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Les Mots : Le portrait du Grand-Père

Publié le 17/10/2011

Extrait du document

 

«  Restait le patriarche : il ressemblait tant à Dieu le Père qu’on le prenait souvent pour lui. Un jour, il entra dans une église par la sacristie ; le curé menaçait les tièdes des foudres célestes : « Dieu est là ! Il vous voit ! « Tout à coup les fidèles découvrirent, sous la chaire, un grand vieillard barbu qui les regardait : ils s’enfuirent. D’autres fois, mon grand père disait qu’ils s’étaient jetés à ses genoux. Il prit goût aux apparitions. Au mois de septembre 1914, il se manifesta dans un cinéma d’Arcachon : nous étions au balcon, ma mère et moi, quand il réclama la lumière ; d’autres messieurs faisaient autour de lui les anges et criaient : « Victoire ! Victoire ! «  Dieu monta sur scène et lu le communiqué de la Marne. Du temps que sa barbe était noire, il avait été Jéhovah et je soupçonne qu’Emile est mort de lui, indirectement. Ce Dieu de colère se gorgeait du sang de ses fils. Mais j’apparaissais au terme de sa longue vie, sa barbe avait blanchi, le tabac l’avait jaunie et la paternité ne l’amusais plus. M’eût-il engendré, cependant, je crois bien qu’il n’eût pu s’empêcher de m’asservir : par habitude. Ma chance fut d’appartenir à un mort : un mort avait versé les quelques gouttes de sperme qui font le prix ordinaire d’un enfant ; J’étais un fief du soleil, mon grand père pouvait jouir de moi sans me posséder : je fut sa « merveille « parce qu’il souhaitait finir ses jours en vieillard émerveillé ; il prit le parti de me considérer comme une faveur singulière du destin, comme un don gratuit et toujours révocable ; qu’eût-il exigé de moi ? Je le comblais de ma seule présence. Il fut le Dieu d’Amour avec la barbe du Père et le Sacré-Cœur du Fils ; il me faisait l’imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume, il m’appelait son tout-petit d’une voix qui chevrotait de tendresse, les larmes embuaient ses yeux froids. Tout le monde se récriait :  « Ce garnement l’a rendu fou ! « Il m’adorait, c’était manifeste. M’aimait-il ? Dans une passion si publique, j’ai peine à distinguer la sincérité de l’artifice : je ne crois pas qu’il ait témoigné beaucoup d’affection à ses autres petits-fils ; il est vrai qu’il ne les voyait guère et qu’ils n’avaient aucun besoin de lui. Moi, je dépendais de lui pour tout : il adorait en moi sa générosité. «

 

Problématique : Comment dans cet extrait Sartre dresse-t-il le portrait du « patriarche « dans un rendu très distancé, nous donnant par-là de nombreuses clefs de lecture ?

 

2 axes :

I) Le portrait d’un imposteur.

II) La reconstitution de la réalité.

 

I) Le portrait d’un imposteur.

a) Une métaphore dégradée de Dieu.

Le grand père est le dernier personnage présenté. // Ombre du père. + « Restait le patriarche « = Sujet inversé.

 Il y a une métaphore filée (=qui s’enrichit) : ressemblances physiques, morales (Jéhovah, Emile, « Dieu d’Amour «).

 Le passage prend une orientation mystique : «  il me faisait l’imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume, il m’appelait son tout-petit d’une voix qui chevrotait de tendresse, les larmes embuaient ses yeux froids. «  + « Mais j’apparaissais « + « M’eût-t-il engendré « = Apparition de Poulou : connotation religieuse.

Cependant, le regard est parodique :

- Les lieux des apparitions ridicules (cinéma..)

- Le communiqué est ridicule.

- On note une volonté du grand-père de se mettre en scène.

 

b) Un vieillard de mauvaise foi.

Il existe un « faux « et un « vrai « Charles : les autres voient en Charles un Dieu (à l’église) et Charles se voit lui-même comme un Dieu (au cinéma).

Les preuves de sa mauvaise foi :

Charles = « le patriarche «, « il «, « mon grand-père «, « ce Dieu de colère «, ..   D’habitude, Sartre appelle Charles par son prénom.

Le comportement de Charles relève bien de la comédie :

« il me faisait l’imposition des mains, je sentais sur mon crâne la chaleur de sa paume, il m’appelait son tout-petit d’une voix qui chevrotait de tendresse, les larmes embuaient ses yeux froids. « Les verbes sont des imparfaits de répétition : les gestes mécaniques et non naturels.

Charles joue plusieurs rôles : il est deux dieux différents. Le « gentil dieu « : « Il fut le Dieu d’Amour avec la barbe du Père et le Sacré-Cœur du Fils. « ; il a également une barbe blanche ; Le « méchant dieu « : « Du temps que sa barbe était noire, il avait été Jéhovah et je soupçonne qu’Emile est mort de lui, indirectement. Ce dieu de colère se gorgeait du sang de ses fils. « Sa barbe devient donc noire.

