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L'Illusion comique Acte II scène 2

Publié le 05/12/2010

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illusion

Introduction : ( quelques mots sur l’auteur, la pièce et le mouvement baroque –voir Acte I scène 1)

1/ Situer la scène : 

Deux personnages entrent en scène : Matamore et Clindor. Les discours de Pridamant et Alcandre ont préparé leur venue au premier acte. Une seconde scène s’ouvre sur le théâtre, et une autre représentation débute dont Alcandre est le metteur en scène et Pridamant le spectateur privilégié : enfin celui-ci revoit son fils, mais sous la forme d’un « spectre « insaisissable. La situation de Clindor, valet de matamore est connue par le dialogue antérieur, mais aussi parce qu’elle appartient aux genres de la comédie et de la farce (petite pièce comique héritée du Moyen-Âge, construite sur un shéma simple laissant une large part à l’improvisation des acteurs. Elle représente un mauvais tour joué à une dupe et privilégie un comique souvent rudimentaire, essentiellement gestuel (bastonnades, déguisements) et verbal (jeux de mots grossiers, patois…) Maître et valet discourent, et Clindor, astucieux et rusé, entre dans le jeu de son supérieur pour mieux le dominer. Une dialectique (art de discuter par demandes et réponses (Platon). Ensemble des moyens mis en œuvre dans la discussion pour démontrer, réfuter, convaincre. Par extension, rapport dynamique d’opposition, de contradiction dépassée) s’engage. En outre, loin d’être un maître ordinaire, Matamore est un type littéraire, apprécié du public contemporain, caricature du roman espagnol, aventurier froussard et don juan toujours éconduit.

Mais au-delà du soldat hâbleur et grotesque, avec matamore, la fantaisie entre en scène. Surgissent des horizons nouveaux, tout un monde imaginaire et farfelu est inventé par la magie d’une langue d’une richesse et d’une vitalité extrêmes. Le contraste avec les scènes précédentes est grand : mystérieuses et vaguement inquiétantes. Dans cette comédie baroque, ton et registre varient de manière surprenante.

1/ Matamore, un personnage du paraître :

Clindor, dès la première réplique apostrophe Matamore sur le mode de l’outrance : «Après tant de beaux faits….Lauriers «, Matamore lui répond par une rodomontade (une vantardise) : « Il est vrai que je rêve…mogor « Corneille corrompant à dessein « Mogol « en « mogor «, afin de préparer une rime prochaine avec « mort «.

Au vers 231, remarquable par sa métrique, Matamore, répondant à une nouvelle provocation, explose de colère dans un rythme ternaire entrecoupé de soupirs (au sens musical du terme) « Ah ! «, allitération en «r « dénotant d’un bout de la tirade (longue suite de phrases, de vers, récitée sans interruption par un personnage de théâtre) à l’autre une menace vengeresse et agressive. Matamore gronde avec emphase : et fait référence à la mythologie.

Parques (v.237), Mars (v.243)…Ce héros va jusqu’à s’identifier à la mort elle-même : « Je vais t’assassiner d’un seul de mes regards « (v.244).

Le personnage se montre Maître du verbe.

Clindor feint de reconnaître la puissance dévastatrice de son maître et sa beauté « je vous vois aussi beau que terrible «.

(v.252) «  Je ne suis plus qu’amour, que grâce, que beauté « concluait Matamore : vers bien scandé, équilibré, harmonieux (trois mesures à 3 temps accentuées sur la troisième syllabe, et une quatrième isolée après la césure « que grâce « et ainsi mise en valeur cocassement.

Son emphase hyperbolique du discours marque l’invraisemblance des conquêtes de Matamore. L’héroïsme est parodié car on touche à l’invraisemblance ; Matamore confirme sa vantardise en affirmant que même les dieux sont asservis à sa force et à sa puissance sur toute la Terre.

C’est que Matamore vient de se doter d’un attribut des héros de romans de chevalerie (du Moyen-Âge à la fin du 16ème siècle), du futur héros de tragédie.

