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Lecture analytique Molière le malade imaginaire

Publié le 26/01/2013

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Lecture analytique : Molière, Le Malade imaginaire, III, 10, de « Je suis médecin passager « à « Je suis fâché de vous quitter si tôt. « paradoxale de l'adjectif « bonnes « avec le nom des maladies les plus effrayantes transforment le corps du malade en un véritable défi jouissif pour le médecin2. Le malade, s'il ne se laisse pas entièrement posséder par le médecin, peut être abandonné et livré entièrement à la mort. Introduction : La servante Toinette s'est déguisée en médecin et Argan son maître, ne la reconnaît pas. Toinette balaie systématiquement toutes les prescriptions de Purgon, le médecin habituel d'Argan. Le comique de la scène repose d'abord sur la situation elle-même, puisqu'une fois encore, le maître de la maison est la dupe de son médecin et cette fois-ci de sa servante, qui cherche à le désabuser. La parodie du discours médical à laquelle elle se livre, qui est aussi une satire de la médecine, se double d'un comique de répétition particulièrement élaboré. Mais le petit théâtre de Toinette invite aussi à une réflexion sur le théâtre, dont Molière semble faire ici l'éloge. 2°) En même temps, l'imitation de Toinette est une parodie burlesque : il y a une certaine drôlerie dans la simplicité de Toinette, qui a quelques difficultés pour contrefaire le langage savant des médecins jusqu'au bout: elle n'a pas la même virtuosité dans l'emploi des termes scientifiques, sa déclinaison des mots latins est limitée, ses considérations sont aberrantes et n'ont aucune vraisemblance. Du coup, en poussant le discours médical jusqu'à l'absurde, en le délestant complètement de sa complexité, Toinette crée un comique pur, dénué de toute arrièrepensée. Le rire, comme le médecin, est ici inoffensif : autant le discours de Purgon pouvait être inquiétant pour le public, tout comme la maladie imaginaire d'Argan, autant celui de Toinette en pseudo médecin dépouille le rire de toute dimension critique. Toinette, en dépit de son masque de médecin, a une absence de dissimulation, une candeur telle qu'elle nous rend l'innocence nécessaire. On retrouve ici, un comique farcesque, scatologique presque : « Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre. « mis en valeur par la longueur et l'ingénuité de la réplique d'Argan (idée de remplir le corps pour le vider ensuite, obsession du personnage pour tout ce qui relève de ses entrailles, cf acte I, 1). I Une scène comique Il s'agit d'une scène particulièrement plaisante à plusieurs titres. 1°) La satire et la parodie A travers le discours de Toinette déguisée en médecin, se met en place une satire des médecins, dont on met en cause à la fois la façon d'exercer leur art mais aussi leur discours. Le faux médecin Toinette parodie ce que Béralde a appelé « le roman de la médecine « (III, sc. 3), pour en libérer définitivement son maître. Le « roman de la médecine «, autrement dit le discours médical, divise le corps : celui-ci se réduit à un système de rouages, à un mécanisme. L'homme, en cela semblable à l'« animal machine « évoqué par Descartes, se répare comme on le ferait d'un automate et chacune de ses parties, chaque organe, chaque membre dépend du bon fonctionnement d'un autre1. Une partie est atteinte, qu'il s'agisse du foie, de la rate, du poumon et cela affecte la tête (« des douleurs de tête «), la vue (« un voile devant les yeux «), les membres du corps (« des lassitudes par tous les membres «), l'abdomen («des douleurs dans le ventre «)... Ainsi réduit à sa dimension purement mécanique, le corps se conçoit en termes d'équilibre et de déséquilibre : un bras « tire à soi toute la nourriture « et gêne l'autre, l'oeil droit « incommode « l'oeil gauche et « lui dérobe sa nourriture «. Le discours médical, tout en le nommant, divise le corps du malade, au point d'ailleurs qu'il finit par être question de l'amputer, de le sectionner : « Voilà un bras que je me ferais couper tout à l'heure « et « Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferais crever «. On remarque dans ces injonctions de Toinette le glissement de « vous « à « je «, révélateur du sadisme de la médecine : d'une certaine manière si le médecine divise et définit, c'est pour mieux habiter, posséder le corps (et l'âme) malade d'Argan. On se souvient comment Purgon, précédemment, lorsqu'il rompt définitivement avec Argan, prédit, en véritable prophète, l'apocalypse du corps du malade imaginaire (III, 6). Ici, le faux médecin Toinette semble venir accomplir cette prophétie. Toinette joue dans cette