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Le Cahier d'un retour au pays natal Aimé CESAIRE - Commentaire p.41-45

Publié le 05/07/2011

Extrait du document

cesaire

Introduction
 
           Césaire écrit Le cahier d'un retour au pays natal en 1948. Il s'agit d'un long poème en vers libres relatant l'itinéraire d'un jeune Martiniquais de retour dans son île, après avoir fait ses études en métropole. Ce retour est un choc culturel autant qu'une prise de conscience sociale qui va pousser le jeune Césaire à parler au nom de son peuple afin de lui rendre sa dignité.
           L'extrait étudié se situe dans le dernier tiers du poème, où la révolte du poète explose en même temps que naît l'espoir d'un avenir meilleur. Quelle est donc la véritable position de Césaire? Comment se situe-t-il et que propose-t-il pour améliorer la situation? Nous verrons dans un premier temps que la solitude du peuple africain l'oppose au reste du monde et le particularise. Puis, nous étudierons la figure du poète, son empathie totale au peuple et son identification à la terre africaine. Enfin, nous essayerons de comprendre l'engagement de Césaire et sa vision de l'avenir.
 
 
 
 
 
I Le clivage « nègres « / occident
           A Un vrai poème « nègre «
 
           Le terme « négritude « fait son apparition pour la première fois dans la journal L'Etudiant noir, fondé par Césaire et des amis africains tels que Léopold Sedar Senghor ou Léon Gontran Damas. Ce concept vise à faire la promotion des valeurs noires en opposition aux valeurs occidentales. Cette notion est particulièrement mise en avant dans son poème Cahier d'un retour au pays natal. En effet, dès les premières lignes de l'extrait, l'opposition des Africains au reste du monde est évoquée:
                       ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole
                              ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité
                              ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel
 
           Les Africains sont ce peuple de la terre, ce peuple agriculteur. Césaire dénigre « le monde blanc «, ce monde mauvais, dont les manoeuvres n'ont été que désolation et « trébuchement[s] «. Il s'agit d'un monde vieilli, dépassé, instable. A cela, il préfère l'idéal de l'Afrique, « le parfait cercle du monde «.
           Mais les Africains sont surtout un peuple qui « s'abandonn[e] «; qui, contrairement aux occidentaux, sont « insoucieux de dompter «. Cette idée de l'auteur d'opposer l'Afrique au reste du monde finit par isoler radicalement les « nègres «, les plaçant alors en position d'opprimés, vaincus, abandonnés de tous. En effet, ils jouent « le jeu du monde «, ils se soumettent complètement, sans lutter, au jugement commun, à leur histoire, à leur passé et ce malgré leurs facultés inconnues voire insoupçonnées, leurs « vertus ancestrales «.
 
 
           B Technologie contre nature
 
           Les Chinois ont inventé la poudre et la boussole; les Français la machine à vapeur; les Européens se sont lancés à la découverte du monde, par mer ou par ciel. De fait, c'est le savoir technique qui est détenu par les occidentaux, par le reste du monde. Mais en Afrique, on sait « la féminité de la lune au corps d'huile «, on sait survivre grâce à la « germination de l'herbe «. L'homme africain, le « nègre « est en fusion totale avec la nature, en osmose avec le règne animal et végétal, il est né dans le berceau de l'humanité, il est né dans la terre et c'est grâce à elle qu'il survit. Les Occidentaux détiennent la science, alors que les Africains ont le savoir. Cette opposition est renforcée par l'opposition entre l'inné et l'acquis; l'inné étant la vie naturelle, et l'acquis les découvertes scientifiques.
           Césaire, comme nous l'avons vu, vante les mérites de l'Afrique, la source de la vie, « l'étincelle du feu sacré du monde «; l'Afrique est le coeur des hommes et ces derniers se doivent de lui être reconnaissants, ce que font précisément les Africains, ces « fils aînés du monde «. Finalement, au-delà de découvertes technologiques ou d'osmose avec la nature environnante, c'est de culture qu'il s'agit; deux cultures différentes, diamétralement opposées. L'afrique est peut-être le berceau de l'humanité, mais une humanité primitive, autre que celle développée en Occident.
 
