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Le refus de l'âge d'or

Publié le 13/05/2011

Extrait du document

DM FRANCAIS

 

Corrigé

Question

Selon Pascal, dans les Pensées, le bonheur est une recherche universelle : « Tous les hommes recherchent d'être heureux ». Mais cette quête du bonheur est insatisfaite ; les hommes n'atteignent jamais ce « but ». Pour Pascal, l'homme est en quête d'un état antérieur, d'un paradis perdu (« il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur »), et éprouve un sentiment de manque. Ce manque, selon le philosophe, ne peut être comblé que par Dieu : « Ce gouffre infini ne peut être rempli […] que par Dieu même. » Pour renforcer son argumentation, Pascal utilise l'énumération ; « princes, sujets, nobles, roturiers… » ; il accentue ainsi le caractère universel de la petitesse de l'homme. Surtout, il utilise l'interrogation rhétorique, dans tout le troisième paragraphe : « Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance » : la tournure de la phrase est d'abord interrogative ; mais, très vite, arrive la réponse : « sinon qu'il y a eu autrefois un véritable bonheur […] Dieu même ». Ce procédé a pour but d'amener le lecteur à répondre intérieurement, de créer une connivence. L'auteur sous-entend ainsi que la réponse est évidente, que tout le monde ne peut que s'incliner devant cette vérité : seul Dieu peut combler cette insatisfaction des hommes. Pascal utilise ici une rhétorique de la persuasion.

Le « Philosophe scythe » est une fable de La Fontaine fondée sur un récit : un philosophe, pour imiter un sage grec, supprime tout ce qui lui semble « inutile » (v. 8-9, 21-22, 25-26). L'histoire porte sur l'élagage des arbres à fruits, mais La Fontaine entend en fait réfuter la thèse des stoïciens : « Un indiscret stoïcien […] retranche de l'âme / Désirs et passions […] / Ils [de telles gens] ôtent à nos cœurs le principal ressort ; / Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort ». La Fontaine use ainsi de l'apologue, du récit allégorique : le récit devient argumentation grâce à des personnages, une intrigue et une leçon symboliques. La métaphore filée du « Jardin » évoque une position devant les choix de la vie, et plus précisément la philosophie d'Épicure, appelée aussi la philosophie du Jardin (lieu dans lequel il a fondé son école). La narration a donc une valeur argumentative.

Dans Le Mondain, Voltaire professe son amour du progrès et de la civilisation. Le progrès et la prospérité apportent le bonheur – telle est la position de la plupart des philosophes des Lumières. Voltaire refuse toute nostalgie d'un passé idyllique (« Regrettera qui veut le bon vieux temps, / Et l'âge d'or » […]) et opte pour les plaisirs matériels (« le luxe », « les ornements », « l'or de la terre », « de nouveaux biens », « le vin »). Il utilise à plusieurs reprises l'ironie (« mon cœur très immonde », « Ô le bon temps que ce siècle de fer ! »), arme très efficace dans la polémique, pour discréditer les thèses de l'adversaire (les « pauvres docteurs »).

Enfin, dans les Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau évoque un moment de sa vie où il a été « si véritablement heureux » : son séjour à l'île Saint-Pierre, en Suisse, en compagnie restreinte. Il décrit le paysage de l'île, idéal pour les « contemplatifs solitaires » – une nature isolée, accueillante et paisible –, et exprime le bonheur que lui a procuré ce lieu. Rousseau utilise surtout des comparaisons (avec, par exemple, une abondance d'adverbes de comparaison) ; il oppose ainsi la nature sauvage du lac de Bienne à celle du lac de Genève : « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève », « elles ne sont pas moins riantes », « S'il y a moins de cultures de champs […], il y a aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies […] ». Il compare également le temps passé dans cet endroit – la durée de ce bonheur – et le reste de sa vie : afin d'exprimer l'intensité de ce bonheur, quoique court, il emploie notamment le superlatif « le plus heureux ». Il utilise aussi des gradations dans les indications temporelles, notamment une gradation ascendante : « deux mois », « deux ans, deux siècles, et toute l'éternité ». Rousseau montre ainsi que l'intensité compense la courte durée, et que l'idée du bonheur ainsi que le souvenir qu'on en garde sont plus importants que sa réalité : « Je compte ces deux mois pour le temps le plus heureux de ma vie et tellement heureux qu'il m'eût suffi durant toute mon existence sans laisser naître un seul instant dans mon âme le désir d'un autre état. »

