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Le texte théâtral contient-il en lui même tout ce qui permet de le représenter ?

Publié le 30/09/2010

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Le genre théâtral occupe une place particulière dans la littérature parce qu’il est à la fois texte et spectacle. En effet, le texte de théâtre est écrit pour être représenté, ce doit être un texte vivant, il doit pouvoir être incarné dans une parole vivante et traduit visuellement. Même si l'écriture théâtrale contient de nombreuses indications afin de guider le metteur en scène ainsi que le jeu des acteurs, on constate que le metteur en scène de la pièce reste le « maître « de la représentation. On peut alors s'interroger et se demander si le texte théâtral contient en lui même tout ce qui permet de le représenter. Pour cela, nous développerons cette question en deux temps. Tout d'abord nous étudierons l'importance du texte dans la mise en scène, c'est-à-dire en quoi les didascalies facilitent la mise en scène de la pièce, en quoi le texte permet la compréhension de l'intrigue et enfin en quoi celui-ci est-il le support des émotions. Dans un second temps, nous verrons que, malgré l'importance du texte dans la mise en scène de la pièce, il reste encore une importante part de liberté au metteur en scène. Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur la lecture et la représentation des « Justes « d'Albert Camus, ainsi que deux mises en scènes.

 

 

Le texte théâtral contient, à première vue, tout ce qui permet de le représenter, de la mise en scène en passant par le jeu des comédiens et des procédés qui guident le metteur en scène. C'est par exemple le cas des didascalies qui sont indispensable pour permettre la représentation de l'œuvre sur scène.

Les didascalies, très présentes dans les textes théâtraux, essentiellement comiques, sont des notes qui permettent et facilitent la représentation de la pièce sur scène et la compréhension de l'intrigue. Ces indications scéniques facilitent le travail du metteur en scène qui à alors plus de renseignements sur la représentation de la pièce en public ainsi que sur l'ambiance générale qui doit s'en dégager. Celles-ci facilitent également le jeu des comédiens, ils savent alors quelles attitudes, quelles gestuelles ils doivent avoir afin de correspondre du mieux possible aux personnages qu'ils sont censés incarner. Ce peut-être une note ou un paragraphe, rédigé par l'auteur à destination des lecteurs, des acteurs, et du metteur en scène, donnant des indications d'action, de jeu ou de mise en scène. Elles permettent de guider la mise en scène et la représentation de la pièce. Dans « Les justes « de Camus, les didascalies sont présentes en petit nombre, puisqu'il s'agit d'une pièce datant de l'époque classique. De plus, les didascalies sont plus présentes dans les comédies que dans les tragédies, ce qui explique leur quasi-inexistence dans « Les Justes «. Cependant, même si elles se font rares, elles sont indispensables quant à la mise en scène de la pièce. Sans elles, l'intrigue aurait pu être mal comprise par les lecteurs. « Les Justes «, écrit pas Camus, ne correspondrait alors nullement à sa représentation, puisque l'atmosphère qui s'y dégage serait alors trop frivole pour aborder un thème de cette importance. Dans cette pièce, les didascalies indiquent qu'il y a de nombreux silences entre les répliques. C'est pourquoi, lors de la représentation de Gorki, les personnages sont alors en perpétuelle réflexion quant à l'importance de leurs actes, ainsi que le poids de chacun de leurs mots, afin d'avoir une vision réfléchie sur la question. Les silences entre les dialogues deviennent alors indispensables pour nous faire réaliser l'importance de leur action révolutionnaire. En effet, si chaque dialogue, chaque réplique s'enchaînaient, la pièce, ainsi que l'ambiance générale, serait plus « légère «, et détendue. Ce qui ne convient pas à une représentation tragique ayant comme principal sujet la légitimité ou non d'une action révolutionnaire visant à faire tomber un responsable. Or, cette frivolité n'est pas l'effet recherché par Camus et Gorki, qui cherchent à installer un véritable temps de réflexion entre chaque dialogue afin que ce ne soit pas des paroles « en l'air «. Les didascalies permettent alors, dans cette représentation, de prendre en compte l'importance des mots et donc des actes à commettre, ainsi que le jeu de chaque comédien ayant son importance pour permettre une harmonie parfaite au sein de leur réseau révolutionnaire.

