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L'ODYSSEE

Publié le 19/09/2010

Extrait du document

 

 

c. Le merveilleux

La confrontation systématique aux créatures monstrueuses relève du folklore grec et de la mer Egée, faisant resurgir un univers lointain et barbare, contre lequel le héros civilisé lutte pour retrouver les siens. Dans les contrées lointaines peuplées de nymphes et de monstres comme le royaume des Lestrygons, des Lotophages ou des Cyclopes, les valeurs humaines sont lointaines : certains offrent l’oubli par le fruit du lotos, d’autres lui enlèvent son nom puisqu’Ulysse d’Ithaque devient « Personne «, une certaine menace sa virilité, une autre lui offre l’immortalité, les Sirènes promettent le savoir absolu… Les contrées lointaines perdent contact avec les réalités humaines.

Exemple : les îles de Circé ou Calypso sont coupées par l’isolement des réalités sociales et politiques, donc de toute réalité historique : Circé vit, avec quatre servantes, isolée dans un bois peuplé de loups et de lions, offrant un repas qui métamorphose le convive en porc. L’île de Calypso est un lieu paradisiaque, de sensualité, d’envoûtement et de magie : l’abondance végétale et frugale, les parfums multiples et enchanteurs, la liberté naturelle et sauvage excluent toute intervention humaine…

Conclusion

L’univers homérique se situe alors, entre fiction et réalité, entre des temporalités mêlées…

Finley écrit : « Tout se passe donc comme si la volonté archaïsante des bardes avait été en partie couronnée de succès : bien qu'ils aient perdu presque tout souvenir de la société mycénienne, ils demeuraient assez en retard sur leur temps pour peindre avec quelque exactitude les siècles obscurs, dans leurs débuts plus qu'en leur fin — tout en laissant toujours subsister des fragments anachroniques, survivances mycéniennes d'une part, notations contemporaines de l'autre. «

 

L'Odyssée : Lecture méthodique 1, la tempête (chant V)

 

Page 92-95, vers 291-392 « Ce-disant, il rallia les nuages (…) le calme se refit. «

 

Après avoir été libéré par Calypso, Ulysse prend la mer sur un navire qu’il a construit. Le dix-huitième jour de navigation, Poséidon l’empêche de s’approcher des côtes phéaciennes, promettant de multiplier les obstacles contre celui qu’il hait. (« Il aura (…) son poids d’ennuis ! «) Ainsi, le héros essuie une tempête apocalyptique (= relatif à la fin du monde) et subit la rancœur du Dieu, mû par la colère : Ulysse a crevé l’œil de son fils, le cyclope Polyphème qui a demandé vengeance à son père.

 

- Problématique :

L’épreuve ultime du héros, jouet du caprice des dieux, épreuve initiatique et révélatrice d’une force inextinguible.

 

1. L'épreuve ultime du héros : la colère des dieux...

 

a. L'épreuve suit un schéma narratif strict

L’épisode constitue une entité narrative close, de la situation initiale à la situation finale.

 

• Situation initiale : v.269-281, dix sept jours de navigation sans interruption.

Le départ est sollicité par Athéna qui influence la décision de Zeus, départ accepté et accompagné par Calypso qui se résigne à abandonner son bien aimé retenu contre son gré. 

 

• Elément perturbateur : v.282-289, la rage et la rancœur de Poséidon.

Le « puissant Ebranleur des terres « s’oppose au retour d’Ulysse auquel il promet des mésaventures. Le périple d’Ulysse est perturbé par la haine d’un dieu qui veut venger son fils. Ainsi, l’aventure est déclenchée par une divinité adverse.

 

• Péripéties : v.290-381, les étapes du naufrage d’Ulysse.

Le récit développe les multiples difficultés rencontrées par un humain contre l’immensité, la puissante colère divine.

 

• Elément réparateur : v.382-390, l’aide des divinités féminines.

Ino, sous la forme d’une mouette, confie un voile talismanique à Ulysse qui le protège ; Athéna brise la houle pour permettre au héros un naufrage à l’abri de tout danger. L’épisode promet une fin heureuse dans le sens où d’autres divinités luttent pour que le destin du héros se réalise. Les divinités sont émues par l’injustice, l’inégalité de l’affrontement (« tant de maux… tellement « : les adverbes sous-entendent la démesure de la punition).

 

• Situation finale : v.390-392, le retour au calme.

Celui-ci est brièvement raconté dans une proposition juxtaposée : « le calme se refit «, dans laquelle le préfixe de réitération suggère un retour au calme naturel et spontané. L’état favorable de la mer ne mérite pas description dans le sens où il n’apporte rien de révélateur concernant le héros.

L’épreuve est close. 

 

En étudiant de plus près le schéma actantiel : Ulysse est au cœur de la tourmente, une tourmente qui le dépasse puisqu’au-delà de l’enjeu de son destin, les dieux s’affrontent entre l’opposant qui vise un intérêt personnel : la vengeance de son fils Polyphème et les adjuvants ou divinités féminines qui, émues par le triste sort d’Ulysse, le guident et le conseillent.

b. L'épreuve ultime, climat de la violence

• Violence et démesure

La description de la tempête revêt une ampleur épique. Le champ lexical de la tempête s’accompagne d’un lexique violent dépassant tout réalisme.

- Les verbes sont d’une brutalité insurmontable pour le navigateur (« déchaîner-couvrir-tomber-s’abattre-soulever-rompre-fondre sur-cheoir «). Il semble se produire un mouvement vertical, de l’ordre venu « d’en haut «, « sur lui «, puis vers les profondeurs irrémédiables.

- Le thème de la grande vague revient à de nombreuses occurrences dans cet extrait puis dans l’ensemble du texte (vers 296, 313 320, 327, 353, 366…) : montrant l’incapacité d’Ulysse à surmonter le déchaînement de la vague sans une aide divine.