 
           C La poétique africaine
 
           Ce choc des cultures se retrouve dans l'écriture même de Césaire. Différents procédés en témoignent tels que la juxtaposition des figures de style (anacoluthes et anaphores) et de l'absence de ponctuation; de mots rares (gibbosité) et de mots africains (« eia «, « kaïlcédrat royal «), comme des empreintes de ce déracinement incomplet. Ce ballet entre la langue et le langage, entre l'Occident et l'Afrique, entre le présent et le passé se veut poétique, entraînant, presque enivrant. A la façon des chants africains, Césaire nous invite à psalmodier, à nous laisser aller et ainsi il déverse une logorhée certainement retenue depuis trop longtemps. C'est précisément ce qu'est Le Cahier d'un retour au pays natal: un chant incantatoire, notion sur laquelle nous reviendrons.
           Mais ces procédés utilisés par l'auteur pour subvertir le français (mots rares, accumulation d'images: les arbres, les couleurs, la nature...) visent une subversion plus profonde: celle de l'ordre colonial dans l'imaginaire. Césaire se veut le porte-parole d'une patrie trop souvent méprisée.
 
 
 
II La figure du poète
           A La voix du peuple
 
           Cette prise de position du poète se veut au service du peuple. En effet, Césaire se veut le défenseur de l'Afrique et des Africains, tant de leurs valeurs que de leur histoire.
           L'énonciation à la première personne du singulier renforce cette impression. Non-seulement Césaire parle au nom des nègres, mais prend très clairement leur parti. Il revendique ainsi sa propre position et défend ses idées:
 
                              ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre
                              la clameur du jour
                              ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'oeil
                              mort de la terre
                              ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
 
           Néanmoins, c'est bien dans l'intérêt général qu'il oeuvre: « Faites de ma tête une tête de proue / et de moi-même, mon coeur, ne faites ni un père, ni un frère, / ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils «. Il se veut donc la voix du peuple, leur guide, leur mentor. En fait, Césaire ne veut pas détruire l'image occidentale, loin de là. Il cherche simplement à établir la place de chacun et à redonner de l'ordre au monde:
 
                              vous savez que ce n'est point par haine des autres races
                              que je m'exige bêcheur de cette unique race
                              que ce que je veux
                              c'est pour la faim universelle
                              pour la soif universelle
 
           Le terme « bêcheur « renvoie précisément à la nature première de l'homme qu'est Césaire: un homme noir sorti de la terre. C'est parce qu'il se veut le représentant de ces hommes, son peuple, qu'il prend alors la forme du poème, qui n'est autre qu'un chant pour la liberté.
 
 
           B Le poème incantatoire
 
           Toutes les répétitions du poème, toutes les anaphores nous rappellent que l'on est bien dans une prière, dans une supplication. Comme nous l'avons évoqué précédemment, Césaire se livre ici à une véritable logorhée, une litanie sans fin. Les sonorités glissent à l'oreille comme chuchotées pour ainsi agir comme des images subliminales. D'abord tendre et séductrice (« ô lumière amicale / ô fraîche source de la lumière «), la voix se fait autoritaire par l'emploi de l'impératif (« Ecoutez «, « donnez «, « Faites «). Le rythme et la musicalité achèvent de nous convaincre. Le poète est ici assimilé à un « sorcier «, empreint de magie noire, de magie africaine.
           Cette prière n'est d'ailleurs pas sans évoquer les messes catholiques africaines, remplies de danses et de chants. Les « eia « du poème sonnent de fait comme des « alléluia «:
 
                              Eia pour la joie
                              Eia pour l'amour
 
           L'incantation dans le poème est évidente par la répétition des mêmes mots (« monde «, « homme «, « eia « « sang «) et le rapprochement des sonorités (« terre « / « mer « / « pierre « / « chair «). Une ultime prière destinée à quelque Dieu qui pourra changer les choses. D'ailleurs, la structure du poème n'est pas sans rappeler celle du « Notre Père «:
 
Extrait du Cahier d'un retour au pays natal
 
Prière du « Notre Père «
  Donnez-moi la foi sauvage du sorcier
 
Donnez-nous aujourd'hui notre pain de ce jour
  Mais (...) préservez-moi de toute haine
 
Mais délivrez-nous du mal
   
           Tout cela donne véritablement l'effet d'un cri sortant des entrailles de la terre et dirigé vers les étoiles.
 
 
C Le poète comme figure christique?
 
