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L'esthétique de Marivaux

Publié le 17/05/2011

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marivaux

Pendant sa vie à Paris, entre 1710 et 1717, Marivaux se passionne pour la vie de la capitale. Il aime observer la foule et surtout son langage dont il s'inspire pour ses pièces et ses romans. En 1717, il envoie au journal Le Mercure de France, les Lettres sur les habitants de Paris, où il esquisse la vie quotidienne des Parisiens. Marivaux fait un grand succès avec ces chroniques et ainsi, il devient « spectateur «. Il adapte un style ironique et populaire. Dès 1720, son activité journalistique et ses succès théâtraux cataloguent Marivaux comme un auteur aimable et divertissant, trop « à la mode « pour être « intellectuel «. Marivaux n'aime pas ces étiquettes et il désire être pris au sérieux. Ainsi, en 1721, il propose aux lecteurs français un nouveau périodique, Le Spectateur français, ouvertement inspiré de l'anglais The Spectator. Marivaux souhaite donner au public l'occasion d'une lecture régulière, plaisante et rapide. Ces feuilles, éditées par quinzaine, combinent de brèves histoires littéraires, des réflexions inspirées par l'expérience et des scènes de la société décrites par l'écrivain. Pourtant, ce projet ne rencontre pas le succès désireux, plus à cause de la disparité des publications que de l'absence des lecteurs. Marivaux interrompt définitivement ses travaux en 1724. De cette manière, s'achève le projet nommé Le Spectateur français, dans lequel Marivaux a exprimé beaucoup de ses théories littéraires. La naissance d'une forme À l'apparition des premières feuilles du Spectateur, en 1722, une forme nouvelle s'introduit en France, qui va connaitre un succès phénoménal. Marivaux trouve sa liberté ; il s'agit d'une forme qui ne ressemble pas du tout à un essai ni à un conte, ni à une lettre ; c'est une forme dont les seules lois sont la souplesse et la diversité. Jusqu'à ce moment-là on admirait la singularité de l'esprit de Marivaux ; on reconnaissait en lui un observateur et un moraliste de fine qualité. Nous retrouvons ce Marivaux dans le Spectateur, et plus brillant que jamais. Mais déjà, l'homme qui nous raconte un peu de sa vie quotidienne, qui évoque un souvenir ou nous livre des réflexions sur un spectacle, cet homme-là, c'est un plaisir nouveau qu'il nous apporte. Il se promène et il se mêle à la foule. Chaque fois que Marivaux se promène, il rencontre des spectacles les mieux faits pour l'émouvoir. Au contact des autres hommes, tout l'émeut, l'enflamme ou l'indigne. D'autre fois, comme dans le dernier récit du Spectateur, il arrive qu'une page nous émeuve par son frémissement et sa richesse humaine et l'auteur la prolonge, la répète, l'accentue. Marivaux n'arrive à créer aucun caractère véritable dans son Spectateur. La seule figure qui apparaît est la sienne: ici consiste la nouveauté de cette oeuvre. L'esthétique du fragment Le texte de journal est, par définition, fragmentaire. Ainsi, on peut distinguer l'oeuvre de Marivaux, les Journaux, par cette discontinuité, et l'esthétique du fragment. Marivaux propose dans le Spectateur français, une réflexion sur différentes pratiques d'écriture discontinue, cette réflexion en acte passe par une transformation, sinon une subversion, de ces modèles. La subversion que Marivaux impose au journal prend, schématiquement, deux formes. La première consiste en une fictionalisation de la discontinuité. Dans le Spectateur français, on trouve des alibis fictionnels de la discontinuité éditoriale tantôt de d'ordre rhétorique, tantôt d'ordre narratif. Le texte ne s'interrompt pas parce que le narrateur arrive au terme de l'espace qui lui est imparti, mais parce que tel sont le rythme de son écriture ou les dispositions de son amour propre : « Mais je pense que je ferai bien de quitter la plume ; je sens que je m'appesantis. « ; « mais il me semble qu'il y a longtemps que j'écris ; et si je ne finissais, la matière me mènerait trop loin. « ; « C'était par vanité mécontente que j'avais discontinué d'écrire. « ; « Je reprends enfin le Spectateur interrompu depuis quelques mois, et le reprends pour le continuer avec exactitude. Je l'avais quitté par une paresse assez naturelle aux personnes d'un âge aussi avancé que je suis. « Autre solution de contextualisation : la fin de la feuille raconte sa propre histoire et ne survient que du fait d'un événement qui la précipite. C'est une narrativisation de ce genre qui vient par exemple terminer, en la suspendant, la troisième feuille. Le narrateur a commencé la transcription d'un songe trouvé dans la traduction d'un manuscrit espagnol dont on lui a fait la lecture et justifie son interruption : « Je m'arrête là, et c'est jusqu'où j'ai pu déchiffrer l'écriture du traducteur que je prierai de m'aider à lire