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Le théâtre met en scène la vie et son doute

Publié le 17/04/2011

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L'homme, au cours de l'histoire a toujours été préoccupé par la question de la mort et du sens de la vie. Le théâtre a une origine sacrée : c'est au cours des cérémonies consacrées au Dieu grec Dionysos qu'il fit ses premiers pas. Mais le théâtre est aussi (et avant tout !) un art lié à la fête : s'il est le Dieu de l'hiver, de la fête des morts et de son dépassement par la conquête de l'immortalité, Dionysos est aussi le Dieu du vin, du sexe et de tous les plaisirs charnels. Autrefois partie intégrante des cérémonies religieuses, le théâtre fût ensuite divertissement, presque considéré comme vanité avant d'être une production culturelle et artistique. Néanmoins, selon Jean Loup Rivière, il a la caractéristique de mettre « en scène la vie et son doute ».

Ainsi, en quoi l'illusion théâtrale en tant qu'elle sépare les spectateurs de la scène n'est elle pas aussi le meilleur moyen de les questionner sur leur propre vie, dans tout ce que cela peut représenter : en y mêlant angoisse, joie et doute inhérent à l'homme ?

Tout d'abord, l'on verra que le théâtre met en scène la vie, que ce soit sur le plan quotidien ou bien sous son aspect plus philosophique. En effet, quel est le sens de la vie? Le théâtre se propose de donner à voir les possibilités de réponses ce qui tend nécessairement au doute. Nous analyserons cela dans la seconde partie de notre développement. Mais bien que le théâtre se propose de questionner l'homme sur ce sujet, il faut tout de même faire remarquer que ce n'est pas la vie « réelle » mais bien une représentation, une « mise en scène ». Cela pose alors diverses interrogations supplémentaires qui nous permettent de souligner que le théâtre, en tant qu'il « met en scène la vie et son doute » crée par là même le doute.

 

 

 

Le théâtre met en scène, nous l'avons évoqué, la vie. Mais à vrai dire, qu'est ce que la vie sinon les actes qui nous semblent être les plus anodins mais qui constituent tout de même l'histoire qui est la nôtre? Les « scènes » quotidiennes qui font que notre existence est peuplée de rebondissements en tout genre? D'aucuns diront que la « vie est un long fleuve tranquille » et pourtant... Ce qui bien souvent a le plus d'importance à nos yeux, ce sont les détails qui font changer notre perception des choses, des autres et du monde. Ainsi, metteurs en scènes et auteurs de pièces de théâtre s'évertuent à doter leurs personnages de scènes quotidiennes, de petites choses en apparence banales qui nous plongent dans l'illusion du vrai. En mettant en scène la vie et tous ses aspects, Marivaux, par exemple crée une vraie psychologie de ses protagonistes auxquels on peut aisément s'identifier. Dans sa pièce Le Jeu de l'amour et du hasard, en effet, le principe dramatique est la recherche de la vérité. Ce désir de connaître la vraie nature des êtres trouve son origine dans une observation du comportement des hommes mariés. Silvia, dès la première scène, présente la société comme un univers de mensonges, un monde où les hommes dissimulent leur véritable personnalité sous un masque. Ce monde inquiétant, où l'on n'est jamais sûr de l'autre et qui fait naître une exigence de vérité, ce monde c'est la vie représentée. Pour satisfaire ce désir de vérité, chacun des personnages a recours à l'intrigue telle que nous mêmes pourrions le faire, de manière moins théâtrale.

Le théâtre pose de ce fait la question identitaire. Si nous doutons des autres, pouvons-nous réellement ne pas douter de nous-mêmes? Dans Oedipe-Roi de Sophocle le protagoniste parcourt un chemin initiatique vers une terrible vérité qui est la clé de l'intrigue mais aussi celle de son identité. A l'instar d'Oedipe, nous avons tous à chercher qui nous sommes réellement et c'est par le biais du théâtre que nous pouvons en prendre pleinement conscience. Bien sûr, la vérité sur soi n'est généralement pas aussi douloureuse que celle du roi de Thèbes mais tout aussi importante. L'identité est nécessaire pour l'homme, faute de sombrer dans une perte de repères et d'être continuellement dans le doute voire de basculer dans la folie comme dans Médée. Prenons un autre exemple, cette fois celui de Don Juan, figure par excellence de la perte identitaire. De Tirso de Molina à Éric Emmanuel-Schmidt en passant par Molière, Don Juan le libertin, en courant d'une femme à une autre, d'un objet de désir à un autre, en oublie la vie réelle. De plus, les travestissements incessants, les usurpations d'identités pour arriver à ses fins tendent vers un effacement des limites de sa propre personne. Dans le téléfilm de Marcel Bluwal de 1965, pendant une grande partie du film, on y voit Michel Piccoli jouant un Don Juan tout de noir vêtu, se déplaçant à cheval tandis que Sganarelle (Claude Brasseur) le suit sur un mulet. Le rythme et l'allure de cette chevauchée correspondent à une errance : Don Juan s'interroge avant de mourir sur le sens de la vie... La mise en scène de cette pièce par la compagnie « La Naïve » propose cette même interprétation en prêtant à Jim Morrison les traits d'un Don Juan qui ne sait plus qui il est, perdu dans sa volonté de « voler de victoires en victoires » pourtant si vaines et éphémères.

