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Les données des sens suffisent-elles pour constituer une connaissance ?

Publié le 26/03/2004

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. Si la raison ne peut pas expliquer pourquoi les objets qui sont carrés de près paraissent ronds dans l'éloignement, il vaut mieux, défaut d'une solution vraie, donner une fausse raison de cette double apparence que de laisser échapper l'évidence de ses mains, que de détruire toute certitude, que de démolir cette base sur laquelle sont fondées notre vie et notre conservation. Car ne crois pas qu'il ne s'agisse ici que des intérêts de la raison ; la vie elle-même ne se soutient qu'en osant, sur le rapport des sens, ou éviter les précipices et les autres objets nuisibles, ou se procurer ce qui est utile. Ainsi tous les raisonnements dont on s'arme contre les sens ne sont que de vaines déclamations. »   Dans une telle perspective, les sens sont considérés comme fiables, et ils constituent le fondement de la connaissance : par eux, nous appréhendons le monde sans nous tromper ; percevoir, c'est connaître adéquatement. Si un travail mental est nécessaire pour constituer une connaissance, ce n'est que pour ordonner les données sensibles, qui sont alors considérées comme le matériau de base de la connaissance.     2) Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain   « Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c'est-à-dire des vérités particulières ou individuelles. Or tous les exemples qui confirment une vérité générale, de quelque nombre qu'ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est arrivé arrivera toujours de même. Par exemple les Grecs et Romains et tous les autres peuples de la terre ont toujours remarqué qu'avant le décours de 24 heures, le jour se change en nuit, et la nuit en jour. Mais on se serait trompé, si l'on avait cru que la même règle s'observe partout, puisqu'on a vu le contraire dans le séjour de Nova Zembla. Et  celui-là se tromperait encore qui croirait que c'est dans nos climats au moins une vérité nécessaire et éternelle, puisqu'on doit juger que la terre et le soleil même n'existent pas nécessairement, et qu'il y aura un temps où ce bel astre ne sera plus, au moins dans sa présente forme, ni tout son système.

L’expression de « données des sens « désigne l’ensemble des informations que nous fournissent nos cinq sens, qui constituent notre mode d’appréhension le plus direct du monde qui nous entoure, et, peut-être, notre première source de connaissance de celui-ci.

C’est justement le rapport de l’ensemble de ces données sensibles avec la question générale de la connaissance qui pose problème ici. La constitution d’une connaissance exige une fidélité du contenu de connaissance à l’objet choisi : une connaissance qui donne un contenu de connaissance se trompant sur l’objet étudié ne mérite pas le nom de connaissance. L’emploi du verbe « constituer « suppose d’ailleurs que l’on conçoit la connaissance comme un contenu de pensée construit, élaboré, et non comme une chose qui s’offre d’elle-même et n’exige aucun travail.

Cette question du rapport des données sensibles et de la constitution d’une connaissance est posée sous l’angle particulier de la suffisance : autrement dit, peut-on se limiter à une collecte de données sensibles pour produire quelque chose qui mérite le nom de « connaissance «, ou faut-il autre chose, et, si oui, quoi ? D’autre part, les données sensibles sont-elles suffisamment fiables pour entrer dans la composition de la connaissance, ou au contraire toute connaissance commence-t-elle par un dépassement des données sensibles ?

Si cette question est posée, c’est peut-être parce que la philosophie a traditionnellement cultivé une méfiance à l’égard des données sensibles : les sens pourraient nous tromper, or ils sont notre mode premier d’appréhension du monde : il nous faudrait donc, si nous avions l’intention de constituer une connaissance, fournir un effort pour dépasser les informations qu’ils nous donnent.

La réponse au sujet va donc dépendre du statut que nous accordons aux données sensibles du point de vue de la connaissance, et de la manière dont nous choisissons de concevoir la connaissance : est-elle simplement une collection d’informations fiables, ou passe-t-elle par une généralisation, éventuellement une abstraction de ces informations (si l’on accepte cette dernière idée, alors les sens, même s’ils nous fournissent des informations fiables, ne suffisent pas pour constituer une connaissance, parce qu’il faut, en plus, trouver des moyens de généraliser les données qu’ils nous offrent.) ?

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