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Le Père Goriot, Roman De Formation ?

Publié le 17/01/2011

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Un roman d'apprentissage ou roman de formation suit le cheminement évolutif du personnage principal. Dans la plupart des cas, le héros est jeune et doit parvenir à l'idéal de l'homme cultivé. Cependant, c'est une conception de la vie qu'il se forge progressivement. En effet, derrière l'apprentissage d'un domaine, il existe d'autres grands évènements de l'existence que celui-ci découvre tels que la mort, notamment celle du Père Goriot, ici ; l'amour de Rastignac pour les deux filles de Goriot ou encore la haine, et bien d'autres exemples. Dès lors, le roman de formation décrit la maturation du héros : il démarre naïf et, à travers de nombreux obstacles ou de nombreuses épreuves, tire une leçon de ces évènements et mûrit ainsi. On peut donc dire que le roman d'apprentissage traite de la confrontation du sujet avec différents domaines du monde. 

 

A travers cette définition du roman d'apprentissage, on peut considérer l'œuvre comme tel. Ainsi, Honoré de Balzac montre au lecteur la vie parisienne via Eugène de Rastignac : l'emprise de l'argent sur les gens, changeant ainsi leur personnalité et les poussant à agir avec cruauté, par exemple Vautrin ; ou encore par les sentiments qui n'ont plus aucune signification, comme l'amour du Père Goriot pour ses filles. Pur au début, Rastignac oscille, par la suite, entre le vice et la vertu. Pour éviter que Eugène de Rastignac ne sombre dans le vice, certains personnages comme Mme de Beauséant, lui viennent en aide. En effet, cette dernière, lors de sa longue tirade, montre à l'étudiant les nombreuses pensées pessimistes du monde mais aussi lui donne de nombreux conseils et avertissements. C'est pourquoi celle-ci emploi des métaphores tels que « N'acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais « pour montrer à Rastignac qu'il faut être impitoyable, agressif et sans pitié. Aussi, celle-ci utilise une « métaphore guerrière « avec l'expression « frappez sans pitié « pour lui montrer que la vie est un combat, surtout dans une ville corrompue telle que Paris. De plus, selon Mme de Beauséant, le rôle attribué aux femmes est totalement différent de celui de la séduction. En effet, la femme « sert « ici de symbole de noblesse, elle ouvre l'accès à la richesse et permet de réussir sa vie. 

 

En outre, ce cheminement est marqué dans le texte. Balzac lui-même y invite le lecteur par des formules qui marquent certaines étapes de cette « éducation « notamment lorsqu'il est « Détourné par ces petits évènements « et, par la suite, « son éducation [qui a déjà] commencé [aura] porté ses fruits. Il [aimera] égoïstement... «. Aussi, la dégradation morale d'Eugène se fait rapidement car la tranche de vie qui nous est présentée dans cette oeuvre est courte. Si l'on ignore la séquence de quelques semaines où Rastignac mène une existence dissipée en compagnie de Mme de Nucingen, la tranche de vie qui est présentée au lecteur se limite à une quizaine de jours environ avant cette période et une dizaine de jours entre le moment où Eugène de Rastignac accepte le prêt de Vautrin et l'enterrement du Père Goriot. Puisque Rastignac oscille souvent entre les bons et les mauvais sentiments que Vautrin éveillent, Rastignac ne tombera pas dans son piège mais deviendra de moins en moins attentif à ses propres conseils jusqu'au moment ou Balzac constatera que l'éducation de Rastignac s'achève avec la célèbre expression « A nous deux maintenant! «. Cette oscillation continuelle est en fait l'intrigue principal de son personnage. Dès le début, il prête à Rastignac un tempérament ambitieux, face à son honnêteté naïve, et d'autres part une mobilité de caractère qui le prédispose à toutes les faiblesses. C'est ainsi qu'avant même d'entendre les conseils de Mme de Beauséant, il a déjà observé, par calculs plus ou moins avoués, que l'on arrive par la protection des femmes et il les considère donc comme des instruments, ou des éléments de réussite. Il considère Mme de Restaud comme « la messagère d'une brillante destinée « ; de même, il se réjouit que Mme de Langeais et Mme de Beauséant semblent être « deux bonnes amies «, en se disant alors d'elles qu'elles seront ces « deux protectrices «. Enfin, Mme de Nucingen lui « sert « {text:soft-page-break} d'élément d'introduction dans le monde de la « mode «. 

 

L'instabilité de son caractère remet souvent en cause ses plus graves décisions. Par exemple quand, après avoir résisté aux assauts de Vautrin, il se promet d'arriver « noblement, saintement « par le travail et le mérite, il suffit que dans son nouvel habit il se trouve « l'air d'un gentilhomme « pour qu'il soit repris par le projet de séduire Delphine dont le rôle sera d'assurer sa réussite dans le monde. L'itinéraire moral de Rastignac se trouve ainsi jalonné de capitulations, même si parfois il se reprend dans un ultime sursaut ( Propositions de Vautrin ). Pour secourir Delphine, il s'est en effet aventuré dans l'univers des redoutables maisons de jeu et il en prend désormais le chemin lorsqu'il est en difficulté. Arrivé à l'heure du choix, le lecteur voit Eugène de Rastignac glisser rapidement sur la pente de l'ignominie, de la bassesse. Lorsqu'il apprend que le fils Taillefer va être tué en duel, il reste « stupide «, et loin de se révolter contre, il ne trouve d'autre parade que de prévenir lui-même le jeune homme ; mais aussitôt après il accepte la proposition peu reluisante de Goriot et se décharge sur cet indifférent de la grave responsabilité d'aller trouver Taillefer à sa place : Il est lui-même pressé de rejoindre Delphine dans leur nouvel appartement. A partir de ce moment-là, Rastignac ne se souciera pas plus du sort du fils Taillefer que du chagrin de Victorine. 

 

Et même s'il est « épouvanté « par « l'élégant parricide « de Delphine qui ne songe qu'au bal pendant que son père est à l'agonie, il n'a pas le courage de la rappeler à ses devoirs : il entasse, dit l'auteur, les « raisonnements assassins « pour la justifier. C'est qu'à sa soif de richesse une autre force toute puissante vient s'ajouter pour étouffer la voix de sa conscience : « Depuis deux jours tout était changé dans sa vie. La femme y avait jeté ses désordres, elle avait fait pâlir la famille, elle avait tout confisqué à son profit. « Dans les dernières pages du roman, face à l'honnête Christophe Bianchon, Eugène reconnaît que son âme est désormais irrémédiablement corrompue : « Moi, je suis en enfer, et il faut que j'y reste «. Par conséquent, Rastignac entreprend de conquérir la fortune, non en se dressant contre la loi, comme Vautrin, mais en exploitant cyniquement toutes les failles de cette « société pourrie « pour en « pomper le miel «. 

 

C'est donc l'apprentissage de la vie chez un jeune homme dévoré d'ambition où un signe de dégradation progressive apparaît clairement. 

C'est en cela que le roman de Balzac, « le Père Goriot «, est un roman de formation.

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