- La totalité de l’univers semble se déchaîner contre l’homme puisque Poséidon invoque les vents des « quatre coins de l’horizon « (Euros étant un vent d’est, Notos du sud, Zéphyr du nord ouest, Borée du nord). Il semble se produire une alliance infernale des éléments, d’où le verbe « rallier « les nuages, « la terre avec la mer «, alliance intensifiée par l’adverbe « ensemble «.

- Le vocabulaire guerrier assimilant la tempête à un assaut monumental aboutit à une vision apocalyptique : le naufrage inévitable de l’équipage se traduit par la tombée métaphorique de la nuit, tombant comme un couperet, inéluctable. (« du haut du ciel tomba la nuit «)

 

• Comparaisons homériques :

« La houle au gré des courants, l'emportait de-ci de-là «

« Comme quand, au temps des fruits, le Borée balaie les chardons dans la plaine, et ils s'agglomèrent en paquets «

« ainsi, les vents sur l'eau le ballotaient de-ci de-là «

« Tantôt c'était le Notos qui le jetait au Borée (…) tantôt c'était l'Euros qui le renvoyait au Zéphyr «

« Comme le vent violent balaie un tas de paille sèche et disperse le chaume à tous les coins du ciel «

 

- Les images utilisées dans la description de ce naufrage traduisent l’impuissance du héros réduit à l’état d’objet (au sens figuré comme au sens grammatical du terme : « l’emportait, le ballotaient, le jetait, le renvoyait « subissant le caprice des dieux comme le sous-entend l’expression « au gré de «.

- Le héros est réduit à un état végétal insignifiant (« les chardons… en paquets… un tas de paille sèche… le chaume «). Le vocabulaire est alors largement péjoratif et évoque la sècheresse, la mort, l’inertie, l’inexistence…

 

La densité de ces comparaisons traduit l’impuissance d’Ulysse ainsi que la puissance démesurée du vent, d’où la répétition des adverbes « de-ci de-là « créant un mouvement de balancier largement connoté par les verbes « balayer, ballotter, jeter «. Le sujet du verbe « jeter « le sujet est un vent du sud auquel répond le verbe « renvoyer « dont le sujet est un vent du nord. Ulysse est pris au piège entre des forces surnaturelles, déchaînées contre lui.

 

La confrontation est éminemment inéquitable. La scène de la tempête est une scène typique, un rite de passage dans lequel le navire se brise, des compagnons périssent pour centrer l’action peu à peu sur le seul homme de mérite survivant.

 

2. Réalisation du héros : de la tentation de la faiblesse à la réalisation de soi...

 

a. Tentation de la faiblesse

• Tempête intérieure 

- La tempête déclenche un débat intérieur : le personnage ressent peur et souffrance se traduisant affectivement et physiquement (« Ulysse sentit son cœur et ses genoux se rompre «). Il est comme spectateur de son désarroi et s’adresse ainsi, à lui-même, un encouragement pathétique. D’où l’exclamative exprimant la plainte et la crainte de sa propre perdition (« pauvre de moi ! «) ; et l’interrogative rhétorique et stérile (« Que va-t-il m’arriver encore ? «). 

- Expression d’une crainte inutile puisque le héros constate avec dépit la réalisation de la prophétie qu’il redoute : « je crains que « s’annule d’emblée puisque « voici que tout s’accomplit «. 

- Projection dans un irréel du passé : après un constat des conditions et causes de sa mort prochaine (utilisation du même vocabulaire brutal, de pluriels d’exagération « nuages-rafales-coins «, d’hyperboles homériques « de tous les coins du monde «), Ulysse se projette dans un irréel du passé dans lequel la mort est synonyme de gloire guerrière. Il subit alors une hallucination, en proie à un délire de mort célèbre et de culte funéraire sacré, dont témoignent les subjonctifs plus que parfait. 

 

• Comparaison avec le récit du narrateur au chant VII

Le monologue du héros racontant son naufrage (vers 268-282) traduit avec une intensité plus vive encore la réalité de l’épreuve, énumérant rapidement chacune des étapes avec force propositions juxtaposées, coordonnées. La notion de durée est exclue ici, seuls sont mis en valeur les gémissements d’une souffrance dite avec humilité et l’acharnement d’un héros en lutte.

b. Initiation du héros

• L’endurance et la ténacité dans l’épreuve

- Ulysse affronte l’extrême : la durée de son immersion frôle le danger mortel de la noyade comme l’indiquent les compléments « sous l’eau longtemps, sans plus pouvoir remonter «.

- Ulysse agit avec détermination : L’image du navire réduit à une planche devenant cheval de guerre montre la volonté d’Ulysse de combattre, d’où de nombreux verbes d’action marquant sa détermination. (« Ulysse, alors, monta sur une poutre comme on enfourche un coursier… quitta les vêtements… se hâta… plongea dans la mer les deux bras étendus. «) Il y a réhabilitation du héros déchu, remonté en scène sur un bois de navire-monture dont on sait l’importance dans une épopée guerrière. En dernier recours, comme ultime issue, Ulysse suit exactement les conseils d’Ino, rapidement, efficacement et oublie les gémissements pour affronter les flots déchaînés, sans aucune hésitation.

- Ulysse l’endurant : les circonstances (la durée « pendant deux jours et deux nuits « ; les intempéries « la houle « ; la proximité de la mort jusqu’à l’hallucination « son cœur plus d’une fois crut voir la mort «) mettent en valeur l’exploit exceptionnel et surhumain du héros.

 

• La raison et la profondeur psychologique

La sagesse et supériorité héroïque du héros se marque par sa capacité de réflexion au cœur même du danger : « il n’oublia pas « et « se prit à réfléchir «.

Ulysse prend le risque de se méfier d’Ino, en gardant ses conseils en ultime recours, au cas où il ne parvienne pas seul, à affronter la tempête. Ainsi, il établit un projet, d’où nombre de futurs à valeur programmatique (= qui annonce un programme). Ces futurs évoquent le renoncement à suivre les conseils d’une divinité suspecte (« je ne l’écouterai pas… je ne bougerai pas «) pour préférer la prudence et ajourner la fuite dans les eaux (« je prendrai mon mal en patience… alors je nagerai «).