On constate donc que le bonheur est un sujet philosophique que chaque auteur développe avec une visée argumentative.

Travaux d'écriture

Sujet 1 : commentaire de texte

Introduction

Le xviiie siècle aurait inventé l'idée de bonheur… Affirmation excessive, sans doute, mais il est vrai que le débat sur ce thème fut vif à cette époque, car la recherche du bonheur apparaît comme une dimension essentielle de la vie. Surtout, le bonheur est l'aune à laquelle se mesure peut-être l'importance de la vie terrestre par rapport à la vie éternelle. En 1736, bien avant les querelles avec Rousseau et les autres philosophes, Voltaire publie un poème provocateur, Le Mondain, où il prend nettement position pour une vie matérielle, sans nostalgie d'un mythique paradis terrestre. Et il opte pour le décasyllabe, plus animé et vivant. Dans ce texte à vocation philosophique, Voltaire évoque le prétendu « âge d'or », afin de le dénigrer, et se déclare pour « le monde », pour les plaisirs de son temps.

I. Le refus de l'âge d'or

1. La référence à l'âge d'or

Le mythe de l'âge d'or est évoqué au début et à la fin de l'extrait, comme un cadre précisément symétrique : quatre vers initiaux et quatre vers concluant le passage. Dans cette rigoureuse symétrie, Voltaire semble commencer par un éloge et finir par une condamnation sans appel.

2. L'âge d'or ou le jardin d'Éden

La culture classique entretient une double référence, chrétienne et gréco-romaine. Cette double référence est présente dans Le Mondain, où les notions de jardin d'Éden et d'âge d'or sont volontairement associées. En évoquant « le jardin de nos premiers parents », Voltaire fait allusion au paradis terrestre, dont Adam et Ève ont été chassés pour avoir transgressé l'ordre de Dieu. Il évoque également Saturne et Rhée (ou Rhéa), les divinités qui ont fait régner l'âge d'or, cette période heureuse mythique de l'humanité.

3. Contre l'état de nature

Or, contrairement à l'opinion commune, Voltaire refuse la nostalgie d'un passé idyllique et opte pour un matérialisme indiscutable : « Nos bons aïeux […] n'avaient rien » (v. 31 et 33). Il exprime sa position en employant des formules ironiques : « le bon vieux temps », « les beaux jours » (v. 1 et 3). Voltaire critique l'ignorance et le dénuement matériel de cette époque prétendument idyllique ; il associe d'ailleurs ces deux éléments en une interrogation oratoire péremptoire : « Qu'auraient-ils pu connaître ? Ils n'avaient rien » (v. 33).

Le prétendu âge d'or est donc réduit à une époque primitive, et l'état de nature (en tant qu'état hypothétique d'une nature existant avant toute intervention humaine) – qui sera tant prôné deux décennies plus tard par Rousseau, notamment – est considéré ici comme une ébauche de l'humanité (v. 30).

II. Le choix d'un bonheur terrestre

1. Le luxe, la prospérité

Voltaire affirme fortement son goût du luxe : « J'aime le luxe » (v. 9), « Tout sert au luxe » (v. 20). Il associe le luxe à l'abondance (vers 14) et à toute l'expression de la richesse : « L'or de la terre et les trésors » (v. 18), « les nouveaux biens » (v. 27). Il insiste sur la notion d'abondance par l'utilisation du pluriel (« arts », « travaux », « besoins », « trésors », « biens »).

