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Le texte théâtral est-il suffisant en lui-même pour monter un spectacle ?

Publié le 20/05/2012

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Le théâtre occupe une place particulière parmi les genres littéraires, puisque tout en appartenant à la littérature, c’est également une forme de spectacle particulièrement vivante. En effet, le théâtre est une écriture destinée à être représentée. Mais, dès lors, on peut se demander si ce texte est suffisant en lui-même pour monter un spectacle. Dans un premier temps, nous verrons que le texte contient les bases de la mise en scène, puis dans un second temps, nous verrons le rôle du metteur en scène et les moyens dont il dispose pour mener à bien son interprétation du texte.

 

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Le texte théâtral contient les bases de la mise en scène. Des indications pour la représentation sont ainsi glissées à l’intérieur même des dialogues. Par exemple, dans le Misanthrope, Célimène demande « des sièges pour tous », cela sous-entend des accessoires, des laquais et les déplacements de ces derniers. Mais la grande majorité des indications scéniques sont données sous forme de didascalies.

 

Les didascalies sont très importantes pour le comédien et le metteur en scène : qu’elles soient internes (dans le texte) ou externes (avant le texte), elles donnent des indications utiles pour la mise en scène.

Tout d’abord, les didascalies montrent le découpage des pièces en actes et en scènes, et servent à indiquer qui doit parler, elles distribuent la parole.

Les didascalies internes permettent de savoir les attitudes des personnages (« sévère », « exaspérée », « amusée »), leurs émotions (« brusquement ému »), le ton de leurs répliques (« gentiment », « ironiquement »), à qui s’adresse le personnage (« à Nérine »), leurs déplacements sur scène (« elle s’approche de lui », « elle sort », « reculant »), leurs actions et leurs gestes (par exemple dans la Nuit de Valognes, on sait que Sganarelle fume la pipe).

Les didascalies externes sont de précieuses indications pour monter le décor (« le salon d’un château de province » dans la Nuit de Valognes, « une place devant un château » dans On ne badine pas avec l’amour), pour décrire les costumes (« La Comtesse entre en habits rouges »), et dans certaines pièces plus modernes, on a même des indications sur l’éclairage... Ces types de renseignements sont peu nombreux dans les pièces classiques, alors que les pièces récentes intègrent une bonne partie de la mise en scène dans le texte, tel la Nuit de Valognes.

 

Le texte, dont les didascalies, constitue donc une part importante de la mise en scène. Mais les didascalies peuvent également être des contraintes pour monter la pièce. Au début de la Nuit de Valognes, on apprend que la pièce se déroule dans un lieu sale, inspirant une atmosphère glauque. Ceci est assez complexe à mettre en scène, et c’est un défi pour le metteur en scène et les décorateurs pour rendre « la froide obscurité de la plaine normande ».

De plus, dans des textes de théâtre classique (Molière, Marivaux), les didascalies sont très peu nombreuses, voire absentes et ne servent qu’à donner que quelques indications de déplacement (« se retirant vers le fond du théâtre », « accourant à Julie » dans le texte de Molière). De plus, il n’y a aucun renseignement concernant le décor.

Les didascalies, bien qu’utiles, sont parfois contraignantes par certains aspects. Parfois, elles sont même carrément absentes du texte. Le fait d’avoir un manque de didascalies, ou certaines difficiles à mettre en scène peut être une gêne, mais cela laisse plus de créativité pour le metteur en scène. Nous allons donc maintenant voir le rôle du metteur en scène pour monter une représentation.

 

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Si l’on se bornait aux indications de l’auteur, les reprises d'une même pièce manqueraient d'originalité et malgré le talent des comédiens, le public finirait par se lasser du texte et de la pièce. Mais un texte peut être interprété de différentes façons selon la sensibilité propre à chaque lecteur. Il en va de même pour le metteur en scène : son but va être de réinterpréter à sa façon l’?uvre qu’il va donner à voir au public, selon l’aspect de la pièce qu’il veut mettre en avant, ou même l’époque à laquelle elle est jouée, afin de recréer une nouvelle pièce. Chaque relecture de la pièce doit en enrichir le sens, et c'est donc au metteur en scène que revient cette tâche.

 

La mise en scène est liée à l’interprétation du texte. Pour cela, le metteur en scène peut jouer sur différents paramètres.

Tout d’abord, pour mener à bien sa représentation, celui-ci ne va pas forcément toujours respecter toutes les didascalies, qui peuvent être gênantes au niveau du coût financier (recréer un intérieur de château pour la nuit de Valognes est assez coûteux), d’un point de vue technique (recréer l’odeur de renfermé, « la froide obscurité de la plaine normande » est très complexe), ou tout simplement car les indications ne concordent pas avec son interprétation (par exemple, dans la Nuit de Valognes de John Durand, les femmes sont toutes en blancs, pour symboliser leur égalité, on n’a donc pas respecté les indications de costumes.)

Ensuite, il y a le choix des personnages qui doivent être en concordance avec l’interprétation du texte. On va choisir un Don Juan jeune et beau qui séduira les femmes avec son physique, et pour qui le temps n’a pas d’effets. Ou bien, on va choisir un Don Juan d’âge mûr pour montrer que son pouvoir de séduction n’a pas de limites, qu’il ne se borne pas à son physique.

Le rôle du metteur en scène est également de diriger les artistes. Il va donc se charger de donner des indications sur la voix à ses comédiens, sur le regard, et sur leurs gestes. En effet, ce type d’indication est présent dans le texte, mais pas suffisamment pour que la représentation soit vivante. Un comédien va donc surjouer telle partie de la pièce, être ému en disant telle réplique, faire tel geste ou se déplacer de telle façon, alors que dans une autre reprise, ceci sera totalement différent.

Enfin, les décors, les costumes et l’éclairage créent une atmosphère que l’on ne retrouve pas dans le texte théâtral. Les pièces classiques donnent peu d’indications dans ce domaine. Ainsi, Chéreau a mis en scène Dom Juan sur un plateau tournant avec des machines comme décor, pour donner une interprétation marxiste à la pièce. Cette même pièce peut être représentée dans un décor neutre pour privilégier l’histoire. Dans la mise en scène de John Durand de la Nuit de Valognes, les femmes sont toutes vêtues en blanc, pour symboliser leur égalité, alors que dans une autre mise en scène, les femmes sont vêtues de façon fidèle au texte, on voit alors ici les différences de classe sociale. On va également jouer sur l’éclairage, des lumières vives pour des scènes plutôt joyeuses, des scènes jouées dans la pénombre pour la mort d’un personnage. Tout cela va aider à l’interprétation de l’œuvre.

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Le texte théâtral reste essentiel, c’est la base, mais il est insuffisant pour monter un spectacle théâtral. Le théâtre est la représentation du réel, et il est donc important de réactualiser un texte « classique » et de le réinterpréter. C’est donc au metteur en scène qu’incombe cette tâche, qui va réinterpréter le texte à sa manière grâce à de nombreux moyens à sa disposition. Il recrée alors la pièce, comme s’il en devenait l’auteur, au point qu’on parle du « Don Juan de Jacques Lassalle », ce qui ferait presque oublier Molière.

Mais, dès lors on peut se demander s’il y a des limites à la liberté d’interprétation du metteur en scène.

 

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