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Le Lys dans la vallée

Publié le 27/07/2010

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Ce roman achevé en 1835 est publié en volume en 1836. Il est la première étude des " Scènes de la vie de province " et couronne le cycle des Etudes de mœurs en faisant écho à Séraphita la dernière des Etudes Philosophiques.  Sa construction est originale : il se présente sous la forme de deux lettres ; l'une, immense et qui contient presque tout le roman, est la confession du comte Félix de Vandenesse à la comtesse Nathalie de Manerville ; l'autre, de quelques pages, constitue l'ironique réponse de la comtesse.  Par le rapprochement avec l'existence même de l'auteur, par son analyse subtile du phénomène amoureux dans ses rapports avec la vie, la société et la création, le roman témoigne du travail d'un écrivain qui se cherche et se construit par l'œuvre d'art.  Le Lys occupe une place à part dans l'œuvre de Balzac. C'est un roman poétique où l'auteur évoque des souvenirs d'enfance et de jeunesse, chante sa Touraine natale et transpose en une idylle aussi pure que passionnée son amour pour Mme de Berny. Celle qu'il appelait la dilecta, l'élue de son cœur, y devient Mme de Mortsauf, délicieuse créature parée de toutes les séductions de l'âme et du corps. Balzac voulait faire d'elle une image de la " perfection terrestre ", la " femme vertueuse fantastique ". " Oui la première femme que l'on rencontre avec les illusions de la jeunesse est quelque chose de saint et de sacré " écrit-il à Mme Hanska. Mais son génie réaliste veillait, et l'héroïne n'est pas une abstraction éthérée : sans rien perdre de son charme, elle a la vérité d'un être de chair.  C'est en juillet, retiré auprès de Mme de Berny, à la Bouleaunière, que Balzac avance la rédaction du Lys, travaillant vingt heures par jour. Les critiques ont fait des rapprochements avec La princesse de Clèves pour l'amour platonique, La Nouvelle Héloïse pour le mysticisme amoureux, la religiosité et l'importance de la nature, Manon Lescaut pour la confession autobiographique, Le Rouge et le Noir pour ses deux amours.  Sevré d'affection, Félix de Vandenesse a eu une enfance malheureuse. A vingt et un an ses sentiments, ses rêves, son physique même sont encore ceux d'un adolescent. Au printemps de 1814, il rencontre dans un bal, à Tours, une belle inconnue dont il s'éprend sur-le-champ et il brûle de la retrouver. Et c'est ce qui va se produire, à la faveur d'un séjour dans la vallée de l'Indre.  Aussi vertueuse que belle, Mme de Mortsauf agrée l'amour de Félix, mais pour l'épurer en une passion platonique et presque mystique. Elle-même, de sept ans son aînée, prétend l'aimer comme un fils. Il devient son confident et le réconfort dont elle avait tant besoin. Entre un mari âgé, aigri par les souffrances de l'émigration, et deux enfants de santé fragile qu'elle n'a pu maintenir en vie qu'à force de tendresse et de soins, elle vit une existence douloureuse.  Caractère d'une complexité délicate, idéaliste et positive, femme de tête et passionnément sentimentale, solitaire et possédant l'expérience du monde, mariée à un vieillard et ayant gardé une innocence, une fraîcheur d'enfant, Mme de Mortsauf a les scrupules d'âme, la tendresse raffinée, la dignité gracieuse que le jeune Balzac se plaisait à prêter aux dames du monde. Lorsqu'elle s'attache à Félix de Vandenesse, à la fois par un sentiment maternel et dans un élan passionné qui craint de s'avouer, lorsqu'elle l'initie à tous les ressorts de l'esprit et du cœur, lorsqu'elle lui apprend Paris et la société, et que de loin, grâce à ses relations, elle pousse sa carrière mondaine, nous reconnaissons en elle, à peine idéalisée, l'image chère de Mme de Berny. On dirait que Balzac a dessiné ce portrait dans un esprit d'action de grâce, peut-être aussi de remords pour les nombreuses infidélités dont eu à souffrir " la Dilecta ". Le drame de Mme de Mortsauf, c'est en effet celui de la femme déjà forte, déjà éprouvée par les amertumes de la vie et aspirant à un sentiment profond et sincère, en face du jeune homme impatient de découvrir le monde, infidèle non par méchanceté ni même par légèreté mais par un désir instinctif de s'affirmer et de gaspiller ses forces neuves.  