Ce texte constitue un hymne à la prospérité, formulé sur le mode lyrique, comme en témoignent les métaphores (« Mère des arts », « sa source féconde », v. 15 et 16) et les énumérations hyperboliques (vers 17-20).

2. Le commerce réunit les hommes…

Dans une longue phrase, Voltaire réunit divers lieux du globe (v. 24-29) : les bateaux unissent le Nord (« Texel », « Londres », « Bordeaux ») au Sud, à l'Orient (« les sultans », le « Gange »). Le commerce, les échanges, dus aux progrès de la navigation, unissent « l'un et l'autre hémisphère ». À la Renaissance, le désir d'obtenir les épices à un meilleur prix avait poussé Christophe Colomb et ses successeurs à cingler vers l'Amérique ; au xviiie siècle, c'est l'expansion économique qui ouvre le globe aux navires anglais, français et hollandais.

3. …et procure des plaisirs

La prospérité favorise l'abondance matérielle et, surtout, les arts (« les arts de toutes espèces », v. 10). De plus, elle amène les hommes à se déplacer, leur permettant ainsi de se rencontrer ; ils échangent leurs productions : les sultans boivent le vin de France, et les Européens vont chercher de nouveaux biens nés aux sources du Gange, en fait « le superflu ».

Voltaire fait l'éloge des « plaisirs de ce monde », de cette vie agréable, ancrée dans la modernité.

III. Une profession de foi

1. Le débat Nature / Progrès

Avant le grand débat avec Rousseau, Voltaire prend nettement position en faveur du progrès. La nécessité de creuser les troncs d'arbre et d'affronter les cours d'eau, puis les mers, a toujours été présentée comme une des contraintes de l'âge de fer. Les hommes ont quitté la douce oisiveté de l'âge d'or pour affronter le travail. Virgile évoque cette idée dans le Livre I des Géorgiques, auquel pense sans doute Voltaire lorsqu'il écrit Le Mondain. Mais c'est aussi la parabole de la Bible : Adam et Ève, chassés du paradis, doivent « gagner leur pain à la sueur de leur front ». L'activité humaine est donc présentée comme une malédiction.

Voltaire, au contraire, présente la civilisation comme une avancée matérielle et culturelle. Son audace est de se référer, lui aussi, à la nature, mais à une « nature sage » (v. 5), et non à une nature « dans son enfance » (v. 30). Il célèbre le progrès.

2. Le débat religieux

Le débat est ici aussi de nature religieuse : le renouveau spirituel du xviie siècle a entraîné une réflexion sur la meilleure vie possible à mener pour respecter les principes divins. Pour beaucoup de penseurs, dont Pascal, la vie terrestre n'est qu'un écho de la vie spirituelle. Dans ses Pensées, ce dernier affirme que la vraie quête de l'homme est, en fait, la quête de Dieu ; l'homme doit donc renoncer aux biens matériels (« il essaie de remplir inutilement de tout ce qui l'environne ») pour se préparer à la seule vraie félicité, la rencontre avec Dieu. Ainsi s'explique le succès de nombreux mouvements ou ordres monastiques qui prônent une vie ascétique, comme les jansénistes, dont Pascal est si proche.

Avec Le Mondain, Voltaire donne une réponse provocatrice à l'ascétisme chrétien. Il proclame la primauté des plaisirs sensoriels (« mollesse », « goût », « vins ») et esthétiques (« arts », « ornements »).

3. Une prise de position

Voltaire s'engage fortement : il s'oppose par une vigoureuse énonciation à la première personne (« Moi je », « pour mon bien », « pour mes mœurs », « J'aime le luxe », « mon cœur », etc., v. 5-13) et répond ainsi des décennies plus tard à la formule de Pascal, « le Moi est haïssable » – il argumentera, dans ces mêmes années, contre le philosophe dans Les Lettres philosophiques.