 

• Métaphore de la vie

Le thème de la mer, de ses dangers, les intérêts bienveillants ou malveillants d’autrui est bien proche de celui de la vie et de ses aléas.

La tempête permet l’affrontement de soi à soi, sans possibilité de travestissement, comme un retour à soi et à la conscience après l’épreuve ultime de l’identité et de la force de la personnalité : d’où la nudité exigée par Ino, condition nécessaire de l’abordage pour une renaissance.

Conclusion

Le thème de la tempête est récurrent dans l’Odyssée : après cette première tempête reprise au chant VII par le personnage avec un changement de point de vue, un autre récit intervient au chant IX, puis un nouveau en quittant le pays des Cicones, ou encore au chant X, quand ses compagnons ouvrent l'outre d'Eole, et enfin, au chant XII après le sacrilège des boeufs d’Hélios.

L’épreuve s’accompagne d’une initiation du héros mis en danger, une renaissance…

 

L'Odyssée : Lecture méthodique 2, les sirènes (chant XII)

 

Page 202-203, vers 154-200 « Amis, je ne veux pas qu’un ou deux de nous (…) et défirent mes liens.«

 

Après avoir passé une année auprès de Circé, Ulysse décide de reprendre la mer, mais la magicienne le met en garde contre les dangers à venir, notamment les Sirènes, dont le chant charme les marins au point de leur apporter l’oubli et les entraîner dans les tréfonds maritimes. Ulysse suit les conseils de Circé en bouchant les oreilles de ses navigateurs mais choisit d’entendre le chant magique, pieds et mains liés au mât.

 

- Problématique : « De l’épreuve à la réalisation de soi. «

 

1. Sagesse et prudence du chef

 

a. Le sens de l'unité et du partage

• Fédérer l’équipage : l’apostrophe « amis « place l’allocution d’Ulysse sous le sceau de l’amitié et d’un sentiment fraternel. La formule d’appel garantit ainsi sincérité et dans une certaine mesure, la gravité d’une annonce solennelle. De plus, le pronom « nous «, en position de sujet (de la connaissance) ou objet (des verbes « perdre « et « éviter le mort «) englobe l’équipage et le chef dans une même personne grammaticale : une entité soumise au même devenir. Le pronom « tous « insiste encore davantage sur cette notion d’unité. 

 

• Refuser l’élection : si Circé s’est adressé à Ulysse pour le conseiller, celui-ci refuse l’élection, d’où la tournure restrictive « un ou deux de nous « accentuée par l’adverbe « seulement «, mise sous la dépendance d’un verbe de refus ou volonté négative « Je ne veux pas «. 

Ainsi, l’appel d’Ulysse est clair ; il fédère son groupe autour d’un choix précis : celui du partage.

 

• Partager un conseil prophétique : les propos d’Ulysse sont très structurés. Il introduit son discours placé sous la décision d’une volonté de communiquer avec un futur programmatique (= qui annonce un projet) préparant son auditoire à l’écoute urgente : « je vous parlerai donc «. Le but de cette communication suit immédiatement : le complément circonstanciel de but est alors le partage de connaissance, un savoir commun « que nous sachions tous «. L’objet de ce savoir en découle dans deux propositions symétriques « ce qui peut nous perdre… ce qui peut nous évite la mort fatale «. La gradation entre les deux éléments est évidente et prépare l’équipage à la perception d’un danger imminent : la mort assortie de l’adjectif redondant « fatale «.

b. Préparation des troupes : anticipation parfaite

• Invitation à la méfiance : Ulysse place les conseils sous la responsabilité de Circé, conseils qui semblent disproportionnés au vu de l’innocence apparente des Sirènes d’où un lexique léger, printanier, innocent « l’herbe en fleur et les chansons «.

 

• Organisation de la défense : le chef multiplie les impératifs dont le sens violent et intransigeant s’oppose à la jeunesse fraîche des images du vers précédent : « liez-attachez «. La thématique du lien est omniprésente dans les vers 160-164 : les mots de la famille de lien se font écho ; au verbe « détacher « répond le verbe « attacher « : l’image de l’ « emprise « insurmontable s’installe.

 

• Anticipation parfaite du scénario : les vers 193-196 sont la reprise exacte de la scène exposée par Ulysse. A sa prière d’être détaché du mât, répond l’obéissance soumise de ses compagnons largement évoquée par le verbe « ils se courbèrent sur leurs rames «, qui sous entend l’acharnement déterminé sur la seule issue possible : l’éloignement. De même, comme Ulysse suggérait de « redoubler « les liens, ses compagnons « multiplient « et « donnent un nouveau tour « aux liens. Leur attitude est le respect rigoureux des consignes comme le montrent les tournures synonymes.

c. Lucidité face à la faiblesse humaine

Ulysse a conscience de la faiblesse humaine, de sa propre faiblesse d’où le stratagème qui lui a été suggéré et qu’il applique : celui de rendre sourd ses compagnons pour leur éviter de succomber, celui d’anticiper son incapacité à résister, en exigeant d’être retenu prisonnier. Le chef exige de ne pas être entendu, inversant ainsi sa fonction de commandant et sa position d’élu et se place en tant qu’homme à savoir, aussi vulnérable que ses compagnons.

 

2. Mise à l'épreuve et réalisation de soi

 

a. Exposition de soi au danger

• Tentation du chant mortifère

Ulysse met en place un stratagème qui lui autorise la satisfaction de sa curiosité sans mettre sa vie en danger, ni celle de l’équipage. Circé lui a proposé : « écoute, toi, si tu le veux « et malgré le danger, Ulysse ne résiste pas à la tentation de l’extrême. Il frôle la mort fatale, au risque de souffrir « par des liens douloureux «. L’expérience de la souffrance, de la tentation suprême participent d’un désir de connaissance et de se mesurer à l’incommensurable. 

