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Le règne de Keynes

Publié le 15/05/2020

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keynes

Succédant au fiasco du prêt à la Grande-Bretagne, vint le plan Marshall. Ce dernier procédait de vues beaucoup plus pragmatiques du monde d'après-guerre; grâce à lui, l'Europe put panser ses plaies. Le plan Marshall est un bon exemple du genre d'effort concerté étayé par l'argent que Keynes avait réclamé à Bretton Woods.

L'Allemagne participa à plein au plan Marshall. C'était là aussi un legs de Keynes. Dans les années qui suivirent 1 945, les hommes se dirent qu'à aucun prix on ne devait revoir une paix trop rigoureuse. La philippique de Keynes à l'encontre du traité de Versailles était devenue la sagesse de tout le monde. Désormais, on portait assistance à l'ennemi vaincu, on ne le châtiait pas.

En Europe et aux Etats-Unis, les deux décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale laisseront longtemps dans les esprits le souvenir d'une époque heureuse, l'époque où le capitalisme fonctionnait réellement. Partout, dans les pays industrialisés, la production augmentait. Partout, le taux de chômage était bas, les prix presque stables. Quand la production languissait et que le chômage augmentait, les gouvernements intervenaient pour remettre le moteur en marche, selon les conseils de Keynes. Ce furent là de bonnes années, confiantes, le bon temps pour les économistes; ceux-ci acceptaient l'hommage qu'on leur rendait. Seules, les crises occasionnelles, de peu de gravité, étaient encore des faits de la nature ou de Dieu.

Cependant, ces mêmes années firent voir également les défectuosités du miracle keynésien, bien qu'on en célébrât moins les défauts. Au lendemain du plan Marshall, on avait l'espoir qu'une injection semblable d'argent — du capital — ferait aussi sortir les pays pauvres de leur misère. Les pays riches ne firent pas preuve d'une générosité surabondante. Néanmoins, suffisamment pour montrer qu'il y avait un problème.

Dans les pays européens, dans les années qui suivirent immédiatement la guerre, le capital était l'ingrédient qui manquait. Cela, on pouvait y pourvoir et le plan Marshall y pourvut. D'un autre côté, dans

keynes

« 142 L'explication d'un texte économique ies pays pauvres, n'existaient ni expérience, ni compétence ou disci­ pline industrielles, ni administration publique efficace, ni systèmes de transports, ni bien d'autres choses.

A tout cela, il ne pouvait être pourvu de l'étranger comme pour le capital.

De l'étranger, on ne pou­ vait rien faire non plus au sujet de la pression démographique sur les terres.

On se rendit compte, certains du moins, que Keynes était !'hom­ mes des pays riches, non des pays pauvres.

Et l'on redécouvrit la grande leçon de la guerre.

La thérapeuti­ que keynésienne était asymétrique; elle était efficace contre le chô­ mage et la dépression mais non, à l'inverse, contre l'inflation 111.

C'est une découverte qui ne fut acceptée que très lentement et en rechi­ gnant; aujourd'hui, plus de trente ans après, il se trouve encore des disciples du maître qui répugnent à admettre ce défaut.

Au moment où ceci est écrit, le chômage est élevé -aux Etats-Unis, le plus élevé en trente ans cependant que les prix industriels ne cessent de grimper.

Ce qui est vrai des Etats-Unis est pire en Grande-Bretagne.

Mais Key­ nes, l'hérétique de naguère, est devenu la loi et les prophètes.

Il faut y croire pour que ses remèdes soient efficaces.

On peut guérir l'inflation en laissant se développer le chômage.

Cependant, nul keynésien ne peut accepter ce remède; l'essence du système de Keynes est qu'il guérit le sous-emploi.

On peut arrêter l'accroissement des prix industriels et celui des salaires réclamés par les syndicats en agissant directement.

(Je crois depuis longtemps qu'il n'y a pas moyen d'y échapper).

Cela ne laisse pas intacte l'économie du marché comme le voulait Keynes le traditionaliste.

C'est le présage d'un changement radical que peu consentent à envisager.

Il est d'autres problèmes.

Le soutien keynésien à l'économie en est venu à comporter de grosses dépenses d'armement.

Cela, nous l'avons vu, est considéré comme une chose saine tandis que les dépenses d'aide sociale et en faveur des déshérités sont toujours esti­ mées dangereuses.

A la longue, il est également devenu évident que le progrès keynésien' peut comporter des déséquilibres : beaucoup d'automobiles, trop peu de maisons; beaucoup pour les cigarettes, trop peu pour la santé.

Les grandes villes connaissent des difficultés.

Avec l'arrivée de ces problèmes sur le devant de la scène, les années de la confiance ont pris fin.

Le règne de Keynes valait pour une époque non pour n'importe quelle époque.

■ J.-K.

Galbraith, Le temps des incertitudes, Gallimard, trad.

fse.

1978, pp, 257-258. 11) « Mais Keynes s'était attaqué aux problèmes de son époque, au chômage et à la récession; il avait à peu près complètement négligé l'inflation.

Puisque l'inflation est devenue, au cours des dix dernières années, le problème majeur de toutes tes sociétés industrielles, on peut dire d'un système qui n'en tient pas compte qu'il est dépassé ».

IJ.-K.

Galbraith, N.

Salinger, Tout savoir ou presque sur /'économie, Seuil, 1978, p, 32.l J. »

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