Voltaire apprécie « ce temps profane », à l'inverse des théologiens, ces « pauvres docteurs » (v. 7-8). Sa polémique s'exprime par l'ironie ; les formules sont nombreuses : « mon cœur très immonde » (v. 13), dit cet anti-Tartuffe, « bon vieux temps » (v. 1), « beaux jours » (v. 3), « bons aïeux » (v. 31). Le philosophe provoque, également, par l'antithèse : « Le superflu, chose très nécessaire » (v. 22).

Enfin, l'extrait proposé s'achève sur une pointe violente : peut-on regretter ce « bon vieux temps », où les hommes « vivaient dans l'ignorance ». Le mot « ignorance » (v. 31) rime avec « enfance » (v. 30), c'est-à-dire, selon Voltaire, avec état antérieur et inférieur, et surtout dénuement total. « Ils n'avaient rien », conclut-il violemment, dénonçant ainsi également le dénuement intellectuel et moral. Et si les premiers hommes étaient prétendument vertueux, c'est qu'ils n'avaient pas le choix !

Cependant, la positon du philosophe n'a rien de cynique ; elle correspond à de nouvelles valeurs, celles de « l'honnête homme » (v. 12), qui définira l'homme des Lumières. Une exclamation enthousiaste résume cette profession de foi : « Ô le bon temps que ce siècle de fer ! »

Conclusion

Dans Le Mondain, Voltaire procède ainsi à une démythification du paradis terrestre. Il prend le contre-pied d'une position traditionnelle de la philosophie et de la morale, des antiques stoïciens aux chrétiens. Il se proclame vivement en harmonie avec son « monde », une époque prometteuse, puisqu'il conclura ce poème ainsi : « le paradis terrestre est où je suis ».

Ce texte, à l'aube du mouvement des Lumières, exprime un engagement enthousiaste pour le progrès et la joie de vivre.

Sujet 2 : dissertation

Introduction

La littérature, comme l'art en général, permet à l'auteur d'exprimer des idées et de convaincre. Cependant, aborder des notions abstraites ou morales se révèle souvent difficile, l'auteur prenant alors le risque de rebuter le lecteur. Comment être efficace pour aborder de telles notions et susciter l'adhésion du lecteur ? Quelles stratégies employer ? D'ailleurs, faut-il user de stratégies ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous examinerons d'abord la technique de l'argumentation directe, pour nous intéresser ensuite aux stratégies « du détour » qui s'y opposent.

I. L'argumentation devrait être suffisante en soi

1. L'essai

Le support le plus attendu pour aborder des notions abstraites est l'essai. C'est ce que projetait de faire Pascal, dont la mort a interrompu l'œuvre majeure, et dont les fragments ont été publiés sous le nom de Pensées. Dans ces textes, il aborde différents thèmes, celui du bonheur ou de la religion par exemple. La pensée est complexe et l'auteur s'efforce de présenter ses idées avec la plus grande clarté. L'objectif n'est pas de plaire au lecteur, mais de le faire réfléchir par le biais d'une argumentation construite. S'il recourt à des images littéraires, c'est pour mieux se faire comprendre et non dans une visée poétique. Cette démarche, qui est celle de l'essai en général, est également celle de Rousseau dans ses « Discours », ou dans Le Contrat social, véritables ouvrages de philosophie. Peut-on dire cependant que l'argumentation directe, telle qu'on la voit à l'œuvre dans ces essais, exclut tout procédé littéraire et artistique ? Une œuvre dont le but affiché est de convaincre le lecteur peut-elle se passer de ces ressorts stylistiques qui permettent de mieux convaincre le lecteur ?

2. L'utilisation de procédés artistiques

L'essai ne peut éviter les procédés artistiques. Par exemple, dans ses Pensées, Pascal utilise parfois l'interrogation rhétorique (un dialogue artificiel avec le lecteur), des énumérations et des rythmes du discours. Les passages les plus connus de cette œuvre sont pleins de poésie : « L'homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant ». L'écrivain atteint ainsi l'imagination et la sensibilité du lecteur – à l'instar du poète. Usant de ces « artifices » (dans un sens non péjoratif), il rend les notions abstraites plus concrètes et compréhensibles pour le lecteur.