Lorsqu'elle se voit délaissée par Félix de Vandenesse, Mme de Mortsauf traverse une tragique épreuve. Son mal dépasse infiniment la vulgaire jalousie, il atteint les régions les plus sombres de son être et jusqu'à cette conscience morale qui paraissait si ferme. Tous les tumultes d'une nature violente, contenus pendant des années par les scrupules de la dignité religieuse et sociale, s'épanchent soudain. Malade, prématurément vieillie et sur le point de mourir Mme de Mortsauf se rend compte que sa vie de femme n'a été qu'un long mensonge. Perdue dans sa province, en compagnie d'un mari chagrin qui lui abandonnait la charge d'administrer son domaine, comme elle a désiré s'amuser, voyager, aimer, vivre ! Elle meurt, elle voulait vivre, elle n'a pas osé vivre, et cette évidence est, de tous les coups, le plus fort qui la frappe. Soudain elle doute de sa vie, de sa vertu, d'elle-même.  Le désir frustré s'exacerbe. Félix écrit " Quand le feu de ses yeux dénués de l'eau limpide où jadis nageait son regard tomba sur moi je frissonnai ". L'eau est asséchée par les " feux intérieurs " qui s'échappent de ses yeux au moment de son agonie. Elle est ardente. Le désir se dénude, alors qu'elle voulait faire dominer " la spiritualité de l'ange qui est en nous ". Mais le désir a une efficacité spirituelle. Pour Henriette le ciel s'ouvrira en bas, au fond de l'abîme du désir, par un retournement qui n'aura lieu qu'in extremis, lorsqu'elle sera descendue au plus profond.  Expérience du manque, de l'incomplétude, le désir est, pour Henriette, comme pour bien des mystiques, nécessaire : " Nous devons passer par un creuset rouge avant d'arriver saints dans les sphères supérieures " remarque Henriette. Pour elle comme pour Saint-Martin, le mal n'est pas une altérité diabolique, mais une paradoxale purification.  Le conflit entre l'âme et les sens, générateur de tentations, est aussi le moteur de l'élévation finale. Henriette a toujours tiré profit de la tentation de l'amour : " Craignant de manquer à mes obligations, j'ai constamment voulu les outrepasser. La culpabilité génère l'élan vers Dieu.  C'est dire combien le sexe joue un rôle central pour cette " femme de trente ans " mal mariée. De là le délire de l'agonie, ce rêve ultime de jouissance exprimé devant celui qui sublimait son désir par des bouquets de fleurs. Plus révélatrice encore est la lettre posthume où, rappelant le baiser du bal, ce premier et seul instant de jouissance, elle déclare crûment : " Ah ! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m'eussiez prise dans vos bras, je serais morte de bonheur. ". Ce n'est qu'une crise, cependant. A son heure dernière, Mme de Mortsauf retrouve la joie, ou du moins la sérénité. Sa vie n'est qu'un désastre, mais Quelqu'un qui ne manque jamais lui demeure. La mort d'Henriette consacre le difficile triomphe de la vertu au terme d'une véritable passion.  Mais ce dernier combat de Mme de Mortsauf, cette scène pathétique, qui porte la marque puissante de Balzac, a fait l'objet de tout un débat. La critique, les amies mêmes de Balzac déploraient que la pureté de l'héroïne fût ternie au dernier moment par cette révolte, par ces accents trop humains. L'auteur répondait que " la lutte de la matière et de l'esprit est le fond du christianisme " et rappelait qu'aux " imprécations de la chair trompée, de la nature physique blessée " succède " la placidité sublime de l'âme, quand la comtesse est confessée et qu'elle meurt en sainte ".  En effet, au moment suprême, Mme de Mortsauf retrouve toute sa vertu, sa piété et même son angélique beauté ; elle meurt en paix. Dans la mélancolie d'un paysage automnal, ses obsèques rappèlent une dernière fois, sur le mode mineur, le grand thème poétique du roman. " Il y eut un gémissement unanime mêlé de pleurs qui semblait faire croire que cette vallée pleurait son âme ". Enfin une lettre posthume adressée à Félix achève de nous révéler le long supplice de l'héroïne : elle aussi, dès le premier jour, a aimé Félix de tout son être. Cet amour lui a révélé le charme de la nature, l'ivresse de sentir et de vivre. Et c'est seulement au prix d'un effort héroïque, de souffrances infinies, qu'elle est restée fidèle à son devoir et à cet idéal de pureté qui fait d'elle, à jamais le lys de la vallée. Aussi, dans sa lettre testament, Henriette lègue-t-elle à Félix sa richesse essentielle : il devra continuer son œuvre à Clochegourde pour effacer " des fautes qui n'auront pas été suffisamment expiées. Elle va jusqu'à lui demander de veiller sur les siens et d'épouser Madeleine.  