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Union des républiques socialistes soviétiques [URSS]

Publié le 04/04/2013

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1   PRÉSENTATION

Union des républiques socialistes soviétiques [URSS], (en russe, Soïouz Sovetskikh Sotsialistitcheskikh Respoublik), État fédéral né de la révolution russe d’octobre 1917, proclamé en 1922 et dissous en 1991, à la suite de la perestroïka mise en place par Mikhaïl Gorbatchev et dans l’élan des révolutions démocratiques de 1989.

Durant cette période, l’URSS regroupait quinze Républiques en Europe orientale et en Asie centrale et septentrionale, sur le territoire de l’ancien Empire russe. Avec une superficie de 22 400 000 km2, elle était le plus grand État du monde et la deuxième grande puissance avec les États-Unis — en 1989, l’URSS comptait 289 millions d’habitants. Mais elle était aussi, et avant tout, le laboratoire d’un communisme d’État assimilé aux régimes totalitaires du xxe siècle (marqué par la personnalité de Staline) et l’un des deux grands protagonistes, avec les États-Unis, de l’histoire des relations internationales au temps de la guerre froide et de la coexistence pacifique.

2   LA RUSSIE SOVIÉTIQUE ET L’URSS SOUS LÉNINE (1917-1924)
2.1   L’établissement du nouveau régime

Dès le 26 octobre 1917, dix jours après que le Comité central du Parti bolchevique a approuvé l’appel de Lénine à la prise du pouvoir par une « insurrection armée «, qui vient d’éclater la veille, le IIe Congrès pan-russe des soviets souligne les orientations du nouveau régime à travers une série de décrets : décret « sur la paix « (par lequel la Russie se retire de la Première Guerre mondiale et « invite toutes les nations belligérantes et leurs gouvernements à ouvrir sans délai les négociations d’une juste paix démocratique «) et décret « sur la terre « (qui abolit la grande propriété foncière sans indemnités et met toutes les terres à disposition des paysans). Suit le décret « sur les nationalités « qui proclame le droit des peuples de Russie à l’autodétermination, et permet à l’Ukraine, à la Finlande, à l’Arménie russe et à la Pologne d’obtenir leur indépendance. En décembre sont promulgués le décret sur les entreprises industrielles — elles passent sous le contrôle des ouvriers et des employés, et sous la surveillance du Conseil supérieur de l’Économie nationale (VSNKh en russe) —, ainsi que le décret sur la nationalisation des banques et des fleurons de l’industrie, telles les usines Poutilov de Moscou.

Le Conseil des commissaires du peuple (en russe Sovnarkom) constitué en gouvernement prend une nouvelle série de mesures au cours de l’année 1918 : abolition des grades, titres et décorations de l’Ancien Régime ; séparation de l’Église et de l’État ; création de l’Armée rouge ; proclamation de l’égalité entre hommes et femmes ; poursuite des nationalisations ; adoption du calendrier occidental. Présidé par Lénine, il comprend notamment Trotski aux Affaires étrangères et Staline aux Nationalités.

La Constitution soviétique, ratifiée le 10 juillet 1918, institue l’ensemble de ces mesures. Son principal élaborateur, Sverdlov, s’appuie sur les grandes lignes constitutionnelles esquissées au IIIe Congrès des soviets qui, en janvier 1918, a proclamé la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) et voté la « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité «, reprise en préambule de la Constitution.

Dans l’année qui suit la révolution d’Octobre, les bolcheviks, menés par Lénine et le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), commencent à s’emparer des rouages du pouvoir. Ils se heurtent, cependant à l’opposition croissante de ceux qui avaient refusé de lutter contre eux en octobre 1917 (sociaux-révolutionnaires [S-R], cadets et mencheviks de l’ex-Assemblée Constituante), malgré les appels à la résistance contre-révolutionnaire de Kerenski. Aussi, progressivement, les bolcheviks entreprennent-ils d’écarter ces interlocuteurs.

2.2   Faire la paix pour pérenniser la révolution

Mais pour perdurer, le nouveau pouvoir révolutionnaire doit, avant tout, solder la question de la guerre. La conclusion de la paix est une priorité pour le nouveau régime s’il veut accroître son autorité et que la Révolution soit pérenne. En effet, l’ex-Russie est un pays dévasté, qui porte le deuil de millions de morts et où plane en permanence la menace d’offensives contre-révolutionnaires d’envergure. Plus profondément, la crise sociale et politique que connaît la Russie depuis la fin du xixe siècle et la Révolution de 1905 ont été les ferments premiers de la Révolution ; or cette crise lui survit, amplifiée par la pénurie subséquente aux réquisitions de guerre. Cette tension endémique est dangereuse, de même, d’ailleurs, que les réactions de l’armée, disloquée par la Révolution et la guerre. Dans un contexte tendu, la guerre civile, amorcée en 1917, risque à tout moment de s’aggraver et de mettre le régime en péril.

La paix est donc une première étape indispensable avant de « pacifier « le pays lui-même. Des pourparlers d’armistice sont engagés à Brest-Litovsk le 3 décembre 1917 entre les Empires centraux (austro-allemands) et la délégation russe menée par Trotski. Celle-ci, fidèle à la ligne de conduite adoptée lors du congrès de Zimmerwald (1915) et aux termes du décret sur la paix, souhaite une « paix sans annexion et sans contribution «. D’accord sur le principe, les Austro-Allemands exigent toutefois, en justifiant leur requête par le droit des peuples à l’autodétermination, que les territoires de l’Empire russe occupés par leur armée leur reviennent (Galicie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne). Face à ces conditions draconiennes, les dirigeants bolcheviques sont divisés. Convaincus de l’imminence de la révolution prolétarienne en Allemagne et en Hongrie et soucieux d’asseoir l’autorité du gouvernement soviétique, Lénine, Zinoviev et Staline préfèrent la signature d’une paix séparée, aux conditions de l’Allemagne, même injustes, pour « sauver la révolution russe «. Au contraire, Nicolaï Boukharine et les S-R préconisent une guerre révolutionnaire pour « la défense commune de la terre russe et du prolétariat mondial «. Quant à Trotski, partisan de l’adage « ni guerre, ni paix «, il souhaite que la Russie se retire unilatéralement du conflit en démobilisant son armée et sans signer la paix.

Le 27 janvier 1918 survient le problème ukrainien qui complique davantage les choses : des délégués de la Rada (assemblée nationale ukrainienne), hostiles aux bolcheviks, signent une paix séparée avec les Austro-Allemands en leur demandant une protection militaire contre Moscou. Trotski met alors fin aux négociations (10 février), annonçant : « Nous retirons de la guerre notre peuple et notre armée. (…) Nous déclarons que l’état de guerre a pris fin entre les Empires centraux et la Russie. « Mais, à la suite d’une nouvelle offensive militaire allemande et d’une menace grandissante des armées européennes de l’Ouest (même si elles sont censées contrer les Allemands), les Soviétiques sont contraints de signer le traité de Brest-Litovsk (3 mars). Celui-ci impose des conditions désastreuses à la Russie : en premier lieu, perte de l’Ukraine, des pays baltes et de la Pologne notamment, abandon de toute prétention sur la Finlande, cession de Kars, de Batoum et d’Ardahan à la Turquie (au total, 800 000 km2, 26 p. 100 de la population de la Russie, 32 p. 100 des récoltes et près de 75 p. 100 de la production industrielle russe perdus). En second lieu, la Russie doit payer de très lourdes indemnités de guerre à l’Allemagne (6 milliards de marks-or) et s’abstenir de toute propagande dans les Empires centraux.

2.3   La situation politique intérieure au lendemain de la paix

La signature du traité de Brest-Litovsk a des conséquences en politique intérieure : les sociaux-révolutionnaires (S-R), qui ont jusqu’alors collaboré avec les Bolcheviks, dénoncent le traité comme une trahison à la cause révolutionnaire et quittent le gouvernement (16 mars). Leur opposition prend une forme violente connue sous le nom de « Terreur Blanche « : assassinat de l’ambassadeur d’Allemagne en Russie (6 juillet 1918), dans le dessein de pousser les Allemands à rouvrir les hostilités ; mutinerie de Moscou (6-7 juillet 1918) ; attentat contre Lénine (30 août).

Les Bolcheviks, qui ont entre-temps rebaptisé le POSDR « Parti communiste « (PC, 8 mars), inaugurent alors l’ère des représailles : c’est le début de la « Terreur rouge «. Elle aboutit à la disparition physique et politique du parti social-révolutionnaire. Nombre d’opposants sont exécutés, ainsi que le tsar Nicolas II et sa famille (17 juillet 1918). Peu à peu, les partis non bolcheviques sont éliminés, interdits, absorbés par le PC. L’Union soviétique devient un État à parti unique.

Dans la foulée et indissociablement, des outils d’État et des procédures sont mis en place pour bâillonner toute velléité sécessionniste et / ou d’opposition. Hormis la censure qui pèse sur la presse, la création de la Tcheka (« commission extraordinaire de lutte contre le sabotage et la contre-révolution «, police politique qui succède à l’Okhrana tsariste), le 7 décembre 1917, annonce d’emblée que les hommes au pouvoir ont un sens de la démocratie assez restrictif.

2.4   La guerre civile et l’intervention étrangère
2.4.1   La révolte blanche

À cette politique coercitive n’est pas étrangère, bien sûr, la situation de guerre civile qui s’affirme à partir de la naissance de l’Armée volontaire recrutée en pays cosaque par les généraux antibolcheviques Alexeev et Denikine (novembre 1917). Une autre armée se forme en Sibérie occidentale autour d’un contingent de 45 000 anciens prisonniers de guerre tchèques, armés par une partie de l’ex-gouvernement libéral tsariste pour combattre l’Allemagne. En effet, à peine signé, le traité de Brest-Litovsk est violé par l’Allemagne et par l’Autriche qui envahissent l’Ukraine, la Géorgie et la Crimée (avril 1918). Les Britanniques, hostiles au régime bolchevique depuis le traité de paix qu’ils considèrent comme une trahison, apportent leur soutien militaire aux armées blanches. Ils occupent Mourmansk (mars 1918), puis Arkhangelsk (août 1918) à l’extrême nord de la Russie, dans le but de contrer l’avancée allemande sur Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Ils convainquent les Japonais, aidés d’un corps expéditionnaire américain, d’occuper Vladivostok en Sibérie orientale (avril 1918), avec pour objectif de réactiver le front oriental.

Dans le même temps, Kornilov mène un soulèvement au Kouban et l’ancien chef du gouvernement provisoire de mars 1917, le Prince Lvov, prend la tête d’un gouvernement en exil à Pékin. En septembre 1918, les différents gouvernements « blancs « se coalisent lors de la conférence d’Omsk en Sibérie. Mais, en novembre, l’amiral monarchiste Koltchak (mandaté par les Anglais pour lever une armée d’Extrême-Orient) prend le commandement de l’armée blanche et se proclame « Régent suprême de Russie «. Très vite, il ne maîtrise plus la situation, et d’autres armées contre-révolutionnaires, plus modestes, se forment au nord-ouest, au nord et en Sibérie orientale, accroissant encore l’instabilité du pays.

Rapidement, les contingents français débarqués à Odessa (décembre 1918) se retirent sans avoir combattu. Les Britanniques restent jusqu’à l’automne 1919. Leur soutien aux forces antibolcheviques se limite surtout à une aide financière et à du matériel militaire.

Ainsi, la vaste opération contre-révolutionnaire redoutée par le pouvoir russe n’a pas eu lieu. Devant ces multiples assauts, Moscou a réagi très tôt du reste, en fondant l’Armée rouge (15 janvier 1918). Initialement composée de 100 000 volontaires paysans et ouvriers, elle réunit, au plus fort du conflit, près de cinq millions d’hommes.

2.4.2   La victoire du « communisme de guerre «

Entre l’été 1918 et la fin de l’année 1920, le pays et le régime vivent donc au rythme de la guerre civile. Le « communisme de guerre «, défini par Trotski comme « la réglementation de la consommation dans une citadelle assiégée «, tente d’endiguer, par la réquisition et une mobilisation massive, les multiples offensives contre-révolutionnaires.

Les batailles décisives ont lieu en 1919 : au printemps, Koltchak lance une offensive contre Moscou. Il atteint les rives de la Volga. L’Armée rouge l’y stoppe et le contraint au repli. Son armée se désintègre rapidement. Lui-même est arrêté et exécuté (7 février 1920). En octobre-novembre, l’armée volontaire du général Denikine rejoint Orel, à 250 km au sud de Moscou. Mais elle est repoussée vers la mer Noire, à l’issue de rudes combats.

