Devoir de Philosophie

le blé

Publié le 24/10/2012

Extrait du document

VENERABLE MAITRE, ET VOUS TOUS MES FRERES EN VOS GRADES ET QUALITES... Avec le développement de la mode des fleurs séchées, on trouve de plus en plus parmi les compositions florales, des bouquets charmants et évocateurs constitués avec des épis de blé. Ce fruit de la nature, essentiel à notre alimentation, entre donc dans nos salons, comme bien d'autres objets, jadis utiles, à titre d'ornement. En contemplant un bouquet d'épis, nous entrons de nouveau en communication avec notre Mère Nature ainsi qu'avec la plante qui a contribué à l'une des évolutions les plus importantes de l'être humain. Avec la domestication du feu, l'homme a pu se protéger des bêtes sauvages; avec la maîtrise de la culture de l'amidonnier, ancêtre de notre blé actuel, il a pu passer de l'état nomade à l'état de citadin. Libéré des servitudes de la survie quotidienne, il a pu s'exercer à réfléchir et comprendre que l'homme " ne vit pas seulement de pain". Pouvant stocker sa nourriture, prévoir les disettes, organiser la logistique de populations nombreuses, il a pu se mettre à construire, non plus des édifices précaires susceptibles d'être balayés par les éléments, mais des ouvrages imposants dédiés au Créateur ou à ses représentants. Tout naturellement, le grain, l'épi, et le pain, qui sont les trois états de la Céréale, ont été magnifiés, symbolisés, divinisés, en ce qu'ils représentent les trois étapes de la vie elle-même. Aujourd'hui, peu ou prou, le blé sert à nourrir la moitié de l'humanité. Nous le connaissons sous diverses variantes de la même espèce, s'adaptant aux terrains les plus pauvres, au climats les plus rudes, pourvu que l'Eau du Ciel fertilise la terre. Nos livres de géographie quantifient les économies agricoles des différents pays en quintaux de blé. Le pain est devenu un symbole divin; pour les Catholiques, il est le Christ lui-même, après la consécration. On a voulu trouver au blé une origine mythique, divine, le confondant parfois avec la manne dont les Juifs se nourrissaient chaque jour pendant leur traversée du désert. Une fausse légende, même, contredite par des études microbiologi- ques récentes, mais entretenue par certains égyptologues du 19'me siècle, accrédite une potentialité de germination quasi éternelle du blé. Des grains retrouvés dans des monuments funéraires égyptiens auraient en effet germé après plusieurs millénaires de stockage. A la vérité, tous ces éléments montrent que jusqu'au début du vingtième siècle, et dans un degré moindre, encore maintenant, l'homme a vécu dans une symbiose totale avec le blé, comme il a vécu en amitié avec le cheval, et utilisé le b?uf et le mouton. Dans les pages qui suivent, je vais essayer de montrer quelle est l'histoire du Blé, comment est née et s'est développée sa symbolique, et quelle est sa place dans les deux premiers grades du REAA. L'être humain moyen, dans les certitudes innées de son orgueil incommensurable imagine que ses acquits sont de tous les temps, passés et futurs, intangibles et permanents. Et pourtant ... Plongeons nous brièvement dans les vertiges insondables du passé: Le cosmos serait né il y a quatre milliards et demi d'années, les primates seraient apparus il y a quelques quatre vingt millions d'années. L'homme s'est mis debout il y a un peu plus d'un million d'années pour conquérir le feu deux cent mille ans plus tard, La science présume que l'homme pense comme nous depuis seulement cent mille ans environ. Quant à sa socialisation, celle ci n'a véritablement commencé qu'avec la maîtrise de l'agriculture, au début du néolithique, c'est à dire un peu moins de dix mille ans. Le néolithiques, mes frères, en regard du cosmos, c'était hier matin, nos constructions mentales, notre métaphysique est d'aujourd'hui, encore vagissante, malgré son apparente sophistication. Oh