Le Mélange Des Genres Dans L'Écume Des Jours
Publié le 29/09/2010
Extrait du document
Un roman à la frontière entre plusieurs genres
➢ Un roman merveilleux : le merveilleux se caractérise par des propriétés magiques qui échappent au monde réel sans pour autant surprendre les personnages. C’est le cas de L’écume des jours puisque ce roman présente un univers qui est régi par des lois non réalistes mais cohérentes, elles brutalisent notre conception de la logique mais ne surprennent en aucune manière les personnages. Aspects merveilleux :
- dégradation de l’appartement.
- dégradation de la ville.
- présence des souris : elles sont douées de raison, elles ne parlent pas avec les êtres humains, mais peuvent parler avec des autres animaux. Une souris grise à moustaches noires s’entretient avec un chat à la fin du roman (chap 68). Elles comprennent le langage des hommes et leur répondent par des gestes (pp. 57-58). Elles manifestent leurs sentiments (p. 22 / p. 300). Cette humanisation des souris fait référence à Mickey et Minnie créés par Walt Disney en 1930.
Le merveilleux permet un rapprochement entre l’humain et l’animal et plus largement la conciliation entre certains contraires qui s’opposent dans la nature. Le paysage du voyage de noces (chap 26) associe par exemple tous les climats et toutes les saisons.
Le monde magique réalise donc les désirs des personnages et assure leur bien-être. Mais le merveilleux ne suffit pas à lui seul pour caractériser L’écume des jours.
➢ Un roman fantastique : il consiste en une intrusion inquiétante dans le monde réel. Il apparaît à chaque fois qu’un bouleversement affecte le monde réel et laisse les personnages dans l’incompréhension et le malheur. Même si ce roman semble plutôt appartenir au genre merveilleux, divers éléments le font basculer vers le fantastique. Il y a tout d’abord un fort contraste entre le monde réel et le monde féerique. Si les personnages ne sont pas inquiétés par les règles qui régissent leur univers, le lecteur l’est par contre. De plus la fin du récit fait immanquablement penser au fantastique puisqu’il ne s’agit pas d’une fin heureuse. Le roman semble donc commencer dans un univers merveilleux qui glisse petit à petit vers le fantastique. Le passage de l’un à l’autre est perceptible au moment où le merveilleux commence à devenir inquiétant de par l’agressivité de la nature notamment.
➢ Un roman d’amour, un conte : le thème central de ce roman reste l’amour, le mélange de merveilleux avec ce thème permet donc de l’associer à un conte. Toutes les étapes du sentiment amoureux sont décrites. De plus, ce roman n’est pas psychologique dans la mesure où les personnages, tout comme dans un conte, possèdent peu d’épaisseur. Ils sont schématisés et les aspirations ne varient pas. Ce roman ne s’assimile cependant pas complètement au conte traditionnel car il finit mal, alors que le conte se termine toujours par un événement heureux comme un mariage ou une naissance. Le début de l’œuvre se présente comme un conte enchanteur qui bascule ensuite irrémédiablement dans un univers maléfique. Le bonheur supposé du couple au début de l’ouvrage n’est donc qu’une utopie.
➢ Un roman d’amour courtois : le thème central de ces romans est l’affrontement entre deux conceptions de la vie :
- l’amour passion
- le conformisme social qui réprouve cet amour
Un chevalier aime par exemple l’épouse du roi. L’amour courtois est donc socialement inadmissible. Dans les romans courtois, l’amour est toujours fatal quand il est consommé. L’écume des jours semble être un conte de fées qui a intégré la conception courtoise de l’amour, un amour nécessairement malheureux puisqu’il a été consommé.
Cependant, dans un roman courtois, c’est habituellement la société qui fait obstacle au bonheur des amants. Ici l’obstacle est intérieur aux personnages. La passion, même ici sans entrave sociale est vouée à la mort. Raison pour laquelle sans doute, le conte de fées se termine mal.
➢ Une parabole est un récit livrant une vérité sur la condition humaine en général. La vérité n’est pas énoncée directement, elle est mise en scène à travers des personnages, le lecteur doit interpréter le récit pour en découvrir le sens. Le dernier chapitre du roman est une parabole. Le destin de la souris qui se trouve entre les dents du chat est une parabole des personnages du roman, victimes d’un Dieu indifférent. Cette parabole est une mise en abîme de l’ensemble du roman. C’est un modèle réduit qui permet de donner du sens à l’ensemble de l’oeuvre. Parallèle possible avec Adam et Eve chassés de l’Eden tout comme Colin et Chloé. Dans le récit on assiste effectivement à la chute de Colin. C’est parce que Colin et Chloé éprouvent du désir l’un pour l’autre qu’ils sont condamnés. Ce roman peut aussi être perçu comme une interrogation de la part de Boris Vian sur la condition humaine. Le lecteur ne sait pas à quoi s’en tenir en ce qui concerne le malheur des hommes. Le malheur est-il causé par le désir humain ou par une fatalité métaphysique ? Le roman ne répond pas à cette question. On peut faire ici encore un parallèle avec le mot « écume « du titre qui pourrait mettre en avant la fragilité de l’existence humaine et l’impossibilité d’en pénétrer le sens. Le bonheur manifeste des personnages au début d’un livre n’est qu’une apparence, comme l’écume qui flotte sur la mer, à la surface.