On reproche à Balzac la scène du baiser, la folie sensuelle d'Henriette agonisante. Ne respectant pas les conventions de l'idéalisme romanesque, l'œuvre était irrecevable pour les lecteurs de 1836. Les critiques de l'époque s'étaient écriés : " A quoi bon cette morte hideuse et cet impur délire des derniers instants ? Ce n'était pas ainsi que le lys devait tomber. Il fallait effeuiller jour à jour cette belle vie et l'incliner sur sa tige comme une fleur qui a senti de trop près le soleil. Au lieu de cela l'auteur nous retire subitement de ce monde des idéalités flottantes et des rêveuses illusions, pour nous jeter au milieu des réalités les plus repoussantes. " La coexistence du bien et du mal, du sublime et du laid rendait ce roman illisible pour des contemporains qui préféraient l'unité de la représentation, même au prix de l'idéalisation et de la répétition de scènes déjà écrites.  Mais Balzac se veut l'observateur du réel et l'explorateur des abîmes. L'hostilité des critiques se manifeste contre ce qu'ils sentent bien inconsciemment comme le manifeste pour une nouvelle représentation littéraire. Le Lys dans la vallée révèle dans sa composition même la volonté qu'a Balzac de transformer la " masse lisante " en un lectorat capable d'une autre réception qu'émotive. Or, les lecteurs de 1836 n'apprécient pas l'ambiguïté, la multiplication des points de vue. La représentation de la femme sacrifiée et en même temps la valorisation de la famille, la critique de la société et sa défense, l'attrait pour la passion et la méfiance coexistent dans ce roman. En effet Balzac estime que l'écrivain doit être capable de se placer à des points de vue opposés et que l'instabilité est la condition de sa puissance créatrice. Il fait de son âme un miroir où l'univers tout entier vient se réfléchir. Il renonce à la constance, à la logique, pour tout éprouver. C'est un géant à la recherche de contrastes perpétuels: Il a la " faculté puissante de voir les deux côtés de la médaille.  Personnage double, Henriette, épouse d'un émigré auquel elle est supérieure, elle se dévoue à sa famille et fait de ses enfants ses vertus. Mais elle s'autodétruit et, au moment de son agonie, repousse parfois ses enfants. Henriette permet donc à Balzac de représenter en un personnage le conflit de deux conceptions du sentiment amoureux et l'ambivalence de sa propre position à l'égard de la passion à la fois fascinante et tragique. Henriette est un personnage ambigu, sainte de la famille, machiavélique pourtant dans l'exercice habile du pouvoir.  Henriette demeurera un mystère. Désir, foi et sentiments de culpabilité s'alternent dans son âme. Loin d'avoir sublimé le désir par la foi, Henriette l'a soigneusement entretenu par l'insatisfaction. Elle trouve une fine jouissance dans la retenue. " Cette situation comportait des langueurs enchanteresses, des moments de suavité divine ". Félix la soupçonne d'une perversion de la sensibilité. " Peut-être aimait-elle autant que je l'aimais ce tressaillement semblable aux émotions de la peur, qui meurtrit la sensibilité, pendant ces moments où l'on retient sa vie près de déborder " dit-il. La duchesse de Langeais se délectait déjà des " enivrantes voluptés que procurent les désirs sans cesse réprimés ". Le non-dit est nécessaire à l'idéalisation, aussi peut-on comprendre que Félix ne parle d'Henriette que métaphoriquement. Il n'en finira pas, tout au long du récit, d'essayer de tracer le portrait de cette femme insaisissable par des rapprochements toujours nouveaux avec des figures artistiques, ou mythiques.  Chez Mme de Mortsauf le déchirement producteur du péché a un pouvoir énergétique propice au dépassement de soi et ouvre le chemin d'une gloire spirituelle. Elle trouve une fine jouissance à se rappeler ses manquements, à les exagérer. Elle s'épie complaisamment pour découvrir une souillure. Elle cultive l'inquiétude maternelle, se tient héroïquement exposée aux agressions de M. de Mortsauf.  