En avril 1920, la Pologne lance une nouvelle offensive, avec le soutien de quelques divisions biélorusses commandées par le baron Petr de Wrangel. Mais ces troupes sont vaincues à l’automne et doivent abandonner la Biélorussie et l’Ukraine. Le traité de Riga (mars 1921) fixe la frontière soviéto-polonaise.

La RSFSR entre alors dans une période plus faste. L’évacuation des Britanniques et des Allemands permet aux Soviétiques de réfuter le droit à l’autodétermination proclamé en 1918 et de s’emparer, en 1920-1921, de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie, de la Géorgie et du Turkestan. Enfin, les Japonais quittent Vladivostok en octobre 1922.

Malgré des désertions massives, l’Armée rouge sort victorieuse de la guerre civile, grâce surtout à la qualité de son organisation et à sa supériorité en nombre et en matériel (hérité de l’époque tsariste). À l’inverse, entièrement dépendantes de l’aide des puissances étrangères, les armées blanches ne peuvent que faire illusion.

Au début de l’année 1921, la guerre civile est terminée et le régime, malgré la haute tension qui demeure, a consolidé son pouvoir.

2.4.3   Consolider le régime

La crise économique, endémique, s’est du reste aggravée. Le « communisme de guerre « (nationalisation de l’industrie et des transports, réquisition des produits agricoles), laisse l’économie exsangue. Cette crise socio-économique entraîne des flambées contestataires qu’illustrent de nombreuses révoltes paysannes dans tout le pays et l’insurrection des marins de Kronstadt (mars 1921), violemment réprimée.

Pour trouver une issue à cette situation, Lénine, contre l’avis des trotskistes, instaure la Nouvelle politique économique (NEP) en mars 1921. D’inspiration capitaliste, cette politique, longuement discutée lors du Xe Congrès du parti, entend réduire les réquisitions sur les produits agricoles et dénationaliser les petites entreprises industrielles et liées au commerce intérieur, ce qui, selon Lénine, doit permettre l’accroissement de la production agricole et industrielle. Les effets sociaux et économiques de la NEP s’avèrent rapidement autres : le nivellement des revenus ruraux s’accentue, la misère (famine de la Volga, en 1921-1922) et le « banditisme rouge « sévissent.

À cette politique économique aux résultats peu convaincants est associée une politique de musellement du pays. À la mort de Sverdlov, en mars 1919, le VIIIe Congrès décide, outre la radicalisation de sa ligne anticapitaliste et le développement du prosélytisme pro-communiste, de réorganiser la direction du PC. Désormais, le pouvoir est entre les mains d’un collège, le politburo (« bureau politique «), composé de cinq membres (Lénine, Trotski, Staline, Kamenev et Krestinski), élu par le Comité central, lui-même désigné par le Congrès des soviets. Mais l’illusion de la collégialité apparaît clairement en 1921-1922, lorsque le PC devient parti unique et que la règle de l’écrasement de l’antisoviétisme domine tout rapport à la contestation. C’est au PC seul, qui règne en maître sur l’État, qu’est donc dévolu le règlement de la crise dont le pays peine à sortir.

2.4.4   La formation de l’URSS

L’autre événement majeur de la période est la naissance, le 30 décembre 1922, de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) issue du traité qui réunit la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) et les trois républiques d’Ukraine, de Biélorussie et de Transcaucasie. Staline supervise un projet de confédération et une nouvelle Constitution, ratifiée en janvier 1924, est promulguée. Du point de vue formel, elle consacre l’idée d’une union de républiques égales en droit et souveraines. Le gouvernement central garde toutefois le contrôle des affaires étrangères, de la défense et de la planification économique. La Constitution proclame le droit des républiques à la sécession, mais aussi la possibilité d’adhésion de nouvelles Républiques socialistes, créées par promotion interne ou du fait d’une extension du territoire. Entre 1924 et 1929, plusieurs remaniements territoriaux modifient le profil de l’URSS : scission de la Transcaucasie en trois Républiques (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan), formation des républiques du Kazakhstan et de l’Asie centrale, intégrées jusqu’alors à la RSFSR ; puis, avec le partage de l’Asie centrale, création des républiques du Turkménistan et de l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et de la Kirghizie. Après la Seconde Guerre mondiale, l’URSS comptera au total quinze républiques associées.

L’URSS ainsi constituée peut « normaliser « ses relations internationales. Elle réintègre progressivement la communauté des nations et rompt partiellement l’isolement consécutif à la crise de défiance des puissances occidentales en 1917-1921. En 1924, la plupart des grandes puissances ont reconnu le pays et établi des relations diplomatiques avec lui. Il faut toutefois attendre 1933 et la présidence de Franklin Roosevelt pour que les États-Unis reconnaissent à leur tour l’Union soviétique.

3   STALINE S’IMPOSE À L’URSS (1924-1939)
3.1   Les premières heures de la stalinisation

Dès la mort de Lénine (21 janvier 1924), la lutte pour sa succession s’ouvre, témoignant des fractures qui traversent un PC où les tendances sont normalement interdites.

Sur fond de crise politique (12 S-R viennent d’être exécutés pour actes terroristes et sabotage et le PC a été expurgé de plusieurs dizaines de milliers « d’ennemis du peuple «), cette lutte de succession oppose Trotski (qui dénonce la bureaucratisation centralisatrice du régime) à Staline (qui vient d’accuser Lénine de « révisionnisme antibolchevique «). Dès 1923, Staline a formé une première troïka antitrotskiste avec Kamenev et Zinoviev. Cette direction collective apparaissait plus rassurante que le « cours nouveau « préconisé par Trotski. Mais la troïka se divise à son tour : Staline s’allie alors avec Boukharine, Rykov et Tomski contre la seconde troïka formée par Trotski, Kamenev et Zinoviev.

En 1924, 1925, 1926, le combat idéologique fait rage. Mais courant 1927, fort de son contrôle sur l’appareil du parti depuis qu’il est en le secrétaire général (mai 1924), Staline impose ses vues. Il développe l’idée de la construction du « socialisme dans un seul pays «. Après avoir rejeté le léninisme, il porte l’accusation contre Trotski. En 1927, Trotski, déjà privé depuis janvier 1925 de son poste hautement stratégique de président du Conseil militaire révolutionnaire (qui lui donnait l’autorité sur l’Armée rouge) publie le tome III de ses œuvres, qui comporte une préface intitulée « Les leçons d’Octobre «. Il y tire les conclusions de la Révolution de 1917 et de ses conséquences. Mettant en avant le concept de « révolution permanente «, Trotski se heurte à l’immobilisme de Staline, adepte d’un révolutionnarisme figé. En novembre 1927, avec Kamenev et Zinoviev auxquels il s’est associé dans l’« Opposition unifiée «, il est victime de la vague antitrotskiste et exclu par référendum du PC en octobre 1928. En 1929, il est banni d’URSS, puis assassiné à Mexico en 1940, sur l’ordre de Staline, par un agent du Guépéou (qui remplace la Tcheka en février 1922) . En revanche, Zinoviev et Kamenev sont réintégrés après leur autocritique.

Après avoir éliminé et / ou muselé l’opposition « de gauche «, Staline s’attaque enfin à l’opposition « de droite « — ses anciens alliés : Boukharine, Rykov et Tomski sont accusés d’« opportunisme de droite « à cause de leur critique du système économique soviétique et jugés trop dangereux aux postes qu’ils occupent (Boukharine, qui lui aussi fera son autocritique, dirige la Pravda [« la Vérité «], organe aux ordres du parti).

Grâce à cette politique du vide et par la mise en place du système de la nomenklatura, grâce aux purges, au Goulag et à l’hyperbureaucratisation délatrice du PCUS qui domine l’État, Staline est devenu, en 1929, le chef incontesté du pays. Pour gouverner, il s’appuie sur l’appareil du parti, sur la police et sur le Guépéou qui a pour tâche d’user de ses pouvoirs répressifs contre toute personne accusée ou soupçonnée de nuire aux intérêts du prolétariat. Staline prend également soin de nommer ses proches — Molotov, Kouibytchev, Ordjonikidze et Vorochilov — aux postes clés.

Cette « caporalisation « (J.-J. Marie, 1997) de la vie politique se double, en outre, d’une mise sous tutelle de la vie associative, culturelle, intellectuelle, qui passe, entre autres exemples, par la mise au pilon des ouvrages rédigés par les ex-membres du parti condamnés ou déportés en camp. L’ascendant de Staline sur l’URSS ne cesse de croître.

3.2   Limites et effets de la politique de collectivisation-industrialisation

En 1927, les récoltes sont toujours inférieures à celles de 1913. Il est donc décidé d’accentuer la « construction du socialisme « par une collectivisation plus poussée. En 1928 est ainsi inauguré le premier des plans quinquennaux (1928-1932), dont le but, sous la houlette du Gosplan (comité d’État au plan), est de transformer un pays agricole arriéré en grande puissance industrielle et de changer la nature profonde de la société. Les deux mots d’ordre sont : industrialisation à outrance et collectivisation des terres.

La priorité est donnée à la réalisation de grands projets d’infrastructure et à l’industrie lourde. Ces transformations sont réalisées grâce à une main-d’œuvre considérable, qu’il faut qualifier en ayant recours à des « spécialistes étrangers « (5 000 en 1931) et à l’émulation sociale. Les grands travaux de construction aboutissent grâce à la force de travail des centaines de milliers de prisonniers du Goulag notamment. Au début de 1933, à la fin du plan, la production de l’industrie lourde a augmenté de 273 p. 100.

Dans les campagnes, la collectivisation forcée se heurte à l’opposition des paysans. Une partie d’entre eux, enrichis par la NEP — les koulaks —, sont impitoyablement massacrés (on parle de la dékoulakisation). Des millions d’autres sont déportés ou meurent de faim, en raison de l’état de dénuement où les campagnes ont délibérément été plongées. La collectivisation aboutit, de gré ou de force. Fin 1932, 210 000 kolkhozes cultivent 70 p. 100 des terres et 4 300 sovkhozes 10 p. 100. Ils sont soutenus par 2 400 stations de machines agricoles.

Cet ensemble de mesures économiques, industrielles et agricoles doivent, selon Staline, servir à forger une image positive de l’URSS. L’idéal du « paradis socialiste «, fondé sur des preuves concrètes, doit voyager au-delà des frontières. L’État impose donc au peuple des cadences infernales et réussit, en partie, son pari : ses résultats contrastent avec la crise économique de 1929 et ses contrecoups, que subissent l’Europe de l’Ouest et les États-Unis.

Il y a un prix à payer cependant. La collectivisation à marche forcée entretient la colère d’une petite paysannerie de plus en plus misérable. Plus de 3 000 révoltes ont lieu en 1929-1930 et la baisse générale de la production de 1/5 à 1/4 entraîne une famine en 1932-1933. En outre, le niveau de vie des ouvriers ne s’est pas réellement élevé et il faut que le gouvernement adopte une politique monétaire qui dope l’économie. Au total, le pays reste en crise et Staline, conscient du danger, promulgue des décrets qui annoncent l’ère des grandes purges et l’apogée du goulag : ainsi, à partir de 1932, toute personne portant atteinte à l’intégrité de la propriété terrienne socialiste risque la mort.

3.3   Les purges et le goulag : l’affirmation du système totalitaire

Cette situation explique largement l’émergence de la rhétorique du complot anticommuniste dans le discours soviétique — logique qui justifie la systématisation d’une Terreur prophylactique qui doit réduire au silence tous les « ennemis du peuple « et du communisme.

En décembre 1934, l’assassinat à Leningrad de Kirov, concurrent de Staline et secrétaire du Comité central du PCUS, marque le début de la première grande épuration des cadres du parti soupçonnés d’opposition au régime ou accusés d’avoir appartenu au courant trotskiste. Saisissant le prétexte de cet assassinat, Staline les fait emprisonner, déporter en Sibérie ou exécuter. Les « purges « staliniennes touchent également les membres du Comité central à partir d’août 1936 (les deux tiers sont exécutés entre 1934 et 1938), ainsi que les officiers de l’Armée rouge (35 000 officiers sur 70 000 sont arrêtés entre 1936 et 1938, 75 des 80 siégeants du Conseil militaire suprême sont écartés !). Au cours des procès de Moscou (1936-1938), plusieurs des dirigeants parmi les plus influents du parti, dont Zinoviev, Boukharine, Rykov et Kamenev sont accusés de comploter avec l’Allemagne et le Japon pour renverser le régime. Reconnus coupables, les trois premiers sont exécutés. Des charges identiques sont retenues contre plusieurs commandants de l’Armée rouge, dont le maréchal Toukhatchevski. Ils sont condamnés et exécutés. L’Armée rouge, orpheline, passe sous la coupe stalinienne.