Charles est également un grand-père normal, mais qui possède des accessoires … comme Poulou : « Moi, je dépendais de lui pour tout : il adorait en moi sa générosité. « ; « J’étais un fief du soleil, mon grand-père pouvait jouir de moi sans me posséder. «

Charles est donc un imposteur qui joue plusieurs comédies et même son « rôle « de grand-père. Sartre indique ici le thème de cette comédie familiale.

 

II) La reconstitution de la réalité.

a) Une analyse après coup.

C’est un adulte ici qui analyse l’attitude de son grand-père :

« Je crois bien «,  « je soupçonne « , « je ne crois pas « : les verbes sont des verbes modalisateurs au présent d’énonciation.

On note également la présence de connecteurs logiques : « parce que «, « mais «, « donc «,..

Le texte est donc démonstratif, explicatif.  Même dans les passages dépourvus de ces connecteurs, on « entend « un « donc «.

Cependant, Sartre interprète le comportement de Charles selon sa propre vision existentialiste. « Il m’a aimé parce qu’il … « ; le pacte autobiographie est donc ici détruit : son grand-père n’était sûrement pas aussi calculateur. L’analyse de Sartre est donc orientée et servie par une mise en scène du narrateur.

 

b) Une mise en scène du narrateur.

Cette mise en scène se fait à travers deux anecdotes : la première est celle de l’Eglise. Cet épisode est raconté par Charles sans aucune mise à distance. « D’autres fois.. « = fiabilité de l’histoire remise en cause. La seconde est celle amenée par l’écriture, par la métaphore filée.

«  Naissance du vieillard émerveillé « liée à la naissance de Sartre, qui est chosifié (« posséder «). On note aussi un parallélisme entre la naissance et la mort = « Ma chance fut d’appartenir à un mort : un mort avait versé les quelques gouttes de sperme qui font le pris ordinaire d’un enfant. « 

Cette naissance extraordinaire va donc donner à Sartre le rôle d’élu : « J’étais le fief du Soleil « En quelques sortes, la naissance extraordinaire de Sartre va engendrer la naissance du vieillard émerveillé.

La relation entre Charles et Sartre est aliénante : Sartre va jouer le rôle que son grand père lui demande de jouer : un enfant merveilleux.

 

Conclusion

Il s’agit d’un portrait dressé de façon à ce qu’on ait des clefs de lecture (autodérision, existentialisme, mauvaise foi des deux personnages…).

Réouverture(s)

- Le corpus sur l’autobiographie.

- Les autres extraits de l’œuvre.

 

« II) La reconstitution de la réalité. a) Une analyse après coup. C’est un adulte ici qui analyse l’attitude de son grand-père : « Je crois bien », « je soupçonne » , « je ne crois pas » : les verbes sont des verbes modalisateurs au présentd’énonciation. On note également la présence de connecteurs logiques : « parce que », « mais », « donc »,.. Le texte est donc démonstratif, explicatif.

Même dans les passages dépourvus de ces connecteurs, on « entend »un « donc ». Cependant, Sartre interprète le comportement de Charles selon sa propre vision existentialiste.

« Il m’a aimé parce qu’il … » ; le pacte autobiographie est donc ici détruit : son grand-père n’était sûrement pas aussicalculateur.

L’analyse de Sartre est donc orientée et servie par une mise en scène du narrateur.

b) Une mise en scène du narrateur. Cette mise en scène se fait à travers deux anecdotes : la première est celle de l’Eglise.

Cet épisode est raconté par Charles sans aucune mise à distance.

« D’autres fois..

» = fiabilité de l’histoire remise en cause.

Laseconde est celle amenée par l’écriture, par la métaphore filée.« Naissance du vieillard émerveillé » liée à la naissance de Sartre, qui est chosifié (« posséder »).

On note aussi unparallélisme entre la naissance et la mort = « Ma chance fut d’appartenir à un mort : un mort avait versé lesquelques gouttes de sperme qui font le pris ordinaire d’un enfant.

» Cette naissance extraordinaire va donc donner à Sartre le rôle d’élu : « J’étais le fief du Soleil » En quelques sortes, la naissance extraordinaire de Sartre va engendrer la naissance du vieillard émerveillé. La relation entre Charles et Sartre est aliénante : Sartre va jouer le rôle que son grand père lui demande de jouer : un enfant merveilleux.

Conclusion Il s’agit d’un portrait dressé de façon à ce qu’on ait des clefs de lecture (autodérision, existentialisme, mauvaise foides deux personnages…). Réouverture(s) - Le corpus sur l’autobiographie. - Les autres extraits de l’œuvre.. »

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