants. En effet, il faut pencher le thumos du bon bord, c'est-à-dire le conditionné à être l'allié naturel de la raison. Un des rôles de l'éducation est donc de maintenir le désir, qui correspond à la partie la plus chaotique et bestiale de l'âme, afin que la raison triomphe sur celle-ci, conformément à la nature des choses (le meilleur d'une chose doit s'imposer) (571c), « Platonic education is aimed primarily not at the transmission of information or at the inculcation of intellectual skills, but rather of the removal or moderation of as many of a person's unnecessary desires, as his nature permits.« (Reeve 1988; 50). Le discours de Platon sur l'éducation devient donc, à ce stade-ci, de nature normative puisque Platon explique comment les guerriers et les dirigeants doivent être éduqués.

Il faut également mentionner que les femmes aussi peuvent être des membres des deux  classes supérieures et sont donc incluses, de ce fait, dans le programme d'éducation de Platon (456b-c). En effet, pour celui, il n'y a pas de distinction entre les dispositions naturelles entre les femmes autre le fait que celles-ci exercent ces tâches moins bien (455e). Elles peuvent donc être guerrières ou dirigeantes si tel est leur talent naturel. À la fin de son discours sur la formation des dirigeants, Platon remarque que Glaucon a omis les femmes et celui-ci se reprendra aussitôt (540c).

 

La formation des guerriers

Lorsque Platon achève la genèse de la première cité, Glaucon intervient et stipule que cette cité doit être accompagnée de plus de luxe. Or, une cité gonflée de moeurs (désirs) apporte des répercussions considérables. En outre, il faut des guerriers pour assurer la sécurité de la cité et afin d'agrandir la cité pour satisfaire une population toujours grandissante. Il sera donc convenu qu'il faudra une deuxième catégorie, autres que les producteurs et artisans, ce sont les guerriers. Or, la guerre est un art, il faut donc que ces guerriers, selon le principe de la division et de la spécialisation du travail, se donnent à cette occupation seule, selon ses dispositions naturelles, telles des capacités physiques manifestes (375b).

Ceci n'est cependant pas assez pour accomplir la fonction de guerrier de manière efficace. Platon compare les guerriers à des ''chiens'', c'est-à-dire qu'ils doivent être bienveillants avec ses amis et agressifs avec ses ennemis, « il faut pourtant qu'ils soient doux à l'égard des leurs, tout en étant hostiles à leurs ennemis « (375c). Sinon, « ils n'attendront pas que d'autres les anéantissent, mais ils prendront les devants pour le faire eux-mêmes « (375c). Il faut donc une certaine ardeur, ou fermeté d'âme, proche de la colère (ce qui correspond manifestement à la partie dynamique du thumos). Pour ce faire, les guerriers doivent avoir un naturel philosophe semblable à celui d'un chien. En effet, celui-ci distingue un étranger d'un ami par le fait de connaître et par le fait d'ignorer (376b). Pour Platon, cela représente un désir de connaître, c'est-à-dire un appétit du savoir, ce qui est attribuable à un naturel philosophe. Ceci est tout à fait compréhensible puisque les dirigeants de la cité proviennent de la deuxième classe (ils ne sont pas tous dignes de l'être cependant) et ceux-ci doivent aussi être, il ne faut l'oublier, les alliés des dirigeants. Les auxiliaires doivent donc seulement approuver ce qui leur est familier et se méfier de ce qui leur est nouveau, tel un chien.