 

Lors des représentations théâtrales c'est la mise en scène de la pièce qui en détermine l'atmosphère, l'ambiance générale. Cette étape est la plus importante au théâtre. Le metteur en scène se doit de retranscrire le texte de l'auteur tout en le réinventant, sans pour autant changer le sens et la signification de la pièce. Pour qu'elle corresponde au mieux au texte, elle doit s'appuyer sur des indications qui y figurent (didascalies, répliques, temps de paroles de chaque personnage...). Le metteur en scène pourra ensuite reconstituer la pièce au mieux, uniquement si tous les procédés présents dans le texte, permettant sa représentation sur scène, ont été compris. 

La pièce de Camus comporte de nombreuses difficultés dans sa représentation. En effet, il faut que le metteur en scène parvienne à dégager une atmosphère pesante, lourde, que celle-ci soit presque une épreuve pour les comédiens qui ne disent rien au hasard. Ils doivent contrôler leurs moindres faits et gestes afin de ne pas aller au delà de leur rôle et ainsi ne pas tomber dans une légèreté qui ne conviendrait pas à la pièce. 

Dans « Une maison de poupée «, Nora, femme jusqu'à présent immature et apparaissant au début du livre d'Ibsen comme simple « ravissante idiote «, prend tout au long du roman conscience qu'elle ne doit plus se laisser faire, ne doit plus subir son existante mais en être maître. Pour symboliser cette émancipation, Stéphane Braunschweig a représenté Nora comme une poupée mécanique, c'est-à-dire incapable et empotée. Au fil de la pièce, celle-ci « finit pas prendre chair « et est donc capable de se débrouiller d'elle même, comme l'explique l'article de Télérama : « qui réalise au gré de ses désillusions qu'elle ne doit plus être le jouet des autres mais le moteur d'elle même «. Le metteur en scène doit alors mettre en scène cette émancipaton, il se doit de représenter la pièce à la lettre, il ne doit pas la recréer. C'est là qu'est la véritable difficulté. Il doit faire en fonction de l'intrigue, des personnages, de l'atmosphère qui se dégage du texte. Tout cet ensemble est difficile à prendre en compte, d'autant plus qu'il faut se contenter de reproduire le texte dans la représentation, il ne faut pas aller au delà de l'intrigue. Bien que le metteur en scène puisse se permettre d'ajuster la pièce à ses désirs, ses envies, il ne doit pas la sortir de son contexte.

Le texte est également le support des émotions. Dans la pièce « Les justes «, l'émotion est transmise par les mots et les silences qui rythment le texte. Les mots utilisés expriment les émotions ressenties par les acteurs qui jouent la pièce. Les silences entre les répliques sont destinés à accentuer ces émotions et ainsi assoir une ambiance tragique, lourde, pesante. Les spectateurs ressentent alors les émotions exprimées par les acteurs. Les silences permettent donc aux comédiens de réfléchir quant à l'importance de leurs actes. A la fin, ils apparaissent grandis et plus mûrs qu'au début de la pièce. Ils ont alors pris conscience de l'importance de leurs actes et sont donc prêt à en assumer les conséquences. C'est ainsi que Dora, après Kaliayev, est prête à sacrifier sa vie pour défendre une cause qui lui paraît juste.

 

Malgré toutes les indications et procédés que nous avons pu étudier précédemment, le metteur en scène garde tout de même une grande liberté dans le choix de la représentation. En effet, si l'auteur écrit le texte, c'est le metteur en scène qui se charge de sa représentation et qui donne donc libre cours à son imagination, même s'il se doit de respecter l'œuvre, c'est-à-dire de ne pas modifier l'esprit de la pièce. Le metteur en scène peut donc représenter la pièce comme il le désire. Aussi bien au niveau des décors que du jeu des comédiens, en passant par l'interprétation du texte théâtral et de la gestuelle, qui sont souvent ajustés aux goûts du metteur en scène qui reste l'unique chef d'orchestre de la pièce. En effet, il peut se permettre de mettre en avant, faire ressortir, ou au contraire « euphémiser « certains points plutôt que d'autres (ce peut-être un registre, une critique, un point de vue...), sans pour autant changer le texte et en respectant les didascalies. Ce peut être par le biais du décor, comme c'est le cas dans « Les justes « où celui-ci très sobre indique aux spectateurs que le jeu des comédiens portera davantage sur leur interprétation, leur gestuelle que sur les costumes ou encore sur l'environnement qui les entoure. Le metteur en scène reste alors, une fois de plus, le maître de la représentation. Par de multiples procédés, il peut faire naître une ambiance, chez le spectateur, qui n'est pas la même selon le metteur en scène de la pièce. En effet ,en partant d'un même texte, on aboutira forcément à des représentations différentes en fonction du metteur en scène. Le décor ne sera pas le même, le jeu des comédiens non plus, et l'intrigue comportera quelques différences. Il est donc impossible de reproduire deux fois la même pièce, puisque les goûts et les attentes des metteurs en scène ne sont pas les mêmes. C'est pourquoi la pièce, elle aussi, sera différente, bien que l'intrigue soit la même. C'est ici que commence le talent du metteur en scène, celui d'ajuster la représentation à ses désirs. Dans la critique de Télérama sur la pièce « La maison de poupée «, le metteur en scène a réinventé la représentation : « Jean Louis Martinelli, lui, dans des costumes et décors contemporains, porte un regard beaucoup plus pénétrant sur Nora et son couple, beaucoup plus érotisé et pervers qu’on ne le montre d’ordinaire «. Le comédien s'est permis de changer l'esthétique de la pièce ainsi que la vision que l'on se fait du couple, qui paraît alors plus mûr, plus réfléchi. L'effet ressentit par les spectateurs sera alors différent dans la pièce. Car, par ce procédé, Jean Louis Martinelli améliore et enrichit la relation mari-femme qui apparaît à présent comme plus profonde, mais aussi plus excentrique. Même si ce n'est qu'un détail, celui-ci a son importance dans la pièce puisque le metteur en scène insiste et donne plus d'importance au rôle des femmes dans la société et ainsi met en avant le courant féministe. Il convient alors d'examiner le texte avant de le réaliser sur scène.