Cette série de purges vaut à l’URSS la condamnation de la communauté internationale. Elle réveille une polémique entre les intellectuels de gauche européens (en France notamment, autour d’André Gide), selon qu’ils sont « compagnons de route « ou non, polémique d’autant plus forte que, non content de frapper en URSS, Staline dirige aussi à distance l’épuration des partis communistes étrangers.

Autre instrument de la répression mis en place dès 1919 afin d’écarter les fauteurs de troubles de l’ordre social : les camps de travail forcé. Ces goulags, selon la dénomination adoptée en 1930, regroupent condamnés de droit commun et détenus politiques qui doivent subir un redressement par le travail et une réhabilitation idéologique, sous le contrôle du NKVD (le Guépéou s’occupe désormais des affaires extérieures) et des commissariats du peuple à la Justice ou aux Affaires intérieures. Staline développe l’institution et l’utilise pour la réalisation des grands travaux de modernisation prévus au programme du IIe Plan.

Ainsi, la logique instituée au début des années trente, traduite en une sorte de paranoïa idéologique, débouche, à terme, sur une répression de grande ampleur et sur son officialisation lors du VIIIe congrès des Soviets de l’Union, qui justifie la « lutte contre les ennemis du régime et de la patrie «. Entre 1935 et 1939, malgré l’annonce, début 1939, d’une modération dans la répression par Jdanov et Beria, plus de 6 millions de Soviétiques sont victimes des épurations. Plus de 1,7 million de personnes sont arrêtées, souvent sur la décision arbitraire d’organismes extra-judiciaires. En 1939, le goulag compte près de 2 millions de déportés. Cette ponction sur les forces vives de la société, associée au démantèlement de l’Armée rouge, explique pour une part la faiblesse de l’URSS au début de la Seconde Guerre mondiale.

Au total, Georges Sokoloff (la Puissance pauvre : une histoire de la Russie de 1815 à nos jours, 1993) estime à 1,2 million le nombre d’exécutions des années 1936-1939.

3.4   La politique extérieure

Au cours des années trente, les tensions internationales, notamment l’agressivité teintée d’élans hégémoniques de l’Allemagne et du Japon, mettent en danger la sécurité de l’URSS. Celle-ci cherche alors à consolider sa position diplomatique, non sans difficultés.

En Extrême-Orient la situation se dégrade rapidement : en 1931, l’invasion de la Manchourie par le Japon menace directement les intérêts soviétiques. Dans un premier temps, l’URSS maintient des relations avec les trois parties en conflit : le Japon, le Guomindang et les communistes chinois. Soucieux d’éviter toute entente entre le Japon et le Guomindang, les Soviétiques renouent des relations diplomatiques avec Tchang Kaï-chek et convainquent les communistes chinois de faire front commun avec les nationalistes contre les Japonais. En août 1937, l’URSS signe donc un traité de non-agression avec la Chine. À partir de l’été 1938, de très violents combats opposent l’URSS aux Japonais en Sibérie orientale, puis en Mongolie.

S’agissant de l’Allemagne, le pouvoir discrétionnaire d’Hitler, dont la politique expansionniste et antibolchevique représente une menace palpable, amène l’URSS à multiplier les négociations bilatérales et les traités de neutralité et de non-agression pour assurer sa sécurité : pactes de non-agression avec la Finlande, la Lettonie et l’Estonie (1932) ; entrée à la Société des Nations (SDN) en 1934 ; pacte franco-soviétique d’assistance mutuelle (1935) ; pacte de non-agression avec la Tchécoslovaquie (1935).

Commissaire soviétique chargé des Affaires étrangères et représentant de l’URSS à la SDN, Litvinov, n’a de cesse, entre 1934 et 1939, que les puissances occidentales fassent front contre le fascisme. Staline cherche, par ailleurs, à mener une politique de « sécurité collective « en encourageant la formation de gouvernements d’union nationale ou de front populaire, notamment en France et en Espagne (voir voir Front populaire [France] ; Front populaire [Espagne]), où communistes, socialistes et radicaux s’allient dans des fronts antifascistes.

Mais durant l’été 1938, une grave crise éclate lorsque l’Allemagne exige que la Tchécoslovaquie lui cède les Sudètes, zone frontalière où vit une forte minorité allemande. L’Union soviétique annonce qu’elle est prête à soutenir les Tchèques dans leur refus de satisfaire cette demande. Inquiétée par leur passivité depuis l’annexion de l’Autriche en mars 1938, elle appelle la France et le Royaume-Uni à l’imiter. Toutefois, espérant encore éviter la guerre, ceux-ci signent les accords de Munich avec le régime nazi (l’URSS n’y est pas associée) — accord qui prévoit l’annexion des Sudètes. En mars 1939, Hitler envahit, en effet, la Tchécoslovaquie.

4   L’URSS DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Engagé dans une guerre frontalière contre le Japon en Extrême-Orient et craignant l’avance allemande à l’ouest, Staline ouvre en 1939 des négociations secrètes avec le IIIe Reich pour signer un pacte de non-agression (tout en continuant les pourparlers avec la France et le Royaume-Uni).

4.1   Le pacte germano-soviétique

Le 24 août 1939, un pacte germano-soviétique d’amitié et de non-agression est signé à Moscou par Ribbentrop et Molotov. Il contient une clause secrète qui prévoit la partition de la Pologne, l’attribution de la Lituanie à l’Allemagne et celle des autres pays baltes, ainsi que de la Finlande et de la Bessarabie à l’URSS. Le 1er septembre, l’Allemagne envahit la Pologne, provoquant l’entrée en guerre du Royaume-Uni et de la France et le début de la Seconde Guerre mondiale. Le 17 septembre, l’Armée rouge franchit à son tour la frontière polonaise, s’empare des régions orientales et entreprend la soviétisation de la zone occupée. Des centaines de milliers de Polonais sont déportés au goulag. Le 29 septembre enfin, les gouvernements allemand et soviétique signent un traité délimitant leurs zones d’influence en Pologne. Le traité reconnaît la suprématie de chaque puissance dans sa sphère respective et prévoit une résistance commune à toute ingérence extérieure.

Le pacte avec Hitler annonce un tournant de la politique soviétique qui dépasse de loin la question de la connivence germano-soviétique (la question historiographique du jugement porté par Staline sur le régime hitlérien reste à trancher). En effet, à la fin des années trente, l’URSS se préoccupe en premier lieu de la « construction du socialisme « chez elle. Or, le partage de la Pologne orientale constitue la première d’une série d’annexions territoriales qui souligne l’entrée dans une phase plus expansionniste de la politique extérieure du parti-État soviétique. Après la Pologne, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie passent sous contrôle soviétique.

4.2   La guerre contre la Finlande

La guerre contre la Finlande symbolise ce tournant expansionniste. En octobre 1939, le gouvernement soviétique demande à la Finlande de lui céder le territoire de l’isthme de Carélie, au nord-est de Leningrad (aujourd’hui, Saint-Pétersbourg) et de permettre à l’URSS d’établir une base navale à Hanko, qui commande l’entrée du golfe de Finlande. Le rejet finlandais des exigences soviétiques conduit à la guerre russo-finnoise, déclenchée par l’URSS à l’issue d’un incident de frontière, mais jamais déclarée comme telle, ce qui lui vaut son exclusion de la SDN (14 décembre 1939).

Après une vaillante mais vaine résistance, les Finlandais sont vaincus par des forces soviétiques largement supérieures. Selon les termes du traité du 12 mars 1940, Staline obtient gain de cause : annexion des territoires de la Carélie, du port de Vyborg, sans compter d’autres avantages stratégiques et économiques.

4.3   L’expansion dans la Baltique et les Balkans

L’expansion soviétique se poursuit en 1940. Les 15 et 16 juin, l’URSS demande le libre passage de ses troupes et la formation de gouvernements prosoviétiques en Lettonie, en Lituanie et en Estonie. Sans attendre le moindre accord, l’Armée rouge occupe les pays baltes où des gouvernements fantoches, aux ordres, sont mis en place, cependant que les opposants sont éliminés. Début août 1940, le Soviet suprême de l’URSS consacre la transformation des trois pays en Républiques socialistes soviétiques (RSS).

Dans le même temps l’URSS s’étend en direction des Balkans. Confrontée à un ultimatum, la Roumanie est contrainte, en juin 1940, de céder la Bessarabie (région prise à la Russie en 1918) et la Bucovine du Nord. Ces territoires sont ultérieurement intégrés dans la RSS de Moldavie. Enfin, à l’automne 1940, les Allemands établissent un gouvernement aux ordres en Roumanie et garantissent la frontière roumano-soviétique.

Début 1941 cependant, la menace nazie se précisant, l’URSS s’efforce de pacifier son front oriental en mettant un terme aux hostilités avec le Japon. Le 13 avril 1941, les deux pays signent un pacte de neutralité de cinq ans.

4.4   L’invasion allemande

Le 22 juin 1941, Hitler déclenche l’application du plan Barbarossa, à savoir l’invasion de l’URSS. Staline, qui a longtemps refusé de croire à une agression allemande et se voit de plus provoqué par la Roumanie et l’Italie (qui lui déclarent la guerre), est pris au dépourvu. La situation militaire et politique de l’URSS s’en trouve radicalement transformée, la guerre prenant des proportions internationales et le système des alliances évoluant rapidement.

L’Allemagne se bat désormais sur deux fronts, à l’est et à l’ouest, comme lors de la Première Guerre mondiale. D’autre part, la Finlande, la Hongrie, l’Albanie et d’autres satellites de l’Axe déclarent la guerre à l’URSS. Dans ce contexte, l’URSS, victime des forces de l’Axe, se rapproche des adversaires de l’Allemagne. Les États-Unis décident de lui accorder leur aide matérielle. Ce programme, la loi prêt-bail, fournit à l’URSS 12 milliards de dollars en équipement et en nourriture. Après l’entrée en guerre des États-Unis (décembre 1941), les trois puissances s’allient. En janvier 1942 enfin, le pouvoir soviétique et vingt-cinq gouvernements alliés déclarent qu’ils souscrivent formellement au programme et aux objectifs de la charte de l’Atlantique et s’engagent à coopérer dans la guerre contre les puissances de l’Axe.

4.4.1   L’URSS en mauvaise posture

L’assaut des forces de l’Axe contre l’URSS est lancé de l’océan Arctique à la mer Noire. À la charnière de l’été et de l’automne 1941, les Allemands s’enfoncent profondément en URSS, attaquant Leningrad, Moscou et l’Ukraine. L’Armée rouge (4 millions de soldats sous le commandement direct de Staline) chancelle sous les coups de boutoir de la Wehrmacht (5 millions d’hommes). Staline fait déployer des efforts titanesques pour soustraire les usines et les ouvriers à la progression de l’envahisseur et les réinstaller dans l’Oural et en Asie centrale, afin de sauvegarder une partie de l’industrie sidérurgique et de l’armement. Les unités de production qui ne peuvent être déplacées sont rasées au nom de la politique de « la terre brûlée «.

Dans un premier temps, les défaites de l’Armée rouge laissent penser que la Blitzkrieg (« guerre éclair «) allemande aboutira rapidement à une victoire. Avec des centaines de milliers de soldats emprisonnés et blessés, l’URSS paraît à genoux. La situation est d’autant plus préoccupante que, dans les États soumis à une tutelle communiste plus ou moins récente (pays baltes, Biélorussie, Ukraine), les populations hostiles au communisme ou à la récente mainmise soviétique pactisent parfois avec l’envahisseur allemand. De plus, la présence de celui-ci dans les zones occidentales de l’URSS prive cette dernière jusqu’en 1944 de plus de moitié de ses ressources vitales (charbon, fonte, acier, agriculture et élevage).

Les atrocités commises par les Allemands durcissent toutefois la résistance soviétique et la contre-offensive est lancée. L’Armée rouge bloque les Allemands en deux temps : d’abord à Leningrad en septembre 1941 — la ville est toutefois assiégée jusqu’en janvier 1944 et les pertes y dépassent 1 250 000 personnes ; ensuite sur la route de Moscou, en décembre. C’est un coup d’arrêt à l’avancée de l’armée allemande, qui vient de perdre 900 000 hommes en quelques semaines.