Mais l’essentiel, quand on lit la tirade de Matamore, réside dans le mécanisme de la métamorphose enclenché au vers 231, véritable parodie du discours héroïque miné par l’idée du néant . Montée au sommet de sa puissance physique avec  le vers 241 : « d’un souffle…en fumée «, retour à la conscience : Matamore s’interrompt et se retourne contre son insolent valet pour lui faire un reproche avec une phrase exclamative : « Et tu m’oses…d’une armée « (vers 242)

En somme, ayant fini d’argumenter de façon délirante aussi bien que verbalement maîtrisée, Matamore renoue avec son émotion initiale (v.231), donne libre cours à sa colère, laquelle culmine au vers 244 /245. Plus qu’une menace, c’est un projet qu’il formule : « je vais t’assassiner…regards « (l’obsession de la mort rappelle ici la sensibilité baroque) avec rejet de l’apostrophe « Veillaque «. C’est clore avec éclat une série inaugurée au vers 231 (« poltron «, « traitre «), « veillaque « vient de l’espagnol « bellaco « et signifie « coquin «, « pendard «. Non seulement l’apostrophe prolonge une assonance en « a «, mais par sa position et son contenu sémantique elle contient une violence que ne pouvaient atteindre ni « poltron «, ni «traitre «. cette violence, comparable à celle d’un coup meurtrier, impose un terme à un mouvement de la conscience de Matamore.

Matamore a donc « vidé « sa colère, ce qui le rend disponible à un autre « penser «, complément de son courage : l’amour. (Son amour pour Isabelle).

Le vers 245 traduit l’hésitation de l’esprit de Matamore : deux coupes après « veillaque « et après « toutefois « font sentir cette hésitation entre deux langages. 

Passage du passé au conditionnel qui a pour rôle de projeter dans le futur et de donner des points de vue différents.

Le présent symbolise la peur de Matamore qui veut fuir alors que le conditionnel présente un matamore vantard qui se prête des qualités qu’il ne possède pas, c’est l’illusion. Le passage d’un temps à l’autre détruit le discours héroïque et fait de même apparaître un personnage comique. 

On passe ici d’une langue plus qu’ampoulée (emphatique/ opp. Simple), emphatique (déclamatoire, grandiloquent, pompeux) et hyperbolique à un autre système de figures de rhétorique (la périphrase précieuse du vers 247 pour désigner Cupidon, l’infinitif substantivé « ce penser « (v. 246), la métaphore « la mort qui logeait dans mes yeux « (v.248) et la conclusion provisoire – provocation de Clindor (avec « objet «  à la césure du vers 255, cela relève de la préciosité)

Matamore confirmera sa dualité deux vers plus loin : « Quand je veux j’épouvante ; et quand je veux , je charme «

Cependant les deux sensibilités –baroque et précieuse- s’opposent moins nettement qu’il n’y paraît. Matamore vacille entre l’une et l’autre (vers 247/248 et 249/250, 251/252)

Le comique résultant ici entre autres de son impossibilité d’une dualité pour tout dire bancale.

Matamore vit dans l’illusion de son personnage C’est une illusion dans l’illusion théâtrale  et qui est reprise par le « vous rêvez.. « de Clindor en début de scène.

Le couple farcesque : Matamore /Clindor 

Clindor entre dans le jeu de son maître, il va le louer ; il s’amuse de s a vantardise et le pousse à des justifications. Il veut le piéger et l’acculer à certaines réactions. Il a un double rapport avec son maître : un premier rapport de servilité et de déférence (sans être dupe il entre dans le monde fantasmatique de son maître) et un second de spectateur, amusé.

Conclusion : Le thème du regard confère à la scène sa signification proprement théâtrale. Outre sa malice initiale (le valet « prévoit « le maître/ le manipule en prévoyant ses réactions), il fait un clin d’œil au spectateur en étant lui-même spectateur de la théâtralité de Matamore « Je vous « vois « aussi beau que vous étiez terrible «…

Matamore se regarde lui-même et invite son valet à le regarder : le héros n’existe que sous le regard des autres, que par le paraître, et c’est au théâtre qu’il appartient de le faire naître des entrailles de la société. Regarder, être regardé pour exister, que l’on soit personnage, acteur, poète ou spectateur, c’est le théâtre et son utilité.

Matamore, l’illusion et la mise en abyme (spectacle à l’intérieur du spectacle/ 1ère scène vue par Pridamant, Matamore faisant un spectacle devant Clindor) ne sont ils pas dans la pièce des éléments majeurs et incontournables de l’éloge du théâtre ?

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