Devoir de Philosophie

Commentaire Manon Lescaut de l'Abbé Prevost "J'avais marqué le temps depuis mon départ d'Amiens..."

Publié le 02/07/2012

Extrait du document

lescaut

Nous avons affaire avec un texte extrait du roman L’histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, paru en 1731, et étant lui-même le septième et dernier tome des Mémoires et aventures d'un homme de qualité. L'auteur de ces écrits est l'Abbé Prevost, romancier, journaliste, historien et traducteur né en 1697 et mort en 1763.

Cet homme d'église français s'inscrit donc dans un siècle de transformations économiques, sociales et intellectuelles importantes. Ainsi on trouve notamment parmi ses principaux thèmes d'inspiration : la passion, qui se révèle être ici notre fil conducteur majeur.

En effet, nous assistons à des retrouvailles entre le Chevalier Des Grieux et Manon Lescaut, après deux années de séparation. Alors qu'il vivait discrètement à Paris avec Manon, Des Grieux avait été dénoncé par un certain M. de B..., l'amant secret de Manon qui servait à cette dernière d'aide financière. Le jeune naïf avait alors été ramené de force chez son père. Pour échapper à la dépression et ne pas trop souffrir du manque de sa bien aimée, Des Grieux reprit ses études au séminaire de St Sulpice, ce qui lui rapporta prestige et réussite. C'est lors d'un exercice public important en Sorbonne qu'il rencontre à nouveau Manon.

Cette situation délicate nous invite donc à mieux analyser ce passage. Il est intéressant de se poser la question : Dans quelles mesures cet extrait est-il révélateur de la relation singulière qui unit Des Grieux et Manon ?

Pour ce faire, nous allons commencer par une étude des conséquences du délit commis par Manon, témoins de l'instabilité de leur liaison. Ensuite nous insisterons sur le renversement de situation qui a lieu ; et pour finir, nous traiterons de la solidité de leur amour.

 

 

 

Premièrement, un délit a été commis : celui de l'infidèlité. Cet événement est bien évidemment source de désordre sentimental chez le couple, c'est pourquoi on trouve dans le passage une dominance du registre pathétique.

En effet, la souffrance, caractéristique principal de ce registre, est très présente. Dès les premiers instants, Manon tente de « cacher quelques larmes » et par la suite, « pleur[e] à chaudes larmes » ; de même que Des Grieux qui nous indique qu'il « vers[e lui] même des pleurs ». Le jeune homme est offensée par le comportement passé de son amante, et ressent ainsi de la rancœur envers celle ci : il s'écrie « douloureusement » et à plusieurs reprises « perfide Manon ! » mais « n'[a] pas la force de terminer [ses phrases] ».

De plus on distingue comme autre élément typique du registre pathétique, la présence du sentiment de compassion : Manon semble chercher un peu d'attendrissement auprès de Des Grieux et du lecteur. C'est pourquoi elle dit « qu'il y [a] bien eu de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de s'informer de son sort, et il y en a beaucoup encore à la voir dans l'état où elle était en [la présence de Des Grieux] » sans qu'il ne lui adresse une parole. Afin que l'on s’apitoie un peu plus sur son sort et qu'on ne la juge pas trop sévèrement, la jeune fille fait également le choix d'avouer ses fautes. Ainsi elle « confesse que son infidélité mérite [la] haine [de Des Grieux] », et pour finir « [elle] préten[d] mourir » si il lui refuse son pardon.

Cet aspect des retrouvailles nous montrent que les deux amants forment un couple particulièrement instable, et en particulier Manon qui est prête à blesser son ami et le trahir malgré son amour pour lui. Des Grieux quand à lui, nous montre déjà à quel point il adore Manon, trahi par la souffrance et la rancœur qu'il ressent à son égard.

 

 

 

Seulement, nous allons voir dans cette seconde partie de notre étude, qu'un renversement de situation a lieu, nous exposant à une autre vision des amoureux.

Cette évolution est tout d'abord marquée par l'apparition « surprenante » de Manon. Des Grieux la trouve alors « plus brillante et plus aimable qu'il ne l'avait jamais vue », et nous confie que « toute sa figure lui par[aissait] un enchantement ».