combien devons nous espérer de l'évolution future quand nous nous penchons ainsi sur les rives du passé. Nous nous apercevons que l'apparente stagnation morale de l'homme n'est due qu'au caractère étriqué de notre système de mesure. L'agriculture est, en effet, une acquisition toute récente de l'humanité. L'hypothèse archéologique la plus plausible, concernant le développement de la culture du blé, repose actuellement sur les travaux de Robert Braidwood, de l'université de Chicago, en 1960. Celui ci découvrit à JARMO, petite ville des confins nord de l'Irak des grains d'amidonnier calcinés, que la datation au carbone 14 faisait remonter à neuf mille ans. JARMO se trouve dans la partie septentrionale d'une région vallonnée, regroupant Israël, le Liban, le sud de la Turquie, et la frontière commune de l'Iran et de l'Irak. Dans ce pays, la nature clémente lui justifie pleinement l'appellation de " Croissant Fertile ". Sa partie Sud Ouest constitue " la Terre Promise " , "Le pays où coule le lait et le miel", but de l'exode des juifs sous la direction de Moïse. Par ailleurs, le croissant fertile encercle ce qui serait le paradis terrestre, le jardin que le livre de la genèse appelle l'EDEN, et qu'il situe à l'est de l'Euphrate. Le blé de Jarmo fut-il la nourriture d'ADAM dont l'étymologie du nom vient de ADAMAH qui signifie terre labourée en Hébreu ? L'extrême fertilité de ce pays, et la richesse de sa flore, font que se sont conservées juxtaposées jusqu'à nos jours la végétation de l'Amidonnier sauvage et de nos blés modernes. L'amidonnier sauvage, aux grains fins et allongés, se constituait en 'pis h'riss's de barbes longues. Il avait une particularité, fort utile pour sa reproduction naturelle, mais désastreuse pour les glaneurs. A la pleine maturation de l'épi, ses grains éclataient et se détachaient spontanément de leur tige. Les épillets, emportés par les vents se fichaient en terre, parfois fort loin de leur origine. On imagine la déception des glaneuses du Néolithique revenant ... leur village après avoir perdu en route les trois quarts de leurs grains Fort heureusement, certains épis, objets d'une mutation naturelle, avaient des épillets solidement fixés sur leur tige, qui ne se détachaient pas sous l'effet des éléments ou du fauchage. De plus, leurs grains, replantés par les hommes, produisaient eux-mêmes des épis drus et solides. S'il est probable que c'est cette mutation particulière de la plante qui permit le développement de la culture et du stockage des grains, par contre, on ne saura jamais véritablement quelles furent les méthodes employées pour passer en mille cinq cent ans, ( environ de 9000 avant J.C. à 7500 avant J.C., c.a.d. les trois quarts de notre ère actuelle ) de la récolte précaire et aléatoire d'un amidonnier fragile et dispersable, à une culture organisée produisant des grains drus et solides, dans des champs convenable- ment délimités et ais'ment récoltables. On imagine, au cours de siècles interminables au regard de l'impatience humaine, l'homme du néolithique se tournant vers le ciel, le poing levé pour invectiver les éléments responsables de la ruine de ses récoltes. On l'imagine craignant de retourner aux sombres âges anciens. On imagine ses incantations pour que la pluie gorge les blés et pour que la récolte soit bonne - nous faisions encore récemment de même lors de la fête des Rogations. On imagine sa joie, quand les femmes, à l'automne, rapportaient des champs une pleine moisson d'épis propres à nourrir le village pour une année. Il n'aurait plus à fuir pour trouver des terrains de chasses plus propices, après avoir tué les enfants malingres ou en surnombre dont il n'avait pas la possibilité de s'embarrasser. On imagine le colon du Néolithique partant avec confiance de son village pour aller constituer une nouvelle cité, emportant avec lui famille, bétail, feu, et surtout