Devoir de Philosophie

L'exil Dans Le Père Goriot

Publié le 26/09/2010

Extrait du document

 

I/ L’Exil : définition et approche littéraire.

 

                        1°) L’Exil forcé.

 

                        2°) L’Exil volontaire.

 

II/ L’Honneur dans l’exil.

 

                      1°) Le refus de l’asservissement.

 

                      2°) La sauvegarde d’un code moral fort.

 

III/ L’exil : chemin de la compromission ou simple fuite.

 

                     1°) L’honneur dans la résistance.

 

                     2°) La fuite : une attitude antihéroïque.

 

INTRODUCTION :

 

         L’histoire de l’humanité se résumerait-elle en un éternel exil. Ainsi, depuis le péché originel de nos ancêtres Adam et Eve, le genre humain semble condamné à un perpétuel déplacement. L’on s’exile par simple goût de l’aventure, pour des raisons professionnelles ou encore par pure contrainte. C’est de cette dernière sorte d’exil qu’il s’agira dans notre étude. On ne saurait aborder une telle question sans pour autant mettre en exergue le caractère sacrificiel des hommes glorieux qui même au-delà de leurs frontières resteront fidèles à leurs principes moraux guidés par leur code de l’honneur. C ‘est dans cette optique que face à l’occupation coloniale, certains Africains poseront des actes plus que louables dans le seul souci de préserver l’image qu’ont tant entretenu leurs pères fondateurs. Puisque la conscience contemporaine accorde une grande importance à la sauvegarde de l’honneur, ces derniers n’échapperont pas à une critique les taxant de fuyards devant l’ennemi. Cependant à bien des égards, l’honneur pourrait conditionner l’exil. Dans l’œuvre de Cheik Aliou NDao, il existe un lien étroit entre l’honneur et l’exil. C’est principalement de cet ouvrage que s‘inspire le sujet de notre étude : l’Exil, le chemin de l’honneur ou de la fuite .Pour une pertinente analyse de la question, nous définirons d’abord l’exil et l’aborderons dans la perspective d’une approche littéraire ; ensuite  nous traiterons de l’honneur dans l’exil pour s’interroger enfin sur l’exil : le chemin de la compromission ou simple fuite.

 

I/ L’exil : définition et approche littéraire.

 

        Dans son acception la plus courante, l’exil peut être considéré comme l’exercice d’une force contraignante tentant à éloigner un individu hors du pays natal ou de la patrie. En bien des égards, il s’agit d’un éloignement soit causé par la force des choses ou tout simplement émanant d’une sanction visant à bannir l’exilé ou le groupe d’individus de sa terre nourricière. Ainsi, l’exil peut découler d’une sanction pénale(en cas d’ostracisme) visant à se débarrasser d’un homme considéré comme influent et dangereux quant à la sécurité de la  cité. Par ailleurs, la notion d’exil charrie une double signification en ce sens qu’il peut être la résultante d’un choix ; d’autre part, il peut être lié à la nécessité d’agir sous une quelconque force ou autorité. Ce qui nous amène donc à parler de l’exil dans la double postulation et d’une contrainte ou simplement sous l’angle purement  personnel.

 

1°) L’exil forcé.

 

       S’étant placé dans la ligne de mire d’une administration coloniale en perpétuelle quête de pouvoir, le roi Albouri du Djoloff se voit contraint de quitter la terre de ses ancêtres pour rallier Ségou. Il s’agit là d’un exil d’autant provoqué en ce sens qu’il est conduit sous la houlette d’une force symbolique représentée par les colons qui n’entendent aucunement céder à une quelconque autorité différente de la leur et ce fut-elle puissante ou faible. Le roi Albouri le comprend parfaitement « (…) Le Gouverneur ne s’entend qu’avec ceux qui se soumettent.«

 

        En effet, dans la conscience du colon, il ne fallait laisser libre concours à aucun pouvoir devant menacer leur immuable désir : annexer, dominer et gérer tout le Sénégal. D’autre part, le départ de Bourba Djoloff pour Ségou est dicté par la force des circonstances (pensons seulement aux colonisateurs ayant conquis les territoires voisins et que le peuple du Djoloff demeurant le seul royaume sous autorité indigène et insoumise). De même, l’état psychologique du roi Albouri mérite qu’on s’y arrête puisque dans son analyse de la situation critique qui prévalait, il était selon lui impensable de sacrifier le peuple du Djoloff.