le reste, que je donnerai la première fois. « Dans le Spectateur français, la discontinuité apparaît comme un fait d'écriture vraisemblable et la manifestation textuelle des hasards du vécu. Dans les deux cas, elle se situe au niveau de la narration. Les différents morceaux narratifs qui composent le texte coïncident avec l'unité éditoriale qu'est la feuille. En effet, au sein de chaque feuille, ou parfois lors du passage d'une feuille à l'autre, la continuité pouvait être assurée par la narration-promenade ou par le signalement justificatif des ruptures, annonces de report, promesses, inachèvements, reprises, changements de sujets. Inversement, lorsqu'une unité narrative, une histoire, s'étend sur plusieurs feuilles, des remarques métatextuelles, présentations, précautions, ou encore « préambules « comme les appelle Marivaux, viennent rompre la continuité narrative. Cette pratique est très présente dans la dernière partie du recueil lorsque, à partir de la seizième feuille, Marivaux enchaine trois longues séquences, celle du journal espagnol, celle du Mémoire de la dame âgée et, après une variation sur une feuille (la vingtième), celle des aventures de l'inconnu. Dans cette dernière histoire, l'interruption éditoriale est soulignée, au début de chaque feuille, par les scansions introductives du narrateur : « Voici la suite des aventures de l'inconnu, et dorénavant je les continuerai sans préambule. « ; « J'ai déjà averti que je continuerai à donner l'histoire de l'inconnu sans faire aucun préambule, ainsi j'entre d'abord en matière. « Dans les deux cas de figure de cette pratique du raccord, on aboutit au paradoxe d'une continuité discontinue. Une réflexion sociale Le Spectateur français, ce sont des feuilles volantes, dans lesquelles le narrateur évoque des sujets divers et d'actualité, qui vont de l'esthétique littéraire à la réflexion sociale (analyse du système judiciaire, relations entre parents et enfants, crise économique, etc.) Ces feuilles volantes ont une forme fragmentaire. Tout d'abord, le ton est donné. L'humour jaillit et Marivaux ne cherche pas à faire une oeuvre polémique ni à présenter à ses contemporains un miroir sombre de la nature humaine. Son but n'est pas didactique. Il s'intéresse à la diversité de la société de son temps. Comme « Spectateur «, il accumule les images et les scènes en faisant une tentative de recréer l'impression de la vie. On pourrait qualifier ce genre du Spectateur français comme des chroniques, mais des chroniques désordonnées et non annalistiques, puisque on ne suit pas le déroulement de l'actualité. Le Spectateur français est né grâce à un désir de liberté de parole chez Marivaux. La diversité de ce genre contient une recherche sur l'identité de l'auteur et sur le sens de la littérature : des feuilles volantes qui sont parfois des drames, parfois des comédies, des thèmes répétés et variés. Si on voit de près l'ouverture du Spectateur français : « Lecteur, je ne peux point vous tromper, et je vous averti d'avance que ce n'est point un auteur que vous allez lire ici. « Et de poursuivre : « je ne sais point créer, je sais seulement surprendre en moi les pensées que le hasard me fait, et je serais fâché d'y mettre du mien. « Nous constatons l'utilisation du génitif, qui met en question le rapport de propriété ou d'appartenance, cela veut dire le rapport de l'auteur à son texte. Le Spectateur présente ce qui se passe dans Marivaux lorsqu'il est frappé par l'objet extérieur. Le lecteur du Spectateur est invité à lire les pensées de Marivaux et de choisir s'il va prendre le risque d'élaborer cette pensée. Dans les Journaux, le Spectateur prend ses distances avec la foule et se déclare « misanthrope « : « J'ai voulu parcourir les rues pleines de monde, c'est une fête délicieuse pour un misanthrope que le spectacle d'un si grand nombre d'hommes assemblés «. Marivaux, dépourvu de motivation personnelle et tout seul, déclare son indifférence pour les objets et se sent capable d'évaluer les hommes. Le lecteur peut donc s'attendre à des réflexions impartiales et objectives de la part de cet homme âgé qui a suffisamment vécu pour parvenir à l'indifférence du sage. « D'ailleurs, mon âge avancé, mes voyages, la longue habitude de ne vivre que pour voir et que pour entendre, et l'expérience que j'ai acquise, ont émoussé mon amour-propre sur mille petits plaisirs de vanité «. Le Spectateur s'attache à révéler les hypocrisies et par amour de la vérité, à ôter les masques de ceux qui prennent une attitude mensongère. Il démasque et révèle depuis sa place de Spectateur. Les hommes sont des « porteurs de visages «, comparable à des acteurs qui composent un « spectacle « auquel assiste le narrateur en spectateur averti, sans se laisser prendre aux illusions dramatiques. Marivaux examine et décèle les caractères, les espèces auxquelles