4.4.2   La bataille de Stalingrad : une victoire fondamentale

Au sud, les Allemands se sont emparés de l’Ukraine et des terres jusqu’à la Volga, avec l’espoir de couper Moscou et Leningrad du Caucase et de l’Asie du Sud-Ouest (où le pétrole constitue une manne des plus attractives). Mais leur offensive est ici aussi stoppée grâce à la bataille de Stalingrad où la VIe armée de Paulus est vaincue (août 1942 - février 1943). Le mythe de l’invincibilité de l’armée allemande s’effondre. Le mot d’ordre de Staline « Plus un pas en arrière ! « triomphe. La victoire soviétique au « saillant de Koursk«, mémorable bataille de 3 000 chars (juillet 1943), confirme le déclenchement des contre-offensives victorieuses de l’URSS.

Ces deux succès constituent le tournant décisif de la guerre russo-allemande et, plus largement, de la Seconde Guerre mondiale. Prenant alors l’offensive, l’Armée rouge repousse les Allemands vers l’ouest. Les États baltes et l’Ukraine sont libérés au cours de l’été 1944. Les combats continuent en Pologne et en Roumanie ; mais bientôt, la victoire et l’installation de gouvernements pro-soviétiques vont dans le sens des attentes de Staline. D’autres victoires suivent, comme l’annexion de la Finlande et l’entrée en Bulgarie (septembre 1944) — victoires ponctuées par le lancement d’une déportation massive des peuples ayant, selon le Kremlin, collaboré avec les Allemands. Tchétchènes, Ingouches, Tatars de Crimée etc., prennent la route du goulag, dont la population dépasse les 2 millions de personnes après la guerre.

Le 22 avril 1945, les forces soviétiques pénètrent dans les faubourgs de Berlin. Trois jours plus tard, elles font la jonction avec l’armée américaine dans la vallée de l’Elbe. La guerre en Europe s’achève le 8 mai.

4.5   L’éphémère front russo-japonais

Reste le front asiatique : le 8 août 1945, l’URSS déclare la guerre au Japon. Par une suite de mouvements rapides contre une résistance japonaise en miettes, les armées soviétiques occupent la plus grande partie de la Mandchourie, la Corée du Nord, les îles Kouriles et la partie méridionale de l’île Sakhaline. S’appuyant sur ces faits d’armes, l’URSS réclame sa part dans la victoire sur le Japon. Mais surtout, elle contribue à mettre fin à la Seconde Guerre mondiale avec la reddition nippone du 2 septembre.

5   PRIX ET CONSÉQUENCES DE LA GUERRE
5.1   Paradoxes d’un pays épuisé et renforcé

L’Union soviétique sort épuisée de la guerre. Staline tente de minimiser la saignée humaine en reconnaissant seulement 7 millions de morts. En réalité, le pays a perdu entre 27 et 30 millions d’hommes. L’économie soviétique est toutefois rapidement relancée, grâce notamment aux réparations de guerre et à la main-d’œuvre fournie par des millions de prisonniers de guerre allemands. Mais l’industrie révèle vite ses archaïsmes. De même, l’agriculture montre ses faiblesses et se révélera bientôt incapable de nourrir les Soviétiques.

Pourtant, jouissant de l’aura conférée par son rôle dans la victoire alliée et par l’héroïque bataille de Stalingrad, l’URSS sort anoblie de la guerre ; et c’est probablement ce qui compte le plus aux yeux des dirigeants soviétiques. Désormais, ils peuvent s’enorgueillir de jouer un rôle politique international sans comparaison avec celui qu’ils tenaient avant guerre. Quant aux questions intérieures, selon une logique bien rodée dans les années trente, Staline tient l’URSS dans un gant de fer (déjà, pendant la guerre, le Comité central du PCUS n’a été convoqué qu’une seule fois entre 1940 et 1944). Dans l’immédiat après-guerre, d’autres signes illustrent cette situation : outre les déportations politiques déjà évoquées, l’ordre policier est renforcé et les déplacements des peuples Kamoulks, Balkars, Ingouches, Tchétchènes etc., se poursuivent (ils seront d’ailleurs rendus définitifs par un décret de 1948).

5.2   Une nouvelle donne mondiale

En effet, l’épuisement du pays n’empêche pas qu’il se soit étendu vers l’ouest. En outre et surtout, l’URSS est reconnue comme l’une des grandes puissances mondiales. À ce titre, elle tient une place prépondérante dans la politique internationale de l’après-guerre. Dès novembre 1943, Staline participe, aux côtés des dirigeants des États-Unis et du Royaume-Uni, à la conférence de Téhéran. En 1945, il est partie prenante dans celles de Yalta (février) et de Potsdam (juillet-août). Il joue également un rôle moteur dans la fondation de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Au lieu de conclure immédiatement avec l’Allemagne un traité, les puissances victorieuses délimitent temporairement quatre zones d’occupation. La zone orientale est octroyée à l’URSS qui va, en peu de temps, faire en sorte que s’y établissent des gouvernements communistes.

Berlin, haut symbole de la victoire alliée, est enclavée dans la zone soviétique. Mais il est décidé qu’elle restera sous contrôle de l’ensemble des alliés. La ville est donc divisée en quatre secteurs. Sa zone orientale passe sous le contrôle de l’URSS. Pour ce qui est du reste du territoire allemand, la zone située à l’est de la ligne Oder-Neisse est attribuée à la Pologne, et la partie septentrionale de la Prusse orientale revient à l’URSS. Les zones occupées sont censées être administrées comme faisant partie d’un seul pays, fonctionnant selon les principes du libre-échange. Toutefois, les Soviétiques ne tardent pas à instaurer leur propre régime dans leur zone d’occupation.

À partir de 1947, un rideau de fer — selon le mot de Churchill lors de la conférence de Fulton (5 mars 1946) — sépare l’Europe de l’Est, sous domination soviétique, de l’Europe de l’Ouest, et annonce la période de la guerre froide.

6   UN APRÈS-GUERRE SOUS LE SIGNE DE LA GUERRE FROIDE
6.1   Une URSS ambitieuse

Au lendemain de la guerre, Staline bénéficie d’un prestige considérable. En URSS comme à l’étranger, il symbolise la victoire contre le nazisme. Mais le pays est considérablement affaibli. Malgré l’occupation d’un territoire très important, l’armée soviétique est largement dépassée au plan technologique par les États-Unis et le Royaume-Uni. En outre, malgré une reconstruction lancée rapidement, sa capacité industrielle est plus faible qu’en 1941. Chez les dirigeants soviétiques, la conscience de cette situation contribue à alimenter un fort sentiment d’insécurité, qui passe en particulier par la crainte d’une contamination de l’URSS par l’esprit de la démocratie capitaliste occidentale. Aussi Staline, fort du sentiment que le pays est devenu une très grande puissance, adopte-t-il une politique résolument expansionniste passant par la prise de « gages de sécurité « et par l’extension de sa zone d’influence.

Les conflits entre l’URSS et le camp occidental, avec à sa tête les États-Unis, prennent forme dès 1945 au sujet de l’Allemagne occupée et de la composition du gouvernement polonais. Lors de la conférence de Potsdam (1945), les Occidentaux ont accepté sous la pression des Soviétiques de fixer la frontière polono-allemande sur la ligne Oder-Neisse. La question des réparations a également été réglée à la satisfaction de l’URSS : non seulement elle obtient le droit de prélever ce qu’elle veut dans sa zone d’occupation, mais encore un quart de l’équipement des zones occidentales. Aussi, Britanniques et Américains sont-ils surpris lorsque Staline formule de nouvelles revendications territoriales sur la Turquie et sur l’Iran, jugées inacceptables. Certes, l’URSS se retire finalement d’Iran (mars 1946), mais elle maintient la tension en Turquie. Les États-Unis décident d’envoyer un navire de guerre dans les eaux territoriales pour soutenir le refus du gouvernement turc d’accéder aux exigences d’une diplomatie soviétique résolument conquérante.

Le climat international ne cesse plus, dès lors, de se dégrader. Au cœur de cette dégradation se trouvent la « satellisation « des pays est-européens et l’affirmation d’une logique de blocs qui fait s’affronter Soviétiques et Américains.

6.2   Naissance de la guerre froide
6.2.1   La tension s’accentue

Dès 1946, dans sa zone d’influence et d’occupation, l’URSS accepte la mise en place de gouvernements de coalition. Mais, au cours de l’année 1947, l’instauration de régimes de « démocratie populaire « marque une rupture. Les communistes accèdent au pouvoir en Roumanie, en Bulgarie, en Hongrie, dans les pays baltes ; un peu plus tard en Pologne. Seule la Tchécoslovaquie semble encore échapper à une mainmise complète des communistes sur l’appareil d’État. Quant à la Yougoslavie, Tito y règne en maître. Il faut encore évoquer le poids des partis communistes en Italie (PCI) et en France, où le PCF est majoritaire dans les scrutins de l’immédiat après-guerre. Cette situation inquiète les gouvernements occidentaux.

6.2.2   Le temps des blocs

Cette considérable et fulgurante extension de la zone d’influence soviétique accentue la constitution des « blocs «. Celle-ci franchit une nouvelle étape avec la fondation du Kominform, le 22 septembre 1947. Cet organisme, dont le rôle est pensé par Jdanov, est chargé d’assurer la coordination entre les différents partis communistes (est et ouest-européens) et d’opposer, par une stricte discipline prosoviétique, un front commun aux ambitions des États-Unis sur le Vieux Continent, jugées hégémoniques et offensives.

Les Occidentaux interprètent la création du Kominform comme une déclaration de guerre qui confirme la validité de la doctrine du containment (« endiguement «) énoncée par le président américain Harry Truman dans un de ses discours au Congrès, le 12 mars 1946. Pour les États-Unis, une de leurs principales préoccupations consiste dorénavant à endiguer la progression du communisme en Europe et ailleurs, en aidant notamment les pays les plus affaiblis par la guerre (Grèce, Turquie) et en jouant d’une influence accrue par le biais de l’aide économique sur les pays de l’Europe de l’Ouest. Cette orientation se concrétise par le plan Marshall (juin 1946), auquel l’URSS refuse de souscrire.

En 1948, la tension se transforme en guerre froide. De mars 1948 à mai 1949, la confrontation soviéto-occidentale franchit une nouvelle étape avec le blocus de Berlin. Cette crise débouche sur le partage de l’Allemagne et sur la création de la République démocratique allemande (RDA), qui devient un énième satellite de l’URSS. En mai 1948, le « coup de Prague « installe un gouvernement communiste en Tchécoslovaquie, ce qui aggrave encore la tension est-ouest.

Seule la Yougoslavie du maréchal Tito, héros de la résistance aux Allemands, ne mène pas une politique aux ordres de l’URSS. Il est accusé de révisionnisme et rompt avec Staline en juin 1948. Fidèle au marxisme, il libéralise alors quelque peu l’économie et conduit une politique d’ouverture à l’égard des Occidentaux. Il devient la figure emblématique des pays non-alignés durant la guerre froide et l’un des modèles des intellectuels des nouvelles gauches française et européenne.

6.2.3   Du Comecon à la bombe A

En janvier 1949, l’expansionnisme soviétique s’affirme encore à travers la création du Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM), plus souvent désigné sous le sigle anglais Comecon, qui répond à la fondation de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), corollaire du plan Marshall. Le Comecon a pour tâche de favoriser les échanges économiques ainsi que la coopération scientifique et technique entre les démocraties populaires, et d’accélérer leur intégration économique dans une zone sous contrôle de l’URSS. En réponse à cette création, le 4 avril, les puissances occidentales créent l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qui assure aux Européens l’alliance des États-Unis contre toute agression.

La tension atteint alors son apogée, accentuée par les guerres d’Indochine et de Corée et, en 1949, par l’explosion de la première bombe atomique soviétique (bombe A), quatre ans après celle des États-Unis. L’instrument roi de la logique de l’intimidation donne à la guerre froide une dimension plus inquiétante et dramatique encore (même si la possession de cette arme dans les deux camps neutralise de fait les velléités offensives).

6.3   Les relations sino-soviétiques

De la fin de la guerre à la victoire des communistes chinois en 1949, l’URSS se montre très prudente en Extrême-Orient et adopte une politique de conciliation. L’intervention de l’Armée rouge contre le Japon, en août 1945, avait permis aux Soviétiques de rétablir les positions perdues en 1905. Le 15 août 1945, le gouvernement de Tchang Kaï-chek signe un traité avec l’URSS, qui reconnaît la présence soviétique à Port-Arthur (ou Lüshun), à Dairen (aujourd’hui Dalian) et en Mandchourie. Avec l’appui soviétique, cette province devient un État communiste autonome sous la direction de Kao-Kang. Fin 1945, Staline invite les communistes chinois à trouver un accord avec Tchang Kaï-chek, position qu’il réaffirme à plusieurs reprises en 1946-1948.