 

      Certes c’est ce qui a motivé son exil loin des contrées ancestrales. Eu égard à la réaction un peu précipité d’Albouri quant à son choix , il se révèle que cet exil est à la fois sous-tendu par la force militaire et hégémonique du colon mais aussi par les contraintes liées aux circonstances. Tout bien considéré, cet exil dénotait d’une volonté manifeste du roi de s’éloigner du terroir pour des raisons d’ordre moral et stratégique.

 

2°) L’exil volontaire.

 

       La question de l’exil volontaire concernant le cas d’Albouri du Djoloff est fort critiquable d’autant plus qu’il découlerait de la part du héros d’un manque de courage. Cependant, ce départ volontaire mérite d’être soutenu et analysé en rapport  avec le contexte sociopolitique mais aussi par rapport aux courants moraux et à la conscience contemporaine qui habitent Albouri et le peuple du Djoloff. En effet, il fallait réagir face à un contexte historique singulier mais difficile. Au demeurant, Albouri a bien analysé la situation assez désastreuse qui préfigurait : il sait que la bataille une fois engagée précipiterait la fin tragique du Djoloff : « Il ne s’agit pas de courage (mais) il s’agit de responsabilité. Je ne veux pas exposer mon peuple à la destruction « Dans un combat à armes inégales, les canons des Blancs et les mitrailleuses infligeraient une raclée qui pourrait être humiliation donc sujette au déshonneur pour un peuple si ancré dans les valeurs cardinales wolof (jom, fiit, ngor, téranga : courage, dignité, honneur et hospitalité) : « Ils ont inventé des machines que nous n’avions pas prévu .«

 

       Dans les tous les cas et quelque soit la situation, ces valeurs ne doivent souffrir d’aucun affront pouvant avilir les individus les incarnant. En somme, elles répondent à un code : celui de l’honneur le plus intransigeant.

 

II/ L’honneur dans l’exil.

 

     Dans toute société digne, respectueuse ; la notion d’honneur est au centre de  ses préoccupations. Ainsi, dans le souci permanent de préserver l’image de son pays, de sa lignée, de son rang, certains prendront des décisions délicates les obligeant même souvent à l’exil. Cet exil qui se manifeste par un abandon définitif ou momentané de sa terre sous la contrainte d’une menace extérieure servira de prétexte pour la sauvegarde d’une vertu essentielle chez l’individu. De ce fait, si malgré tant de peines l’homme continue à s’obstiner à devenir un gardien vaillant de son honneur préférant l’exil à la captivité, c’est tout simplement dans le seul but d’éviter un éventuel asservissement.

 

      1°) Le refus de l’asservissement.

 

       La liberté étant la chose à laquelle tout être aspire, ainsi toute tentative de vouloir priver à autrui le gout de la vie place ce dernier dans une situation inconfortable provoquant alors une réaction de sa part.

 

       En effet, un regard rétrospectif sur l’histoire nous montre la souffrance, l’indignation ; l’humiliation qui peuvent découler de la vassalité. C’est d’ailleurs pour ne pas infliger à son peuple ces derniers maux que le roi du Djoloff dans l’Exil d’Albouri préconise l’exil. Il renonce alors à tout son héritage, ses terres pour ne pas se plier devant les spahis comme en témoignent les lignes suivantes «conserver le trône pour aller s’agenouiller tous les ans devant un Gouverneur étranger ?« Albouri, en prenant cette décision, était conscient du déséquilibre qui régnait entre son armée et celle du colon et n’accepte aucunement de compromettre son héritage de bravoure et de courage ; des valeurs pour lesquelles on  ne finira de chanter les hauts faits. Albouri était convaincu qu’un éventuel combat ne serait qu’un baroud d’honneur pour une cause perdue d’avance. En outre, dans cette fresque historique visant à galvaniser les peuples du Sénégal, le roi du Djoloff se comporte en guide responsable serein et averti.

 

      2°) La sauvegarde d’un code moral fort.

 

       De nombreuses définitions furent élaborées pour parler de la notion d’honneur. Ainsi si les conceptions sont multiples et se recoupent, l’acceptation la plus adéquate est celle qui souhaite que l’honneur soit le guide de la conscience, cette règle de conduite ou encore cette mesure de statut.

 

        Ce qui a bouleversé la vie d’Horace, les rêves de Rodrigue et de Chimène et réveillé Achille de son isolement dépasse de loin une question de rang. Cette hantise, ce besoin acculant à l’accomplissement de son devoir relève d’un code moral aussi contraignant qui pousse l’individu à se surpasser, se mortifier, se sacrifier pour ne pas se départir du pacte d’honneur. Les exigences du code d’honneur font du concerné un obsédé, un sourd et aveugle qui se soumet aux caprices de sa conscience. Ce dernier cherche alors un comportement modèle aux yeux de sa société et des siens. En effet, ne perdons pas de vue que dans l’exil d’Albouri  la décision d’exode du roi est murement réfléchie.

