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LE PERSONNAGE DE TIBERGE DANS MANON LESCAUT, UNE OEUVRE DE L'ABBE PREVOST.

Publié le 29/09/2010

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lescaut

 

Introduction : Tiberge est l’un des personnages clef de l’oeuvre de l’Abbé Prévost. En effet, homme de religion, Tiberge incarnera la raison et la sagesse et n’hésitera pas à montrer un dévouement sans fin pour son ami d’enfance le chevalier Des Grieux. Il apparaîtra alors comme un personnage moralisateur, dû à son statut d’homme d’Eglise, mais aussi comme un ami compatissant envers Des Grieux, animé par les plaisirs et les vices de l’amour et de la passion. Quel est donc le rôle essentiel du personnage de Tiberge tout au long de l’oe uvre de l’Abbé Prévost? Notre approche vis-à-vis de Tiberge se fera en trois points : nous dresserons dans un premier temps son portrait, puis nous nous attacherons à analyser son rôle. Puis nous achèverons cette étude par un travail sur la fonction symbolique de Tiberge : la religion. Développement : Nous pouvons tout d’abord constater que l’Abbé Prévost peint souvent ses personnages de façon succincte, il apporte alors peu d’informations sur les personnages principaux dont Tiberge. Dès lors celui-ci n’est décrit qu’au début de l’oeuvre, simplement sur sa vie familiale et sociale. Tiberge est un jeune homme âgé de vingt ans, de trois ans l’ainé de Des Grieux. Ces deux personnages ont d’ailleurs été élevés ensemble. Unis depuis leur plus tendre enfance, Tiberge voue une amitié sincère et sans limites à son ami le chevalier Des Grieux. En effet il considérait son ami comme un modèle de bonté et d’intelligence, Tiberge dira lui dira même: « Je connais l’excellence de votre coeur et de votre esprit ; il n’y a rien de bon dont vous ne puissiez vous rendre capable. «. Tiberge restera un ami d’une fidélité sans égale, et dont le courage ne diminuera pas face à sa volonté de voir Des Grieux revenir sur le chemin de la vertu et de la religion. Il occupe une place tout à fait particulière dans l’entourage du chevalier, puisque son amitié reste désintéressée, et parfaite. Nous remarquons dans Manon Lescaut que c’est l’amitié entre Tiberge et Des Grieux qui nous offre, nous dévoile le portait moral de Tiberge. Ainsi nous découvrons un personnage guidé par la sagesse et par la raison, mais parfois naïf, se laissant abuser par le chevalier lorsque celui-ci se lamente de sa situation et espère lui soutirer de l’argent. Tiberge veut sauver son compagnon de la passion. Quant à son portrait social il reste très vague : contrairement à Des Grieux, il est issu d’une famille beaucoup plus modeste. C’est pourquoi il s’est vu obligé de se diriger vers la voie ecclésiastique. Pourtant, Tiberge n’hésitera jamais à faire preuve de générosité envers son compère le chevalier. Dès lors nous nous interrogerons sur la place qu’occupe Tiberge dans le déroulement de l’intrigue de Manon Lescaut. Tiberge apparaît tout d’abord comme un personnage secondaire dans cette oeuvre. Or il est présent tout au fil de l’oeuvre, et vole ainsi au secours du chevalier pas moins de sept fois. Toujours dans le but de l’aider et de le soutenir. Des Grieux fait confiance à Tiberge son auxiliaire : « (…) ce fut de recourir à mon ami Tiberge, dans lequel j’étais bien certain de retrouver le même fond de zèle et d’amitié. Rien n’est plus admirable et ne fait plus d’honneur à la vertu, que la confiance avec laquelle on s’adresse aux personnes dont on connaît parfaitement la probité. On sent qu’il n’y a point de risque à courir. Si elles ne sont pas toujours en état d’offrir du secours, on est sûr qu’on obtiendra du moins de la bonté et de la compassion. «. De prime abord nous pouvons observer le rôle essentiel de ce personnage qui semble certes quelconque mais qui avec plus de recul paraît ineffaçable. En effet c’est une sorte de triangle qui se déploie tout au long de la structure de l’oeuvre : les péripéties sont dans un certain sens possible par le biais de la présence de Tiberge. Aussitôt que le chevalier se trouve dans en situation délicate il court chercher du renfort auprès de son compagnon qui l’apaise moralement et financièrement. Cette aide permet aux héros de renouveler de plus belle leurs aventures et ainsi de suite. A chaque infortune Tiberge est présent pour relever son ami, dès lors le prêtre se pose tel un moteur de l’histoire provoquant par le biais de son aide de nouvelles péripéties. C’est un cercle infernal qui se déroule sous nos yeux et qui s’achèvera par la mort de Manon. (Voir schéma) Comme dit précédemment, Tiberge lui sera d’un