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« Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ! »

Publié le 16/10/2010

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Les hommes ont communiqué entre eux selon différents codes et ils rencontrent fréquemment des problèmes dus à la communication. La phrase suivante: « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde ! « résume la pensée de l'écrivain français Albert Camus. Cet écrivain en marge des courants philosophiques n'a jamais énoncé de tels propos; pourtant, ils lui sont attribués comme un abrégé de sa pensée. Une pareille maxime soulève plusieurs interrogations. En premier lieu, qu'est-ce que “bien nommer  les choses “ ? Les mots « mal « et « choses « restent toujours passablement abstraits. Il est également intéressant de s'interroger sur le sens inverse de cette phrase: est-ce que le fait d'avoir une communication claire et précise donc de “bien  nommer les choses”, contribue au bien ?

 

Mal nommer les choses peut être interprété comme une erreur de communication, intentionnelle ou non. On peut aussi comprendre cela comme une erreur de vocabulaire, axée sur le choix et la précision des mots. L'exemple le plus flagrant démontrant cette citation est le nombre incalculable de quiproquos provenant d'une imprécision, d'un manque de communication, qui se faits divers transforment en, entraînant avec eux rixes, procès. Ces erreurs peuvent se révéler beaucoup plus graves entre états souverains car leurs conséquences se manifestent sous des formes plus tragiques.

Il peut être important de garder une grande précision lorsque les sujets de communication se révèlent plus dramatiques. Effectivement, lorsqu'ils ont pour objets les différents crimes de guerres, eux-même innommables, il serait judicieux de surveiller le vocabulaire utilisé sous peine de voir disparaître ces crimes abominables parmi les autres crimes. Ainsi, il est impossible de comparer la Shoah avec un autre crime. Sortir les mots de leurs contextes présente le risque de dénaturer le sens originel du mot. On peut illustrer ce fait par l'usage inapproprié du mot drame par exemple, en disant: « il m'est arrivé un drame hier, j'ai loupé le bus ! «. Cela ne constitue pas réellement un drame pourtant nous l'avons appelé ainsi et ce mot perd alors son sens exceptionnel et surtout tragique.

 

Et que penser lorsque “mal nommer les choses” est pratiqué comme une déformation de la réalité, un mensonge ? Bien nommer les choses en s'attardant sur le sens des mots témoigne que le destinateur du message possède une ouverture sur l'autre pour prendre le temps d'être clair et précis ou alors d'employer les bonnes fonctions du langage en insistant sur son message ce qui peut approuver la citation; mal nommer les choses représente un enfermement sur soi-même.

 

Au fait, est-ce que le malheur du monde repose réellement sur un problème de langue ? La citation l'acquiesce, cependant, bien d'autres facteurs influent sur le malheur ou le bonheur du monde. En effet, n’est-ce pas conférer beaucoup de pouvoir au langage et ainsi négliger les actes ou même le hasard. De plus, cette citation semble poser le postulat qu’il n’y aurait qu’une seule et unique façon de nommer les choses mais c’est oublier la diversité des moyens de communication tels les différents arts qui au lieu de nommer les choses se contentent de les suggérer. Ceci est valable en poésie mais aussi en peinture où l'auteur d'un tableau abstrait  joue avec les sentiments du spectateur. Pour soutenir cet exemple, on peut citer l'oeuvre du peintre russe Wassily Kandinsky peignant des tableaux abstraits à partir de morceaux de musique et arrivant à retranscrire les émotions que la musique provoque. De même en poésie chaque mot a son importance et où les règles étayent l’oeuvre, l’ensemble des contraintes contribue à transmettre une autre réalité. Charles Baudelaire illustre les précédents propos lorsqu’il écrit : “C'est le propre des oeuvres vraiment artistiques d'être une source inépuisable de suggestions.”.

 

L’usage d’un vocabulaire restreint ne se révèle pas si tragique dans le théâtre absurde. Ainsi, on le remarque chez Samuel Beckett, écrivain anglais qui a composé son oeuvre en français En attendant Godot bien que cette langue ne soit pas sa langue maternelle. A l'inverse, dans la vie réelle, lorsque l’on ne peut communiquer efficacement, les conséquences peuvent être handicapantes. Pour illustration, le documentaire La forteresse dans lequel des requérants d'asile qui ont déjà tant enduré pour arriver à destination, peinent à s'exprimer convenablement ce qui augmente leurs problèmes.

 

Bien nommer les choses peut donc être interprêté comme une attention particulière lors de la communication. Il est difficile d'énoncer que le fait de bien nommer les choses contribue au bonheur; cependant, bien des fois, l'inverse conduit au malheur. En conclusion, on peut affirmer que la formule attribuée à Albert Camus ne peut pas être appliquée à chaque situation. Est-ce que le fait de rester abstrait, mystérieux lorsque l’on communique  n’est pas une piste à explorer pour laisser une plus large part aux sentiments ?

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