           Césaire, dans ce poème, se veut « l'exécuteur de ces oeuvres hautes «; il peut de fait être assimilé à l'envoyé de Dieu sur Terre pour réparer les erreurs du passé. Le poète a ici le rôle du magicien, mais surtout de guide et de chef de file, comme nous avons pu le constater. Il prend in fine l'image de celui qui se sacrifie pour le bien de l'humanité: l'image du Christ. Il doit aller de l'avant, porter la bonne parole (« je prophétise «). Il a donc des pouvoirs surnaturels (« donnez à mes mains puissance de modeler / donnez à mon âme la trempe de l'épée «) qui lui permettent d'entretenir la relation entre le monde des hommes et le monde divin. Il représente en effet LA voix, la seule possible, envisageable, entre Dieu et les hommes. En prenant cette position à la fois de guide et de martyr, Césaire met l'accent sur sa volonté initiale d'unification des hommes. A la manière du Christ présent en chacun des chrétiens sous la forme de l'eucharistie, le poète veut être en chacun de nous: « le frère «, « le fils «, « le père «. Cette image est renforcée par la notion « d'ensemencement «, que l'on peut associer à la multiplication des pains, miracle réalisé par Jésus-Christ selon des Evangiles.
           Le poète oeuvre bien pour le bien de l'humanité toute entière:
 
                              ce que je veux
                              c'est pour la faim universelle
                              pour la soif universelle
 
                              la sommer libre enfin
                              de produire de son intimité close
                              la succulence des fruits.
 
           Il ne s'agit évidemment pas d'une faim réelle et alimentaire mais d'une faim de connaissances, une ouverture sur le monde. La principale mission que se donne le poète Césaire est de faire avancer les choses, de faire changer de pensée le peuple et la bataille a commencé: « voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme «.
           Enfin, l'expression « La succulence des fruits « n'est pas sans rappeler la notion de liberté, de délivrance, d'acceptation de l'Afrique. Par cela, Césaire désire démontrer les vertus africaines et faire ouvrir les yeux du monde sur ce continent si longtemps bafoué.
 
 
 
III La position ambivalente de Césaire
           A Césaire, « l'Africain « formé en Europe
 
           Le choc des cultures décrié tout autant que revendiqué par Césaire est le fait de son instruction. En effet, bien que « nègre «, il a pu intégrer le Lycée Louis Le Grand puis l'Ecole Normale Supérieure, bénéficiant ainsi de la meilleure formation intellectuelle française possible. De fait, il y a une véritable confusion qui se crée; une confusion de sources, de références. Césaire revendique sa couleur de peau, son appartenance au peuple africain, ses origines antillaises; mais il le fait d'une manière européenne, du moins, avec le bagage culturel et intellectuel qu'il a.
           En effet, il y a une forme de révolte au sein même du poète; une bataille entre l'inné et l'acquis; entre ses racines antillaises et son pays d'adoption occidental; entre sa maîtrise parfaite de la langue et sa revendication identitaire antillaise. Et sans obligation aucune, Césaire se refuse à un choix; c'est pourquoi le terme « négritude « prend alors toute son importance:
 
                              ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre
                              la clameur du jour
                              ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'oeil
                              mort de la terre
                              ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
 
           « Ni une tour ni une cathédrale « renvoie encore à cette ambivalence, à cette opacité au sein de l'homme Césaire. D'un côté, la « tour « africaine, peut-être même la tour coloniale; de l'autre, la « cathédrale «, vestige/pillier de cette éducation basée sur le judéo-christianisme.
           Césaire n'est finalement qu'un homme occidental dans un corps africain. Une chrysalide destinée à rester enfermée et qui se bat contre elle-même.
 
 
           B Construire l'avenir
 
           Néanmoins, le paradoxe de la situation de Césaire lui permet un recul sur son pays, son continent et son poème est le récit du retour dans son île natale. L'incompréhension est alors totale. C'est pourquoi il prend le rôle de figure de proue, de guide; Césaire se veut « homme d'ensemencement «, il se veut porteur de la bonne parole, comme nous l'avons vu précédemment: il veut tout simplement aller de l'avant et faire avancer les mentalités. Cette notion de construction de l'avenir est prédominante dans le poème, même si la position de Césaire demeure ambivalente. Sa manière de rabaisser le peuple occidental se veut radicale même dans l'avenir:
 
                              Ecoutez le monde blanc
                              horriblement las de son effort immense
                              ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
                              ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique
 
           « Les raideurs d'acier « évoquent certainement la technologie, l'urbanisme. Selon Césaire, « le monde blanc « est bafoué, il a trompé les hommes par des « alibis grandioses «. Le poète plaint alors les « blancs «, englués dans leurs travers sans s'en apercevoir:
 
                              Pitié pour nos vainqueurs omnicients et naifs
 
           Mais Césaire ne s'arrête pas là; l'opposition entre l'Afrique et l'Occident sert essentiellement à montrer une certaine domination des « nègres «. En effet, les marqueurs temporels ne trompent pas: les occidentaux « ont dompté «, « ont inventé «, « ont exploré «; les Africains « savent «, « chemine[nt] «. L'emploi du passé composé dénote un achèvement, une fin prématurée, alors que le présent de l'indicatif évoque un instant « t «, qui peut de fait se prolonger afin de former un futur. Si l'Afrique est le berceau de l'humanité, elle n'en demeure pas moins un point stratégique de l'argumentaire de Césaire: tout commence et tout s'achève en Afrique.
 