 

• Tentation de la pulsion irrationnelle, du ravissement

Ulysse a conscience de l’attirance irrépressible des Sirènes et envisage son échec dans une hypothèse à valeur de potentiel (« si je vous enjoins, vous presse de… « : Ulysse envisage la possibilité de ne pouvoir résister). Les verbes « enjoindre et presser « suggèrent la pulsion incontrôlable à venir mais sont en deçà de la réalité traduite par des verbes passionnels plus intenses encore : « brûler et prier «. L’aliénation est en marche puisque Ulysse oublie les avertissements de Circé et envisage de se détourner du trajet de retour. Le ravissement du héros est tel qu’il en oublie sa quête fondamentale, l’élément moteur de son retour. Il subit une régression égoïste : rien n’existe hormis lui. En entendant le chant, il se désinvestit vis-à-vis de son équipage mis en danger, puis de sa famille, de sa patrie en envisageant de s’arrêter dans le cours de son aventure.

 

• Succès du charme 

Le charme exercé par la voix, l’influence envoûtante est la métaphore de la séduction primaire, celle qui flatte l’instinct primitif de toute créature humaine. Il y a aliénation du héros, obnubilé par le désir de rejoindre les femmes rapaces. 

L’argumentation des Sirènes fonctionne : l’appel et la demande de rapprochement instaurant d’emblée une familiarité rassurante (« Viens «), la flatterie de l’orgueil du guerrier qui rêve d’une reconnaissance éternelle de ses pairs (« fameux, gloire éternelle de la Grèce «), la promesse de la félicité et du départ (« on repart, charmé «), et celle de l'omniscience (« lourd trésor de science… nous savons tout ce que… «). Les Sirènes utilisent l’argument qui convient à celui dont le rêve, outre celui de regagner sa patrie, est la reconnaissance ultime, dans un fantasme archaïque de toute puissance, d’où la répétition de la structure grammaticale « tout ce que « symbolisant la connaissance infinie.

b. Réalisation et initiation

• Election

Ulysse se reconnaît comme l’élu « moi seul puis écouter leur voix «, d’où le pronom tonique de la première personne, renforcé par l’adjectif « seul «, qui s’oppose radicalement au vers 154 : « un ou deux de nous seulement «. Malgré sa volonté de partager la connaissance, il reste l’élu de l’expérience ultime.

D’où sa volonté d’être lié au cœur même du navire, « sur l’emplanture «, dans une position d’affrontement direct « debout «.

 

• Victoire de la civilisation relativement au monstrueux

Le lien qui le rattache au mât est le lien de la raison, le raisonnement par anticipation des vers 158-164, la reconnaissance d’une faiblesse et de la tentation de l’orgueil. Le stratagème est une promesse d’un retour à la conscience. La distance spatiale et géographique entre Ulysse et les Sirènes, permettant un désenvoûtement, une libération n’est-elle pas encore un rituel de passage, entre l’âge de la barbarie et l’accession au trône, entre la prime enfance et l’âge de raison ?

Conclusion

Le charme et le danger de la mer sont la tentation du chant fatal, la tentation de la connaissance exhaustive, la promesse d’une science absolue. Dans cet épisode s’affrontent le monstrueux d’un côté et de l'autre : le rationnel, la civilisation. Il s’agit d’une initiation que le héros affronte avec humilité.

 

L'Odyssée : Lecture méthodique 3, Athéna et Ulysse (chant XIII)

 

Pages 218-222, vers 221-372 « Athéna s’approcha sous les traits d’un jeune pâtre (…) la mort des insolents prétendants. «

 

Ulysse a achevé le récit de son périple, a quitté les phéaciens, riche d’offrandes de toute sorte. Il est reconduit à Ithaque et déposé sur le sable durant son sommeil, entouré de ses biens. Athéna vient à sa rencontre, prenant l’apparence d’un pâtre (= un berger). Après avoir chacun déguisé leur identité, s’ensuit une scène de reconnaissance entre le héros et la divinité bienveillante…

 

- Axe de lecture : « La scène de reconnaissance et sa théâtralité : du jeu sur la fausse identité à la complicité dans le complot... «

 

1. Fausse piste : jeu sur les identités masquées...

 

a. L'art du travestissement

• Incarnation d’un personnage, importance de l’apparence 

Athéna s’approche d’Ulysse « sous les traits d’un tout jeune pâtre « : l’expression traduit la volonté de masquer son identité en empruntant l’apparence d’un personnage demeurant indéterminé (l’adjectif indéfini « un « exclut la dénomination précise du berger) mais dont les caractéristiques ont leur importance :

- La jeunesse extrême (adjectif « jeune « mis en valeur par l’adverbe « tout « et la comparaison « presque un enfant «) sous entend l’innocence, incite à la confiance.

- La simplicité du « pâtre « sous entend la modestie du berger mais aussi la sagesse du veilleur et invite au respect.

- La noblesse naturelle induite par la comparaison (« ainsi qu’on voit les fils de prince «) et l’allure vestimentaire (« portant sur les épaules une solide et double cape «) instaure une impression de solidité, de fiabilité. 

- Les accessoires rappellent les attributs de certaines divinités et suscitent l’intérêt et la confiance immédiate. (« la sandale à ses pieds brillants et l’épieu à la main « convoquant les attributs d’Athéna et de Zeus)

 

• Incarnation d’un personnage, la parole souveraine 

Ulysse est un héros bavard qui accorde une place primordiale à la parole : il décline une fausse identité et une généalogie mensongère, créant ainsi une légende. « L’homme aux mille ruses « invente des histoires pour cacher son identité, pour se méfier et éprouver son interlocuteur. Il se fait passer pour un Crétois dont les caractéristiques ne manquent pas de pittoresque :

- La responsabilité d’une famille (vocabulaire de l’équité : « j’en (ces biens) ai laissé autant à mes enfants «).

- Le meurtre rendant justice : le narrateur se présente comme redoutable mais justicier ; il décrit un cadre pittoresque et anonyme pour le meurtre, de la trop parfaite obscurité (« une très sombre nuit «), à l’isolement extrême peu réaliste (« personne ne nous vît … sans qu’on sût rien «).

- Les exploits guerriers et la souffrance durant le retour de la guerre de Troie : le conteur éprouve le plaisir des mots pour susciter la pitié et dire le tourment, trouver l’expression juste et puissante comme : « dans la bataille humaine et la douloureuse houle «.

