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Le Fumeur

Publié le 12/01/2011

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Ecrivain original et fantasque du XVIIè siècle, Saint-Amant demeure célèbre pour ses poèmes satiriques et sa diversité de genre. Son premier recueil, Œuvres, dont est tiré le présent poème, le fumeur, marque un aboutissement du mouvement baroque. Véritable réflexion sur la condition humaine, ce sonnet expose d'une part la peine engendrée par la prise de conscience de son  état, d'autre part la vanité de toute tentative d'échapper à son sort.

 

La position de l'auteur décrite dans la première strophe suggère qu'il réfléchit. Il est \"assis\", donc immobile. Une \"pipe à la main\" et \"accoudé contre une cheminée\" connotent l'inaction, les \"yeux fixés vers terre\" le souci ou la contrariété, annoncé par l'adverbe \"tristement\" au vers précédent. Le verbe \"songe\" au quatrième vers confirme cette sensation : le poète est perdu dans ses pensées. Il est mis en valeur par sa position dans la strophe. C'est d'une part le premier verbe qui n'est pas au participe passé, c'est donc le premier verbe \"d'action\", et il se trouve en rejet. Cette réflexion est porté sur l'auteur lui-même, sur sa vie, sur son \"sort\". Il s'auto-décrit : l'emploi des pronoms \"je\" et \"mon\" au quatrième vers, du pronom \"me\" au vers cinq, sept et dix, \"ma\" au vers six, \"mes\", vers onze… l'atteste.

Le sonnet dépeint la tristesse et le désespoir qui habitent le poète. Dans la première strophe l'attitude de Saint-Amant traduit d'ailleurs sa résignation : \"les yeux fixés vers le sol\". L'adverbe \"tristement\" placé en rejet du deuxième vers dévoile son état d'âme. les participes passés \"assis\" et \"accoudés\" soulignent eux l'immobilité et l'inertie. On remarque également que l'auteur situe son poème dans une atmosphère singulière : le fagot met en avant une certaine pauvreté, la cheminée connote le froid, l'hiver. Les termes \"cruautés\" et \"sort inhumain\" révèlent l'origine de sa tristesse : un destin si dur et insurmontable qu'il ne saurait être infligé à un être humain. Plus que la tristesse, c'est le désespoir qui est ici exprimé. Il est exagéré par la formule hyperbolique \"les cruautés de mon sort inhumain\" qui est une accumulation de termes du champ lexical de la souffrance. Deux autres hyperboles traduisent les souffrances de l'auteur : au vers trois \"l'âme mutinée\", qui connote la violence [subie] et la rébellion, et au septième vers \"ma peine obstinée\". La peine est en outre personnifiée par l'adjectif \"obstinée\" qui suggère l'acharnement.

En fait c'est la réflexion sur son propre sort qui rend Saint-Amant triste. L'expression \"sort inhumain\" cité précédemment est un premier indice de la source de son accablement. Puis la deuxième strophe l'énonce clairement : Saint-Aimant désire \"une autre destinée\"./

Dans la deuxième strophe l'auteur laisse filtrer un espoir de changement. Le champ lexical le prouve : \"espoir\", \"promettre\", \"autre destinée\", \"montrer\". La façon dont St-Amant évoque l'espoir est péjorative. Le cinquième vers, \"l'espoir qui me remet du jour au lendemain\" rappelle la toile de Pénélope : chaque jour le poète va mal, et chaque jour l'espoir le \"remet sur pied\" jusqu'à ce qu'il rechute et que l'espoir recommence sa tâche. C'est un cercle sans fin. L'espoir n'a qu'une influence éphémère. Au vers six, \"essaie à gagner temps\" montre que la tristesse de l'auteur est très profonde, bien trop pour que l'espoir puisse la vaincre. Il ne peut que la repousser momentanément, la retarder. L'expression \"me fait monter plus haut qu'un empereur romain\" est une hyperbole. Les empereurs romains caractérisent la plus haute destinée. Avoir la même est illusoire. L'hyperbole est donc excessive (\"plus haut qu'un empereur…\"), elle annonce ainsi le déclin. En outre, par la référence à l'empire romain on perçoit la chute à venir.

L'hyperbole comme l'espoir sont détruits par la strophe suivante où l'on apprend que sans le tabac, le poète n'atteint pas cet \"état d'empereur\". \"Cette herbe\" est une périphrase qui désigne le tabac, \"mise en cendre\" en est une autre qui signifie que le tabac est consumé. Le vers suivant est également marqué par deux périphrases notables : \"le premier état\" désigne la tristesse de la première strophe et le verbe \"descendre\" signifie le retour à cet état.. Le dernier vers souligne ce désespoir dans lequel le poète retombe (\"redire souvent\" ses ennuis). La strophe met ainsi en parallèle l'épuisement du tabac et la fin de l'espoir. Saint-Amant prolonge ce parallèle dans la dernière strophe où l'espoir est directement assimilé au tabac : \"je ne trouve point beaucoup de différence…à vivre d'espérance\". Les adverbes \"point\" et \"beaucoup\" forment une oxymore car ce sont deux termes de sens contraire. Ceci souligne l'analogie entre le tabac et l'espérance. La force du propos est en outre accentuée par la négation \"non\" placée en début de vers. La méditation trouve son aboutissement au dernier vers dans lequel le tabac et l'espoir sont réduits à néant par les termes \"fumée\" et \"vent\". Tous deux désignent la fugacité et l'éphémère.

 

Ce poème empreint de tristesse et de mélancolie nous montre l'impossibilité dans laquelle se trouve l'homme d'échapper à son destin. Espoir et peine sont personnifiés : ils agissent et font apparaître, par contraste, le poète inerte. Celui-ci n'est que le champs de bataille où s'affrontent les sentiments qui l'animent, il subit et à travers lui, l'homme en général est réduit à un rôle passif : il n'a que bien peu d'emprise sur sa vie. C'est peut-être le sens profond de cette méditation.

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