soutien moral, notamment au début de l’oeuvre, lorsque Des Grieux est amené de force dans la maison familiale par son frère pour être éloigné de Manon. Effectivement l’homme d’Eglise lui rend visite et le convainc de revenir à la raison. Cependant nous pouvons noter une pensée discordante chez le « prisonnier « : « Mais, à la fin d’un si sage arrangement, je sentais que mon coeur attendait encore quelque chose et que, pour n’avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il fallait être avec Manon. «. Tiberge ne réussira pas complètement à le détourner de sa passion, puisque quelques temps plus tard celui-ci retournera auprès de sa belle. Il représente une certaine protection financière pour le chevalier puisque Tiberge ne comptera pas les pistoles prêtées. Le chevalier se trouve de très nombreuses fois en difficulté pécuniaire face aux dépenses faites pour les désirs de Manon. Relevons un passage référentielle où Tiberge fera preuve d’une générosité excessive : « Il me mena aussitôt chez un banquier de sa connaissance, qui m’avança cent pistoles sur son billet, car il n’était rien moins qu’en argent comptant. J’ai déjà dit qu’il n’était pas riche. «. Ainsi Tiberge apparaît tel un adjuvant puisqu’il se fait soutien moral et financier. Mais est-ce à dire qu’il ne réprouve pas la conduite du chevalier, qu’il n’essaye pas de le mener vers d’autre chemin. Il est vrai que l’homme d’Eglise prône la religion de la vertu par opposition à Des Grieux qui lui prône celle de l’amour. Tiberge tente de détourner son ami des chemins bien sombre du libertinage : Ainsi pareil à un opposant, il réfute la conduite bien hasardeuse de notre héros. Elle est aux antipodes de la religion et donc aux antipodes de la pensée du prêtre qui essaye tant bien que mal de remettre son ami sur le droit chemin. Tiberge s’oppose à son ami d’une part par son statut social, un religieux n’a pas les mêmes convictions qu’un libertin. L’argent n’a pas de valeur à ses yeux ayant fait voeux de pauvreté, il s’intéresse plus aux biens spirituels. Le prêtre se manifeste tel un opposant, en effet il désapprouve la conduite de Des Grieux, et tente de le ramener à la raison, sur la voie de la vertu. Ainsi le religieux se range du côté des braves gens comme le père de Des Grieux, le Supérieur de Saint Sulpice… Il est redoutable par ses prérogatives même si tout d’abord il semble clément et indulgent puisqu’il montrera par mille et une façons que le chemin à suivre est celui de l’amour de la religion « …il me flatta si adroitement sur la bonté de mon caractère et sur mes inclinations, qu’il me fit naître dès cette première visite, une forte envie de renoncer comme lui à tous les plaisirs du siècle pour entrer dans l’état ecclésiastique …«. Il souhaite que son compagnon retrouve la raison tandis que Des Grieux désire poursuivre sa voie vers l’amour passion bien plus attrayant que la vie monotone et rangée de son ami. Cependant l’acharnement de notre sage ne sera pas sans récompense, au terme de l’histoire lorsque Tiberge viendra secourir Des Grieux en Louisiane son ami lui avoue que « tout ce qui lui est arrivé depuis son départ de France, et pour lui causer une joie à laquelle il ne s’attendait pas, je lui déclarai que les semences de vertu qu’il avait jetées autrefois dans mon coeur commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. « Nous observons donc un personnage aux multiples facettes et très complexe se faisant au premier abord adjuvant puis dans un second coup d’oeil il paraît idem à la série des représentant de l’ordre puisqu’il condamne la liaison qu’il entretient avec Manon et tend de sortir son ami des routes bien obscures du libertinage, du bien matériel, de la passion. Tiberge détient dans l’oeuvre de Prévost un rôle symbolique important. Il représente en effet la religion. Constat que l’on peut avancer grâce à sa profession mais aussi aux nombreuses valeurs qui le caractérisent. Il est un homme bienveillant, généreux, sage, vertueux, et profondément dévoué à Dieu. Tiberge devient un guide pour le chevalier, même si ce dernier place Manon au-dessus de la religion. Il incarne un modèle de vertu qui ne cessera jamais de croire au retour de Des Grieux sur la voie de la raison et donc de la foi. Ce déterminisme fait de lui un parfait homme de Dieu. Il est alors nécessaire de parler d’une notion très importante qui apparaît dans Manon Lescaut : le jansénisme. Le Jansénisme est un courant religieux et politique qui se déploya aux XVIIe et XVIIIe siècles en France, Belgique, Hollande, Italie et Allemagne. Notons que les jansénistes prônent une morale très