L'URSS, une Union théorique

11-24 février 1988 - Le Tadjikistan était si loin de Moscou, géographiquement et politiquement, que l'une de ses régions, " oubliée de Dieu et du pouvoir soviétique ", n'avait même jamais reçu la visite d'un représentant de Moscou depuis 1917. Le vendredi 24 août 1990, à leur tour, les députés du Tadjikistan, l'une des quinze Républiques qui forment théoriquement l'Union des Républiques socialistes soviétiques, se sont déclarés souverains et ont suspendu toutes les lois soviétiques contrevenant à la législation tadjik. La veille, c'étaient l'Arménie et la Turkménie qui avaient basculé. Théorique, l' " Union soviétique " l'est en effet de plus en plus. Cinq de ses Républiques-la Lituanie, la Lettonie, l'Estonie, la Géorgie et l'Arménie-ont maintenant proclamé leur indépendance, tandis que huit autres se sont déclarées souveraines : la Fédération de Russie, l'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, la Turkménie, le Tadjikistan, la Moldavie, la Biélorussie, l'Ukraine. Les deux Républiques restantes, le Kazakhstan et la Kirghizie, ne sont pas à la traîne pour autant : le Kazakhstan, qui abrite d'importantes réserves de gaz et de pétrole, a été l'une des premières Républiques à adopter une loi d'indépendance économique quant à la petite Kirghizie, elle a déjà préparé un projet de déclaration de souveraineté, publié début août dans la presse locale. Même les Républiques autonomes, cette curieuse subdivision administrative, sont gagnées par la fièvre. La Carélie ( qui dépend de la Fédération de Russie), a été il y a quelques semaines la première république autonome à se déclarer souveraine, et pourrait être bientôt suivie par la Yakoutie, qui " étudie " la question. Que dire enfin des Gagaouzes, cette minorité turque-orthodoxe de Moldavie qui vient de se constituer en République autonome, fixant " ses " élections parlementaires au 28 octobre ? L'Union, décidément, est bien mal en point. Ces déclarations d'indépendance ou de souveraineté, aux distinguos subtils, sont certes parfois tout aussi théoriques que l'Union elle-même elles n'en comportent pas moins de graves menaces que Moscou et Mikhaïl Gorbatchev ne sous-estiment pas. Effondrement du centre Ainsi, l'Arménie a décidé d'avoir sa propre armée, alors qu'elle regorge déjà de milices indépendantes et que la région est plongée dans ce qui ressemble à s'y méprendre à une guerre civile. L'Ukraine-50 millions d'habitants-a demandé à ses conscrits et policiers éparpillés à travers l'URSS de regagner leur République d'ici décembre. Partout, l'autorité soviétique s'effondre. Les Républiques nouent des liens entre elles sans passer par le centre. Plus dangereuse encore pour Moscou fut la récente décision de la Russie d'invalider tout accord signé après juin 1990 sur l'exportation de ses ressources naturelles. A la clé figurait par exemple le fameux contrat de 1 milliard de dollars prévoyant l'extraction de diamants pour la firme De Beers... Mikhaïl Gorbatchev a aussitôt réagi en invalidant à son tour la décision du Parlement russe. Parviendra-t-il à tenir bon jusqu'à la conclusion de son nouveau " traité de l'Union " ? BULLETIN DE L'ETRANGER Le Monde du 26-27 août 1990