A travers les diverses représentations de la vie, le théâtre pose en fin de compte la question du sens de celle-ci. De par la notion philosophique de cette interrogation, le théâtre montre qu'il est bien plus qu'un divertissement sans réelle profondeur. La vie est un songe de l'espagnol Calderón appuie notre propos. Plongé dans un état léthargique, le personnage principal se voit un jour ramené à la réalité qu'il prend alors pour un songe. Confondant ainsi le rêve et la vie, il en vient à douter de la réalité de cette dernière, faute de sens. Si la vie avait un sens, pourquoi donc aurions nous la liberté de nos actes? Si au contraire, elle n'en avait aucun, elle serait telle que la décrivait Shakespeare dans Macbeth : « Life's but a walking shadow, a poor player that struts and frets his hour upon the stage and then is heard no more: it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing. »

 

Le théâtre amène alors à se questionner sur le sens de la vie, sur la vie elle-même et donc sur son doute. La vie telle qu'elle nous apparaît n'est-elle pas elle aussi illusion ? C'est après la Seconde Guerre mondiale que cette question prit le plus de poids, notamment au sein du théâtre de l'absurde. Désespérés par les horreurs dont l'homme était capable, philosophes, auteurs et artistes ne peuvent plus croire en la bonté de l'être humain ni en la vie. La vie est absurde et ils entendent créer un théâtre à son image. De là naissent des scènes aussi angoissantes qu'elles demandent réflexion comme celle de Beckett, Fin de partie. Toutes les valeurs sont abolies dans cette pièce : aussi bien la solidarité que le respect envers les parents. De plus, les questions incessantes et angoissantes de Hamm (« Ce n'est pas bientôt la fin ») renvoie à cette absurdité de la vie qui, dès lors qu'elle n'a plus de raison d'être apparaît comme un espace clos et voué à un cercle vicieux comme le suggère les didascalies décrivant la scène. On peut aussi faire allusion à l'angoisse constante de Hamm par rapport à la possibilité d'une quelconque vie en dehors de ce qu'il nomme « le refuge ». En étant ainsi une sorte d'anti-Noé, le protagoniste est véhicule de mort, en tout cas d'amenuisement de la vie.

La question posée à la fin de la pièce est de savoir ce qu'il y a après la vie. Après la vie humaine mais aussi et plus implicitement ce qu'il y a après la vie individuelle. Relevant de la peur de l'inconnu et de la perte de confiance en l'homme, le théâtre de l'absurde tente de représenter en même temps qu'il questionne. La peur de l'inconnu en vient à nous faire douter de l'existence et de son sens ; de là les tentatives de résolutions pour certains comme dans la pièce Pas encore prêts. Dans cette dernière, l'accent est mis sur l'omniprésence et l'utilité du mécanisme de mort pour créer du vivant. Si la destruction d'une cellule est nécessaire à la naissance d'une autre, notre disparition serait-elle de ce fait utile ? Cette création nous conduit sur la rive de l'inconnu et de l'ineffable.

Cependant, ces représentations hypothétiques de la mort ne sont possibles que par l'illusion théâtrale. Or, le fait que nous ne pourrons jamais en faire plusieurs fois l'expérience tend à faire trembler cette illusion et à nous renvoyer à notre condition de spectateurs. Le théâtre permet de donner matière à réflexion mais non une résolution au doute de la vie.

 

Le théâtre n'est alors qu'illusion, que mise en scène ne possédant que l'apparence du vrai. Bien sûr, cette illusion est nécessaire pour permettre aux spectateurs de s'identifier aux personnages et à leur vie, leurs pensées comme le montre l'exemple du théâtre grec : montrer ainsi les vices et la violence de l'âme, des actions humaines permettaient de provoquer un sentiment de rejet vis à vis de certaines inepties. Toute la notion de catharsis repose sur ce postulat d'illusion théâtrale. En montrant une Antigone respectueuse des funérailles de son frère face à un Créon tyrannique et aveuglé par la colère, Sophocle entend inculquer certaines valeurs aux spectateurs. En effectuant une réelle psychologie de ses personnages, il fait par la même occasion une psychologie de son public ce qu'appuiera Freud tout au long de son œuvre.

Mais bien que l'illusion soit nécessaire pour permettre une psychologie cathartique et susciter l'intérêt, elle ne doit rester qu'illusion au risque de voir une scène dangereuse se produire en dehors de la dimension théâtrale. Pourtant, en abolissant le « quatrième mur » tout en conservant une certaine distance pour éviter la totale confusion entre la réalité et l'illusion, le théâtre semble alors être un art paradoxal.

Il crée donc le doute en même temps qu'il met en scène la vie et son doute. Peut-on douter de tout ? Peut-on réellement douter de la vie à l'instar du protagoniste de Calderón ? Le théâtre questionne d'autant plus fortement qu'il entend créer l'illusion du vrai, de la vie. Mais en ne donnant pas de réponse, il angoisse par sa faculté à générer le doute et à nous renvoyer à notre for intérieur.

 

 

Le théâtre, par le fait même qu'il « met en scène la vie » nous interroge sur le sens que nous lui donnons et nous amène à douter. Il crée plus de doute qu'il ne résout nos interrogations et Michel Vinaver de dire à notre suite : \"Je me demandais l'autre jour : à quoi sert le théâtre ? À imiter la vie. Pourquoi l'imiter puisqu'elle est là ? Elle a besoin d'être imitée pour qu'on la comprenne. Qu'est-ce que ça veut dire comprendre la vie ? Ça veut dire, en même temps qu'on la vit, la voir un peu étrangère. Qu'est-ce que ça apporte ? On se dédouble. C'est-à-dire ? On sort de soi et on fait un retour à quelqu'un qu'on ne connaît pas forcément très bien. Pourquoi ne pas rester tranquillement dans le soi qu'on connaît ? C'est le propre de l'homme. Quoi ? D'aller voir ailleurs tout en restant là.\"

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