Les guerriers personnifient une des quatres vertus que Platon expose, celle du courage. En effet, le courage est le propre de la deuxième classe de sorte qu'il est suffisant qu'un groupe détienne cette vertu pour qu'elle soit courageuse dans sa totalité (429b). Le courage est  la capacité à garder intact les opinions soumises par l'éducation peu importe les circonstances (une ardeur morale) (429c-430b). Le thumos est très proche de la partie désirante (désir de la gloire et l'honneur) d'une certaine façon mais, contrairement à cette dernière, le thumos peut être éduqué. Or, il semble donc que la raison n'est pas suffisante, il faut l'aide du thumos, sans quoi le désir l'emporte sur le savoir. Voilà une raison de plus pour affirmer l'importance d'une deuxième classe auxiliaire, « ce principe prend les armes, beaucoup plus pour soutenir le principe de la raison.« (440e). Cependant, une bonne éducation est nécessaire (441a). La modération et la justice sont également des vertus importantes pour les guerriers (l'autre vertu, la sagesse, est le propre des dirigeants). La justice implique la spécialisation du travail, c'est-à-dire qu'un guerrier doit se concentrer sur sa tâche propre sinon «la destruction de la cité« est inévitable (434b). Pour ce qui est de la modération, elle implique une harmonie de l'âme qui se reflètera dans la cité. Afin de conditionner le caractère vertueux des guerriers, Platon aborde l'importance de trois disciplines différentes: la poésie, la musique et la gymnastique.

 

La poésie et le mythe

La poésie, pour qu'elle soit favorable à une bonne éducation, doit être censurée et modifiée considérablement comparé à son état actuel. En effet, la haine de Platon par rapport à la poésie actuelle n'est pas nouvelle, mais l'action de censure l'est. Cela peut se comprendre par le fait qu'elle peut être également d'une influence néfaste pour les jeunes, car les mythes sont des modèles pour les enfants. Les mythes doivent être favorables à un caractère vertueux. Platon croit en effet que les mythes présents sont inacceptables, car ils attribuent aux dieux des vices humains. (378b-e). Une façon de régler ce problème serait de ne pas les prendre au pied de la lettre, c'est-à-dire que le philosophe doit en découvrir leur signification cachée. Platon rejette cependant cette lecture allégorique des mythes puisque ceux-ci restent désormais dangereux pour les moins savants. Or, pourquoi est-ce que Platon s'attaque à la poésie aussi farouchement? Il faut convenir que les poètes actuels ont le monopole de l'éducation, ce que Platon refuse, ils doivent être exclu de la formation des guerriers.

Il faut donc représenter les dieux d'une autre façon. D'abord, il faut accepter que les dieux ne sont pas la cause de toute chose et surtout pas celle du mal, ce qui semble compréhensible par le fait que le mal ne se trouve pas dans l'intelligible, « le dieu est réellement bon« (379a). Pour Platon, il est clair que les poètes qui ne respectent pas ceci doivent être éliminés de la cité (383c), les dieux sont hors de cause du mal. Les dieux ne sont donc pas cause de tout (379c), mais seulement du bon. De plus, il faut aussi refuser que les dieux peuvent se métamorphoser, ils sont plutôt de nature simple. En effet, le contraire sous-entend que les dieux sont en mouvement et donc qu'ils vont se corrompre éventuellement (c'est pourquoi, entres autres, que le monde intelligible est fixe). De plus, ils ne peuvent s'altérer puisqu'ils sont parfaits, « Si vraiment il s'altère, c'est nécessairement dans le sens du pire.« (381c). Les dieux restent donc dans leur forme simple parfaite éternellement et absolument. Ils ne peuvent mentir non plus (382e).

Ces censures sont donc conçues afin d'éviter de corrompre la jeunesse, car ceux-ci sont à leur plus vulnérable dès l'enfance, « ce qu'il ressent à son âge, en formant ses opinions, a tendance à devenir ineffaçable et immuable. « (378d). Le contraire est cependant clairement vrai aussi pour Platon, comme mentionné plus haut, c'est entre autre pourquoi l'éducation doit être bien contrôlé afin de conduire le jeune à un caractère vertueux. 

Ayant achevé ce qui doit être censuré par rapport au contenu des mythes, il se concentre ensuite sur sa forme, c'est-à-dire la manière de le réciter. Platon divise cela en trois classes: le récit issu d'une imitation, le récit simple et le récit mixte. Le premier implique que le poète fait parler directement les personnages (comme au théâtre), le deuxième, au contraire, est que le poète qui raconte lui-même, le dernier comporte un mélange des deux. Platon va s'attarder principalement sur le premier et restreindra considérablement son usage.