 

Dans la représentation des « Justes « par Gorki, celui-ci rajoute des silences entre les dialogues, même si ceux-là sont déjà présents dans le texte. Il en rajoute afin de créer un effet d'insistance sur le poids des mots, leur signification, leur sens et leur importance. Chaque personnage par ce procédé apparaît plus mature, plus adulte et responsable face à ses actes. Cette mise en scène n'était pas dans le livre, même si quelques blancs entre chaque réplique étaient présents dans le livre. Gorki a augmenté les silences et a joué sur le décor afin d'exagérer cette pesanteur présente tout au long de la pièce.

De plus les comédiens qui interprètent le texte ont également une marge de liberté puisqu'ils ont aussi leur propre jeu. Dora et Stepan ont une vision différente de la situation comme c'est le cas pour Nora et son mari. C'est pourquoi il convient aux comédiens d'avoir un jeu et une interprétation différente du texte afin de le personnaliser et de le rendre « unique «. Même si le texte contient bon nombre de précisions quant à la manière de la jouer, il existe toujours une marge de liberté pour le metteur en scène et les comédiens qui peuvent alors se permettre, en quelque sorte, de réinventer la pièce à leur goût, selon leurs désirs. Le metteur en scène peut alors se permettre de rafraîchir la pièce, de la moderniser par exemple en faisant ressortir un évènement, un fait relativement récent, afin de l'ajuster à notre époque. Ce peut-être par le biais du décor, des costumes, de la musique ou encore des postures des comédiens.

 

Suite à cette analyse, on s'aperçoit que le metteur en scène est libre de représenter la pièce comme il le souhaite. En effet, selon le metteur en scène, la représentation de la pièce sur scène ne sera pas la même, bien que l'intrigue soit la même. On constate alors que ce n'est pas l'auteur du texte qui détermine la représentation de la pièce, mais le metteur en scène. Il a alors le libre choix du décor, des costumes, du jeu des comédiens... Il est donc maître de la pièce, bien qu'il doive suivre les directives du livre qu'il représentera sur scène. C'est pourquoi, même si le spectateur connaît l'intrigue de la pièce, il ne sait à quoi s'attendre en allant voir la représentation, comme le montre la représentation « d'une maison de poupée « par Jean Louis Martinelli. Nous avons pu le voir précédemment, un metteur en scène se doit de réinventer la pièce afin de la faire coller à son époque, ainsi qu'à son public. Ce n'est pas pour autant qu'il doit la recréer, bien au contraire. C'est le cas de la représentation des « justes « de Gorki, qui a su faire preuve d'ingéniosité en jouant dans un décor sobre afin de se concentrer sur le jeu des comédiens. Le metteur en scène peut alors être considéré comme le chef d'orchestre de la pièce, et peut, s'il le souhaite, insister sur des détails qui semblaient insignifiants et sans importance dans le texte. Il peut également, à l'inverse, atténuer certains aspects présents dans le texte. Le metteur en scène doit donc faire preuve d'imagination et de créativité pour représenter l'œuvre de l'auteur.

 

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