les graines merveilleuses qu'il pourrait de nouveau planter, et qui étaient le garant de sa prospérité future. De proche en proche, le blé et sa vertu civilisatrice se répandit dans toutes les autres parties de l'Asie Mineure, puis aussi vers l'Egypte, et enfin 5000 ans avant J.C., au reste de l'Europe. Chaque étape conduisit à de nouvelles variétés de blés. Fouaillant la terre, à chaque saison, l'homme plantait, fécondant la nature, qui, en remerciement de cette union heureuse, l'autorisait lui-même à féconder sa race sans crainte du lendemain. Et j'ai révé, qu'à cette époque, a l'aube d'un matin d'été, l'homme sortit de sa maison de pisé et se planta devant son champ, tourné vers l'Est, regardant l'Astre naissant par delà les épis. Face au soleil, les bras grands ouverts dans une attitude gratifiante de respir profond, il remercia le Ciel de lui avoir donné la vie, et l'ombre de son corps avait la forme d'une croix. L'Homme avait maîtrisé la nature; déjà il pensait; il allait pouvoir méditer; Le MYTHE allait s'ensuivre ! De fait, les Mythologies ont toujours associé les bienfaits de la nature à l'action providentielle des Dieux et des déesses. Nature, dans sa fonction de génitrice, d'abord, symbolisée par la Terre Mère depuis les temps les plus reculés, ( les plus anciennes représentations connues de la Terre Mère remontent, en effet à trente mille ans avant notre ère ), puis association Nature- Travail pour donner l'agriculture. Différents en fonction des produits cultivés, les mythes naquirent dans différentes parties du monde : avec le riz en extrême orient, avec le haricot en Amérique du Sud, avec le Blé au moyen Orient, puis autour du Bassin Méditerranéen. Toutes les mythologies de ce que nous pouvons appeler "Notre Occident", ont associé le blé aux fonctions essentielles de l'être humain. En Mésopotamie, ENKI, Dieu de l'eau, s'unissait avec NINHURSAG, la Terre-Mère, pour donner aux humains l'agriculture et ses avantages. Régulièrement Ninhursag maudissait son époux qui la trompait avec ses filles. Enki descendait alors aux Enfers, laissant la terre à la sécheresse. Sous la pression du conseil céleste, Enki acceptait cependant de revenir de temps en temps, créant ainsi les cycles saisonniers. Ninhursag, la Terre-Mère, fertilisée par l'eau, était assimilée à ININI chez les Sumériens, et à ISHTAR, sa forme Sémite, mariée à TAMMUZ le dieu de la végétation printanière. Au pays de Canaan, la Terre-M're, ISHTAR ou ASHTART, Hellénisée plus tard en ASTARTE, reconnaît les mérites du dieu BAAL, fils du dieu blé DAGAM. BAAL, Dieu guerrier, mais aussi dieu de la pluie, descend aux enfers quand il perd au combat, emmenant avec lui ses nuages, sa pluie, plus trois concubines, dont Rosée et Ondée. ASHTART descend alors à sa recherche; laissant la terre à la désolation. Comme TAMMUZ, ressuscité, il remonte sur terre, apportant eau et fertilité. Tournons nous maintenant vers la Grèce éternelle, dont le rayonnement inspire encore aujourd'hui le déroulement de nos cérémonies initiatiques. Le Mythe de la Nature, fécondée par le Ciel et enfantant le Blé, contemplé comme principe vital, à la fois source de vie et nourriture, trouva pendant près de deux mille ans son expression la plus inspirée dans les mystères d'Eleusis. Cette petite bourgade, située à trente kilomètres au nord ouest d'Athènes, fut, en effet, le lieu de célébrations sacramentelles dédiées à DEMETER. Elle connut un rayonnement sans précédent dans tout le monde antique par les initiations qu'elle prodigua à tous ceux qui voulaient s'y soumettre, pourvu qu'ils n'aient pas été souillés par un meurtre. L'Initiation qui se prolongeait sur plusieurs mois, comportait tois stades accomplis dans trois sites différents, proches d'Athènes, et dont le dernier se passait au télestérion d'Eleusis, immense salle de 2500 mý comportant 6 rangées de 7 colonnes, et