Le récit par imitation peut être dangereux puisque, en vertu du principe de spécialisation du travail, le fait d'imiter d'autres fonctions risque de fragmenter le caractère des guerriers (394e). Cela nuit au caractère de celui qui imite ou qui observe l'imitation et il risque d'avoir une incidence morale négative. Ce qui garde cependant l'utilité de l'imitation est qu'elle peut être favorable si elle imite des choses vertueuses (le contraire serait étrange puisque Platon fait toujours parler le personnage de Socrate), «N'as-tu pas remarqué que les imitations, si dès la jeunesse on ne cesse de les développer, se transforment en habitudes et deviennent une autre nature, tant pour le corps et la voix que pour l'esprit?« (395d). Les poètes imitatifs qui ne respectent pas les modèles établis plus haut commettent donc une mauvaise influence double. D'abord, ils stipulent des mythes inacceptables et, de plus, ils fragmentent le caractère des jeunes. Les récits non-imitatifs sont donc meilleures, mais les autres sont acceptables s'ils imitent de bonnes vertus.

Les éléments qu'une bonne formation poétique doit préconiser sont multiples. D'abord, Platon critique le rire puisqu'il peut nous faire agir mal de manière involontaire (388e). Or, ceci rejoint un autre passage où Platon affirme que le gardien ne doit pas succomber à l'ivresse «de crainte de ne plus savoir où il se trouve.« (403e). Ensuite, les guerriers ne doivent pas avoir peur de la mort, de sorte qu'ils préfèrent mourir plutôt qu'être un prisonnier (386c). Il faut aussi qu'Achille ne soit pas présent dans les poèmes parce qu'il implique des scénarios immoraux (388a). Tel que mentionné plus haut, les récits doivent favoriser le courage (390d). Ils doivent également être modéré envers les désirs tel l'argent et le sexe (389e-390e). Plus loin, Platon affirme qu'une bonne éducation permettre également de mettre de côté des choses comme « la possession des épouses, les mariages et la procréation« (423e).

 

La musique

Pour Platon, la musique a une portée morale, elle contribue de façon majeure (positivement ou négativement) à la formation du caractère vertueux, « le rythme et l'harmonie, plus que tout, pénètrent au fond de l'âme, la touchent avec une force d'une très grande puissance en lui apportant la grâce, et l'imprègnent dès lors de cette grâce, si on a été correctement élevé? Et parce que, en l'absence de cela, c'est le contraire qui se produit?« (401d). L'éducation musicale est donc manifestement essentielle à une bonne éducation.

Si la musique a du contenu (de la poésie et du mythe), elle doit respecter les règles de censure décrits plus haut. Platon ajoute également qu'il y a des instruments qu'il faut utiliser plutôt que d'autres. En outre, il faut préconiser les mélodies simples et modérés, accompagnées d'instruments également simples tels la cyre, la cithare et la syrinx pour les bergers (399d). Il faut mettre de côté les instruments aux accords complexes et qui recourent à plusieurs modes. Platon aborde également les rythmes qui sont supérieures, c'est-à-dire les rythmes simples et surtout ceux «propres à l'existence d'un homme ordonné et courageux.« (399e). Encore une fois, les rythmes complexes, multiples et qui prennent des formes variées (on voit bien le dégoût de ce qui se meut) doivent être rejetés. 

Platon précise tout au long l'importance de l'éducation musicale pour le caractère vertueux, « l'excellence du discours et de l'harmonie, la grâce du geste et du rythme découlent de l'excellence du caractère« (400e). Il est clair que cette censure au sein de la mesure rejoint les mêmes raisons que la poésie et le mythe. Il faut que, dès l'enfance, le caractère des gardiens soit influencé de manière favorable sans quoi les dégâts seront irréversibles. Par la musique et la poésie, il pourront assimiler « l'idéal du respect et de la loi« (425a).