- La rébellion et la revendication d’une indépendance, en refusant un commandement imposé pour préférer d’ « autres troupes «…

 

La parole est souveraine : Ulysse raconte toute une histoire qui multiplie les tournures hautes en couleur, les revirements impressionnants.

b. La rencontre sous le masque : le jeu théâtral...

L’échange suit plusieurs étapes, un chassé croisé entre deux personnages charismatiques.

 

• Athéna prend l’initiative de la rencontre : elle « s’approcha « puis Ulysse « vint à sa rencontre «. Le travestissement d’Athéna est efficace ; le premier contact visuel est un succès (Ulysse « se réjouit « de la venue du pâtre). Athéna connaît Ulysse et les valeurs en lesquelles il croit. 

 

• En effet, Ulysse s’adresse à elle sans retenue (avec « des paroles ailées «) ni crainte, instaurant un rapport privilégier. (L’apostrophe « ami « impose une certaine proximité ; la mention de la première rencontre fortuite comme signe du destin est connotée : « le premier homme que je voie ici «) De même, il crée une relation de dévotion respectueuse en utilisant le vocabulaire de la prière, la posture de la dévotion et la comparaison à une divinité (« je te salue… je te supplie comme on supplie un dieu, embrassant tes genoux «). Comme si Ulysse pressentait la supercherie astucieuse d’Athéna, il flatte l’apparence divine du jeune homme pour obtenir la connaissance du lieu, de l’habitant, de la richesse du lieu. L’intérêt du héros est d’identifier rapidement où il se trouve.

 

• Athéna diffère la réponse et retient la vérité. La caractérisation d’Athéna « dont l’œil étincelle « coïncide parfaitement avec la malice de sa réponse : elle ne répond en rien à l’approche fraternelle d’Ulysse l’appelant « sot, inconnu « et confrontant l’ignorance d’Ulysse à la notoriété apparente du lieu. (Le groupe verbal « tu ignores « s’oppose dans une relation d’antonymie à « beaucoup d’hommes connaissent « mettant Ulysse dans une position d’infériorité et d’ignorance.) Athéna n’entre pas dans le procédé de séduction engagé par Ulysse. 

 

De même, elle répond sur le lieu en exposant nombre de données géographiques sur plusieurs vers, n’évitant pas les redites concernant l’abondance de l’eau, multipliant les expressions, les pluriels et adverbes qui en soulignent l’opulence (« en abondance… ne pas manquer… de toute essence… toujours pleins «). Ainsi, elle diffère malicieusement le nom d’Ithaque créant un effet de suspense, digne d’une scène de révélation théâtrale. Athéna se joue de l’attente d’Ulysse qui ne l’a pas reconnue.

2. La scène de reconnaissance : de la reconnaissance à la complicité...

 

a. Dénomination

• le nom : de l’ignorance à la reconnaissance

- Reconnaissance physique : Athéna, amusée par l’aisance mensongère d’Ulysse prend l’initiative de lever le masque pour reprendre « les traits d’une femme belle, grande et savante en splendides ouvrages « : son apparence ne trompe plus et allie beauté du corps et de l’âme d’exception. 

- Reconnaissance du nom : se présenter va de pair avec l’affirmation de sa généalogie exceptionnelle, son nom : « fille de Zeus, Athéna «. Ainsi, Ulysse s’adresse à elle en l’appelant « Déesse « : reconnaître, c’est dire la divinité d’Athéna et dire sa généalogie : « Je t’invoque par ton père «.

- Reconnaissance des qualités : Ulysse se dévoile par sa prudence extrême. Il se méfie tant de sa propre perception (« je crois-je ne crois pas «) que des jeux sadiques de certains dieux d’où le lexique de la supercherie (« railler-leurrer «). Ainsi, Athéna reconnaît en lui une caractéristique essentielle traduite par l’adverbe « toujours « et l’adjectif « même « dans le vers 330, montrant la permanence de la suspicion chez le héros. Athéna reconnaît son protégé en énumérant les qualités d’exception mises en valeur par la répétition de l’adverbe d’intensité « trop «, qualités qui l’individualisent dans une exclamative suivant un rythme ternaire, solennel : « Tu es trop avisé, trop sagace, trop raisonnable ! «

 

• vocation du passé, la mémoire contre l’oubli 

- Athéna rappelle son aide exclusive et son rôle d’adjuvant, ravive la mémoire de ses interventions répétées comme le sous entend l’expression « chacune de tes épreuves «. Athéna ne manque pas de dévoiler son rôle jusque dans l’estime des phéaciens ou les présents « sur (son) inspiration «. Ainsi, elle annihile toute la spontanéité de la reconnaissance entre le peuple et Ulysse, s’instaurant comme l’instigatrice du retour sur Ithaque.

- Ulysse réajuste l’assertion de la déesse avec sa propre perception du passé : le passé lointain représenté par l’adverbe « autrefois « où la présence d’Athéna est indéniable, contraste avec un passé d’errance moins lointain marqué par l’absence de la divinité. Le lexique du malheur (« malheur-rompu-errai-peine «) est implicitement la conséquence de la discrétion de la déesse, sous-entendue dans les phrases négatives : « je ne te revis plus, fille de Zeus, ni ne sentis ta présence à mon bord « : l’apostrophe demande explication ou du moins révélation de la vérité, une vérité due. Les éléments connus du passé contribuent à la révélation de l’identité des personnages, permettant une entente.

b. Complicité

• Points communs : 

- Des personnages énigmatiques : Ulysse est présenté comme une énigme et désigné par des épithètes dès le premier vers de l’épopée : « Ô Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif «. Télémaque lui-même s’interroge sur l’identité d’Ulysse dès le chant I. (« Ma mère dit bien que je suis son fils, mais moi, je n’en sais rien : l’enfant, tout seul, ne reconnaît son père «, vers 215-216.) Ulysse reproche son ambigüité à Athéna devant « tant de formes diverses «. 

