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Le Conflit Au Théâtre

Publié le 28/09/2010

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Qui ne se souvient pas des coups de bâtons donnés par Scapin à Géronte dans Les Fourberies de Scapin de Molière ? Le rire et l’amusement étaient alors à leur comble. Il est de la nature humaine d’aimer le conflit or « Le théâtre est un art du conflit, du polémique «, affirmait André Steiger. Si bien que sans conflit, le théâtre n’existerait pas et ne ferait pas un tel effet sur nos personnes. Mais on peut se demander par quels moyens arrive-t-il ainsi à mettre particulièrement en valeur ce conflit ? Possèderait-il un style qui lui est propre ?  Serait-il un lieu double et ouvert ? Ou bien plus encore, disposerait-il de fonctions avantageuses pour les auteurs ?

 

La force d’une représentation théâtrale est le discours. Ce discours est marqué par une double énonciation : le spectateur admet par convention que le personnage parle aux autres personnages. Cependant, même si le public n’intervient pas dans le dans le dialogue qui se déroule sur scène, les acteurs parlent aussi à l’intention du public. Ainsi, lors d’une dispute entre deux personnages, le spectateur y participe et prend part à la dispute. Dans la Controverse de Valladolid de Jean Claude Carrière adapté sous forme théâtrale qui oppose le philosophe Sépulvéda au dominicain Bartolomé de Las Casas à propos de la nature des Indiens , le spectateur est là, attentif, et attend l’issue du combat « Supérieur.- Et ils ne se défendaient pas ?  Las Casas.- Ils ne comprenaient pas qui nous étions […] Qui sait ? Peut-être pensaient-ils au début que ce n’était qu’un simulacre de la mort ? […] Que les cadavres allaient se relever, marcher et rire ? «.

A qui ne connaitrai pas «  C'est un roc!...c'est un pic!...c'est un cap! Que dis-je, c'est un cap?... C'est une péninsule! « Sacrilège ! Notre bon vieux Cyrano en serait affligé. C’est ainsi qu’au théâtre, l’échange peut opposer de longues tirades qui donnent toute sa vraie mesure au conflit. Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, lorsque ce dernier subit les moqueries du Vicomte, en est la preuve irréfutable. Cependant, en opposition à la tirade, on parle de stichomythies, lorsque le conflit devient plus aigu. Les répliques se limitent ainsi à un vers produisant un effet de rapidité, qui contribue au rythme du dialogue. Dans Les Bonnes, De Jean Genet, les nombreuses stichomythies témoignent du conflit qui oppose Claire et Solange à « Madame « «  Claire.- Madame n’est pas satisfaite du service ?  Madame.- Mais très heureuse, Claire. Et je pars ! Claire.- Madame prendra un peu de tilleul, même s’il est froid. Madame.- Tu veux me tuer avec ton tilleul, tes fleurs, tes recommandations. Ce soir… «

Le dialogue au théâtre est primordial : il lui donne de la force, de la vivacité, du dynamisme mais que serait un dialogue sans action, sans scène et sans décor propre à retranscrire le combat, le conflit. 

 

La lumière s’éteint, le public se tait, les rideaux s’ouvrent, la pièce commence. Un maître court derrière son valet, on plaisante, on rit, on est détendu. Mais qu’est ce qui permet une telle évasion ? Et bien c’est l’illusion. En effet, le spectateur admet que la scène présente comme réel un lieu en fait factice et que 200 mètres carrés équivalent à un  palais ou une forêt. Il y a donc deux lieux au théâtre : le lieu réel qui est la salle et la scène, qui perdent leur identité le temps de la représentation, et le lieu fictif, qui ne dure que le temps de la représentation. Dans la célèbre pièce Dom Juan de Molière, lorsque ce dernier va au secours de Dom Carlos, on pourrait ainsi assimiler les spectateurs à la foule qui assiste au combat, puisque les frontières entre réel et fiction sont brisées « Mais que vois-je là, un homme attaqué par trois autres ! La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté. «.