 

La gymnastique

Tout comme la musique, la gymnastique contribue à la formation vertueuse de l'âme. Pour Platon, l'éducation en musique et l'éducation en gymnastique se complètent (412a). En effet, si le gardien profite d'une éducation en musique, mais non en gymnastique, il sera pourvu d'une mollesse et d'une délicatesse extrême. À l'inverse, si c'est la gymnastique qui est isolée par rapport à la musique, l'individu aura un caractère brutale. Il faut trouver un juste milieu, c'est-à-dire il faut du courage et de la douceur au sein du guerrier, « Il semble bien donc que ce soit pour ces deux éléments, à savoir le naturel ardent et le naturel philosophe, qu'un dieu a donné aux hommes ces deux arts de la musique et de la gymnastique.«  (411e) Ceci est indispensable si on veut qu'ils soient comme des chiens: veillant avec ses amis et malveillant avec ses ennemis.

Pour ce qui est de la gymnastique plus précisément, Platon considère des éléments semblables à la musique. Il ne faut pas que le programme soit trop compliqué ou varié, «une sorte de gymnastique simple et modeste, et qui convienne à la guerre.« (404b). Il ne faut pas oublier non plus que l'âme a préséance sur le corps, une âme vertueuse apporte nécessairement un corps en santé, « ce n'est pas le corps qui rend par sa vertu propre l'âme bonne, mais c'est au contraire l'âme bonne qui, par sa vertu, procure au corps ce qui le rendra le meilleur possible.« (403d). Cependant, comme Annas le relève bien, « le fait que Platon dise, en 410c, que même l'entraînement physique a pour objet le bien de l'âme, et non celui du corps, ne signifie pas pour autant que l'âme puisse être détaché du corps: celui doit être pris en compte dans l'éducation du caractère dans son ensemble.« (Annas 1994; 110).

Platon expose également plus loin l'importance de l'éducation des guerriers à pouvoir distinguer le bon (le juste) du mal (l'injustice) sans avoir été exposé à ce mal à un jeune âge, puisque cela pourrait avoir des conséquences néfastes. Au lieu de cela, il doit pouvoir « saisir comment elle est en elle-même un mal, en ayant recours pour cela à son savoir et non à son expérience personnelle.« ( 409b).

 

La formation des rois-philosophes

L'éducation présentée ci-haut touche la deuxième classe, mais la première classe également. En effet, les dirigeants viennent de la deuxième classe, puisqu'ils ont le naturel philosophe. Platon dira lui-même cependant que cette éducation est incomplète pour une classe de rois-philosophes (504b). L'éducation des rois-philosophes diverge puisque c'est la sagesse, et non le courage, qui leur est propre, « il faut qu'ils s'exercent dans plusieurs connaissances, de manière à observer si leur naturel est à même de supporter les connaissances les plus élevées ou s'il se découragera«. Ils doivent être éduqués à aimer la connaissance, c'est-à-dire devenir des vrais philosophes. Pour Platon, c'est clairement un processus de sélection sans pitié, si l'individu n'est pas digne, il doit rester dans sa classe même si celui-ci est le fils d'un dirigeant (415c, 423c-d). Il est évident, pour Platon, que la cité périmera si la cité est protégée par les mauvaises personnes. (460c).

La sagesse est une des quatre vertus fondamentales exposées dans La République et n'est donc pas une compétence technique. Elle implique plutôt une bonne délibération sur la cité et sur ses finalités. De plus, comme pour le courage, la sagesse n'est pas nécessaire à tous. Il suffit que les dirigeants la détiennent pour que la cité soit sage dans sa totalité. La sagesse implique un accord de l'âme avec l'intelligible. En d'autres mots, le dirigeant doit être éduqué afin de pouvoir contempler le Bien, c'est-à-dire la plus fondamentale des aspirations de l'âme (505e). Sans la connaissance du Bien, les vertus perdent leur caractère bénéfique et utile (505a). Il va sans dire que la ''science'' du Bien est la seule qui peut déterminer les finalités de toutes choses afin de pouvoir le suivre, ce Bien que nous recherchons tous. C'est donc avant tout une connaissance architectonique, propre aux dirigeants seules, qui permet de diriger les autres en conformité avec les formes intelligibles. Pour ce faire, le Bien doit être appréhendé par l'intellect, ce qu'une bonne éducation permettra de faire, «elle est la cause de la connaissance et de la vérité, tu peux la concevoir comme objet de connaissance« (508e). La meilleure façon de comprendre ceci est le mythe de la caverne qui expose bien la philosophie de l'éducation de Platon.