- Des personnages astucieux : Athéna établit une comparaison entre Ulysse et elle, réunis dans une tournure attributive où le pronom « nous «, lui-même développé dans un groupe pronominal coordonné « toi et moi « réunit le duo pour lui attribuer la qualité d’« astucieux «. De plus, les deux personnages sont reconnus comme êtres d’excellence en matière de finesse et d’astuce. Deux tournures expriment ainsi la suprématie : « le premier des hommes « fait écho à « fameuse entre tous les dieux «. 

 

• Complicité : 

- Union, duo parfait : Ulysse est dans le questionnement, Athéna en devine les attentes : « je te dirai «. Promesse tenue, elle révèle les vérités à Ulysse, sachant leur importance et comment les présenter : 

          - la fidélité de Pénélope (mise en valeur par la permanence de sa souffrance avec l’immobilisme extraordinaire du procès : « elle n’a pas bougé «, les tournures hyperboliques « toutes ses misérables nuits, tous ses jours « et l’exclusion de toute autre émotion que « ses pleurs «. 

          - la démonstration du lieu, révélation progressive de l’île en pointant les lieux familiers du héros, ses habitudes (« si souvent… offrandes rituelles «), en levant le voile-rideau de scène sur l’île d’origine du personnage. Athéna ménage son effet, offrant une véritable renaissance au héros, un miracle contenu dans la proposition coordonnée à valeur de conséquence « et la terre apparut «.

 

- Athéna multiplie les conseils à grand renfort d’impératifs renouvelant l’attente et la prudence, qualités qu’elle reconnaît et admire chez son protégé : (champ lexical du silence et de l’endurance largement développé sur plusieurs vers : « supporte… ne jamais dire à personne… sans un mot…souffre tous les tourments… endure «).

 

- projet de complot : Athéna inclut Ulysse dans un projet de complot, utilisant la première personne du pluriel à l’impératif. Cela consiste à agir en duo complice : « dépêchons-nous… réfléchissons «. De même, la scène de dissimulation des trésors est parfaitement orchestrée, comme entendu spontanément : elle « chercha « la cachette, il « apporta « les biens, qu’elle « rangea « et elle « ferma « la grotte. Une impression d’efficacité découle de la rapidité des procès au passé simple, dont le temps traduit tant la rapidité que la succession des actions.

Ainsi se clôt la scène de reconnaissance par l’image des deux héros, réunis dans le complot et dans un pronom pluriel « ils combinèrent «, associés dans une même posture d’égalité et de réflexion astucieuse : « assis tous les deux au pied de l’olivier sacré «…

Conclusion

Cette scène de reconnaissance a ceci de particulier qu’elle fonctionne de prime abord sur un jeu de travestissement, de fausse piste digne d’une scène de théâtre. Les héros se reconnaissent ensuite progressivement au travers de leurs qualités exceptionnelles et communes, en regardant leur passé commun pour ensuite s’allier dans un complot qui va ouvrir sur un nouveau travestissement du personnage principal…

 

 

1. Présentation de l'auteur

 

a. Quelques dates

• Des informations imprécises

Homère aurait vécu au VIIIe siècle avant Jésus Christ, il serait né sur une île près de la Turquie actuelle. Il aurait été très probablement aède ou rhapsode, et aurait raconté des épopées accompagné de sa lyre. Les marques d’oralité omniprésentes dans ses récits attestent de la filiation avec la tradition orale. Il est ainsi considéré comme l’auteur des plus grandes épopées antiques grecques : L’Iliade et L’Odyssée.

 

Aucun témoignage fiable ne vient confirmer ou compléter ces maigres éléments biographiques. Cette première « biographie « très lacunaire auraient été écrite dans l'Antiquité par l'historien Hérodote.

 

Dans l'Antiquité, on attribuait à Homère non seulement l'Iliade et l'Odyssée, mais aussi les Hymnes homériques, des Epigrammes, d’autres pièces épiques ou poèmes…

 

• Une supposition devenue certitude

Ce sont aux IIIe et IIe siècles avant J.-C. que les érudits de la bibliothèque d’Alexandrie fixent la forme des récits homériques et confirment Homère comme en étant l’auteur.

b. Homère par l'image

Homère est souvent représenté en sculpture, gravure ou peinture comme étant aveugle. Que sa cécité soit légende ou vérité, l’aède inspire les artistes. Les représentations tendent vers l’image d’un poète inspiré qui perçoit l’au-delà de la réalité, le visage tourné vers les cieux.

Les sculptures de bustes le représentent souvent avec les yeux morts ou bandés ; la peinture de Jean- Baptiste Auguste Leloir, par exemple, le représente contant et jouant de la lyre, instaurant une relation intense avec son auditoire, le regard perdu vers les hauteurs, dans un cadre mi champêtre, mi sacré...

c. La question homérique

En raison du peu d’informations dont nous disposons sur la vie d’Homère, certains savants nient et récusent son existence. On parle alors de « la question homérique « dès le XVIIe siècle. Les épopées ne seraient que l’amalgame de textes populaires antérieurs et transmis de manière orale, voire une collection d’épisodes qui auraient été réarrangés. On parle même de l’illettrisme d’Homère, incapable donc d’une réécriture.

 

Ainsi L’Iliade et L’Odyssée seraient-elles l’œuvre du peuple grec, la réappropriation de contes existants par différents auteurs ou la composition d’un aède inspiré par des éléments antérieurs et profitant d’une évolution de la culture antique, allant d’un oral composite (= hétéroclite) primitif à un écrit resserré et plus continu ?

 

2. Le contexte de l'œuvre

 

a. Contexte de parution, VIIIe siècle avant J.-C.

• L’âge mythique

Les grecs adulent les héros, les chefs mythiques auxquels ils vouaient des cultes funéraires, après leur canonisation (= acte par lequel un homme est proclamé officiellement saint, en harmonie avec les dieux). Les chefs deviennent des demi dieux, adorés et réunissant les vivants autour du culte du grand mort. Les cultes marquent l’émergence d’un héros fondateur, fédérateur d’une communauté. L’épopée participe donc de cette théologie du héros, du mélange entre l’humain et le sacré.

