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le surnaturel dans le roman tous les matins du monde , de Quignard

Publié le 09/10/2011

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Tous les matins du monde de Pascal Quignard, publié en 1991, fait cohabiter les morts et les vivants de façon surnaturelle. C'est Mme de Sainte Colombe qui incarne cette résurgence des morts dans le monde des vivants. Aussi, quelle est la place du surnaturel dans l'œuvre quignardienne et dans le film de Corneau ? D'abord, Mme de Sainte Colombe révèle, par ses visites, la personnalité de son mari. Surtout, elle est une sorte d'allégorie du temps musicale, l'expression d'un temps qui se replie sur lui-même et s'incarne dans l'instant présent. Madame de Sainte Colombe transmet par la même une idée paisible de la mort.

 

La mort de Mme de Sainte Colombe a transformé la personnalité de son mari. Celle-ci contraste avec la vie des courtisans et de Marin Marais et consiste en un travail acharné mais méthodique au contact de la viole. Comme écarté du temps véritable, M. de Sainte Colombe s'intéresse à tout ce qui est transcendant, supérieur, éternel. C'est ainsi qu'il affirme à sa défunte femme : « Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids » . Bien que la mort de sa femme ait engendré un grand bouleversement dans sa vie, il garde cela profondément en lui, n'exprimant jamais ses émotions comme le montre le film d'Alain Corneau. En effet, lorsqu'il découvre sa femme sur son lit de mort, rien ne transparait de son visage si ce n'est un air grave. Homme taciturne, secret, replié sur lui-même, M. de Sainte Colombe ne se confie pas, si ce n'est avec ses objets de musique, sa viole, son cahier rouge. C'est dans ce cahier qu'il note tout ce que lui font ressentir les visitations de son épouse . Ainsi on comprend que ces visites de Mme de Sainte Colombe invitent son mari à s'exprimer, non par les mots, mais par la musique, à dévoiler les mystères de la vie et de la mort.

 

Dans La leçon de musique, Pascal Quignard affirme que la musique est « un revenant du temps », inversant ainsi le rapport habituel à la temporalité. En quelque sorte, il affirme ainsi que le temps passé à écouter de la musique revient sur lui-même, telle une boucle. Il ne s'écoule pas, d'où le terme de « revenant ». Le temps musical serait alors un fantôme : en se repliant sur lui-même, il surgit au temps présent. Le procédé est le même concernant Mme de Sainte Colombe. La musique de Sainte Colombe, écrite en mémoire de sa femme, permet le retour de l'épouse défunte. D'ailleurs, chaque visitation est l'occasion pour celle-ci de parler de musique, d'expliquer en quoi elle apporte « des bribes de musique », et de demander à son mari de jouer. L'écrivain rappelle dès l'incipit que « Monsieur de Sainte Colombe ne se consola pas de la mort de son épouse » . La musique fut son refuge, sa « passion ». L'interprétation qu'il donne du Tombeau des regrets, telle une amulette, fait ressurgir les vestiges du passé. Sa viole, à l'instar de la lyre d'Orphée, devient magique, conduit la main du violiste qui « se dirigeait d'elle-même sur la touche de son instrument ». A contrario, au chapitre XV, la « leçon de Ténèbres », musique funèbre, réveille l'épouse défunte : c'est la huitième apparition de Madame de Sainte Colombe. Elle apparait à ses côtés, avec une impression de réel, elle le conduit, l'exhorte de la suivre – « Maintenant il faut rentrer »-. S'engage une discussion. Alors, M. de Sainte Colombe, comme si sa femme était revenue à la vie, la conduit à sa maison, puis près de la Bièvre, sur une barque qui d'ailleurs était « pourrie depuis longtemps dans la rivière » Toutefois, sa femme disparait irrésistiblement, tel un spectre, dans la brume. Son époux baisse le regard, les « paupières baissées ». Cette scène rappelle Eurydice – la femme d'Orphée – dans les Géorgiques de Virgile. Au chapitre XX, Mme de Sainte Colombe avoue ses blessures à « être du vent ». Elle s'y sent condamnée. Et rien ne peut changer cet état. Dans la mythologie grecque, Enée, dans sa descente aux Enfers, sa « catabase », cherche en vain à étreindre ces ombres. Enée, justement, a inspiré Sainte Colombe. Lorsque Madeleine confie secrètement quelques titres composés par son père, se trouve parmi eux « L'ombre d'Enée » . Pas plus qu'Orphée, Sainte Colombe ne parvient pas à ressusciter la défunte. Ce secret propre au musicien a donc ses limites. Il fait revivre les souvenirs mais ne peut les rendre concrets, réels. Madame de Sainte Colombe représente une idée de la mort. Elle montre d'abord qu'une vie existe après la mort ; ensuite, mis à part le fait qu'elle est « une femme très pâle », son apparence n'est ni morbide ni inquiétante mais tout à fait rassurante quant à l'image que nous pourrions nous faire de la mort. Sainte Colombe, par ses apparitions, acquiert la certitude de pouvoir un jour retrouver sa femme. D'ailleurs, la fin du film le représente en fantôme, laissant ainsi à penser qu'il l'a retrouvée.

 

 

Ainsi, cette quête orphique que se voit confier le musicien, en l'espèce Sainte Colombe, ne conduit qu'au surgissement de réminiscences du passé mais ne permet pas le miracle suprême, la résurrection. Ce regret qu'eut Sainte Colombe à la mort de sa femme est donc un regret éternel qu'il n'apaise que de façon éphémère. Mme de Sainte Colombe a un rôle précieux dans l'œuvre. Représentante du monde des morts, elle révèle paisiblement la personnalité de son mari, répondant à l'appel de la musique qu'il a confectionnée en sa mémoire.

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