Platon, considéré comme le fondateur de la philosophie occidentale, utilise le dialogue dans ses écrits – les idées sont débattues par des personnages, essentiellement un Socrate recréé –, l'humour, la poésie, le mythe, et même les ressources du théâtre. Diderot et bien d'autres imiteront le dialogue philosophique. Celui-ci a pour avantage de présenter une pensée en mouvement, en recherche ; il confronte plusieurs points de vue tout aussi estimables sur une même question.

II. La stratégie du détour

1. L'apologue

La forme littéraire la plus accessible est celle du récit à visée argumentative, ou apologue. On trouve ce type de procédé dans les textes fondateurs, qu'il s'agisse des mythes fondateurs des Grecs ou des récits bibliques. C'est aussi la forme choisie dans les écrits pour les petits enfants, poussée à la perfection dans les Fables de La Fontaine. Dans la fable intitulée « Le Pouvoir des fables », sujet emprunté au fabuliste grec Ésope, La Fontaine explique qu'un orateur athénien ne parvenait pas à mobiliser la foule contre la menace d'annexion que faisait peser Philippe de Macédoine. Son discours, bien que très fort, n'intéressait personne. Il se mit alors à raconter une fable mettant en scène des animaux et Cérès, et put ainsi obtenir l'attention de son auditoire. Et La Fontaine de conclure : « Nous sommes tous d'Athènes en ce point […] / Si Peau d'âne m'était conté, / J'y prendrais un plaisir extrême ». Cependant, avec ce type de stratégie, le message risque parfois de ne pas être clair. Par exemple, dans « Le Philosophe » de La Fontaine, il faut savoir interpréter l'allégorie de l'arbre dont on taille trop les branches. De même, on ne doit pas prendre au premier degré la leçon du fabuliste ; ainsi, « La raison du plus fort est toujours la meilleure », qui introduit « Le Loup et l'Agneau », n'est pas une morale à suivre mais un triste constat.

Plus tard, notamment à partir du xixe siècle, les écrivains utiliseront le roman comme une arme, pour faire passer des idées : Balzac, mais surtout Hugo (Les Misérables) et Zola (L'Assommoir), y dénonceront les injustices de la société en utilisant l'intrigue, les personnages et les descriptions.

2. Les genres lyriques

La poésie peut également être au service de l'argumentation, même si ce n'est pas son premier objectif. Dès le xvie siècle, c'est dans les sonnets des Regrets que Du Bellay dresse la satire violente de la cour du pape, puis de la cour du roi de France. Au xviiie siècle, Le Mondain de Voltaire, où le philosophe exprime sa conception du bonheur, est bien un poème : il est en décasyllabes réguliers, utilise des images, des énumérations hyperboliques, etc. Hugo, au xixe siècle, lance ses Châtiments contre Napoléon III. Au xxe siècle, des poètes comme Aragon, Éluard ou Desnos utiliseront le langage poétique pour s'engager contre la barbarie nazie. Par la puissance évocatrice du chant poétique, le jeu sur les rythmes et la musicalité des mots, les poètes cherchent davantage à toucher le lecteur, premier pas vers la persuasion. En ce sens, la poésie peut être une arme efficace au service de l'argumentation.

3. Le théâtre

Enfin, le théâtre a toujours été porteur de valeurs. La tragédie est née à Athènes, en même temps que la démocratie. Les dramaturges s'interrogeaient alors sur la place de l'homme par rapport aux dieux (Eschyle) et, surtout, dans la cité (Sophocle). La comédie, quant à elle, dénonçait les folies des hommes, par exemple les horreurs de la guerre dans La Paix d'Aristophane. Depuis, Molière, Beaumarchais, puis les auteurs du xxe siècle – Sartre, Camus, Giraudoux ou Beckett, entre autres – ont proposé une forte argumentation dans leurs pièces. En effet, la double énonciation, propre au théâtre, l'utilisation du non-verbal, la mise en scène : tout contribue à renforcer l'efficacité de la démonstration.

