Le style philosophique de Voltaire
Publié le 22/02/2012
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Par l'usage systématique de la dérision, et grâce à l'invincibilité d'un héros qui échappe de justesse à tous les périls, Voltaire peut multiplier l'évocation des violences les plus atroces — au bénéfice d'une stratégie de la dénonciation réitérée. L'écriture de Voltaire procède par coupures, ellipses, litotes — par toutes les formes de la soustraction — alors que l'expression de l'émotion indignée eût enflé la phrase, allongé la plainte, occupé du temps pour laisser s'exhaler la « vérité » du sentiment : ainsi se réalise un raccourcissement du temps affectif, un effet d'accélération émotive. Par sa façon délibérée de jouer faux, Voltaire échappe aux dangers de l'outrance sentimentale et aux« ratés » de l'éloquence. La malfaisance du monde apparaît de façon d'autant plus nette, plus obstinée — dans un climat de sécheresse qui ne laisse place ni à l'attendrissement ni à la consolation. Dans Candide, rien de ce qui est atroce n'est inventé : Voltaire livre un documentaire, quelque peu simplifié et stylisé, mais qui constitue l'anthologie des atrocités que les gazettes portaient à la connaissance de tout Européen attentif. Peut-être rencontrons-nous dans Candide, sur le mode de la fiction, le premier exemple d'une attitude devenue aujourd'hui commune en Occident, en raison directe de l'essor des moyens d'information : la perception de toutes les plaies de l'humanité, par une sorte de sensibilité douloureuse qui étend son réseau nerveux à la surface entière du globe. Voltaire frémit des souffrances de la terre : il connaît, ou croit connaître tous les foyers d'injustice, toutes les exactions : il les dénombre, les confronte et les oppose. Car il est trop intelligent pour ne dénoncer que les torts d'un seul parti : il voit commettre les mêmes crimes par les princes rivaux, par les églises antagonistes, par les peuples « civilisés » et par les « sauvages ».
Jean Starobinski, « Sur le style philosophique de Candide»
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