appartiennent les objets de son observation. Il aperçoit le général sous le particulier. « Cette innombrable quantité d'espèces de mouvements forme à ses yeux un caractère générique. À la fin, tant de sujets de réduisent en un ; ce n'est plus des hommes différents qu'il contemple, c'est l'homme représenté dans plusieurs mille «. Un questionnement philosophique Les feuilles volantes des Journaux de Marivaux montrent comment Marivaux s'est intéressé aux réflexions théoriques sur la nature humaine pendant toute sa vie. Dans le Spectateur français, Marivaux se réfère aussi à la question de la métaphysique. Les interrogations sur l'âme lui semblent vaines : « Laissez à certains savants, je veux dire aux faiseurs de systèmes, à ceux que le vulgaire appelle Philosophes, laissez-leur entasser méthodiquement visions sur visions en raisonnant sur la nature des deux substances ou de choses pareilles ; à quoi servent leurs méditations là-dessus, qu'à multiplier les preuves que nous avons déjà de notre ignorance invincible ? « Inspiré par les philosophes anglais, l'attitude de Marivaux face à l'identité personnelle est bien une remise en question des philosophies métaphysiques. La quête de soi ne repose pas sur une hypothétique substance spirituelle de l'homme, mais sur la connaissance de ses sentiments – connaissance qui n'advient que par le langage. Marivaux repositionne la question « Qui suis-je ? « par celle « Comment parler de moi ? « La femme au miroir Pendant ses Journaux, Marivaux se glisse dans la peau de personnages pour parler, à la première personne, du monde qui l'entoure ; il raconte et il commente ce qu'il voit. Parfois, l'observateur ne reste pas extérieur à la scène qu'il décrit mais, ce qu'il évoque est personnel : le traumatisme touche l'observateur qui a été un jeune homme naïf. « J'aperçus la belle de loin, qui se regardait dans un miroir, et je remarquai, à mon grand étonnement, qu'elle s'y représentait à elle-même dans tous les sens où durant notre entretien, j'avais vu son visage ; et il se trouvait que ses airs de physionomie que j'avais crus si naïfs, n'étaient, à les bien nommer, que des tours de gibecière. « La belle répétait ses mimiques et ses gestes comme une actrice ; son naturel n'était qu'artifice. Le miroir a dédoublé le monde, séparé les mots et leurs sens, les visages et les sentiments, l'apparence et la réalité. « C'est de cette aventure que naquit en moi cette misanthropie qui ne m'a point quitté, et qui m'a fait passer ma vie à examiner les hommes, et à m'amuser de mes réflexions. « La misanthropie du Spectateur français vaut la tristesse timide du solliciteur. Une formule frappe dans l'explication de ce traumatisme : « Je viens de voir les machines de l'Opéra. Il me divertira toujours, mais il me touchera moins. « Le spectateur naïf sait que l'héroïne n'est qu'une actrice qui a bien appris son rôle. L'amoureux se change en observateur à distance. Le miroir est machine à réflexion. Dans cette scène du Spectateur français, le jeune homme découvre la duplicité des êtres et tombe dans la mélancolie. Dans la troisième feuille, Marivaux évoque une femme à son miroir, qui répète son rôle pour un de ses soupirants mais aussi bien pour elle-même : « elle n'a garde d'aller fixer son attention sur ce nez, avec qui, pour lors, sa vanité ne trouverait pas son compte : ses yeux glissent seulement dessus, et c'est tout son visage à la fois ; ce sont tous ses traits qu'elle regarde, et non pas ce nez infortuné qu'elle esquive, en l'enveloppant dans une vue générale ; et de cette façon même, il y aurait bien du malheur si, tout laid qu'il est, il ne devient piquant, à la faveur des services que lui rendent les autres traits qu'on lui associe. « La femme compose son visage d'abord pour rassurer son amour-propre, pour se réconcilier avec son apparence physique. Le spectateur s'amuse des mimiques de la femme. Ainsi, on constante que le miroir ne trompe pas que l'autrui mais, parfois il sert à se tromper soi-même ou encore, à prendre conscience. Les Journaux de Marivaux ne sont pas un « livre « comme ses autres livres. Comme le dit l'auteur lui-même, ce sont seulement de « petits ouvrages nés du caprice «. Cette phrase explique toutes les différences de style qu'on peut apercevoir dans les Journaux. Ses Lettres ont été écrites pour être lues à voix haute, non pour être jugées dans le silence du cabinet. Dans le Spectateur français, on voit Marivaux s'abandonner et se reprendre. Même quand il s'abandonne, tout ému, il garde une naïveté spirituelle et un bon sens. Il passe en un instant de l'émotion au sourire, ce sourire semble encore une grâce du coeur. On dirait que Marivaux porte parfois une secrète et fine blessure pour le bonheur de son oeuvre. Cette sensibilité devient d'un caractère si rare : ce sont le coeur et l'esprit de Marivaux.   