Conclusion

L'homme utilise la parole pour communiquer et la rhétorique pour argumenter et convaincre. On attendrait que le débat, fondé sur le raisonnement, suffise pour transmettre des idées et emporter l'adhésion de l'interlocuteur. Mais lorsqu'il s'agit d'aborder des notions abstraites, il existe un risque d'ennui ou d'inaccessibilité des idées. C'est pourquoi les écrivains utilisent parfois d'autres moyens, d'autres genres permettant de toucher plus facilement la sensibilité du lecteur, de l'impliquer et, ainsi, de le convaincre.

Sujet 3 : écriture d'invention

Jean-Baptiste posa sa canette de soda. C'est alors qu'il vit passer son camarade :

« Eh ! Jean-Jacques, viens prendre un verre avec moi, tu as bien le temps. Assieds-toi ! » Les deux lycéens sortaient du lycée. Ils discutaient des cours de la journée, des devoirs pour le lendemain… Brusquement, le regard de Jean-Baptiste se figea, tout excité :

– Regarde la Porsche ! Quelle chance ! Moi, si j'avais les moyens d'avoir une voiture pareille, adieu les maths, les études, et même le bac !

– Tu ne vas tout de même pas me dire qu'une voiture suffirait à ton bonheur ?

– Évidemment ! Avec tout ce qui l'accompagne : une belle maison, plusieurs même, l'argent pour voyager, m'acheter de beaux vêtements, faire tout ce qui me plaît…

– Comment peux-tu penser que le luxe rend heureux ?

– On voit que tu n'as rien écouté au cours sur Le Mondain de Voltaire. Ne sois pas naïf : si tu as l'argent, crois-moi, tu as tous les avantages qui vont avec : les jolies femmes, tu te soignes mieux, tu vieillis mieux, et tout et tout…

– Moi, je préférerais vivre avec une fille qui m'aime pour moi, pas pour mon argent.

– Mais qui, bien vite, te reprochera de vivre dans un vilain appartement et de passer l'été au camping de Trifouillis-les-Flots, alors que ses amies iront aux Seychelles. Tu te rappelles Madame Bovary, qu'on a étudié l'année dernière ? Son mari l'aimait, il est mort pour elle. Mais faute d'argent, il n'a pas pu la rendre heureuse.

– De toute façon, ce qui m'intéresse, c'est de devenir médecin et travailler dans l'humanitaire. Alors, tu sais, l'appartement…

– Justement, si tu fais des études de médecine, choisis une spécialité rémunératrice. Tiens, la chirurgie esthétique, par exemple…

– Merci bien ! Refaire le nez ou tirer les rides de ces dames, ce n'est pas ma vocation ! Moi, je veux aider les peuples qui souffrent, vacciner les enfants pour qu'ils ne soient plus malades, apprendre aux confrères des pays pauvres à optimiser leurs faibles moyens. Voir sourire un enfant à qui j'aurai évité que sa mère ne lui transmette le sida, ce sera ma plus belle récompense… Je te laisse la Porsche !

– N'exagère pas ! J'aime bien l'argent, mais moi aussi je voudrais exercer un métier intéressant. Mais il faut que je sois bien payé, et, à vrai dire, j'aime bien diriger. P.D-G., cela me conviendrait : tu entres dans un lieu, tout le monde s'incline, on ne te contredit jamais, tu donnes une promotion à l'un, tu renvoies l'autre…

– En fait, ta vocation, c'est tyran, ou Rastignac de banlieue ?

– Et toi, c'est d'être mère Térésa ?

Quelques années plus tard, au même café, les anciens lycéens se rencontrent. Jean-Baptiste, qui a fini ses études d'ingénieur, est entré dans une ONG, et il défend énergiquement les droits des pays émergents. Quant à Jean-Jacques, il dirige d'une main de fer une clinique des beaux quartiers, spécialisée dans les liftings…

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