À partir de l’été 1947, le retournement de la situation politique et militaire en faveur des communistes chinois ne modifie pas fondamentalement cette réserve. Celle-ci est due, pour l’essentiel, à la méfiance viscérale de Staline envers Mao Zedong, et à la menace que représenterait une énorme Chine communiste pour l’hégémonie soviétique exercée sur le monde communiste. Les communistes chinois ne sont d’ailleurs pas invités au Congrès fondateur du Kominform. Il faut attendre la victoire définitive de Mao Zedong pour que l’URSS se rapproche d’eux.

Le 23 novembre 1949 enfin, l’Union soviétique établit des relations diplomatiques avec Pékin et déclare à l’ONU ne plus reconnaître la Chine nationaliste. Mais il faut attendre 1953 et la visite de Boulganine, Mikoyan et Khrouchtchev, pour qu’advienne une association plus étroite entre les deux géants du monde communiste — lien qui restera implicitement concurrentiel.

6.4   Une URSS malade

Stabilisation des relations sino-soviétiques et guerre froide : ces deux éléments ne doivent pas masquer les questions intérieures. Épuisée par la guerre, l’URSS n’est, au tournant des années 1940-1950, dans une situation guère meilleure. La reconstruction est rapide certes : en 1947-1948, l’URSS retrouve ses productions d’avant-guerre pour les secteurs de l’acier, de l’électricité, du ciment, des tracteurs. Mais le pays accumule malgré tout les retards technologiques, et son isolement économique entrave un nouveau décollage de son industrie. Le pays pâtit notamment d’une industrie chimique en extrême retard par rapport à l’Occident. Quant à l’agriculture, le XIXe Congrès de 1953 reconnaîtra a posteriori que le secteur est sinistré.

Sur le plan politique, Staline poursuit sa logique monopolistique et répressive. La refonte de l’appareil d’État lui donne des pouvoirs accrus. Il est secondé par Beria, Malenkov, Boulganine et Khrouchtchev.

La propagande sévit et favorise l’affirmation d’un culte de la personnalité qui assimile Staline à un demi-dieu. La remise au pas intellectuelle et culturelle pensée et dirigée par Jdanov débouche sur une seconde Terreur, la Jdanovchtchina, qui fait exploser la population du goulag et conforte l’isolement international et la condamnation des pratiques policières de l’URSS. De nouvelles purges dans l’armée soulignent la volonté stalinienne d’un total contrôle des lieux potentiels de contre-pouvoir.

Au sein même du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), la logique de la prévention perdure : en 1950, Kouznetsov et Voznessenki, patrons du PCUS à Leningrad sont condamnés. Le rétablissement de la peine de mort en 1949 (trois ans après son abolition) illustre également le retour à une situation d’arbitraires digne des années trente, ce que confirme encore l’affaire du complot des « blouses blanches «, quelques mois avant la mort de Staline (des médecins sont alors accusés d’avoir assassiné Jdanov et de comploter contre la santé des dignitaires du Kremlin).

7   DE STALINE À BREJNEV : LES RÉFORMES DANS L’IMMOBILISME
7.1   Des lézardes dans le système stalinien

Au lendemain de la mort de Staline, le 5 mars 1953, une direction collégiale prend les rênes du pays. L’équipe dirigeante est constituée de Malenkov (secrétaire du Comité central et président du Conseil des ministres), de Molotov (Affaires étrangères), de Beria (Intérieur), de Vorochilov (président du Praesidium du Soviet suprême), de Boulganine et de Kaganovitch (aux postes de vice-premiers ministres). En septembre, Khrouchtchev succède à Malenkov au poste de premier secrétaire du PCUS.

La transition post-Staline ne se déroule pas sans heurts. Des luttes de pouvoir s’affirment rapidement. Beria, l’homme fort de la nouvelle équipe dirigeante, ouvre une ère de réelles réformes. Outre que les purges sont stoppées, il prépare la libération de près de 50 p. 100 des déportés des goulags (printemps 1953). Il fait en sorte que la Pravda et les Izvestia révèlent la tromperie du complot des « blouses blanches « tout en soulignant les tortures subies par les médecins injustement accusés. Il permet également l’arrestation du fils de Staline, Vassili, pour « dissipation des biens de l’État «. Il évoque à demi-mot les méfaits du culte de la personnalité. Il affirme que le parti doit s’éclipser derrière le gouvernement et le laisser travailler. Enfin, il purge lui-même les rouages du système répressif et d’espionnage (exécution d’Abakoumov, chef de la Sécurité d’État, laquelle devient à cette occasion le KGB).

Cette politique, conjuguée à la répression sévère des mouvements critiques qui s’affirment dans le bloc de l’Est (manifestations de Berlin en 1953 en RDA ; maintien du schisme yougoslave), détermine la chute de Beria. Celui-ci est éliminé, à la demande de Khrouchtchev, pour « activités criminelles et contraires au parti «. Jugé en décembre 1953, il est condamné à mort et exécuté.

Plusieurs autres hauts dirigeants, amis de Beria, sont exécutés en 1954. Ce sont les derniers officiels à subir la peine capitale.

7.2   La déstalinisation et le choc du XXe Congrès

Sur l’initiative de Khrouchtchev, qui s’affirme progressivement comme le nouvel homme fort de Moscou, le XXe Congrès du parti (février 1956), marque un tournant en rompant avec le temps du stalinisme le plus dur.

Le rapport Khrouchtchev dénonce en premier lieu le culte de la personnalité. Outre cette critique à très forte charge symbolique, Khrouchtchev accuse Staline « d’arrestations et de déportations massives de milliers de personnes, de l’exécution sans procès et sans enquête d’honnêtes et d’innocents communistes «. Il l’accuse encore d’avoir mal préparé la défense contre l’invasion allemande de juin 1941 et d’avoir mal géré l’effort de guerre, causant la mort inutile de « centaines de milliers de [ nos ] soldats «. Il précise que, « maladivement soupçonneux «, Staline « avait à l’évidence des plans pour achever les anciens membres du politburo «. Il est également rendu responsable de la rupture avec Tito — rupture qui a mis en danger les « relations pacifiques avec les autres nations « et nié la nécessaire reconnaissance de la pluralité des voies menant vers l’établissement du socialisme. Cette dernière option permet la normalisation des relations avec la Yougoslavie (juin 1955). Cette réconciliation entraînera de profondes remises en cause dans les États de l’Europe de l’Est et nourrira une vague révisionniste que l’URSS se hâtera d’endiguer.

Dans un premier temps, les attaques contre Staline et les voies ouvertes par le XXe Congrès choquent profondément l’orthodoxie communiste en URSS et à travers le monde. Durant la campagne de déstalinisation, les portraits de l’ancien chef d’État sont retirés des lieux publics, les institutions et les localités portant son nom sont rebaptisées et les livres d’histoire réécrits. Cependant, le système soviétique ne se libéralise ni subitement ni entièrement, au contraire. Le XXe Congrès est, de ce point de vue, un événement paradoxal : il ouvre la voie à la coexistence pacifique (permise en particulier par la disparition des fronts coréen et indochinois), mais il ne solde pas la prétention de l’URSS à l’hégémonie sur les pays du pacte de Varsovie : fondé en mai 1955, celui-ci repose sur un pacte d’assistance mutuelle en cas d’agression extérieure ; il est le pendant de l’OTAN.

7.3   1956 : les enseignements de Poznan et de Budapest

Au cours des années cinquante, les liens de l’URSS avec les démocraties populaires sont en effet renforcés. Du point de vue économique, le Comecon s’efforce d’intégrer ses différents membres dans une série de « plans « communs : chaque pays se spécialise dans un type de production et réalise des échanges commerciaux avec l’URSS et le bloc de l’Est. Ainsi, en 1952, 80 p. 100 du commerce soviétique s’effectue avec les pays satellites.

En dépit d’une résistance de certains États à ce système supranational (comme la Roumanie qui rejette son statut de pays agricole et producteur de pétrole), de nouveaux liens économiques sont instaurés, notamment à travers la création d’une banque internationale de coopération économique et la construction d’oléoducs qui acheminent gaz et pétrole de la région Volga-Oural jusqu’en Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie et RDA. Certains pays bénéficient, toutefois, d’une relative liberté. C’est le cas de la RDA, à laquelle l’URSS offre une certaine indépendance économique, en 1955. Mais si l’URSS renonce aussi aux dommages de guerre encore dus, c’est pour mieux asseoir sa présence militaire en RDA, sur le front même de la ligne de fracture est-ouest.

Ainsi, les élans libéraux du Kremlin sont-ils très limités et limitatifs. En témoignent avec force, surtout à quelques mois du XXe Congrès, les crises polonaise et hongroise.

Une première crise éclate en Pologne au printemps 1956, deux ans après la fin du pouvoir personnel de Bierut. Le mécontentement populaire et les émeutes de Poznan (juin) aboutissent à la réélection de Gomulka (exclu du parti en 1949). Il initie de vastes réformes libérales (annulation d’une partie de la dette polonaise, octroi de nouveaux crédits, décollectivisation) dans le cadre de la proclamation de la « voie polonaise vers le socialisme «. Pour autant, le maintien initialement « temporaire « de troupes soviétiques sur le sol polonais marque la persistance de liens étroits, qui augurent d’une normalisation progressive symbolisée, douze ans plus tard, par la répression des émeutes étudiantes de Varsovie.

Une seconde crise éclate en Hongrie, en octobre. Le mouvement insurrectionnel hongrois d’octobre 1956 est plus grave et dangereux pour la stabilité du monde communiste. Mené par des ouvriers et des étudiants qui réclament l’indépendance de la Hongrie, il provoque une intervention militaire soviétique (novembre). La répression est sévère : des milliers de personnes sont tuées et emprisonnées. Kádár forme un gouvernement révolutionnaire qui succède à celui de Rakosi. Le nouveau chef du pouvoir hongrois justifie l’intervention soviétique. Après cet épisode, qui vaut à l’URSS une condamnation des puissances occidentales et de l’ONU (plus préoccupées toutefois par la crise de Suez), la Hongrie reste pendant plusieurs années sous étroite surveillance (voir Budapest, insurrection de).

7.4   L’éviction de Khrouchtchev

Ayant ainsi à la fois ouvert la voie des réformes (réhabilitation de certains peuples allogènes, recul du goulag, décentralisation du pouvoir industriel, réforme industrielle favorable à la chimie…) et souligné son attachement à l’intégrité de la zone d’autorité soviétique, Khrouchtchev prend l’ascendant sur le parti et sur le pouvoir, non sans problème nonobstant. Molotov, Malenkov et Kaganovitch sont mis en accusation en juin 1957. En octobre, c’est au tour de l’un des derniers opposants à Khrouchtchev, le maréchal Joukov, d’être mis sur la touche. En mars 1958, Khrouchtchev parachève sa « prise du pouvoir « en remplaçant Boulganine, démissionnaire de son poste de président du Conseil des ministres. Comme Staline, il dispose désormais des deux principaux postes : la direction du parti et celle du gouvernement. C’est la fin de la direction collégiale ; et c’est aussi la fin des heures chaudes de la première guerre froide, puisque le chef du Kremlin rencontre D. Eisenhower à Camp David en septembre 1959, scellant ainsi les grandes lignes de son œuvre sur le plan des relations internationales, en particulier la « coexistence pacifique «.

À l’occasion du XXIe Congrès du parti en 1961, Khrouchtchev tente de relancer la déstalinisation. Il obtient le retrait de la dépouille de Staline du mausolée où il repose aux côtés de Lénine et l’exclusion du parti des staliniens qui s’étaient opposés à lui en 1956-1957. Mais cette déstalinisation a ses limites. Les années soixante voient un recul de l’antistalinisme et un regain de crédit en faveur de Staline, père de l’édification du communisme, du PCUS et vainqueur de la Seconde Guerre mondiale.

À terme, les initiatives réformistes de Khrouchtchev et les crises de la guerre froide lui valent sa place. Dans le procès qui est peu à peu instruit contre lui, on lui reproche, en particulier, ses échecs en matière de politique agraire et industrielle, mais également sa politique extérieure (guerre du Viêt Nam, crise des fusées, question de Berlin). Au lendemain de l’annonce d’un nouveau train de réformes économiques, le 15 octobre 1964, il est relevé de ses fonctions et remplacé par Kossyguine à la présidence du Conseil des ministres et par Brejnev à la tête du PCUS. Un de ses fidèles, Mikoïan, laisse la présidence du Soviet suprême à Podgorny.

