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« LE MYTHE D'ORPHEE A L'OPERA »

Publié le 29/09/2010

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orphee

 

1. Sur Monteverdi 

 

Opéra composé en 1608, l'Orfeo de Monteverdi explore le mythe et met en musique la tragédie amoureuse d'Orphée et d'Eurydice en s'inspirant des textes de Virgile ou d'Ovide. A partir de l'analyse proposée par Sophie Roughol, nous observerons en quoi Eurydice serait « la seule constante « entre le mythe d'origine et l'adaptation étudiée, ensuite, nous verrons comment se développent ses deux seules apparitions, enfin nous analyserons les récits que les autres personnages font, de cet objet amoureux, afin de comprendre ces notions de personnage raconté et de personnage racontant.

Tout d'abord, il s'agit de percevoir les changements, les évolutions du mythe initial, car désigner Eurydice comme le seul personnage qui perdure semble quelque peu exagéré. Il est vrai que de nouveaux personnages apparaîssent, comme le personnage de la musique au cours du prologue, et Striggio choisit de porter le chant d'Oprhée devant la porte des enfers en deux actes, alors que Virgile décrit ce passage d'un seul mouvement. Néanmoins, il faut peut-être nuancer l'indication « seule constante « qui ôte les liens entre les écrits de Virgile et l'adaptation de Monteverdi.

En second lieu, on note que l'Eurydice de Monteverdi est seulement « investie de deux brèves apparitions «, en effet, selon l'analyse de Philippe Beaussant dans son essai Le chant d'Orphée, Eurydice est très peu présente dans cet opéra, elle ne chante pas plus de deux minutes au total. Avec un si faible temps de parole, elle ne peut en effet se rapprocher de ces personnages racontant. Il souligne cette sous-présence en observant les caractéristiques de son chant au premier acte, Orphée vient de lui déclarer pleinement son amour, et elle répond de façon curieusement indirecte et timide et réservée (elle descend en quinte diminuée, intervalle ambigu, demi-ton empli de réserve) elle est désignée ici comme le « personnage le plus mystérieux de cet opéra «. Personnage effacé, elle correspond ici à cet « objet « évoqué dans la citation, cependant, si l'on observe la deuxième apparition d'Eurydice, le chant est toujours aussi bref mais il est beaucoup plus intense. Alors qu'Orphée ne lui adresse pas un mot, pris dans son élan jubilatoire alors qu'il ramène Eurydice à la vie, elle panique, son monologue est déchiqueté d'angoisse, Orphée se retourne alors, et lorsque l'on entend la sentence du ministre des enfers, naît le dernier chant d'Eurydice, musicalement épuré, P. Beaussant le désigne comme « la plainte la plus bouleversante de l'Orfeo «. Eurydice n'est donc pas un personnage racontant mais elle deumeure par la qualité et l'intensité de sa seconde intervention le personnage central de l'intrigue.

En dernier lieu, il s'agit d'analyser en quoi Eurydice est un personnage raconté. Raconté par qui? Raconté comment? A l'acte I, les bergers évoquent cette jeune fille et prient en faveur du mariage des deux protagonistes, il racontent su le mode pastoral la première fois elle a sourit à Orphée. Le récit concernant Eurydice trouve son point d'orgue dans les chants de la Messagiera qui raconte la mort de la jeune fille à Orphée. Elle installe l'émotion avant de dire les choses, elle semble mal à l'aise, elle occupe un personnage à part entière, scéniquement plus présent qu'Eurydice, son chant imite l'évanouissement de la jeune fille mordue par le serpent en faisant le tour de la note, comme un dernier souffle.

Finalement, Eurydice est bien ce personnage raconté, comme l'évoquait déjà le mythe dépeint par le poète Virgile, toutefois il est nécéssaire de nuancer les propos de Sophie Roughol, Eurydice n'est peut-être pas un « objet tout court «, elle est un personnage à part entière et son ultime chant en témoigne.

 

2. Sur Gluck 

L'Orphée et Eurydice composé par Gluck est avant tout une commande de la reine Marie-Antoinette qui souhaitait adapter cet opéra dont la version viennoise eut un succès européen douze ans auparavant. En 1774, l'auteur adapte l'oeuvre au public français, pour cela il accorde une plus grande importance à l'orchestre, élément particulièrement apprécié à l'époque et surtout il ménage de nombreux effets pathétiques afin de jouer su l'émotion du spectateur. Effets qui apparemment sont efficaces puisque selon la reine elle-même, « on ne peut plus parler d'autre chose «, l'opéra de Gluck est donc l'objet de toutes les attentions et il peut susciter des réactions extrêmes: « cette musique me rend folle « explique Julie de Lespinasse. 