 

      Son attitude est surtout le fruit de cette volonté dont il fait preuve pour ne pas défaillir à sa tache d’homme d’honneur digne et valeureux. Bourba ne voyait aucune autre alternative en dehors de l’exil. C’est ainsi s’adressant à Laobé Penda, il dit : « tu comprendras trop tard que la seule solution honorable est l’exil. « Cette volonté qui anime Albouri est plus importante que la question de rang dont se réclame une partie du royaume. L’on se rend compte que l’inquiétude du roi est de garder intacte l’image laissée par les ancêtres.

 

       De même, nous retrouvons ce même dévouement dans Lat-Dior : le chemin de l’honneur de Thierno Bâ où le héros fait preuve d’un courage remarquable. Mais lui, à l’opposé du roi du Djoloff refuse de quitter son Cayor natal préférant affronter l’armée de Faidherbe malgré le déséquilibre des terreurs entre les deux troupes. Ce qui motive Lat-Dior, en dépit des conseils de Cheikh Ahmadou Bamba de ne pas combattre l’oppresseur, relève de son code d’honneur (« Je vais de ce pas à la rencontre des toubabs partis dans la nuit de Ndade pour venir m’expulser du Cayor «). Ainsi, pour le roi, il était hors de question de laisser des étrangers diriger la terre de ses ancêtres. D’ailleurs, s’il accepte une mort qui s’affichait à l’horizon  de  Dékhélé, c’est tout simplement le signe de son abnégation pour la sauvegarde de son honneur quoi qu’il en coûte comme le ferait dans la Grèce Antique un Achille ou un Ajax pour conserver sa timée.

 

       Au demeurant, toute action compromettante pouvant nuire à la réputation du héros ou allant à l’encontre des valeurs de courage, de dignité voire d’honneur peut s’apparenter à une fuite car ne répondant pas à l’esprit héroïque.

 

III/ L’exil : le chemin de la compromission ou simple fuite.

 

      La pénétration en force de l’envahisseur occidental divise le royaume du Djoloff, y sème la discorde puis le conduit à la ruine totale. Des hommes qui tiennent beaucoup à leur honneur ne s’entendent pas quant à la manière la plus juste et la plus louable pour la préservation de cette vertu qui leur est si chère. C’est ainsi que le prince Laobé Penda, s’opposant à son frère le roi Albouri, préféra la résistance par la force des armes à l’exil qu’il considère comme une simple fuite. A dire vrai, le mot même d’exil prononcé pour la première fois par le Bourba est vu comme « une brûlure « aux yeux des dignitaires du Djoloff qui ne semblent pas souffrir la possibilité de ce qu’ils considèrent comme un « Exode « encore moins d’envisager un exil aux lendemains incertains.

 

1°) L’honneur dans la résistance.

 

        L’honneur étant un propre sentiment de fierté qui conduit à agir de manière à gagner l’estime des autres, ne laisse aucune place à la honte. Ainsi, des hommes ont perdu leur vie pour la gloire de cette valeur digne d’une société aux courants moraux hautement élaborés. La crainte de la mort rend indigne, par conséquent la peur est un facteur de déshonneur.

 

 Il faut combattre sans crainte quant il s’agit de sauver son honneur. A ce propos     Lat-Dior s’adressant au peuple du Cayor en donnera une parfaite illustration en ces termes «que nul  vers moi n’accoure et ne me montre une blessure ! C’est de mourir qu’il s’agit, et non de gémir…Que ceux d’entre vous qui n’ont pas choisi de mourir s’abstiennent de venir.«

 

        Dans le Cid de Corneille, Rodrigue s’engage dans un combat redoutable  pour préserver l’honneur de son sang. De même, dans l’Iliade d’Homère, Hector accepte de combattre le péléide Achille le plus brave des guerriers y laissant ainsi sa vie mais son honneur de vaillant guerrier est gardé. Le prince Laobé Penda lui aussi tient beaucoup à cette vertu, et demeure fidèle à la maxime « ne jamais reculer «. C’est ainsi qu’il rappelle cette règle héréditaire à son frère : « De nos traditions, nous avons hérité d’une maxime. Tu la connait mieux que moi : ne jamais reculer.« En outre, cette phrase demeure en quelque sorte le code de conduite du prince car pour lui, l’exil est une preuve de lâcheté. Il n’est pas le seul à choisir l’alternative de la résistance. En effet, l’armée du Djoloff est scindée en deux camps qui deviennent dès lors hostiles l’un de l’autre : un sous le commandement du prince et l’autre sous les ordres du Bourba. Les premiers voient leur honneur dans la bataille: « Je suis un peulh et mon honneur est au bout de ma lance« soutient Ardo ; quant aux seconds l’exil reste « la seule solution honorable «