7.5   Brejnev, nouveau maître de l’URSS et du bloc soviétique

De 1965 à 1970, Brejnev et Kossyguine travaillent de concert. Sans apporter de transformations radicales dans les grandes options politiques et économiques de l’URSS, ils accomplissent un certain nombre de réformes : autonomie comptable des entreprises, autonomie accrue des kolkhozes pour assurer un meilleur revenu aux agriculteurs, amorce d’une coopération avec l’Ouest lors de la visite de De Gaulle à Moscou (1966), réhabilitation des Tatars de Crimée, signature d’un traité de non-prolifération des armes atomiques (juillet 1968). Pour autant, la tension avec la Chine et la répression du Printemps de Prague (1968) viennent rappeler que les règles du jeu dans l’affirmation du pouvoir soviétique et dans son vœu d’hégémonie sur le monde communiste ne changent pas.

Au lendemain de la répression en Tchécoslovaquie, l’URSS réaffirme son autorité, en particulier sur l’Albanie, la Pologne, la Roumanie (grâce à la pseudo-complicité de Ceauşescu), la Yougoslavie. Brejnev est désormais l’un des principaux maîtres d’œuvre de cette politique de reglaciation. Réélu secrétaire général du parti en 1976, il profite du départ de Podgorny, en 1977 : il cumule dès lors les fonctions de président du Conseil et de président du Soviet suprême. Une nouvelle Constitution est proclamée cette même année, qui substitue la notion d’« État du peuple tout entier « à la « dictature du prolétariat «. Mais, dans les faits, l’URSS reste monolithique et Brejnev, par certains aspects, tente même de recréer à son profit une dynamique de culte de la personnalité rappelant les années staliniennes.

8   L’ÉCONOMIE SOVIÉTIQUE DANS LES ANNÉES 1950-1970

De la mort de Staline aux années soixante-dix, l’URSS tente de rattraper son retard économique, industriel et agricole en suivant les lignes tracées par les plans quinquennaux ou septennaux (comme celui de 1959-1965).

8.1   L’agriculture

L’agriculture collectivisée continue d’occuper une grande partie de la population. Khrouchtchev s’emploie à accroître les rendements agricoles en encourageant l’exploitation de nouvelles terres, en particulier au Kazakhstan, et en favorisant la culture du maïs. Aucune de ces entreprises n’est couronnée de succès. À partir de 1958, une volonté de décentralisation et de partielle libéralisation se fait sentir. La supervision des exploitations agricoles passe de l’administration centrale à 39 conseils régionaux. Les collectivités deviennent propriétaires des machines agricoles (elles les louaient auparavant à des stations techniques), tandis que le cours auquel l’État achète les céréales est relevé pour doper le développement et accroître le niveau de vie des agriculteurs. Malgré ces mesures, les conditions climatiques ajoutées à l’inefficacité du secteur agricole collectivisé et à l’exode rural des jeunes gens vers les villes sont à l’origine de récoltes désastreuses (1963, 1965, 1969, 1972, 1975). Cette situation entraîne un ralentissement de la croissance économique et une augmentation de la dette extérieure, car, pour éviter la famine, l’URSS est contrainte d’importer massivement du blé canadien et américain.

Pour stimuler les rendements agricoles, une série de mesures est prise au cours des années soixante-dix : salaire mensuel pour les agriculteurs, techniques de gestion affinées, usage d’engrais et de machines, développement de l’irrigation. Conformément à la politique de Khrouchtchev, les petits fermiers des kolkhozes sont réunis et l’on cherche à renforcer la capacité de production des sovkhozes (grands centres d’exploitation agricole appartenant à l’État). Ces mesures, associées à des conditions météorologiques favorables, permettent d’obtenir des moissons records en 1973, 1974 et 1976.

À la fin des années soixante-dix, l’agriculture soviétique n’en accuse pas moins un retard technique de plusieurs décennies sur l’Europe de l’Ouest. De ce côté, rien n’est réglé. De fait, l’URSS, depuis 1945, gère avec difficulté une pénurie agricole endémique.

8.2   L’industrie

L’industrialisation rapide, indexée sur les objectifs des plans quinquennaux, fait du pays la deuxième puissance industrielle et militaire au monde. Mais la production de biens de consommation reste à la traîne. Alors que la production industrielle totale de 1957 est 33 fois supérieure à celle de 1913 (74 fois plus pour l’industrie lourde), la production de biens de consommation est multipliée par 13 seulement. Le déséquilibre est évident entre la production industrielle et les effets des progrès économiques sur le bien-être et le quotidien des Soviétiques, soumis à un dur régime de vie.

Malgré ses promesses, le régime de Khrouchtchev n’obtient donc pas de progrès nets. Les conseils industriels régionaux sont alors renforcés (1957, 1962) et certaines entreprises industrielles regroupées. À partir de 1964, les efforts se concentrent sur les industries chimiques de l’engrais, du plastique et du caoutchouc. Néanmoins, les effets produits par l’ensemble des plans de modernisation et de libéralisation des objectifs ne sont pas suffisants pour permettre une véritable mutation de l’économie, toujours fermée aux marchés occidentaux et tenus dans la main de l’État. Certes, entre 1965 et 1969 est mis en place un système de production qui intègre la notion de profit et privilégie les commandes reçues sur la primauté antérieure des quotas gouvernementaux. L’expérience est étendue à l’industrie, à l’agriculture, aux entreprises de transport, du bâtiment et aux communications. Une législation appropriée est adoptée par le Soviet suprême en octobre 1969 : un capital d’exploitation et un budget salarial sont attribués à chaque entreprise, mais c’est à la direction locale de décider de l’utilisation du capital, du versement des salaires (à l’heure ou à la pièce) et de l’octroi de primes. En 1969, un tiers de la production nationale est assurée par des entreprises fonctionnant sous ce nouveau système. Mais cette approche est progressivement abandonnée au cours des années soixante-dix.

9   UNE SOCIÉTÉ FIGÉE ?
9.1   Des efforts couronnés

À partir des années cinquante, le gouvernement soviétique décide, dans de strictes limites idéologiques et non sans parenthèses hautement coercitives, de permettre aux diverses nationalités de l’Union soviétique de participer pleinement à l’épanouissement d’une société communiste unifiée, tout en préservant les traditions de leurs régions natales. Un enseignement est donc mis à la disposition de tous ceux qui suivent la ligne du parti sous forme de cours de jour, de cours du soir, d’« universités populaires « volontaires et de cours par correspondance. Des efforts particuliers sont entrepris pour atteindre les zones les plus reculées où les possibilités d’enseignement sont rares. L’enseignement est dispensé en russe ou dans une des nombreuses langues de l’Union soviétique. Les illettrés reçoivent leurs propres alphabets, dictionnaires et grammaires. En conséquence, l’analphabétisme (près de 70 p. 100 dans l’Empire russe) disparaît presque totalement et une grande partie de la population acquiert des rudiments de culture politique ainsi que les aptitudes techniques nécessaires au développement d’un État industrialisé.

Si l’URSS fait montre d’archaïsme dans bien des secteurs, certaines de ses avancées sont, en revanche, remarquables dans les domaines scientifique et technique. Ainsi, la chimie et la recherche en physique se placent en tête des bilans mondiaux. L’énergie nucléaire (au détriment du stockage en toute sécurité des déchets radioactifs) et l’exploration spatiale sont également des domaines de recherche privilégiés à cause de leur importance stratégique et diplomatique dans le contexte de la guerre froide. Les premiers satellites terrestres, Spoutnik 1 et 2, sont lancés en 1957. De même, le premier voyage autour de la Terre en vaisseau spatial est effectué par un Soviétique, Iouri A. Gagarine, en avril 1961. Au début des années quatre-vingt, la technologie soviétique a produit plus de 30 véhicules spatiaux habités et l’URSS a lancé plus de 1 100 fusées et satellites.

9.2   La mainmise de l’État sur l’art et la culture

La création artistique n’est pas négligée pour autant, même si le carcan idéologique impose de strictes limites aux intellectuels et aux artistes. Les premières années de la révolution avaient vu l’éclosion de l’avant-garde littéraire (Vladimir Maïakovski), picturale (Kazimir Malevitch et le constructivisme) et cinématographique (Sergueï Eisenstein, Aleksandr Dovjenko). Sous Staline, le sens que doivent prendre la culture et la création est déterminé par le diktat du réalisme socialiste élaboré par Andreï Jdanov. Nonobstant cette politique très procédurière, des syndicats sont créés pour les écrivains, les peintres et les autres créateurs. On construit des théâtres et des salles de spectacles  des orchestres et des compagnies de théâtre et de ballet tournent dans toute l’URSS. Au niveau local, les clubs et les maisons de la culture apportent l’art au grand public. Le gouvernement encourage des milliers de groupes amateurs.

On ne saurait pourtant tirer de conclusions hâtivement idylliques de ce tableau. Durant des décennies, les intellectuels et les créateurs déviationnistes ou récalcitrants qui alimentent la dissidence sont persécutés.

Pour l’État soviétique, tous les aspects de la culture doivent contribuer à la construction de la société communiste. Moins sensibles dans le domaine scientifique, même si l’attitude du pouvoir à l’égard du botaniste et agronome Trofim Lyssenko témoigne de l’influence des valeurs politiques sur la vision scientifique, les exigences marxistes affectent le domaine des lettres et des sciences humaines. Les artistes sont contraints de se plier aux canons du réalisme socialiste, exaltation laïque et optimiste du peuple de l’URSS, qui flatte le goût populaire. Cela est vrai en musique (Sergueï Prokofiev et Dmitri Chostakovitch, vivement critiqués pour leur formalisme, sont tenus d’adopter des formes plus simples et plus populaires, même si, dans la seconde moitié des années soixante, le jazz et la musique dodécaphonique reçoivent un accueil favorable), tout comme dans le domaine des beaux-arts et de la littérature.

Après un âge d’or dans les années vingt, l’art moderne et la littérature d’avant-garde, à l’instigation de Staline, sont découragés ; les œuvres d’artistes tels que Marc Chagall, Kazimir Malevitch et Wassily Kandinsky sont interdites.

Sur le plan religieux enfin, bien qu’en théorie la pratique religieuse soit tolérée, il subsiste une forte méfiance de la part du pouvoir à l’égard de toute forme de religion organisée : les offices sont interdits, les fidèles, qui se voient refuser des promotions scientifiques ou professionnelles, sont soumis à la propagande antireligieuse et parfois emprisonnés.

9.3   La dissidence

Un courant peu nombreux mais persistant d’intellectuels, d’artistes, de croyants et de nationalistes dissidents produit malgré tout des manifestes critiques, fait circuler de la littérature clandestine (samizdat) et organise des manifestations pour une plus grande liberté. Un « dégel « dans le contrôle gouvernemental, à l’époque de Khrouchtchev, est suivi par un retour à une politique plus répressive, en particulier après le Printemps de Prague (1968). Des centaines de dissidents accusés d’activités subversives sont révoqués, emprisonnés, internés en psychiatrie ou au goulag. Parmi les plus célèbres figurent l’écrivain Alexandre Soljenitsyne et le physicien Andreï D. Sakharov.

Interdit de publication en Union soviétique en 1968, Soljenitsyne est expulsé d’URSS en 1974. Quant à Sakharov, il n’est pas inquiété pendant longtemps, en raison de sa réputation scientifique. Mais sa dénonciation de l’intervention soviétique en Afghanistan, en décembre 1979 (voir Afghanistan, guerre d’), lui vaut, dès le mois suivant, d’être placé en résidence surveillée à Gorki (aujourd’hui Nijni-Novgorod). Il ne sera autorisé à rentrer à Moscou qu’en décembre 1986, sous Gorbatchev.

La dissidence compte également nombre de Juifs désireux d’émigrer en Israël ; un départ que le gouvernement refuse obstinément, par peur du précédent et pour ne pas perdre des citoyens formés à grands frais. Parmi les dissidents religieux, on trouve également des témoins de Jéhovah, des catholiques lituaniens et des baptistes.

Enfin, au premier rang des dissidents apparaît toute la panoplie des peuples déplacés et déportés entre la fin des années trente et la fin des années quarante ; peuples blessés dans leur intégrité, privés du droit d’exprimer leur différence (malgré les mesures prudentes de la politique d’assimilation décrite précédemment). On s’explique ainsi, aujourd’hui, quel est le poids du passif stalinien et post-stalinien dans la révolte des peuples allogènes revendiquant leur identité et leur droit à l’indépendance, tels les Tchétchènes (voir Tchétchénie, guerres de).