rigoriste, contrairement aux jésuites qui, face au péché, demeurent indulgents. Il existe une « querelle de la grâce « entre les jansénistes et les jésuites. En effet pour les premiers l’homme ne possède pas de libre-arbitre puisque son destin est déjà écrit. Dieu est tout-puissant et détermine lui-même la destinée de chacun, il n’accorde sa grâce qu’à de rares élus. Pour les jésuites, l’homme détient un libre-arbitre, lui-seul bâtit son avenir et le chemin vers la grâce. A partir de 1637, les jansénistes, installés à Port-Royal dans une abbaye, fondent les Petites Ecoles (notamment fréquentées par Racine) où l’enseignement sera porté sur la théologie et l’étude littéraire. Condamnés par le collège de la Sorbonne, Port-Royal sera rasé en 1710 par le pouvoir royal favorable aux jésuites. Dans Manon Lescaut le jansénisme apparaît grâce au thème du destin et de la fatalité. Dans cette oeuvre, le chevalier représenterait un chrétien pécheur, soumis aux plaisirs des sens et à l’amour. La grâce de Dieu lui est ainsi interdite. En revanche Tiberge se montre détaché de toute cupidité et incarne un homme d’Eglise vertueux, attaché à des valeurs spirituelles profondes qui font de lui un être destiné à être gracié. Des Grieux se sent victime de son destin, et souffre de se voir, aux moments les plus paisibles et agréables de sa vie, accablé par ce destin : « J’ai remarqué, dans toute ma vie, que le Ciel a toujours choisi, pour me frapper de ses plus rudes châtiments, le temps où ma fortune me semblait le mieux établie «. Ici le destin joue un rôle très important, même essentiel : si le chevalier, élève d’un collège jésuite, souhaite garder une attitude vertueuse, il ne peut absolument rien faire et se voit entraîné par l’amour inévitable qu’il porte à Manon. Un amour comparable à celui de Phèdre et d’Hyppolite, les célèbres personnages de Racine. Des Grieux reste toujours conscient de son impuissance face à la fatalité: « Je vais perdre ma fortune et ma réputation pour toi, je le prévois bien ; je lis ma destinée dans tes beaux yeux ; mais de quelles pertes ne serai-je pas consolé par ton amour ! «. L’attitude janséniste du chevalier apparaît lorsqu’il tente d’oublier Manon, et prie Dieu de l’aider. Après les infidélités de Manon avec Monsieur de B…, Des Grieux se tourne vers la religion et souhaite mener « une vie sage et chrétienne « où il s’occuperait « de l’étude et de la religion « qui lui permettront « de ne point de penser aux dangereux plaisirs de l’amour «. L’un des discours du jeune homme fait à Tiberge semble être effectivement janséniste : « Etablissez bien que les délices de l’amour sont passagères, qu’elles sont défendues, qu’elles seront suivies par d’éternelles peines, et ce qui fera peut-être encore plus d’impression sur moi, que, plus elles sont douces et charmantes, plus le Ciel sera magnifique à récompenser un si grand sacrifice, mais confessez qu’avec des coeurs tels que nous les avons, elles sont ici-bas nos plus parfaites félicités «. Puis lorsqu’il ajoute : « De quels secours n’aurais-je pas besoin pour oublier les charmes de Manon ? «, Tiberge se moque gentiment de lui : « Dieu me pardonne, je pense que voici encore un de nos jansénistes. « Mais le roman de Prévost est-il réellement une oeuvre janséniste ? Remarquons tout d’abords que contrairement aux principes jansénistes, Des Grieux place son amour pour Manon au-dessus de Dieu et donc de la religion. Pour les Jansénistes, Dieu est tout-puissant, comme dit précédemment il détient entre ses mains la destinée de chacun et seul son jugement compte. Or dans Manon Lescaut Des Grieux se retrouve face à la justice des hommes. Conclusion : Le personnage de Tiberge paraît à première vue peu important, il s’efface derrière les personnages principaux : Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux. Cependant il reste l’une des clefs de l’oeuvre sans laquelle le déroulement de l’histoire ne serait pas possible. En effet c’est bien Tiberge qui secourt le chevalier financièrement et moralement, c’est grâce à ce dernier que les péripéties se renouvellent. Néanmoins son statut est double, dans un premier temps Tiberge est perçu tel un adjuvant et se pose pareil à un opposant. Il représente l’ordre et prône l’amour de la vertu, à contrario de Des Grieux qui prône l’amour passionnel. Ainsi cet ecclésiastique se fait moralisateur, confident, incarnant la raison, la sagesse et la vertu. En d’autres termes Tiberge incarne la religion. Une religion qui se glisse habilement dans l’oeuvre de Prévost et qui nous mène à la question du jansénisme.

 

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