LE BEAU ET L'ART
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
1° Le goût est la faculté de juger un objet ou un mode de représentation par la satisfaction ou le déplaisir d'une façon toute désintéressée. On appelle beau l'objet de cette satisfaction.
2° Est beau ce qui plaît universellement sans concept.
3° La beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle y est perçue sans la représentation d'une fin.
4° Est beau ce qui est reconnu sans concept comme l'objet d'une satisfaction nécessaire.
I. L'art se distingue de la nature comme faire (facere) d'agir ou effectuer en général (agere) et le produit ou la conséquence du premier, l'ouvrage (opus) se distingue de même des effets (effectus) de la seconde.
A vrai dire on ne devrait nommer art que le produit de la liberté, c'est-à-dire d'un vouloir qui fonde ses actes sur la raison. On se plaît à nommer oeuvre d'art le travail des abeilles (les rayons de cire régulièrement construits), mais ce n'est que par analogie ; car dès que l'on songe qu'aucune réflexion particulière de la raison ne préside à leur travail, on dit aussitôt : c'est une production de leur nature (leur instinct) et comme oeuvre d'art, on ne l'attribue qu'à leur Créateur.
Quand en fouillant un marécage on trouve, comme il est arrivé parfois, un morceau de bois taillé, on dit que c'est un produit de l'art et non de la nature; sa cause efficiente a pensé une fin à laquelle il doit sa forme. On voit un produit de l'art dans tout ce qui est ainsi constitué que la représentation en a dû dans la cause précéder la réalisation (même chez les abeilles) sans que cependant cette cause ait pu à vrai dire concevoir cet effet. Mais quand on nomme simplement une chose oeuvre d'art pour la distinguer d'un effet de la nature, on entend toujours par là un ouvrage des hommes.
2. L'art, habileté de l'homme, se distingue aussi de la science (comme pouvoir de savoir) comme la faculté pratique de la faculté théorique, la technique de la théorie (l'arpentage par exemple de la géométrie). Ce que l'on peut, dès que l'on sait seulement ce qui doit être fait et que l'on connaît suffisamment l'effet recherché, ne s'appelle pas de l'art. Ce que l'on n'a pas l'habileté d'exécuter de suite alors même qu'on en possède complètement la science, voilà seulement ce qui dans cette mesure est de l'art.
3. L'art se distingue aussi du métier; l'un s'appelle libéral, l'autre peut s'appeler aussi art mercenaire. On considère le premier comme ne pouvant avoir de la finalité (réussir) qu'en tant que jeu, c'est-à-dire une occupation agréable en soi ; le second comme un travail, c'est-à-dire une occupation en soi désagréable (pénible), attrayante par son effet seulement (le salaire par exemple), et qui par suite peut être imposée par la force. Doit-on dans la hiérarchie des corps de métiers, considérer les horlogers comme des artistes et les forgerons comme des artisans ? Pour répondre il faut se placer à un autre point de vue que nous ne faisons ici, à savoir au point de vue du degré de talent nécessaire à l'une ou l'autre de ces occupations. Je ne veux pas non plus rechercher si des sept arts libéraux quelques-uns ne devraient pas être rangés parmi les sciences, et d'autres comparés à des métiers. Il est bon cependant de rappeler que dans tous les arts libéraux, il faut qu'il y ait une certaine contrainte ou, comme on l'appelle, un mécanisme sans lequel l'esprit qui dans l'art doit être libre et anime seul l'ouvrage, n'aurait point de corps et s'évaporerait complètement (par exemple la poésie exige la précision des termes et leur abondance, de même la connaissance de la prosodie et de la métrique); en effet, maint pédagogue s'imagine aujourd'hui contribuer pour le mieux au progrès d'un art libéral en lui ôtant toute contrainte et en transformant le travail en un jeu pur.
(Critique du Jugement).
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