marivaux

« matière.

» Dans les deux cas de figure de cette pratique du raccord, on aboutit au paradoxe d'une continuitédiscontinue. Une réflexion socialeLe Spectateur français, ce sont des feuilles volantes, dans lesquelles le narrateur évoque des sujets divers etd'actualité, qui vont de l'esthétique littéraire à la réflexion sociale (analyse du système judiciaire, relations entreparents et enfants, crise économique, etc.) Ces feuilles volantes ont une forme fragmentaire.Tout d'abord, le ton est donné.

L'humour jaillit et Marivaux ne cherche pas à faire une oeuvre polémique ni àprésenter à ses contemporains un miroir sombre de la nature humaine.

Son but n'est pas didactique.

Il s'intéresse àla diversité de la société de son temps.

Comme « Spectateur », il accumule les images et les scènes en faisant unetentative de recréer l'impression de la vie.

On pourrait qualifier ce genre du Spectateur français comme deschroniques, mais des chroniques désordonnées et non annalistiques, puisque on ne suit pas le déroulement del'actualité.Le Spectateur français est né grâce à un désir de liberté de parole chez Marivaux.

La diversité de ce genre contientune recherche sur l'identité de l'auteur et sur le sens de la littérature : des feuilles volantes qui sont parfois desdrames, parfois des comédies, des thèmes répétés et variés.Si on voit de près l'ouverture du Spectateur français : « Lecteur, je ne peux point vous tromper, et je vous avertid'avance que ce n'est point un auteur que vous allez lire ici.

» Et de poursuivre : « je ne sais point créer, je saisseulement surprendre en moi les pensées que le hasard me fait, et je serais fâché d'y mettre du mien.

» Nousconstatons l'utilisation du génitif, qui met en question le rapport de propriété ou d'appartenance, cela veut dire lerapport de l'auteur à son texte.

Le Spectateur présente ce qui se passe dans Marivaux lorsqu'il est frappé par l'objetextérieur.

Le lecteur du Spectateur est invité à lire les pensées de Marivaux et de choisir s'il va prendre le risqued'élaborer cette pensée.Dans les Journaux, le Spectateur prend ses distances avec la foule et se déclare « misanthrope » : « J'ai vouluparcourir les rues pleines de monde, c'est une fête délicieuse pour un misanthrope que le spectacle d'un si grandnombre d'hommes assemblés ».

Marivaux, dépourvu de motivation personnelle et tout seul, déclare son indifférencepour les objets et se sent capable d'évaluer les hommes.