 

L'allégorie de la caverne

Le mythe de la caverne est très révélateur pour ce qui est de l'importance de l'éducation, « compare notre nature, sous l'angle de l'éducation et de l'absence de l'éducation, à la situation suivante« (514b). Les prisonniers voient des images, qu'ils croient être réelles (parce qu'ils ne savent pas mieux), alors que dans les faits elles sont très loin du vrai. Les prisonniers représente sans doute des individus qui n'ont pas reçu une éducation. Or, ils sont dans l'ignorance de leurs opinions sur ce qui est vraiment. Platon expose ensuite la situation qui pourrait suivre la libération d'un de ces prisonniers. Lorsqu'il verra le réel pour la première fois, il sera ébloui et ne pourra accepter que ce qu'il voit est véritable par rapport aux images qu'il observait avant dans la caverne, de sorte qu'il aimerait mieux y retourner, « n'aurait-il pas mal aux yeux et ne la fuirait-il pas en se retournant vers ces choses qu'il est en mesure de distinguer?« (515e). Cependant, si le prisonnier est entraîné de force, il finira par s'y habituer et pourra distinguer enfin le soleil, c'est-à-dire le Bien, de sorte, qu'au contraire, il ne cherchera pas à retourner dans son ignorance précédente (516c). Malheureusement, si celui-ci revenait dans la caverne pour délivrer ses camarades, en affirmant la beauté de ce qui se trouve à l'extérieur, on se moquera de lui, puisqu'ils sont toujours limités aux images de la caverne, et s'ils le pouvaient, ils le tueraient (517a). Il faut donc convenir qu'il est inutile de libérer ceux qui risquent de mettre à mort leurs sauveurs, il est préférable de les laisser à leurs chaînes. Il faut seulement délivrer les naturels philosophes, même si cette capacité « réside dans l'âme de chacun« (518c). Il est clair cependant que ceux qui ne seront pas délivrés, c'est-à-dire la troisième classe, profiteront néanmoins indirectement, car la première classe assurera le bonheur de la cité toute entière. En effet, après que les rois-philosophes ont reçu une bonne éducation philosophique, ils ont pour devoir de retourner dans la caverne pour les éclairer en les dirigeant par l'usage de lois entre autres (519d-e).

On voit donc bien quel est le but de l'éducation des rois-philosophes. C'est la contemplation du Bien, c'est-à-dire «la cause de tout ce qui est droit et beau« (517c). Comme si l'âme contenait un oeil, celui-ci doit être conditionné, par l'éducation, à contempler le Bien. En d'autres mots, l'âme doit se détourner du sensible pour contempler le vrai, c'est-à-dire l'intelligible et ce qui est au terme de celui-ci, le Bien. L'éducation, pour Platon, ne devrait donc pas consister à remplir le cerveau de connaissances, mais elle a plutôt pour but de détourner l'oeil de l'âme vers les bons objets qui permettront d'accéder au bonheur véritable.  (518b-e). Des dirigeants qui n'ont pas fait expérience de cette vérité par le biais de l'éducation ne doivent pas gouverner, « ils ne gèrent jamais une cité de manière satisfaisante« (519b). Julia Annas explique bien cette omniprésence de l'éducation chez le jeune, «Il est loin d'assimiler l'éducation avec ce qui se passe à l'école; pour lui, elle couvre la totalité du développement de l'enfant.« (Annas 1994; 106). De plus, Julia Annas relève aussi « l'absence totale de toute allusion à la réussite scolaire« dans La République. L'attention est portée sur la formation du caractère et non la progression scolaire, ce que Annas qualifie comme étant une éducation «morale« (p.107). Platon mentionne cependant que les gardiens doivent être surveillés à tous les étapes de leur vie (412e).

