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le vouloir-vivre, ce vouloir-vivre que nous sommes nous-mêmes et qui constitue notre univers.

Publié le 23/10/2012

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le vouloir-vivre, ce vouloir-vivre que nous sommes nous-mêmes et qui constitue notre univers. — Mais détournons notre regard de notre propre indigence et de l'horizon clos qui nous enferme : considérons ceux qui se sont élevés au-dessus du monde et chez qui la volonté, parvenue à la plus haute conscience d'elle-même, s'est reconnue dans tout ce qui existe pour se nier ensuite elle-même librement : maintenant ils n'attendent plus qu'une chose, c'est de voir la dernière trace de cette volonté s'anéantir avec le corps même qu'elle anime ; alors, au lieu de l'impulsion et de l'évolution sans fin, au lieu du passage éternel du désir à la crainte, de la joie à la douleur, au lieu de l'espérance jamais assouvie, jamais éteinte, qui transforme la vie de l'homme, tant que la volonté l'anime, en un véritable songe, nous apercevons cette paix plus précieuse que tous les biens de la raison, cet océan de quiétude, ce repos profond de l'âme, cette sérénité inébranlable, dont Raphaël et le Corrège ne nous ont montré dans leurs figures que le reflet ; c'est vraiment la bonne nouvelle, dévoilée de la manière la plus complète, la plus certaine ; il n'y a plus que la connaissance, la volonté est évanouie. Nous ressentons une profonde et douloureuse mélancolie lorsque nous comparons cet état au nôtre ; car cette comparaison met en pleine lumière ce qu'il y a dans notre condition de misérable et de désespéré. Cependant, cette contemplation est la seule chose qui nous puisse consoler d'une manière durable, une fois que nous avons reconnu que le phénomène de la Volonté, l'univers, n'est essentiellement que douleur irrémédiable et misère infinie, et que d'autre part nous voyons avec la volonté le monde s'évanouir, le néant seul subsister devant nous. Il est donc bon de méditer la vie et les actes des saints, sinon en nous confrontant avec eux, ce qui serait une chance bien hasardeuse, du moins en consultant l'image que l'histoire ou que l'art nous en donne, surtout cette dernière qui est marquée d'un cachet infaillible de vérité ; tel est le meilleur moyen de dissiper la sombre impression que nous produit le néant, ce néant que nous redoutons, comme les enfants ont peur des ténèbres ; cela vaut mieux que de tromper notre terreur, comme les Hindous, avec des mythes et des mots vides de sens, tels que la résorption en Brahma, ou bien le nirvâna des bouddhistes. Nous autres, nous allons hardiment jusqu'au bout : pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté, c'est effectivement le néant. Mais, à l'inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la Volonté, c'est notre monde actuel, ce monde si réel avec tous ses soleils et toutes ses voies lactées, qui est le néant. (Monde, I, 427, 31.) B) « QUELQUE CHOSE DE TOUT DIFFÉRENT « Par une conséquence naturelle, ma doctrine, arrivée à son point culminant, prend un caractère négatif et finit par une négation. Car elle ne peut plus parler alors que de ce qu'on nie et de ce qu'on renie ; quant aux avantages obtenus et conquis en retour, elle est obligée de les désigner sous le nom de néant, et il lui est permis d'ajouter pour toute consolation que ce néant est seulement relatif, et non absolu. Car, si quelque chose n'est rien de ce que nous connaissons, il ne saurait rien être pour nous en général. Il ne s'ensuit pas pourtant que ce soit un néant absolu, que ce doive être un néant à tous les points de vue et dans tous les sens possibles ; mais simplement que nous nous trouvons bornés à une connaissance toute négative de la chose, ce qui peut très bien tenir à l'étroitesse de notre point de vue. (Monde, III, 424.) V UNE PHILO SOPHIE DE L'EXPÉRIENCE EN SON ENTIER En terminant mon exposition, je dois donner encore place à quelques considérations sur ma philosophie. — Elle ne se fait pas fort, je l'ai déjà dit, d'expliquer jusque dans ses derniers fondements l'existence du monde : elle s'arrête au contraire aux faits de l'expérience externe et interne, tels qu'ils sont accessibles à chacun, et en montre l'enchaînement profond et véritable, sans jamais les dépasser, sans jamais étudier les choses extérieures au monde et les rapports qu'elles peuvent avoir avec lui. Elle ne tire par suite aucune conclusion sur ce qui existe au delà de toute expérience possible ; elle n'explique que ce qui est donné dans le monde extérieur et dans la conscience propre, et se contente ainsi de saisir l'essence du monde, dans sa connexion intime avec lui-même. (Monde, III, 452.) Je suis pénétré de cette idée que le vrai savant doit tendre à l'amélioration de l'humanité en général, dans tous les temps et dans tous les pays, et je croirais, quant à moi, me diminuer, si je bornais mon activité à la petite sphère du temps actuel. Je n'ai qu'une médiocre estime pour ces soi-disant philosophes qui sont devenus des publicistes, et qui, par le fait même d'avoir surtout en vue leurs contemporains, montrent qu'ils ne sauraient écrire une seule ligne qui mérite d'être lue par la postérité. (Lettre à Blumenbach, déc. 1819.) Une vie heureuse est impossible : ce que l'homme peut réaliser de plus beau, c'est une vie héroïque : elle consiste à lutter sans relâche, dans une sphère d'activité quelconque, pour le bien commun, et à triompher à la fin, sauf à être mal récompensé de ses efforts. (Parerga, 2e part., § 572 bis.)

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