entourée de hauts gradins; Nous savons trop peu de choses sur le contenu des cérémonies, pour que nous puissions en faire un description précise. Nous savons cependant que les Mystes se déplaçaient en procession portant des torches et un épi de blé. Un épisode du déroulement de mystères semble aussi voir mimé, ou m^me réalisé l'union charnelle du ciel et de la terre représentés respectivement par le Hiérophante et la prêtresse. La fin de l'Epopta ou Initiation finale sous forme de contemplation pourrait avoir fait l'objet d'une ostentation silencieuse d'un épi de blé associé conjointement ou successivement ... des représentations phalliques. Le mythe de DEMETER, psychodrame central de la célébration Eleusinienne mérite d'être conté, tel qu'il nous est parvenu grâce à Homère aux environ de 600 avant J.C. DEMETER, fille de CHRONOS, ( le temps), et s?ur de ZEUS, ( le tonnerre), eut avec ce dernier une fille, PERSEPHONE. HADES, Dieu des enfers, lui aussi fils de Chronos, tombe amoureux de Persephone, l'enlève avec l'accord de Zeus, et l'emporte dans son royaume souterrain. Demeter, inconsolable de chagrin devant la disparition de sa fille, abandonne ses fonctions de dispensatrice du blé sur la terre, et laissant celle ci à la famine, se met désespérément à la recherche de Persephone. A l'aide d'HELIOS, (le vent), qui voit tout, elle retrouve la trace de sa fille et persuade Zeus de mandater Hermes pour la ramener sur terre. Entre-temps Persephone avait mangé la nourriture du séjour des morts, la grenade, ce qui lui interdisait de revenir sur terre. Un compromis fut cependant trouvé. Persephone remonterait sur terre pendant 8 mois prenant alors le nom de KORE, (la vierge).Durant les quatre mois d'hiver, elle resterait au royaume des morts prenant alors le visage d'une déesse au destin tragique et effrayant, tandis que la Terre retentirait des sanglots de DEMETER. L'Egypte nous a légué aussi, sous une forme comparable, ce même mythe de mort et de renaissance centré sur la germination du grain fleurissant en épi. NOUT, la Déesse Mère du ciel et son frère GEB, le sol, engendrèrent 4 enfants, ISIS, OSIRIS, SETH et NEPHTIS. Isis et Osiris, le Dieu blé, formérent un couple d'amants qui enseigna aux hommes la culture et la sage gestion des richesses de la nature. Cependant, Seth, leur frère jaloux, par une ruse subtile, réussit à enfermer Osiris dans un cercueil fait à sa mesure, et le jeta dans la Nil. Isis, inconsolable se mit en recherche de son amant et retrouva l'endroit ou il s'était échoué car un tamaris d'une taille rare avait poussé tout autour. Mais Seth averti, la devança et dispersa un morceau du corps d'Osiris dans chacune des provinces d'egypte. Isis, grâce à sa magie, réussit à redonner vie à Osiris, qui garda la faculté de pouvoir vivre alternativement dans les deux mondes, créant ainsi les saisons. Parallèlement, le génial petit peuple d'Israël, cultivant la merveilleuse graine du monothéisme, trouva dans le symbolisme du blé son expression la plus épurée. de ces deux courants, notre ordre conserve la vivante tradition. Si le compagnon,( cum pane en latin), tient la dénomination de son grade du fait, qu'étymologiquement, il partage le pain avec vous, lors de la très belle cérémonie du départ vous avez considéré qu'il était capable de travailler la pierre, et lui avez donc remis les outils, l'adjurant de voyager pour affermir sa technique au contact du maximum de maîtres. Le symbolisme maçonnique est, en effet, d'abord un symbolisme de l'outil. Mais vous lui avez aussi remis du pain, avec cette injonction : " si malgré tes mérites, tu manquais un jour de pain, souviens-toi que nous sommes frères." En effet, mes frères, peut-on "donner de la philosophie ", à un être affamé ? Instinctivement, l'homme assure d'abord sa propre survie, puis s'assure de la pérennité de sa race. Ensuite seulement, il réfléchit