Platon rejette que l'éducation supérieure, pour les dirigeants, doit être relié à la musique et à la gymnastique, elle doit être plutôt du domaine de l'intellection. La gymnastique est problématique puisqu'elle se concentre avant tout sur la préservation du corps (521e). Pour ce qui est de la musique, elle ne fait que donner de bonnes habitudes mais n'aide en rien pour l'accès au Bien (522a). Platon expose donc des nouvelles disciplines adressées aux dirigeants. Elles sont au nombre de cinq: le calcul mathématique, la géométrie, la stéréométrie (volumes fixes), l'astronomie (volumes en mouvements) et la musique (harmonique).

 

Disciplines intellectuelles

Platon accorde une grande importance aux mathématiques et le calcul arithmétique parce que celui-ci ne porte pas sur le sensible. On sait bien que Platon rejette l'idée qu'il puisse exister une science du sensible, c'est pourquoi il ne considère pas que la physique est pertinente. Influence souvent accordé à Héraclite, Platon croit que tout ce qui est en mouvement et dans le monde sensible est destiné à se corrompre. L'arithmétique porte en effet sur les formes intelligibles, celles-ci sont fixes et donc peuvent être source de connaissances fixes. Or, c'est le but premier de cette éducation adressée aux dirigeants. Ceci étant dit, il ne faut pas apprendre le calcul simplement en vue de faciliter la vie de tous jours. Non, il faut plutôt les utiliser pour se détourner du sensible pour pouvoir accéder aux formes, « non pas comme un exercice utile aux affaires privées, mais dans le but d'atteindre la contemplation de la nature des nombres par l'intellection même.« (525c). Le calcul est également nécessaire à l'art de la guerre (525b) et il en sera également de même pour la géométrie (527c) et l'astronomie (527d).

La géométrie, quant à elle, favorise la distinction entre les formes, et plus précisément celle du Bien (526e). Ses bienfaits sont clairement explicités, « tirer l'âme vers la vérité, et de modeler la pensée philosophique en orientant vers ce qui est plus haut ce qu'à présent nous orientons à tort vers le bas.« (527b). Encore une fois, Platon est très vite à écarter le mauvais usage qu'on peut en faire, la géométrie doit être utilisée en vue « de ce qui est toujours« et non de ce qui se corrompt (527b). L'étude de la stéréométrie, qui traite des solides au lieu des surfaces, a les mêmes conséquences positives que la géométrie puisqu'elle s'attarde également sur des objets fixes, même si Platon admet qu'elle est une discipline encore jeune (528b).

Pourquoi étudier l'astronomie cependant? Les astres sont nécessairement sensibles. Platon admet en effet le danger de cette discipline, « si quelqu'un entrepend...de faire l'étude d'un objet parmi les objets sensibles, j'affirme qu'il n'en comprendra jamais rien – car il n'existe pas de connaissance de ces objets-là « (529b). En d'autres mots, l'astronomie ne consiste pas à étudier les propriétés sensibles des astres, mais il faut plutôt observer les régularités fixes de ces astres, « ces phénomènes se produisent toujours de manière identique, et on y trouve aucune déviation « (530b). Pour ce qui est du dernier sujet, c'est-à-dire la musique, Platon est encore très précis de ce qui faut être étudié, « ils recherchent les nombres qui sont dans ces accords qui sont entendus« (531c). L'attention est donc portée sur ce qui est fixe dans cette discipline (les nombres), ce qui est normal si on se fie à ce que Platon a proposé antérieurement pour les autres sujets.