 

       Vu les exigences de l’honneur, la fuite apparait comme une attitude antihéroïque en ce sens que l’honneur de tous temps reste lié à un comportement moral exemplaire lavé de acte de déshonneur.

 

2°) La fuite : une attitude antihéroïque.

 

      Si l’on considère la définition du verbe fuir à savoir se sauver, abandonner, détaler…, nous comprenons que c’est une notion incompatible avec celle de l’honneur car comme il a été susmentionné, tout acte acculant à la honte ne rime pas avec l’honneur. Dès lors, tout héros se gardera de fuir devant n’importe quel danger. Le roi Albouri est ainsi taxé par ses détracteurs de fuyard et par conséquent ne pouvant mériter l’appellation de héros. En effet, toute personne qui veut se faire héros doit se laisser guider par son honneur qui exige de lui courage et dignité. D’ailleurs, un héros se définit comme un brave, un surhomme et parfois comme un demi-dieu. Ainsi, un acte est jugé héroïque que quand il est osé et exige beaucoup de courage et de bravoure.

 

        Nous connaissons le débat qui tourne autour de la personne d’Albouri : d’aucuns le considèrent comme un poltron, un lâche en ce sens qu’ils souhaiteraient que le monarque livre combat contre le colon même conscient de son infériorité militaire. Par contre, d’autres le voient dans la peau d’un héros sans précédant, raisonnable, responsable, qui, devant le danger qui menace son peuple cherche un moyen habile de l’en épargner.

 

     Il est important de signaler que beaucoup de rois furent confrontés au même dilemme : l’exil et l’asservissement. Face à la supériorité militaire de l’ennemi, certains quittèrent leur royaume tandis que d’autres préférèrent le combat au prix de leur vie. Nous pouvons citer entre autres le Damel du Cayor Lat-Dior qui connut la mort à Dékhélé voulant préserver son trône et son honneur. Aussi, peut-on parler de la Reine de Cabrousse, Aline Sitoé Diatta qui tint tête à l’envahisseur ce qui lui coûta une déportation au Mali et une mort.

 

      Par conséquent, tout individu préférant la mort pour sauvegarder son honneur porte souvent le titre de martyr ou héros. En effet, dans la conscience populaire une mort héroïque est à bien des égards préférable à une vie remplie et sans honneur.

 

CONCLUSION.

 

        Au sortir de cette analyse, l’évolution psychologique du roi mérite qu’on s’y arrête : Albouri a bien analysé la conjoncture actuelle car l’asservissement voire la captivité de même que la collaboration avec le colon trahiraient l’exigence du devoir et porteraient ainsi atteinte à l’honneur. Tout bien considéré, notre étude dévoile avec clarté l’honneur dans toutes ses formes. La complexité de la notion, l’exigence de la vertu peuvent exposer le héros à un dilemme et l’on doute quelle décision ou quel acte témoignerait du courage, de la bravoure bref de l’honneur. C’est dans cette situation délicate où se trouvent Albouri et Laobé Penda. Quoique leur vision soit différente, ils sont tous deux à la quête de l’honneur. Ainsi, selon les époques et les morales dominantes, la notion d’honneur a-t-elle revêtu des formes diverses et touché différentes classes sociales. Vu les débats divergents liés à l’honneur, un constat s’impose : qui d’Albouri ou de  Laobé Penda est-il le héros. Il s’avère difficile de se prononcer clairement quant à la question.

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

Cheik Aliou NDAO .L’exil d’Albouri, 1985 :N.E.A

 

Thierno BA. Lat-Dior, le chemin de l’honneur

 

CONSIDERATIONS DIVERSES :

 

HOMERE.L’Iliade, VIIIe s av. Jésus Chris

 

CORNEILLE, PIERRE. Le Cid, Mars 1637

 

CORNEILLE, PIERRE.  Horace, 1640

 

WEBOGRAPHIE.                Larousse, Encarta, Google

 

Liens utiles