sur son devenir après avoir assouvi les fonctions innées de son être. Vie, Procréation, Evolution spirituelle, c'est le triangle humain au centre duquel se trouve l'?il de DIEU. De ces trois composantes, chacune est indissociable des deux autres, la base en est vie et procréation définition de la Nature. Ainsi, c'est baignés dans notre environnement naturel, notre Terre mère, dont nous humains, sommes la manifestation des potentialités spirituelles, que nous puisons nos inspirations les plus 'lev'es. Le pain, placé dans le bissac du compagnon, nous le retrouvons sur la table des agapes. Le Vénérable Maître le rompt en disant : " Que ce pain que nous rompons réconforte notre corps, et éveille notre intelligence ! " Nous prenons conscience, ainsi, de n'être que le chaînon intelligent de l' immense succession d'êtres humains délivrés par la maîtrise progressive de l'amidonnier sauvage. Nous nous relions aussi à la longue chaîne future des créateurs de mythes qui régénèreront la pensée humaine à chaque 'ère messianique. En vérité, le pain soutient l'action du maçon depuis son initiation. Ce jour là, comme Demeter, à la recherche de Persephone il est descendu en terre à la recherche des enfants spirituels que sont ses pensées. Là sur la table, se trouve le pain, à coté du crane et du feu de la bougie. Vie, mort, transformation purificatrice, tels sont les évocations de ces objets. Au cours de sa vie maçonnique, chaque frère façonne sa pierre en se soumettant au cycle naturel ponctué par les saisons. A la Saint Jean d'Hiver, la nature endormie recèle déjà en son sein les graines mortes, et pourtant prêtes à accomplir leur germination. Pour rappeler ce fait, on offre aux apprentis plusieurs présents, dont le blé en grain, symbole d'abondance et de prospérité. L'apprenti qui reçoit les grains de blé prend conscience d'être comme la graine, accomplissant en lui le m^me travail invisible et souterrain, nécessaire à la floraison de ses pensées. La Saint Jean d'Hiver est en cela la f^te de l'apprenti, que les maîtres ont placé, à la saison propice, dans la terre fécondante de l'atelier. De là le silence qui lui est imposé. C'est la f^te d'un cherchant solitaire et silencieux, écoutant son passé à la lumière des symboles qui sont offerts à sa sagacité. L'apprentissage est comme la germination du grain, précédemment mort en terre et qui selon la parole de l'Evangile, "donnera, trente, quarante, et m^me cent pour un." Ces nombres sont en effet, littéralement, les quantités de grains portées par un épi. La Saint Jean d'Eté s'adresse, elle, plutôt au compagnon. Lors de cette fête, l'orateur exprime ses sentiments en terminant par ces mots : " Devant la croissance du blé, nous fêtons l'épi d'or en gloire et la graine ignor'e dans le flanc noir de la terre" Nous retrouvons dans cette phrase la double nature de la fille de DEMETER, tantôt Persephone, Déesse tragique et invisible dans le territoire d'Hades, tantôt KORE, jeune vierge sensuelle dans la plénitude de ses charmes épanouis aux rayons du soleil. L'épi de blé est à la fois nourriture et semence. Sa contemplation apporte à la fois la joie d'une vie future renouvelable en m^me temps que le plaisir d'admirer la gloire de ses formes abouties. Cette joie devant l'épi de blé est la m^me que la joie des maîtres recevant un compagnon visiteur. Devant ce compagnon, le maître observera avec bienveillance son degré de maturité, en m^me temps que sa capacité à produire des travaux féconds. Avant de le recevoir en chambre de compagnon, le maître lui demande le mot de passe : " Schibboleth ", qui signifie épi de blé. Le livre des juges raconte l'histoire suivante : " Galaad s'empara des gués du Jourdain du côté d'Ephräim. Et quand les fuyards d'Ephräim disaient : laissez moi passer,les hommes de Galaad lui demandaient, es-tu Ephräinimite ? Il lui disaient : non. Ils lui