10   LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE 1950 À 1985

Depuis 1945, la politique extérieure de l’URSS se joue sur plusieurs terrains : la diplomatie proprement dite de l’Union soviétique, les liens du parti communiste de l’URSS avec les partis communistes d’autres États, le double rapport de l’URSS avec les pays satellites et de ces États satellites avec le reste du monde. L’articulation entre ces diverses politiques dépend également d’autres variables, et notamment de la politique intérieure soviétique.

Trois grandes questions commandent cette politique extérieure : les relations avec le sinocommunisme, l’expansionnisme vers le tiers-monde, la guerre froide et les relations avec les États-Unis et l’Europe de l’Ouest.

10.1   Les relations avec l’Asie et l’Afrique
10.1.1   Les relations avec la Chine

L’URSS reconnaît le gouvernement communiste de Mao Zedong dès 1949. En 1950 un traité de trente ans est signé. Il prévoit l’octroi par l’URSS de prêts à la Chine au taux de 1 p. 100. Les deux pays apportent leur soutien à la Corée du Nord durant la guerre de Corée (1950-1953). À la fin des années cinquante, leurs relations semblent toujours aussi étroites, et le commerce entre l’URSS et la Chine atteint 2 millions de dollars par an. Pourtant, au cours des années soixante, leurs rapports se détériorent peu à peu, à cause d’un désaccord idéologique sur l’interprétation du marxisme, en particulier en ce qui concerne la révolution dans les pays en voie de développement, secteur qui aiguise les appétits de deux empires engagés l’un et l’autre dans une lutte d’influence au sein du monde communiste ou néo-communiste.

En 1959, le refus soviétique d’aider la Chine à développer sa puissance nucléaire témoignait déjà d’une concurrence exacerbée qui renvoie, en amont, à la question de la souveraineté sur les territoires frontaliers de la Mandchourie (la Chine, se fondant sur des traités de 1858 et 1860, affirme son autorité sur cette zone). Gagnant en intensité, le conflit menace de briser la paix entre les deux pays. Après la rupture idéologique de 1963, les affrontements de brigades frontalières en 1969 jettent une nouvelle ombre sur la politique soviétique. Trois ans plus tard, la visite en Chine en 1972 du président américain Richard Nixon inquiète l’URSS, qui craint alors un rééquilibrage des forces et du jeu diplomatique en faveur de son voisin. Malgré les efforts soviétiques pour améliorer les relations sino-soviétiques après la mort de Mao en 1976, la rivalité persiste. Les Chinois, qui encouragent les démocraties populaires à revendiquer plus d’indépendance, reconnaissent le Marché commun européen et se tournent vers l’Occident pour obtenir une aide économique.

Il faut attendre 1979 pour que reprennent les négociations sino-soviétiques ; puis 1982 pour qu’elles aboutissent, après une éclipse en 1980.

10.1.2   Les relations avec les autres pays d’Asie

Dès 1950, l’URSS reconnaît les forces communistes de Hồ Chí Minh au Viêt Nam. En 1954, elle participe aux accords de Genève qui scindent le pays entre le Nord et le Sud. L’Union soviétique continue à soutenir le Nord communiste. Lorsque la guerre du Viêt Nam s’amplifie au cours des années soixante, elle prend part au conflit en armant la guérilla anti-américaine. Après la victoire du Viêt Nam-du-Nord, l’Union soviétique lui apporte son soutien dans son conflit avec la Chine.

Les relations des Soviétiques avec les autres pays d’Asie sont tantôt amènes, tantôt agressives. En 1966, Kossyguine, dans un souci de politique pacifique, règle une nouvelle phase du conflit opposant l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire. Durant le conflit indo-pakistanais de 1971 qui suit la constitution du Bangladesh, l’URSS soutient l’Inde qui remporte la victoire (la Chine et les États-Unis soutenant la cause pakistanaise).

En dépit de relations normales avec le Japon, le traité de paix mettant fin à la Seconde Guerre mondiale n’a jamais été signé, car l’Union soviétique refuse de rendre au Japon les îles Kouriles, positions stratégiques acquises en 1945.

Mais l’un des épisodes les plus marquants de la politique asiatique de l’URSS, aux portes mêmes de ses frontières, est la guerre d’Afghanistan. En décembre 1979, en pleine période de reglaciation des relations est-ouest et pour remettre en selle un gouvernement pro-soviétique, Brejnev envoie un corps expéditionnaire prendre d’assaut le palais présidentiel de Kaboul. Malgré la condamnation immédiate de cette action par le reste du monde et par l’ONU, les troupes soviétiques demeurent sur le territoire afghan et y mènent durant près de dix ans une guerre dont on peut juger qu’elle était perdue d’avance. En 1989, la conflit s’achève avec le retrait unilatéral des Soviétiques, incapables de contrôler un pays miné par une guérilla soutenue par le Pakistan et, en amont, par les États-Unis.

10.1.3   Les relations avec l’Afrique

À partir de la conférence de Bandung (1955), la politique africaine de l’Union soviétique répond à une logique simple : prendre pied, à mesure que le continent africain accède à la décolonisation, dans le plus de pays possible, qui sinon seraient susceptibles de rejoindre le camp des non-alignés. Au cours des années soixante, l’URSS subit plusieurs revers notables qui montrent les limites de ses ambitions impérialistes. Au Congo, le Premier ministre soutenu par les Soviétiques, Patrice Lumumba, est tué lors d’un soulèvement en 1961, tandis qu’au Ghana, Kwame Nkrumah et son gouvernement communiste sont renversés en 1966, et les techniciens soviétiques expulsés.

Durant les années soixante-dix, avec l’aide de troupes cubaines, l’URSS place toutefois des alliés au pouvoir en Angola et au Mozambique. Elle soutient le Front patriotique anti-gouvernemental en Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe) et des groupes rebelles en Afrique du Sud. Cette politique d’aide ou de déstabilisation des pays en voie de développement inquiète l’Occident, qui y voit une nouvelle forme d’impérialisme et une tactique permettant à l’URSS d’accroître sa puissance dans une Afrique et un Moyen-Orient devenus stratégiques du fait de la place prise par la manne pétrolière dans l’économie mondiale.

Dans le même ordre d’idées, l’Union soviétique établit d’étroites relations avec l’Égypte durant les années cinquante et soixante. Elle apporte subsides et soutien lors de la nationalisation du canal de Suez en 1956. Elle aide, financièrement et techniquement, à l’édification du barrage d’Assouan et s’engage plus encore après 1967, ayant rompu ses relations diplomatiques avec Israël à l’issue de la guerre des Six-Jours. En 1971, les deux pays signent un traité d’amitié de quinze ans. L’année suivante cependant, l’Égypte ordonne à tous les conseillers militaires soviétiques de quitter le pays. Les critiques formulées par l’URSS à propos de la visite à Jérusalem du président égyptien Anouar al-Sadate en 1977 attisent encore le ressentiment de l’Égypte. En décembre 1977, Sadate ordonne à l’Union soviétique de fermer ses consulats. Au Soudan et en Somalie, l’URSS subit des revers de même nature.

10.2   Les relations avec le camp occidental

L’ensemble de la politique extérieure soviétique est cependant, et avant tout, déterminée par l’évolution des relations entretenues avec les États-Unis et le camp de l’OTAN. Périodes de crise aiguë et de détente se succèdent jusqu’au tournant gorbatchévien de 1985-1989.

10.2.1   Les relations avec les États-Unis : l’épisode cubain

Après les épisodes tendus de la guerre froide autour de la guerre en Corée et, indirectement, autour de la question indochinoise, la période de la coexistence pacifique assure une détente des relations est-ouest, que vient seulement perturber l’édification du mur de Berlin en 1961. Mais, en 1962, lors de la crise des fusées, la tension redevient paroxystique.

L’URSS entretient alors d’étroites relations avec le gouvernement révolutionnaire cubain de Fidel Castro, lui ayant notamment promis son aide en cas d’attaque des États-Unis. C’est en partie pour contrer cette implantation provocante que les États-Unis soutiennent le débarquement de la Baie des Cochons en 1961, dans l’espoir de renverser le régime castriste et d’éradiquer la présence communiste dans les Caraïbes. Mais en 1962, alors que les relations entre l’URSS et les États-Unis ont déjà été dégradées par l’affaire du U2 (un avion américain a été abattu en mai 1960 au-dessus du territoire soviétique par l’Armée rouge), l’URSS équipe des bases cubaines de missiles d’attaque. Le président américain John F. Kennedy exige leur retrait (octobre) ; Khrouchtchev cède : la crise des fusées constitue un des sommets de la guerre froide et les analystes s’entendent à dire que c’est probablement à cette période que le monde a le plus frôlé le précipice, à deux doigts de plonger dans une troisième guerre mondiale, une guerre nucléaire.

La crise apaisée, la coopération entre conseillers et soldats soviétiques et cubains se poursuit, au grand dam des États-Unis (mais avec une orientation plus impérialiste que provocatrice), puis Cubains et Soviétiques soutiennent ensemble des régimes marxistes, comme en Angola en 1976.

10.2.2   La question cruciale du contrôle des armements

Mais dès avant la crise cubaine, l’URSS et les États-Unis ont pris langue autour de la question essentielle du désarmement. En 1954 puis en 1959, l’Union soviétique propose un désarmement total. Cette proposition échoue lorsqu’elle s’oppose aux dispositions de vérification des accords. En 1960, elle annonce une réduction d’environ un tiers de sa puissance militaire et en demande autant au camp adverse. Toutefois, les nations occidentales refusent de suivre une telle proposition sans que l’URSS accepte les contrôles. L’année même, Khrouchtchev se retire de la conférence au sommet de Paris sur la sécurité européenne et la question de Berlin au prétexte du scandale de l’affaire du U2.

Le problème de la limitation bilatérale des armements reste pourtant crucial et c’est autour de la question de la non-prolifération nucléaire que l’URSS accepte enfin de négocier. En 1963, l’année même où est installé le « téléphone rouge « entre la Maison-Blanche et le Kremlin, l’URSS signe un accord avec les États-Unis et le Royaume-Uni interdisant tous les essais nucléaires à l’exception des essais souterrains. Elle rejoint également les États-Unis en acceptant de garder l’espace dépourvu de tout armement. En 1968, l’URSS signe cette fois un traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (avec la Grande-Bretagne et les États-Unis) et rouvre la porte aux négociations directes. En témoignent la visite de Richard Nixon à Moscou en 1972, puis la rencontre Brejnev–Ford au sommet de Vladivostok (1974). Dans la même logique, une série de pourparlers sur la limitation des armes stratégiques (dits accords « Salt «) entre les deux superpuissances, entamés en novembre 1969 à Helsinki aboutissent à des accords en mai 1972, novembre 1974 et mai 1976 notamment, qui tous limitent le nombre de missiles et de sites de tir.

10.2.3   Hauts et bas de la détente

Du reste, les progrès de la détente ne vont pas sans à-coups ni retours en arrière. Ainsi en va-t-il de la période 1968-1975, depuis le Printemps de Prague (1968) et de l’intervention militaire soviétique qui s’ensuit jusqu’à la guerre du Viêt Nam qui fait resurgir le spectre d’un conflit est-ouest. De même, la condamnation internationale (américaine en premier lieu) de l’intervention soviétique en Afghanistan marque une relance de la guerre froide (dite deuxième guerre froide) au tournant des années 1970-1980 ; temps de crise symbolisé par le boycott des jeux Olympiques de Moscou par les puissance occidentales (1980) et, plus prosaïquement, par l’embargo américain sur le blé à destination de l’URSS (embargo levé par Ronald Reagan en avril 1981).

Ainsi, si plusieurs accords américano-soviétiques prévoient la coopération dans les domaines de la recherche sanitaire, de la protection de l’environnement, de la science et de la technologie, de la culture, de la conquête de l’espace, de la prévention des accidents maritimes et de la limitation des armements, la tension menace toujours de resurgir, surtout dans les dernières années du règne brejnévien. Cette tension est alimentée par les controverses internationales qui touchent à la situation de crise dans la Pologne de Solidarité (au début des années quatre-vingt, on y craint une intervention soviétique, comme en Hongrie et en Tchécoslovaquie), au sort réservé aux dissidents (sujet devenu plus sensible après la parution en Europe de l’Archipel du Goulag, de Soljenitsyne, en 1974, puis en 1977, avec la polémique suscitée en Europe par l’action de la Charte 77) et enfin à l’épineuse question israélo-égyptienne.