 
 
Conclusion
 
           L'extrait étudié n'a de cesse d'opposer l'Afrique au reste du monde; Césaire se veut l'instigateur d'une nouvelle forme de pensée. Sa formation intellectuelle est là pour contrebalancer certaines idées reçues sur l'Afrique, les Africains et son « pays « natal, les Antilles. Au-delà d'un choc culturel entre l'occident et l'Afrique, il s'agit d'un choc entre Césaire l'intellectuel et Césaire l'Antillais. De fait, la forme du poème nous pousse à envisager ce chaos: peu de ponctuation, mots rares, répétitions... La bataille a déjà comméncé; une bataille interne à Césaire, entre ce qu'il est profondément et ce qu'il est extérieurement. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue qu'il s'agit d'une prière; une prière pour un monde meilleur, certes, pour un meilleur avenir, mais surtout pour une meilleure cohabitation des deux entités césairiennes au sein du même homme. 

cesaire

« I Le clivage « nègres » / occident A Un vrai poème « nègre » Le terme « négritude » fait son apparition pour la première fois dans la journal L'Etudiant noir , fondé par Césaire et des amis africains tels que Léopold Sedar Senghor ou Léon Gontran Damas.

Ce concept vise à faire lapromotion des valeurs noires en opposition aux valeurs occidentales.

Cette notion est particulièrement mise enavant dans son poème Cahier d'un retour au pays natal .

En effet, dès les premières lignes de l'extrait, l'opposition des Africains au reste du monde est évoquée: ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel Les Africains sont ce peuple de la terre, ce peuple agriculteur.

Césaire dénigre « le monde blanc », cemonde mauvais, dont les manoeuvres n'ont été que désolation et « trébuchement[s] ».

Il s'agit d'un monde vieilli,dépassé, instable.

A cela, il préfère l'idéal de l'Afrique, « le parfait cercle du monde ». Mais les Africains sont surtout un peuple qui « s'abandonn[e] »; qui, contrairement aux occidentaux, sont« insoucieux de dompter ».

Cette idée de l'auteur d'opposer l'Afrique au reste du monde finit par isoler radicalementles « nègres », les plaçant alors en position d'opprimés, vaincus, abandonnés de tous.

En effet, ils jouent « le jeu dumonde », ils se soumettent complètement, sans lutter, au jugement commun, à leur histoire, à leur passé et cemalgré leurs facultés inconnues voire insoupçonnées, leurs « vertus ancestrales ». B Technologie contre nature Les Chinois ont inventé la poudre et la boussole; les Français la machine à vapeur; les Européens se sontlancés à la découverte du monde, par mer ou par ciel.

De fait, c'est le savoir technique qui est détenu par lesoccidentaux, par le reste du monde.

Mais en Afrique, on sait « la féminité de la lune au corps d'huile », on saitsurvivre grâce à la « germination de l'herbe ».

L'homme africain, le « nègre » est en fusion totale avec la nature, enosmose avec le règne animal et végétal, il est né dans le berceau de l'humanité, il est né dans la terre et c'estgrâce à elle qu'il survit.

Les Occidentaux détiennent la science, alors que les Africains ont le savoir.

Cette oppositionest renforcée par l'opposition entre l'inné et l'acquis; l'inné étant la vie naturelle, et l'acquis les découvertesscientifiques. Césaire, comme nous l'avons vu, vante les mérites de l'Afrique, la source de la vie, « l'étincelle du feu sacrédu monde »; l'Afrique est le coeur des hommes et ces derniers se doivent de lui être reconnaissants, ce que fontprécisément les Africains, ces « fils aînés du monde ».

Finalement, au-delà de découvertes technologiques oud'osmose avec la nature environnante, c'est de culture qu'il s'agit; deux cultures différentes, diamétralementopposées.

L'afrique est peut-être le berceau de l'humanité, mais une humanité primitive, autre que celle développée. »

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