demandaient alors, eh bien dis SCHIBBOLETH. et ils disaient SIBBOLETH, car ils ne pouvaient pas bien prononcer. Sur quoi les hommes de Galaad les saisissaient et les égorgeaient le long des gués du Jourdain." Cette histoire est essentielle, car elle montre dans quel état de conscience nous devons nous trouver, naturellement en tant que compagnon, mais aussi en tant qu'initié. Ce que nous concevons clairement, nous devons l'exprimer correctement. En fait notre vie m^me est l'expression de notre état de compréhension des mystères du Grand Architecte. L'épi est représenté seul sur le tableau de loge de compagnon. Cependant il ne peut se concevoir qu'en multitude. Contrairement au travail de l'apprenti, solitaire et secret, l'ouvrage du compagnon ne peut être que collectif, car si une seule graine porte en elle l'espoir d'un champ de blé, un seul épi ne pourra jamais servir ... fabriquer un pain. Si l'apprenti est le grain, que le compagnon est l'épi, ou plutôt, à la fois grain et épi, nous devons extrapoler que le Maître recèle en lui le triptyque de la céréale, à la fois grain, épi, et pain, ayant accompli grâce à sa maîtrise la transformation du fruit en nourriture propre à éveiller son intelligence dans une spirale ascensionnelle de morts et de résurrections. Depuis le début de l'agriculture, le blé fut un puissant symbole lié à la vie, la mort et la résurrection, la procréation, et le cycle éternel du renouvellement des êtres au sein de notre Mère Nature. Jusqu'au 19'me siècle, les techniques et les modes de vie ont peu changé. L'homme de cette époque avait encore en son c?ur les m^mes intuitions qu'au néolithique. Conscient de participer à un acte magique de reproduction et de transmission de la vie, son âme vibrait encore d'une émotion intense devant la sensualité des blés. Ecoutons ZOLA nous parler de la terre : "Ah cette terre, comme il avait fini par l'aimer! et d'une passion ou il n'entrait pas que l'âpre avarice du paysan, d'une passion sentimentale, intellectuelle presque, car il la sentait la mère commune, qui lui avait donné la vie, sa substance, et où il retournerait...Depuis les dernières averses de l'été, la nappe verte, toujours grandissante, avait peu à peu jauni. C''tait maintenant une mer blonde, incendiée, qui semblait refléter le flamboiement de l'air, une mer roulant sa houle de feu, au moindre souffle. Rien que du blé sans qu'on aperçut ni une maison ni un arbre, l'infini du blé! parfois dans la chaleur, un calme de plomb endormait les épis, une odeur de fécondité fumait et s'exhalait de la terre. Les couches s'achevaient, on sentait la semence gonflée jaillir de la matrice commune, en grains tièdes et lourds. Et devant cette plaine, cette moisson géante, une inquiétude venait, celle que l'homme n'en vit jamais le bout, avec son corps d'insecte, si petit dans cette immensité..." Aujourd'hui, rien n'est plus pareil,le profane a définitivement sépar' le plaisir de la fonction, et se détache de plus en plus de la terre mére, sa génitrice rééditant ce qui fut peut-^tre le péché originel. Cependant, nous maçons devons rester les garants d'une tradition vivante et éternelle, qui magnifie les réalisations de l'architecture divine, dont nous cherchons les lois tout en nous y soumettant. Le Blé fait partie de cette tradition. Son étude conduit à appréhender le mystère le plus profond de notre être qui est celui de la vie m^me. Pour terminer, je citerai cette parole de Marc : "Il en est du royaume de Dieu, comme quand un homme porte de la semence en terre. Qu'il dorme ou qu'il veille, nuit et jour, la semence germe et croit sans qu'il sache comment. La terre produit d'elle-m^me, d'abord l'herbe, puis l'épi, puis le grain tout formé dans l'épi. Dès que le fruit est mur, on y met la faucille, car la moisson est là." J'ai dit Vénérable Maître.

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