Chez Homère, le temps des dieux se mêle à celui des hommes héroïques.

 

• Un bouleversement politique dans la cité

Le monde homérique montre une société instable, déstabilisée par la rivalité de grands chefs, les luttes de pouvoirs publics, l’importance de l’agora. L’Iliade et L’Odyssée sont considérées comme des sources historiques du passage de la période archaïque à la période classique, dévoilant l’émergence du monde grec. Les poèmes dévoilent une mutation de la cité : celle d’un échange entre le peuple et le chef, celle d’une société très inégalitaire dominée par un système d’échange, de serment, de dons, de mariages…

b. Genre de l'oeuvre

L’Odyssée est une épopée.

« Epopée « vient du grec « épos « (ce qui est exprimé par la parole) et « poïen « (faire, fabriquer). Aristote, dans sa Poétique, la définit comme une longue poésie narrative destinée à la tradition orale, mêlant de nombreuses tragédies, exaltant les belles actions et hommes de mérite, pour « en faire des hommes remarquables comme Achille dans Homère «. L’aède fait vivre ses personnages, narrant leurs exploits ou déléguant sa parole en incarnant le discours de l’un d’eux.

 

Homère est cité comme un référent incontournable de l’épopée : L’Odyssée est un long poème narrant une action mettant en jeu l’intérêt d’un héros ou demi-dieu. Autour d’une action principale se nouent de nombreuses péripéties et actions secondaires, se développent de nombreuses digressions. Le héros central doué de forces exceptionnelles suit un destin grandiose suscitant admiration et crainte. Les valeurs véhiculées par son attitude exemplaire nourrissent un idéal collectif, enthousiasmant la foule, réunie autour d’une éthique (= morale) commune.

 

Ainsi le style épique répond au besoin d’agrandissement et de superbe : les métaphores et images mettant en valeur la vaillance, la grandeur, le courage ; les rythmes et les gradations, les anaphores et oppositions violentes sont au service du grossissement épique…

c. Résumé bref

L’Iliade raconte la guerre de Troie, les dix années de lutte entre les rois grecs et les troyens. Ulysse participe à l’expédition punitive contre Pâris qui a enlevé Hélène, en ambassade à Troie. Une fois la guerre terminée puis la ville assiégée, Ulysse veut retrouver son royaume, sa famille.

 

L’Odyssée se situe dans la continuité de la première épopée. Elle raconte le voyage d’Ulysse depuis son départ de Troie jusqu’à son arrivée à Ithaque, son royaume, où il parvient à reconquérir le trône grâce à la fidélité et l’intelligence de son épouse Pénélope.

Le récit multiplie les épreuves pour le voyageur : les rencontres importunes, les colères des dieux, les monstrueuses rencontres, les intempéries facétieuses… Toutefois, le récit ne suit pas une cohérence chronologique lisse mais multiplie les analepses puisque le héros devient parfois narrateur de ses aventures passées.

Conclusion

Malgré les incertitudes entourant la maigre biographie d’Homère, malgré les doutes entourant l’origine des deux épopées, L’Iliade et L’Odyssée restent très présentes dans la mémoire collective et inspirent de nombreuses réécritures au fil des siècles, de Platon à Dante, jusqu’aux écrivains contemporains… 

RESUME

 

L’Odyssée est une longue poésie orale, déclamée par un récitant qui incarne à tour de rôle des personnages facilement identifiables.

Le poème se compose alors d’une suite d’épisodes regroupés en 24 chants, épisodes qui se nourrissent de thèmes répétitifs : la réception d’un étranger, le travestissement du héros, la tempête, la scène de reconnaissance… Ces différents thèmes s’organisent autour d’une intrigue principale qui suit plusieurs mouvements dans la vaste composition d’ensemble :

 

• Le premier mouvement raconte l’origine du voyage d’Ulysse et le périple de Télémaque pour retrouver son père (Chants de I à IV).

 

• Le deuxième mouvement reprend les aventures d’Ulysse jusqu’à son retour à Ithaque (Chants de V à XIII).

 

• Le dernier mouvement narre du retour à Ithaque au rétablissement d’Ulysse sur le trône (Chants de XIV à XXIV).

 

1. Le titre de l'œuvre

 

Le déterminant implique qu’il ne s’agit pas d’un nom propre. Pourtant, « Odusseus « signifiait « Ulysse «, en grec. La substantivation du nom propre sous-entend donc, qu’il s’agit du récit des aventures d’Ulysse, bien avant que ce nom commun ne signifie, par glissement sémantique, « tout périple de longue haleine «, instaurant d’emblée le fil directeur de l’épopée.

 

2. Résumé

 

a. Chants I à IV

Le prologue introduit l’épopée en rappelant les faits passés, comme l’origine du périple d’Ulysse : le seul survivant de la guerre de Troie est retenu, soumis à la colère de Poséidon et ne peut revenir dans son royaume. L’élément perturbateur est ainsi identifié d’emblée.

 

Athéna impose le voyage à Télémaque pour qu’il parte à la recherche d’Ulysse, son père, en s’en montrant digne, aguerri et responsable du sort de sa mère. Celle-ci subit les assauts de prétendants félons (= déloyaux envers leur seigneur). Télémaque entend les récits analeptiques des exploits de son père à Troie et sa détermination s’accroît.

 

Cette introduction permettant le retour en arrière sur la gloire du héros crée un effet d’attente du héros d’exception et un effet d’annonce notamment avec les thèmes récurrents que sont la dissimulation, le travestissement, la reconnaissance…

b. Chants V à XIII : Les étapes du récit chronologique des aventures d'Ulysse.

• Chant V : Ulysse est retenu depuis 7 années par la nymphe Calypso qu’il n’aime plus. L’action est relancée par l’intervention d’Hermès et l’aide d’Athéna qui préside au départ du héros. Le trajet est soumis à la rancœur de Poséidon qui déchaîne les flots. Il arrive sur une île, et s’endort, nu, caché, à l’abri.