Finalement la haine de soi devient la condition d'un amour du prochain peu conforme aux préceptes chrétiens qui, au contraire, font de l'amour de soi le modèle de l'amour des autres. Henriette apparaît comme " sereine sur son bûcher de sainte et de martyre ". Elle est l'héroïne de l'expiation triomphale. " Flagellée " par ses enfants, elle déclare victorieusement : " Devenir mère, pour moi ce fut acheter le droit de toujours souffrir ". Parce que rédemptrice la souffrance peut devenir un plaisir : " Ma vie fut une continuelle douleur que j'aimais ", avoue-t-elle. Mais cette représentation de l'expiation n'est alors pas dépourvue d'ambiguïté : " J'ai regardé les tourments que m'infligeait M. de Mortsauf, explique Henriette, comme des expiations, et je les endurais avec orgueil pour insulter à mes penchants coupables ". L'idéal d'Henriette est bien d'être une sainte Madeleine, de sublimer le péché dans une jouissance spirituelle et un éclat esthétique. Le mal semble maîtrisé dans cette transfiguration de la pécheresse en figure sublime.  On a parfois parlé d'un féminisme balzacien. Il a souvent plaint les nombreuses jeunes femmes qui mal mariées " se traînent pâles et débiles ". En physiologiste plus qu'en moraliste il affirmait " L'amour physique est un besoin semblable à la faim" ". Le Lys dans la vallée est bien encore le roman d'une mal mariée et d'une mal aimée qui meurt d'inassouvissement. A la fin Henriette succombe à la faim et à la soif, victime d'une double cruauté masculine.  Chez Balzac le symbolisme floral et l'image du lys, symbole de pureté, apparaissent dès 1822, lorsque le jeune Balzac, comme Félix, courtise une femme plus âgée que lui, Laure de Berny qui sera à la fois une mère et une maîtresse, le lys et la rose. Mais Mme de Berny réalisera ce qui pour Félix restera toujours un rêve inaccessible, l'union de l'eau et du feu, d'Henriette et d'Arabelle. Henriette est un lys enfermé dans la vallée que seule la mort délivre.  Dans la mystique chrétienne, à une époque où l'on n'hésitait pas à parler de l'amour de Dieu en termes amoureux, le lys avait déjà été utilisé comme symbole du désir spirituel. Le lys est aussi un symbole d'une fragilité vouée à la mort et Balzac l'oppose à l'acier des femmes insensibles telles que Mme de Vandenesse (mère de Félix), Mme de Lenoncourt (mère d'Henriette), et Arabelle.  Le lys servira aussi à exprimer le désir de Félix dans le bouquet blanc et bleu. C'est à ce moment là une fleur phallique, par ailleurs symbole de pouvoir, que Balzac choisit pour représenter Henriette qui apparaît, à une lecture attentive, comme un personnage double. La sainte fragile de Clochegourde est aussi une femme sensuelle et un stratège des coulisses qui laisse deviner sa volonté de puissance dans ses conseils à Félix.  Dans le Lys, Balzac a voulu " aborder la grande question du paysage en littérature ". Ce beau site, il pouvait le contempler du château de Saché où il a écrit son roman ; il le peint avec tendresse, et il le voit par les yeux d'un amoureux sensible à mille harmonies indéfinissables entre la nature et sa passion. Au début, la femme aimée, Mme de Mortsauf, n'a été qu'entrevue ; Félix ne sait rien d'elle, pas même son nom ; mais l'évidence immédiate d'une mystérieuse correspondance lui révèle qu'elle ne saurait vivre que dans ce cadre admirable, et le cadre à son tour contribue à la connaissance intuitive de l'être aimé.  Nature et société s'opposent dans le Lys dans la vallée comme liberté et contrainte, comme passion et mariage. La nature est toujours du côté du sentiment, complice de l'adultère. Elle est tentatrice. Devant la vallée de l'Indre, Félix est saisi " d'un étonnement voluptueux ". Il est troublé par " un coucher de soleil qui rougissait si voluptueusement les cimes en laissant voir la vallée comme un lit, qu'il était impossible de ne pas écouter la voix de cet éternel Cantique des Cantiques par lequel la nature convie ses créatures à l'amour ".  Nature et société s'opposent comme l'éphémère à la stabilité. C'est en " substituant des sentiments durables à la fugitive folie de la nature que la société " a crée la plus grande chose humaine : la famille ". Félix, lui, tente l'impossible : éterniser l'éphémère, incarner l'absolu dans le temps. Le lys dans la vallée, roman du silence et de la suggestion est l'un des poèmes les plus riches de la Comédie humaine.

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