 

Dialectique

À ces cinq disciplines, Platon ajoute un autre élément pour les futurs dirigeants; la dialectique. Pour Platon, la dialectique est la science suprême parce que celle-ci a l'être pour objet. Il est donc évident que la dialectique, puisqu'elle porte sur l'être, est essentielle aux futurs dirigeants pour assurer toutes les finalités de la cité, « Elle possède le pouvoir d'effectuer cette remontée de ce qu'il y a de meilleur de l'âme vers la contemplation de l'excellence dans les êtres qui sont réellement « (532b). Cependant, cette dialectique n'est pas la même que celle utilisée par Socrate dans ces dialogues de jeunesse. Ceci ne peut être le cas puisque la dialectique est une capacité (532d), elle a donc son objet propre. Or, cette dialectique ne peut donc pas être la même parce qu'elle porte sur les opinions et non l'être. En effet, dans ces dialogues, Socrate déstabilise son interlocuteur en détruisant son opinion initiale, mais en ne lui donnant aucune autre pour la remplacer. Platon semble en effet rejeté ce type de dialectique (538d-e). Un individu désemparé d'opinions, et ce sans aucune substitution, est susceptible de mépriser les lois (537e).

Pour éviter une telle chose, Platon propose de former les étudiants à la dialectique seulement à partir de trente ans et avec plusieurs précautions (539a). Les jeunes font, en effet, souvent un «mauvais usage« irréfléchi de la dialectique et argumentent que pour le plaisir « en imitant ceux qui les réfutent« (539b-c). Les hommes plus âgés préféreront plutôt dialoguer afin de connaître le vrai, ce qui représente la vrai utilité de la dialectique. De plus, cette dialectique sera le privilège propre de ce petit groupe restreint, « les naturels auxquels on donnerait le privilège de participer aux dialogues argumentés devraient être bien ordonnés et sereins« (539d). Ils auronts complètement soumis leur partie désirante à ce stade, ayant reçu « la meilleure éducation« (431c).

 

Méthode pédagogique

Si le contenu de l'éducation platonicienne est très explicitée, la forme de l'éducation est beaucoup plus vague. Il y a néanmoins lieu d'aborder certains éléments. Même si le curriculum éducatif est certainement obligatoire et il affirme que l'innovation doit être bien encadrée (424b), un passage très important au livre VII démontre le caractère hostile de Platon face à une éducation coercitive, « aucun enseignement imposé de force à l'âme ne pourra y demeurer«  (536e). Platon propose plutôt comme alternative des les enseigner les matières de manière à que les jeunes éprouvent du plaisir «en jouant«. De plus cela permettra de mieux distinguer ce pour quoi chacun est naturellement doué« (537a).

Il faut aussi mentionner que les jeunes ne seront pas nécessairement éduqués par leurs parents. En effet, Platon croit que ceux-ci doivent être formés par le communauté. Platon préconise effectivement la destruction de la famille (pour la première et la deuxième classe du moins). Ce qu'on doit aimer ne sont pas nos proches, mais le Bien, ce qui ne peut s'incarner dans une personne. Il est cependant acceptable d'aimer si cette personne peut nous amener à contempler ce Bien (les éducateurs).

 

Conclusion

Les dirigeants auront la possibilité de diriger à l'âge de cinquante ans, s'ils ont excellé dans leurs études. Ils pourront déronavant contrôler les finalités de la cité, avec le Bien comme modèle, pour assurer le bonheur de la cité entière. Ils pourront ainsi satisfaire l'intérêt commun de la cité, avec l'aide de la deuxième classe, non parce qu'il s'agit «d'une fonction susceptible de leur apporter des honneurs« mais plutôt parce qu'il s'agit d'une «tâche nécessaire« (540b). Même si les philosophes répugnent souvent la politique (521b), ils seront forcés de descendre dans la ''caverne'', c'est-à-dire où se situe la troisième classe, puisqu'ils seront les seuls à pouvoir le faire, ceux-ci étant des vrais philosophes formées par une bonne éducation, un « enseignement capable de tirer l'âme de ce qui devient vers ce qui est« (521d). Et que dire de Socrate, qui est descendu au Pirée, et qui sera forcé, malgré lui, à y rester et d'amener Glaucon et Adimante à saisir ce qu'est le Vrai (327)?

Bibliographie

ANNAS, Julia. Introduction à la république de Platon, Presses universitaires de la France, 1994.

LEROUX, Georges, Platon: La république, Paris, GF Flammarion, 2002.

REEVE, C.D.C., Philosopher-kings : the argument of Plato's Republic, Princeton University Press, 1988.

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