L’émotion vive d’Ulysse en larmes ne manque pas de susciter la pitié et la bienveillance à son égard.

 

• Chants VI-VIII : Ulysse est découvert par Nausicaa, fille d’Alcinoos, roi des Phéaciens. Elle l’habille et lui indique comment rejoindre le palais. Reçu comme il se doit selon les rituels d’hospitalité, Ulysse entend les chants de l’aède qui relate deux épisodes de la vie d’Ulysse. Ce dernier ne parvient pas à cacher sa profonde émotion au roi. Il est ainsi invité à se nommer, révéler son identité.

Ces épisodes mettent en évidence la bravoure, la force et la sensibilité du héros principal.

 

• Chant IX : Ulysse prend en charge le récit de ses aventures, à la demande d’Alcinoos. Devenant une nouvelle figure d’aède témoignant de son vécu dans une longue parenthèse analeptique explicative.

- Chez les Cicones : Ulysse et ses compagnons pillent la ville des Cicones. Malgré les conseils de leur chef Ulysse, les vainqueurs font ripaille et sont surpris par les ennemis. Ils battent en retraite.

- Chez les Lotophages, mangeurs d’oubli : les fruits du Lotos apportant l’oubli, Ulysse encourage ses hommes à prendre le chemin du retour, malgré leur profonde tristesse.

- Chez les Cyclopes : Polyphème dévore plusieurs compagnons d’Ulysse qui ruse pour s’échapper, cachant son identité sous le nom de « Personne « crevant l’œil du cyclope, puis se cachant sous la toison des béliers pour s’enfuir. Fort de son subterfuge, il crie sa morgue (= attitude hautaine et méprisante) sur le pont du navire qu’il a rejoint, envers Polyphème qui promet vengeance de son père Poséidon.

 

• Chant X

- Dans l’île d’Eole, maître des vents : Ulysse reçoit en présent une outre, c’est-à-dire un sac en peau de bouc, étanche, permettant de transporter des liquides. Ses compagnons, pensant y trouver fortune ou or, libèrent les vents et déclenchent une tempête.

- Chez les géants Lestrygons : les compagnons d’Ulysse se font massacrer et fuient au plus vite.

- Dans l’île de la magicienne Circé : la magicienne séduit les meilleurs compagnons d’Ulysse et les métamorphose en porcs. Ulysse aidé par Hermès les délivre en confiant sa virilité à Circé. Ils passent une année à festoyer, puis partent au printemps.

 

• Chant XI

Chez les Cimmériens, au pays qui ne voit pas le soleil : suivant les conseils de Circé, Ulysse s’approche des Enfers, procède à des sacrifices. Tirésias lui indique le long chemin à suivre avant son retour, sa mère lui révèle la vérité sur Ithaque. Nombres de défunts d’exception s’adressent à Ulysse, se pressent autour du sang qu’il a répandu. Ulysse avoue sa peur et fuit.

 

• Chant XII

- Chez Circé : La magicienne prédit les difficultés que rencontrera l’équipage et prodigue des conseils précieux pour éviter l’écueil.

- Près des Sirènes : Ulysse, en homme averti et conscient des faiblesses humaines, protège son équipage du charme des sirènes en leur bouchant les oreilles avec de la cire et se fait lier pieds et mains au mât du navire. La dérive et l’enfermement dans le passé sont ainsi évités sans difficulté.

- Vers Charybde et Scylla : Ulysse ne trouve pas la parade pour sauver la vie de six de ses compagnons, engloutis par le monstre terrifiant.

- Sur l’île du Soleil : Les compagnons d’Ulysse n’entendent pas l’avertissement de Circé et la crainte d’Ulysse. Ils abordent, festoient longuement, puis profitent du sommeil de leur chef pour tuer les bœufs d’Hélios qui, furieux, déclenche une tempête dont seul Ulysse échappera, en s’échouant chez Calypso.

La clôture de la parenthèse analeptique se fait naturellement en revenant au premier récit abordé devant le roi et la reine. Il est temps de repartir…

 

• Chant XIII : Ulysse est reconduit par les Phéaciens à Ithaque, déposé endormi sur le rivage avec son butin. Athéna l’aide à nouveau et complote pour éliminer les prétendants au trône : elle travestit le bel Ulysse en mendiant affreux.

Au long des épreuves, Ulysse se révèle courageux, astucieux, faillible, fier et humble à la fois, brutal et sensible. Ulysse s’éloigne de la barbarie pour se rapprocher des siens et montrer une nature humaine exceptionnelle.

c. Chants XIV à XXIV

Les chants XIII à XXIV relatent le retour d’Ulysse à Ithaque et le rétablissement de l’ordre. Cette ultime partie multiplie les scènes de reconnaissance : le fils, le chien Argos qui meurt en reconnaissant son maître, la nourrice Euryclée qui reconnaît une cicatrice sur ses pieds… S’ensuit l’épreuve de l’arc que le mendiant surmonte avec aisance. Ulysse se dépouille de ses haillons, se nomme, accomplit sa vengeance en tuant les perfides, et en pendant les servantes infidèles. Pénélope reconnaît son époux lorsqu’il précise un détail connus d’eux seuls : leur lit d’amour inamovible. Par l’ultime intervention d’Athéna, la paix est rétablie.

 

La force d’une famille guerrière est incontestable : trois générations réunies montrent une puissance extraordinaire, de valeurs humaines. L’intervention divine est cependant nécessaire pour passer de la barbarie à la paix civilisée…

Conclusion

Il n'y a pas vraiment de déroulement chronologique mais des aller-retours entre les périodes du voyage d’Ulysse ; il n’y a pas de voix narrative unique mais une parole déléguée aux personnages prenant en charge leur vécu. L’ensemble reste varié, reposant sur des scènes incontournables et une quête unissant l’ensemble de la composition : le retour vers les siens, vers la sérénité…

 

LES PERSONNAGES

 

Etudier les personnages de la vaste Odyssée ne va pas sans une élucidation du personnage éponyme  : Ulysse. « Odusseus « signifiant « Ulyss

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