Le lecteur peut donc s'attendre à des réflexions impartialeset objectives de la part de cet homme âgé qui a suffisamment vécu pour parvenir à l'indifférence du sage.

«D'ailleurs, mon âge avancé, mes voyages, la longue habitude de ne vivre que pour voir et que pour entendre, etl'expérience que j'ai acquise, ont émoussé mon amour-propre sur mille petits plaisirs de vanité ».

Le Spectateurs'attache à révéler les hypocrisies et par amour de la vérité, à ôter les masques de ceux qui prennent une attitudemensongère.

Il démasque et révèle depuis sa place de Spectateur.

Les hommes sont des « porteurs de visages »,comparable à des acteurs qui composent un « spectacle » auquel assiste le narrateur en spectateur averti, sans selaisser prendre aux illusions dramatiques.

Marivaux examine et décèle les caractères, les espèces auxquellesappartiennent les objets de son observation.

Il aperçoit le général sous le particulier.

« Cette innombrable quantitéd'espèces de mouvements forme à ses yeux un caractère générique.

À la fin, tant de sujets de réduisent en un ; cen'est plus des hommes différents qu'il contemple, c'est l'homme représenté dans plusieurs mille ». Un questionnement philosophiqueLes feuilles volantes des Journaux de Marivaux montrent comment Marivaux s'est intéressé aux réflexions théoriquessur la nature humaine pendant toute sa vie.

Dans le Spectateur français, Marivaux se réfère aussi à la question dela métaphysique.

Les interrogations sur l'âme lui semblent vaines : « Laissez à certains savants, je veux dire auxfaiseurs de systèmes, à ceux que le vulgaire appelle Philosophes, laissez-leur entasser méthodiquement visions survisions en raisonnant sur la nature des deux substances ou de choses pareilles ; à quoi servent leurs méditations là-dessus, qu'à multiplier les preuves que nous avons déjà de notre ignorance invincible ? » Inspiré par les philosophesanglais, l'attitude de Marivaux face à l'identité personnelle est bien une remise en question des philosophiesmétaphysiques.

La quête de soi ne repose pas sur une hypothétique substance spirituelle de l'homme, mais sur laconnaissance de ses sentiments – connaissance qui n'advient que par le langage.

Marivaux repositionne laquestion « Qui suis-je ? » par celle « Comment parler de moi ? » La femme au miroirPendant ses Journaux, Marivaux se glisse dans la peau de personnages pour parler, à la première personne, dumonde qui l'entoure ; il raconte et il commente ce qu'il voit.

Parfois, l'observateur ne reste pas extérieur à la scènequ'il décrit mais, ce qu'il évoque est personnel : le traumatisme touche l'observateur qui a été un jeune homme naïf.« J'aperçus la belle de loin, qui se regardait dans un miroir, et je remarquai, à mon grand étonnement, qu'elle s'yreprésentait à elle-même dans tous les sens où durant notre entretien, j'avais vu son visage ; et il se trouvait queses airs de physionomie que j'avais crus si naïfs, n'étaient, à les bien nommer, que des tours de gibecière.

» La bellerépétait ses mimiques et ses gestes comme une actrice ; son naturel n'était qu'artifice.

Le miroir a dédoublé lemonde, séparé les mots et leurs sens, les visages et les sentiments, l'apparence et la réalité.

« C'est de cetteaventure que naquit en moi cette misanthropie qui ne m'a point quitté, et qui m'a fait passer ma vie à examiner leshommes, et à m'amuser de mes réflexions.

» La misanthropie du Spectateur français vaut la tristesse timide dusolliciteur.Une formule frappe dans l'explication de ce traumatisme : « Je viens de voir les machines de l'Opéra.

Il me divertiratoujours, mais il me touchera moins.

» Le spectateur naïf sait que l'héroïne n'est qu'une actrice qui a bien appris sonrôle.

L'amoureux se change en observateur à distance.

Le miroir est machine à réflexion.

Dans cette scène duSpectateur français, le jeune homme découvre la duplicité des êtres et tombe dans la mélancolie.Dans la troisième feuille, Marivaux évoque une femme à son miroir, qui répète son rôle pour un de ses soupirantsmais aussi bien pour elle-même : « elle n'a garde d'aller fixer son attention sur ce nez, avec qui, pour lors, sa vanité. »

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