Alors que chez Monteverdi le drame est préparé, il règne un certain univers pastoral dominé par la joie, chez Gluck le choeur funéraire annonce le drame d'Orphée par une simple phrase, et l'on est confronté immédiatement à un tableau d'une peine extrême, traversé par les cris d'Orphée. Dans un cadre où le naturel prévaut, l'intrigue est concentrée sur le drame d'Orphée et non sur l'avancée de l'action. Après les cris perçants d'Orphée, qui saisissent le spectateur, le personnage poursuit par deux récitatifs, sa douleur est ramassée et il parvient à quelque chose d'extrême dans le registre de la plainte.

Les effets pathétiques reposent également sur les climats opposés, l'angoisse ressentie par Orphée dans le monde des Enfers n'est absolument pas perçue d'Eurydice qui deumeure dans le monde des âmes heureuses. Ces oppositions se retrouvent par exemple dans le chant d'Orphée devant la porte des enfers. Le chant des spectres et des démons est caractérisé par un rythme obstiné, auquel s'oppose la douceur d'Orphée dont le chant est soutenu par la lyre mélodieuse, il redouble ainsi de persuasion lyrique et reçoit l'autorisation de franchir la porte.

Enfin, le final accomplit ce soucis de jouer avec l'émotion du spectacteur, de nouveau par la force du pathétique. Les deux voix d'Orphée et d'Eurydice se rejoignent et prennent les dieux à témoin de leur souffrance. L'action est une fois encore suspendue par les récitatifs afin de souligner le poids de cette douleur, Gluck installe ici un récitatif d'Orphée qui sent que l'objet de son amour va mourir s'il ne lui explique pas, s'il ne se retourne pas, elle joue un rôle bien plus important dans sa disparition que chez Monteverdi. L'action repose alors sur le silence d'une intensité extrême, Eurydice est morte et Orphée est résolu à se donner la mort, la tension est insoutenable, le pathétique est au plus haut, le compositeur répond ici parfaitement au désir du spectateur dont « l'âme est avide de cette espèce de douleur « selon Julie de Lespinasse.

 

3. Sur Offenbach 

Offenbach propose une nouvelle version de l'Orphée aux enfers alors que Berlioz s'attache depuis des années à faire revivre la version de Gluck. Le public qui se rend à cet opéra-bouffe aux accents parodiques est donc nourri des versions précédentes. C'est pourquoi tout d'abord Offenbach peut se moquer du mythe lui-même dont le spectateur a une connaissance soutenue, et ensuite il peut s'attacher à dédramatiser la situation en proposant une mise en scène qui se rapproche du monde du cabaret.

On peut rappeler d'ailleurs qu'Offenbach est quasiment ruiné, il fait face à des difficultés financières considérables, s'il choisit de parodier l'Orfeo, ce n'est pas un pur hasard, il connaît pertinemment les succès de cet opéra au cours des siècles précédents, il sait que c'est un moyen fiable de gagner de l'argent. En ce qui concerne le traitement parodique du mythe, on peut s'attacher au dialogue entre Jupiter et Pluton, mis en musique au fil d'un « rondeau des métamorphoses «, qui donne avant tout une leçon mythologique débridée sur l'air de la folie. Les Dieux s'affrontent par l'intermédiaire des humains, l'auteur s'amuse ici à faussement dramatiser un passage particulièrement orchestral à l'origine. De même au quatrième tableau, le choeur infernal est pris en main par Eurydice, elle est ici une héroïne pervertie alors que chez Gluck, elle incarnait la douceur d'un personnage qui veut l'amour. Enfin, la parodie est à son comble lorsqu'il s'agit de déclencher la faute, de faire se retourner Orphée. En effet, Orphée enfreint l'interdit à cause d'une farce de Jupiter qui déclenche un éclair qui surprend Orphée qui se retourne alors. Certaines composantes du mythe persistent alors mais l'assise psychologique de le tragédie amoureuse vole en éclat sous la plume d'Offenbach.

Dès lors, on a affaire à un véritable cabaret, dans lequel Jupiter est métamorphosé en mouche, il vrombit et met en avant les marques d'une séduction exacerbée. De même, les enfers sont particulièrement sexués, ils sont le lieu de l'émancipation d'une Eurydice pervertie et le choeur des spectres est proche de l'orgie tout comme les danses se déroulent selon un certain délire chorégraphique.

En définitive, c'est le rapprochement de ces deux univers si opposés, la tragédie amoureuse et la cabaret, ainsi que la dédramatisation grossière d'un mythe célèbre qui déclenche le rire parmi les foules.

 

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