scène la terreur du discours médical et imite ce goût pour l'exploit médical, pour la monstruosité de la maladie : « Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine, c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes «. L' accumulation, les répétitions, les reprises, les gradations, l'emploi de pluriels, le jeu sur les syllabes (la sonorité « p «, les sifflantes...), l'association 1 3°) Le comique de répétition. Cette scène ouvre un véritable ballet de répliques, un véritable ballet de paroles, une variation pour deux solistes à la manière d'Ionesco : il y a un crescendo dans la loufoquerie qui aboutit presque à la féerie. Molière fait répéter une proposition un nombre de fois insuffisant, toujours sous la même forme et à intervalles rapprochés pour que l'effet soit sensible, ici « le poumon «. Molière a employé ce même procédé de répétition dans une scène précédente, la scène 5 de l'acte III : il s'agissait de faire redire la même apostrophe, « Monsieur Purgon ! «, dans la bouche d'Argan. Mais dans la scène avec Toinette travestie en médecin, le procédé est travaillé à l'extrême et se libère de tout souci de vraisemblance. Les répliques de Toinette, lorsqu'il va s'agir d'envisager le poumon, deviennent de plus en plus courtes jusqu'à se simplifier à ce seul mot, « le poumon «. Mais cet effet se double d'autres répétions : répétition de la réponse d'Argan « Oui, Monsieur. «, reprise d'une même tournure interrogative (« Vous avez appétit à ce que vous mangez? [...] Vous aimez à boire un peu de vin? [...] Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir? «) ou syntaxique. La réduplication finale « le poumon, le poumon « est renforcée par le soulignement en incise (« vous dis-je «). L'effet du « poumon « longuement employé est alors relancé avec un autre mot, « ignorant «, décliné au final à tous les genres latins, masculin, féminin, neutre (« Ignorantus, ignoranta, ignorantum «), tandis qu'Argan répond toujours par un aliment précédé de l'article partitif puis par des propositions infinitives (« pour lâcher le ventre «, « boire mon vin fort trempé «) introduites par la conjonction « et «, enfin par une série de courtes interrogatives (« Comment ? «, « Et pourquoi ? «, « Crever un oeil ? «). Il y a donc un riche jeu d'effets rythmiques (reprise de termes, de constructions syntaxiques, de sonorités), de répétitions et de variations qui font de cette scène un ballet de paroles endiablées : la mécanisation de la parole fait perdre à celle-ci sa signification première et ce tourniquet de répliques, cette extrême formalisation du dialogue crée un comique proprement théâtral. II La théâtralité ou le petit théâtre de Toinette 2 Dans La Cousine Bette de Balzac, lorsque Valérie Crevel agonise de manière abominable, on retrouve ce ton de jubilation de la part des médecins qui s'extasient sur la beauté de la maladie. Cf la fable « Les membres et l'estomac « de La Fontaine, Fables, III, 2. 1 1°) L'ivresse de la parole a) L'énonciation : la petite comédie de Toinette est un véritable ballet de répliques car elle épuise toutes les ressources de l'énonciation. On note que le faux médecin utilise une accumulation de phrases injonctives (« Donnez-moi votre pouls...Allons donc, que l'on batte comme il faut...Il faut boire votre vin pur...Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt: vous en verrez plus clair de l'oeil gauche. «), d'interjections (« Ah !...Ouais... le poumon !... «), d'interrogatives ( « Qui est votre médecin?... De quoi dit-il que vous êtes malade?... Que sentez-vous?... Vous avez appétit à ce que vous mangez?... et vous êtes bien aise de dormir?... Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture?... «). Non seulement Toinette est dans son rôle de médecin qui conseille, interroge le patient, fait part de ses commentaires mais cette suite précipitée de courtes réparties dirigées contre le pauvre interlocuteur et qui en quelque sorte pleuvent sur lui, crée un effet de vivacité, de brio théâtral. Car les échanges verbaux révèlent d'une part le rapport de force entre les deux personnages et d'autre part participent à cette ivresse proprement théâtrale et purement comique. b) Cet étourdissante virtuosité verbale de Toinette apparaît également dans les accumulations qui encadrent l'échange vif centré autour du « poumon « et du confrère « ignorant « : accumulation des « bonnes « maladies qu'elle prend plaisir à énumérer (« ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrotes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine «), accumulation des « bons « aliments susceptibles de guérir Argan (« Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande; du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner «). Ces accumulations désordonnées, renforcées par les répétitions des termes (les adj. « bon, bonne «, « gros «, le nom « fièvres «,) des sonorités - chacune semblant en appeler une autre - (pourprées, pestes, hydropisies, pleurésies, fromage gruau riz marrons et des oublies coller et conglutiner) génère une fantaisie verbale, qui n'a presque plus de sens et qui se nourrit d'elle-même. Baudelaire disait que Molière, dans ses dernières pièces, atteignait le « comique absolu « et c'est bien le cas dans ce petit théâtre de Toinette. que ce médecin de passage («médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume «), , fâché de « quitter [Argan] si tôt «, pour se « trouver à une grande consultation qui doit se faire pour un homme qui mourut hier «, se montre dans ses mouvements particulièrement pressé, bouillant d'impatience, faisant de furieux va-et-vient et menaçant, en s'éloignant, d'abandonner d éfinitivement son patient au plus grand désarroi. 3°) La mise en abîme (abyme) ou le théâtre dans le théâtre A plusieurs reprises, dans la pièce, il y a une mise en abyme du spectacle : - II, 5 : Cléante et Angélique, déguisés en berger et en bergère par la fiction d'un opéra, se déclarent leur flamme sous les yeux d'Argan. - III, 3 : Béralde invite Argan à assister à une pièce d'un certain Molière dénonçant le discours médical. - III, 8 et 10 : Toinette déguisée en médecin. - III, 12 et 13 : Argan contrefait le mort. - Intronisation carnavalesque d'Argan avec « robe et bonnet « et « galimatias savant « en médecin, à l'invitation de Béralde (Troisième intermède) Aussi, on a le sentiment que Molière, dans sa dernière pièce, va jouer de toutes les ressources et de tous les artifices du théâtre mais aussi qu'il s'agit pour lui de faire l'éloge du théâtre qui permet de se libérer de toutes les illusions du langages et de toutes les maladies psychiques réelles ou imaginaires. Ici Toinette prend le masque de la médecine qui est elle-même un masque : on se libère de l'illusion par l'illusion. Si Toinette joue la terreur du discours médical, c'est pour mieux l'exorciser dans cette scène 10. En abusant Argan, elle finit par le désabuser. Toinette apparaît comme une bonne fée qui va chasser les personnages néfastes, les mauvais génies d'Argan. En exécutant sa petite comédie, elle dissipe les illusions et les angoisses qu'entretenait Purgon chez son malade. Conclusion On a traditionnellement l'habitude de présenter les pièces de Molière touchant à la médecine comme des satires dirigées contre le discours et le corps médical. Mais du coup, c'est négliger le comique proprement théâtral de ses pièces. Par ailleurs, cette dernière pièce de Molière peut se lire comme une profonde réflexion sur le théâtre : Molière nous invite à considérer les vertus du théâtre, lequel peut s'interpréter comme une anti-médecine. En effet, comme la médecine, le théâtre est un édifice de fiction. Mais tandis que la médecine est en partie liée au mensonge, le théâtre permet d'aller jusqu'à la vérité. La comédie, et c'est ce que semble nous dire Toinette, est du côté des principes de la vie, du côté de Flore et de Pan sur lesquels s'ouvrait la pièce. 2°) Gestes, mouvements, costume de la comédienne Toinette [Ici, il s'agit d'imaginer des partis pris de mise en scène et d'envisager les possibilités d'interprétation suggérées par le texte. Je donne quelques idées mais je ne suis pas metteur en scène et vous êtes libres de concevoir d'autres solutions...] Toinette est déjà apparue avec le costume de médecin dans la scène 8, avant de faire une courte apparition en tant que Toinette dans la scène précédente, dans le but de faire croire Argan à son subterfuge. Ce tour de passe-passe contribue évidemment à la théâtralité de la scène mais de plus, le spectateur est davantage conscient du petit théâtre de Toinette. Le costume de médecin apparaît d'autant plus comme un costume, comme un rôle de théâtre, comme un travestissement. Par ailleurs, l'inventivité et la maestria verbales de Toinette sont riches de suggestions pour la comédienne en charge du rôle : les injonctions de Toinette qui examine le corps du malade peuvent se prolonger par des gestes (« Que diantre faites-vous de ce bras-là?, Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferais crever «...) qui malmènent le malade (dont on soulève le bras, ouvre l'oeil ..., avec utilisation des instruments qui servent à l'auscultation) se pliant docilement aux instructions du médecin et le rendent particulièrement ridicule. Par ailleurs, on peut imaginer 2

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