➢ Un roman initiatique : observer ce roman à travers l’optique initiatique permet de le percevoir comme le récit d’un difficile apprentissage et surtout d’un échec. Le désir qui va pousser Colin à agir au début du roman et celui d’être amoureux, il va donc s’investir dans une quête qui deviendra sa raison de vivre. Le mariage, qui est le point culminant des 22 premiers chapitres, couronne cette phase initiale. Du chapitre 22 au chapitre 40, les obstacles et les crises vont se succéder et tous les adjuvants ne vont rien réussir à faire. C’est à travers ces péripéties que Colin va apprendre la réalité. Cet apprentissage met en avant son impuissance. Les chapitres 40 à 63 vont mettre en place la lutte et les défaites qui vont culminer dans la mort. L’inaptitude sociale de Colin se confirme sans cesse. Les cinq derniers chapitres sont l’épilogue et placent Colin devant une alternative ultime : vivre ou mourir après l’échec de la fête, la fin du rêve amoureux et le deuil du bonheur. L’épreuve initiatique est semée d’embûches, mais son passage permet la connaissance, elle permet d’accéder à la réalité, à la maturité des choix qui éloigne l’univers merveilleux. Arrivée à la liberté et à la responsabilité de l’âge adulte, aux prix des illusions et des amours malheureuses (philosophie existentialiste).
L’écume des jours, un roman à la frontière entre plusieurs genres
Voici un tableau qui présente des définitions de plusieurs genres de récits qui pourraient être mis en parallèle avec L’écume des jours.
Nom du genre Définition
Le fantastique Il s’agit d’une intrusion intrigante, inquiétante dans le monde réel. Le fantastique, est fondé sur la fiction, racontant
l’intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste, autrement dit l’apparition de faits inexpliqués et théoriquement inexplicables
dans un contexte connu du lecteur. En cela, le fantastique est situé entre les genres du merveilleux (et son incarnation
contemporaine, la fantasy), dans lequel le surnaturel est accepté et justifié car le cadre est imaginaire et irréaliste, et de
l’étrange, dans lequel les faits apparemment surnaturels sont expliqués et acceptés comme normaux.
Contrairement à ces deux genres, dans le fantastique, le héros, comme le lecteur, a presque systématiquement une réaction de refus
des faits surnaturels qui surviennent. Cette réaction de refus peut être mêlée de doute, de rejet et/ou de peur. La fin d’un récit
fantastique n’est pas souvent heureuse et laisse fréquemment planer le doute…
Le merveilleux Le merveilleux se caractérise par des propriétés magiques qui échappent au monde réel sans pour autant surprendre les personnages.
Il s’ajoute donc au monde réel sans lui porter atteinte ni en détruire la cohérence. Dans un récit merveilleux, on observe une
confiance, une crédulité de la part du lecteur, l'auteur ayant bien ménagé l'arrivée du merveilleux pour qu'il passe inaperçu.
Le conte Le conte est un récit de fiction généralement assez bref qui relate les actions, les épreuves, les péripéties vécues par un
personnage (ou parfois un groupe de personnages). Ce qui distingue d'emblée le conte des autres formes de récit, c'est que
l'histoire racontée se déroule dans un autre temps et un autre lieu. Les célèbres formules comme "Il était une fois" ou "En ce
temps-là" qui ouvrent un grand nombre de contes suggèrent d'entrée de jeu la distance qui sépare l'univers du conte et notre
monde, la fiction et le réel. Cet univers est la plupart du temps indéterminé, c'est-à-dire que les temps et les lieux sont
rarement évoqués avec précision; l'actualisation reste vague, de sorte que le conte donne l'impression de se situer en dehors du
monde actuel. Parmi les autres caractéristiques par lesquelles le conte s'affirme comme fiction, il y a les invraisemblances de
toutes sortes. Dans le conte, tout est possible: un personnage peut dormir cent ans, les objets peuvent être doués de pouvoirs,
les êtres faibles peuvent triompher du Mal, etc. Les lois qui régissent l'univers des contes ne sont pas toujours les mêmes que
celles qui régissent le monde réel. En outre, les personnages sont monolithiques, unidimensionnels, ils n'ont aucune profondeur ou
densité; ils ne sont pas vraisemblables puisqu'ils n'ont pas la complexité du réel. L'univers du conte est manichéen, formé
d'oppositions simples. Il se termine toujours par un événement heureux comme un mariage ou une naissance
Le roman d’amour courtoisGenre qui est né au XIIème siècle. Ses héros sont souvent un beau chevalier à l’âme noble et vaillante et une gente dame. Le thème
central de ces romans est l’affrontement entre deux conceptions de la vie :
- l’amour passion (absolu)
- le conformisme social qui réprouve cet amour
Un chevalier aime par exemple l’épouse du roi. L’amour courtois est donc socialement inadmissible.
Dans les romans courtois, l’amour est toujours fatal quand il est consommé. C’est habituellement la société qui fait obstacle au
bonheur des amants.
La parabole Une parabole est une comparaison symbolique développée dans un récit et servant à présenter un enseignement, dans le christianisme
ou dans les spiritualités. Ce récit livre une vérité sur la condition humaine en général. La vérité n’est pas énoncée directement,
elle est mise en scène à travers des personnages, le lecteur doit interpréter le récit pour en découvrir le sens.
Le récit initiatique Le récit initiatique est un récit d’apprentissage avec des particularités. Il montre le parcours d’un jeune qui va grandir, passer
de l’adolescence à l’âge adulte, après avoir triomphé d’épreuves et d’obstacles. Ce type de récit renvoie aux pratiques de
certaines sociétés qui ont établi des rites de passage. Pour que le récit d’apprentissage devienne un récit initiatique, il doit y
avoir transformation intime de la personnalité, présentée de manière plus symbolique que réaliste, avec la découverte de nouvelles
valeurs, souvent accompagnée de souffrance. La fin du récit marque généralement le début d’une nouvelle vie, avec diverses
interprétations possibles.
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