Mais en dépit de ces tensions, les Soviétiques et les Américains parviennent à un accord sur un nouveau traité, Salt II, en mai 1979, et Leonid Brejnev rencontre le président Jimmy Carter à Vienne pour la signature officielle un mois plus tard. L’intervention armée des Soviétiques en Afghanistan en décembre 1979 empêche toutefois la ratification de l’accord par le Congrès américain. De part et d’autre du rideau de fer, le duel des missiles SS 20 et Pershing II rappelle que la guerre froide n’est pas morte.

Il faut attendre l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev (1985) pour que l’URSS entre réellement et durablement dans une logique de vraie détente. Le pays n’a plus alors ni l’envie ni les moyens de se maintenir dans l’état de tension et de sacrifices (financiers) qu’impose depuis près de quarante ans la concurrence stratégique, militaire et diplomatique avec les États-Unis.

10.2.4   Les relations avec l’Europe de l’Ouest : la polarisation allemande

Dès la fin des années quarante, les relations de l’URSS avec l’Europe de l’Ouest sont surdéterminées par celles qu’elle entretient avec les États-Unis, ce d’autant plus que le front « hypothétique « d’une guerre conventionnelle (non nucléaire) américano-soviétique se trouve au cœur même de l’Europe, sur la ligne de partage du rideau de fer. La question allemande, fondamentale, se trouve donc au centre des relations entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est.

En 1955, les relations diplomatiques sont rétablies avec la République fédérale allemande (RFA). Mais le miracle économique allemand, perçu par Moscou comme un aimant déstabilisateur pour la République démocratique allemande (RDA), ajouté à l’Ostpolitik du ministre des Affaires étrangères (et futur chancelier) Willy Brandt, augmentent les malentendus politiques entre l’URSS et la RFA. Au centre de la question allemande, l’édification du mur de Berlin, en 1961, caractérise cette instabilité. Il faut attendre le début des années soixante-dix pour que les deux pays signent un traité rejetant l’usage de la force pour régler les conflits et reconnaissant les frontières européennes. En 1973, la reconnaissance réciproque des deux gouvernements allemands tend à amoindrir encore les tensions. Nonobstant, la question des relations avec l’Europe de l’Ouest reste indexée à la prééminence des relations soviéto-américaines.

11   LE CHANT DU CYGNE (1985-1991)
11.1   L’intermède post-brejnévien

À la mort de Leonid Brejnev (novembre 1982), Iouri Andropov, ancien chef du KGB (Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti, « comité pour la sécurité d’État «) et ambassadeur en Hongrie, lui succède au secrétariat général du parti et à la tête de l’État, poursuivant ainsi la tradition établie depuis Staline.

Andropov maintient l’action militaire en Afghanistan. Il oppose son veto au principe de l’option « zéro « (armement) proposée par les États-Unis. Il ne libéralise pas la société. Le temps de l’affaire du Boeing du Korean Airlines (un avion de ligne abattu par l’armée soviétique en août 1983), il fait même chanter de nouveau les sirènes de la guerre froide, en accusant les Occidentaux d’avoir provoqué cet incident pour mettre l’URSS en accusation.

Mort à l’issue d’une longue maladie le 9 février 1984, Andropov est remplacé par Konstantin Tchernenko, qui s’arroge aussitôt les deux pouvoirs suprêmes, mais décède à son tour le 10 mars 1985. Le 11 mars, Mikhaïl Gorbatchev, proche conseiller d’Andropov et âgé de seulement 54 ans, accède à la tête de l’URSS et ouvre l’ère d’une longue et difficile transition.

11.2   Les années Gorbatchev
11.2.1   Glasnost et perestroïka

Après avoir assuré son pouvoir en changeant les membres du Politburo, Gorbatchev lance une campagne destinée à réformer la société soviétique. Ses mots d’ordre sont : perestroïka (« restructuration «) de l’économie nationale et glasnost (« transparence «) dans les affaires politiques et culturelles. Lors de la XIXe Conférence du parti en juin 1988, il propose une série de réformes constitutionnelles qui doivent transférer le pouvoir du parti à des représentants élus par le peuple, réduire le rôle du parti dans la gestion de l’économie locale et accroître largement le pouvoir du président. Trois mois plus tard, Andreï A. Gromyko démissionne du poste de président qu’il occupait depuis 1985. Gorbatchev lui succède et dispose dès lors d’une plus grande latitude pour réformer la société soviétique.

Les initiatives qu’il prend entre 1985 et 1990 (suppression du parti unique, nouvelle loi électorale, démocratisation de la presse, amorce d'une réforme économique reconnaissant le rôle du marché et de la propriété privée, lutte contre l'alcoolisme, etc.) rencontrent de vives résistances. En mars 1989, les électeurs soviétiques participent à leur première élection nationale depuis 1917 et désignent le nouveau Congrès des députés du peuple. À son tour, celui-ci se réunit en mai pour élire le Soviet suprême et Gorbatchev pour un mandat présidentiel de cinq ans. Ce dernier accroît alors l'autorité de la présidence soviétique et transfère le pouvoir du parti communiste aux assemblées législatives élues dans les républiques de l'Union.

Gorbatchev rencontre de grandes difficultés internes sur le plan politique, économique et social. L’accident nucléaire de Tchernobyl d’avril 1986 et le tremblement de terre arménien de 1988 (25 000 morts et 400 000 sans-abri) ralentissent son action ; mais peu, relativement à ses audaces et à sa popularité internationale qui ne cesse de croître et lui vaut en octobre 1990 le prix Nobel de la paix, qui confère une aura nouvelle à son action.

Mais tout autant que les réformes intérieures qui ouvrent la voie à la démocratisation de l’URSS, cette distinction couronne son énergique travail en faveur du dégel et de l’éclatement du carcan communiste qui pèse sur l’Europe de l’Est.

11.2.2   L’homme du dégel

Gorbatchev commence par solder la question afghane, boulet économique et bourbier militaire qui mécontente la population. Peu après l’accord sur le retrait soviétique (avril 1988), des chiffres officiels publiés indiquent que 13 310 soldats soviétiques ont été tués et 35 478 blessés. Le retrait s’achève en février 1989 ; et, en octobre, l’URSS reconnaît que la guerre d’Afghanistan a constitué un viol des « règles de bon comportement «.

Parallèlement à cette démobilisation qui met fin à une des dernières actions expansionnistes de l’URSS brejnévienne, Gorbatchev tient, entre 1985 et 1990, une série de conférences au sommet avec les présidents américains Ronald Reagan, puis George Bush. Lors d’une rencontre Reagan-Gorbatchev à Reykjavik (Islande), en octobre 1986, les deux chefs d’État échangent de nouvelles propositions de réduction des armements. Les négociations achoppent sur la demande soviétique de limiter la recherche et les essais de l’Initiative de défense stratégique (IDS).

Cependant, en décembre 1987, les deux présidents signent un accord qui élimine les missiles à moyenne portée et certains missiles à courte portée. En mai 1990, Gorbatchev et Bush paraphent un traité qui met fin à la production d’armes chimiques et réduit les arsenaux déjà existants et, en juillet 1991, ils signent le traité START I qui prévoit une réduction de 25 p. 100 environ des têtes nucléaires.

Mais les initiatives gorbatchéviennes dépassent la seule question du règlement du contentieux soviéto-américain et la mise au ban de la guerre froide. Ainsi, en décembre 1988, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, Gorbatchev annonce une réduction unilatérale des forces conventionnelles, notamment en Europe de l’Est et le long de la frontière sino-soviétique. Puis, en mai 1989, lors de la visite à Pékin du dirigeant soviétique, la Chine et l’URSS renouent des relations normales après une éclipse de trente années. En décembre suivant, lors d’une entrevue avec le pape Jean-Paul II, à Rome, Gorbatchev promet le retour à la liberté de culte. Les relations diplomatiques avec le Vatican sont rétablies. La levée des restrictions à l’émigration juive vers Jérusalem permet le réchauffement des relations avec Israël. Enfin, décision hautement significative soulignant l’évolution de la géostratégie depuis l’arrivée de Gorbatchev au Kremlin, l’URSS s’associe aux forces de l’OTAN lors de la guerre du Golfe.

11.3   La dislocation de l'URSS et du bloc soviétique

Au nombre des ruptures radicales avec l’ancienne politique soviétique figure le refus de l’URSS d’intervenir en Europe de l’Est lorsque les révolutions démocratiques de 1989, dont Gorbatchev est l’un des principaux inspirateurs, balaient en quelques mois les État-partis nés dans l’orbite de l’URSS après la Seconde Guerre mondiale.

La levée du veto à l’adhésion de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN (juillet 1990), puis, coup sur coup, les dissolutions du pacte de Varsovie (25 février 1991) et du Comecon (28 juin 1991) participent également de la volonté gorbatchévienne de faire sortir l’URSS de l’ornière de soixante-dix ans de communisme et de repli sur soi-même.

Il convient également de souligner l’importance d’un geste à haute valeur symbolique, qui permet d’ouvrir le débat sur la nature du régime soviétique et ses pratiques : l’amorce d’une ouverture des archives publiques et la reconnaissance du massacre de Katyn (1990).

En outre, l’État soviétique n’est pas à l’abri des forces qui renversent les régimes d’Europe de l’Est et Gorbatchev lui-même aura à en souffrir.

En février 1990, alors que l’économie soviétique se dégrade rapidement, le PCUS accepte d’abandonner le monopole du pouvoir politique. Cette évolution et le succès des forces d’opposition lors des scrutins qui suivent entament le crédit dans le pays d’un Gorbatchev qui s’affronte, sans résultats probants, à la profonde crise socio-économique que connaît l’URSS et aux élans sécessionnistes de plusieurs républiques. Le 11 mars, la Lituanie proclame son indépendance, défiant Moscou et ses menaces de sanctions, qui se révèlent réelles, puisque des chars débarquent le 23. Cependant, des mouvements nationalistes et indépendantistes ou autonomistes touchent d’autres Républiques (Estonie, Lettonie, Ouzbékistan, Arménie, Ukraine, Biélorussie, Géorgie) et des explosions de violence xénophobe se multiplient (contre les Arméniens d’Azerbaïdjan, contre les Russes du Tadjikistan). En novembre 1990, Gorbatchev, dont la cote de popularité s’effondre (il a été hué lors du traditionnel défilé de la place Rouge le 1er mai) tente à nouveau d’augmenter ses prérogatives exécutives en tant que président de la République et de mettre en place un nouveau train de réformes politiques et économiques.

Aux premiers jours de 1991, l’URSS vit une profonde tourmente. En janvier-mars, la crise balte bat son plein et les populations autochtones se déclarent en faveur de l’indépendance. En mars, tandis que la Géorgie fait sécession, neuf des quinze Républiques acceptent de participer à un référendum sur l’organisation d’une « Union rénovée «. Enfin, le Premier Mai, la fête du travail n’est pas célébrée. Tous ces facteurs valent son poste de président à Gorbatchev, auquel Boris Eltsine succède le 12 juin. Il poursuit cependant activement sa diplomatie de détente avec les États-Unis.

Le 19 août au soir, un communiqué de l’agence TASS annonce qu’« incapable d’assumer ses fonctions pour des raisons de santé «, Gorbatchev est remplacé par G. Ianaev. En fait, Gorbatchev vient d’être victime d’un putsch fomenté par un groupe de communistes irréductibles comprenant de nombreux officiers de haut rang. Il est placé en résidence surveillée. Menés par le président Boris Eltsine, les réformateurs, s’appuyant sur un fort soutien populaire anti-putschiste, réussissent à maîtriser le coup d’État et commencent à démanteler l’appareil du parti.

Avec une URSS au bord de l’explosion, le Congrès des députés du peuple accepte, le 5 septembre, d’instaurer un gouvernement de transition au sein duquel un Conseil d’État, dirigé par Gorbatchev et comprenant les présidents des Républiques participantes, exercerait des pouvoirs d’exception. Le lendemain, le Conseil reconnaît l’indépendance totale des trois pays Baltes. Le 17 décembre, Gorbatchev et Eltsine annoncent que l’URSS cessera d’exister avant la fin de l’année. Le 21, l’URSS cesse formellement d’exister, lorsque les représentants des douze Républiques restantes (l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Moldavie, la Russie, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Ukraine et l’Ouzbékistan) acceptent, lors du sommet d’Alma-Ata (Kazakhstan), de former la Communauté des États indépendants (CEI). Gorbatchev démissionne le 25 décembre et le Parlement soviétique reconnaît la dissolution de l’URSS le 26, mettant ainsi fin à soixante-quatorze ans de régime communiste.

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