De plus, on observe un changement dans la mobilité des personnages et le rythme de narration. Nous pouvons constater au début du passage un embarras conséquent entre les deux héros, qui gardent « les yeux baissés » et s'expriment « d'un ton timide ». Des Grieux nous indique qu'il « demeur[e] interdit à [la] vue » de Manon, et que « le silence [qui s'était installé] continu[e] ». Puis une phrase dans le texte marque l'évolution : « A peine eus-je achevé ces derniers mots, qu'elle se leva avec transport, pour venir m'embrasser » explique Des Grieux. En plus de ce mouvement soudain, de nombreux verbes d'actions s'en suivent : « « j'y répondais », « elle m'accabla », « transporté »... Le jeune homme reconnaît lui-même le phénomène : « Quel passage, en effet, de la situation tranquille ou j'avais été, aux mouvements tumultueux que je sentais renaître ! »

Pour achever cette partie, précisons que Des Grieux vit cette nouvelle situation paradoxale comme un grand bonheur, mais aussi comme son retour dans l'incertitude. Nous lisons au début du texte qu'il « retournai[t] à St Sulpice couvert de gloire et chargé de compliments », mais cette sérénité est bouleversée brusquement, le plongeant dans un univers bien moins stable d'ardeurs, d'emportements, et de transports. Des Grieux symbolise cette perturbation par une longue comparaison en fin de texte, exploitant l'analogie entre ce qu'il ressent, et ce que pourrait ressentir une personne perdue « la nuit dans une campagne écartée », qui serait « saisi[e] d'une horreur secrète » et qui ne s'en remettrait « qu'après avoir considéré longtemps tous les environs. »

Ainsi la capacité du couple à passer d'un état à un autre confirme l'instabilité précédemment observée, mais elle témoigne aussi d'un amour qui semblerait invulnérable puisque résistant à l'un des pires affronts : la trahison. Notre troisième partie va donc servir à étudier cet aspect.

 

 

Une seule raison peut pousser les deux amants à se jeter dans les bas l'un de l'autre à nouveau après ce qu'ils ont traversé : la passion, assez puissante pour leur faire oublier les ennuis et leur faire simplement apprécier la présence de l'autre.

La force des sentiments de Des Grieux est en premier lieu symbolisée par son pardon. En effet, il accepte « les milles caresses passionnées » de Manon, et « n'y répon[d] encore qu'avec langueur ». Sans l'exprimer clairement, Des Grieux semble l'excuser de son pêché, malgré les terribles sentiments de désespoir et de rancoeur qui l'avaient envahi auparavant. Mais ici, le plaisir de la reconquérir à nouveau, et le désir qu'il ressent sont plus fort que toutes autres sortes de pensées négatives. Le manque avait été trop important pour gâcher l'opportunité de la retrouver, et il finit également par lui avouer que « [s]on cœur n'a jamais cessé d'être à [elle] ».

En dernier lieu, il est important de noter la présence du registre lyrique dans la deuxième moitié du texte, qui permet d'exprimer les ardeurs intenses, confirmations de leur passion éternelle. On trouve donc des émotions intimes, des sentiments personnels comme lorsque Des Grieux nous dit que Manon « l'appell[e] par tous les noms que l'amour invente pour exprimer ses plus vives tendresses ». Le sentiment amoureux est très présent. La première personne, la plus apte à traduire l'intimité est très utilisée également : « Je frémissais », « J'en étais épouvanté », … Et le lecteur partage les sentiments du narrateur qui l'inclue dans sa comparaison finale à l'aide du pronom « on ».

 

 

En conclusion, nous pouvons effectivement affirmer que ce passage du livre est très représentatif des particularités de la liaison entre Des Grieux et Manon. Un procédé d'évolution de la situation est mis en place, passant de l'embarras à la rancœur, à la souffrance, puis à l'amour et pour finir à la crainte de nouveaux maux. Grâce à cela on peut distinguer les différents aspects de la relation des deux héros, qui reviennent notamment durant tout l'oeuvre : on aura noté la solidité de leur amour face aux difficultés, mais malgré cela une grande instabilité, et surtout marquée par de nombreux actes passionnés. L'adultère est un sujet très prisé par les auteurs de tous les siècles dont l'Abbé Prevostaux XVIIIe, menant bien souvent à des pistes de réflexions sur la société. On trouve notamment parmi ce genre d’œuvre La femme de trente ans, écrite par Honoré de Balzac et publiée une centaine d'année exactement après celle-ci.

Liens utiles