On n’imaginerait mal un Arlequin sans sa batte blanche, son chapeau de feutre gris,  et son habit bariolé. Ainsi, les costumes sont primordiaux au théâtre puisqu’ils reflètent la personnalité et la situation de chaque personnage. Mais, les éclairages et les sons qui mettent en valeur ce personnage contribuent aussi à l’illusion. Une lumière rouge appuiera ainsi un personnage en colère ou bien au contraire, une musique somptueuse dévoilera la puissance du personnage face à son ennemi. Cependant, tous ces éléments sont permis grâce aux coulisses, un lieu caché, où les acteurs se maquillent, s’habillent, mais c’est aussi un espace qui prolonge le lieu fictif de la pièce ; il s’y déroule, notamment au XVIIème siècle les scènes violentes. Dans Horace, de Corneille, les coulisses sont l’endroit où Camille rend l’âme « Horace.- Va dedans les enfers plaindre ton Curiace «. 

La scène, les décors, les lumières, les sons, les costumes, les coulisses permettent l’illusion au théâtre : le conflit devient alors vraisemblable. Certains auteurs tirent alors profit de cet avantage. En effet, la majorité des pièces ne sont pas écrites pour faire rire le spectateur mais plutôt pour le faire réfléchir.

 

Les types de conflits au théâtre sont divers. Ils varient selon les époques, les auteurs et le genre de l'œuvre. Ils sont principalement des conflits d’idées ou d’intérêts. Les conflits d’idées exposent un désaccord entre les parties qui porte sur des opinions opposées, des points de vue différents. C’est le plus souvent le conflit maître-valet. Dans Dom Juan de Molière, Sganarelle et Dom Juan se querellent car leurs opinions divergent, mais la raison du valet est toujours la meilleure « Sganarelle.- […] je vois les choses mieux que tous vos livres, et je comprends fort bien que ce monde, que nous voyons, n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. «. Les conflits d’intérêts supposent une divergence  sur les intérêts de chaque groupe ou personne. Ce sont surtout les conflits entre amants ou bien, entre ennemis jurés. Adraste, héros de la pièce Le Sicilien de Molière, s’oppose tout au long du récit à Dom Pèdre qui retient emprisonnée Isidore, sa bien aimée « Adraste.- […] Et pour te dire vrai, j’ai, par le moyen d’une jeune esclave, un stratagème prêt pour tirer cette belle Grecque des mains de son jaloux, si je puis obtenir d’elle qu’elle y consente. «.

Assis au fond de son siège, le spectateur pense et réfléchit : c’est tout à l’intérêt de l’auteur. Ce dernier peut ainsi, à travers le conflit, transmettre des idées sociales, politiques… voire, une philosophie de la vie. C’est ce que fait Molière dans Le Misanthrope, lorsqu’Alceste, scandalisé par l’hypocrisie, s’en explique auprès de son ami Philinte « Alceste.- Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme d’honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur «. Le récit devient alors didactique et inculque une leçon morale, un enseignement. Mais le conflit peut aussi avoir une fonction descriptive, c'est-à-dire représenter la réalité et donner une image de la société, du monde et des hommes en explorant l’âme humaine. L’Île des esclaves de Marivaux vise à montrer de manière inversée la situation contraignante des valets vis-à-vis de leurs maîtres. En effet, sur cette île, on oblige les maîtres à devenir les valets de leurs propres serviteurs afin qu’ils améliorent leur comportements « Trivelin.- Et bien, changez de nom à présent ; soyez le seigneur Iphicrate à votre tour ; et vous, Iphicrate, appelez-vous Arlequin, ou bien Hé. «.

 

Le conflit est et sera toujours le propre du théâtre. Son dialogue, l’illusion qu’il créé et la fonction qu’il assure en font un être unique, idéal dans la mise en valeur du conflit. Mais on ne peut pas nier le fait que tout genre a ses avantages et ses inconvénients. Le dramaturge britannique Edward Bond a déclaré : « Le but du théâtre est d'affronter les limites. «, et on pourrait ainsi penser que le théâtre possède des barrières, des bornes. Mais écoutons plutôt notre cher Fénelon : « C'est une perfection de n'aspirer point à être parfait. «.

 

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