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Mann, Docteur Faustus (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Mann, Docteur Faustus (extrait). La vie d'Adrian Leverkühn, musicien novateur, racontée par son ami d'enfance Serenus Zeitblom, donne l'occasion à ce dernier d'envisager les rapports qu'entretient l'artiste avec son oeuvre. Considérant que Leverkühn a dépassé son maître, le compositeur Kretzschmar, le narrateur, derrière lequel on devine la présence de Thomas Mann, expose sa conception de l'art sous la forme d'un essai « fictionnalisé « : le roman affirme ici sa polyvalence, qui mêle l'histoire d'un destin exceptionnel et le commentaire philosophique et esthétique. Le Docteur Faustus de Thomas Mann Un maître est la conscience personnifiée de son disciple, il le confirme dans ses doutes, motive pour lui son mécontentement, stimule son désir de perfectionnement. Mais un élève comme Adrian n'avait au fond pas besoin d'un mentor et correcteur. Il apportait ses ébauches à seule fin d'entendre formuler ce que déjà il savait et s'amuser ensuite de la compréhension artistique du professeur absolument d'accord avec la sienne -- la compréhension artistique, il faut mettre l'accent sur le terme qui en somme régit l'idée de l'oeuvre -- non point l'idée d'une oeuvre, mais l'idée de l'opus même, de la création en général, qui forme un tout, objective et harmonieuse. Elle est, cette compréhension, l'impresario de l'ensemble, de son unité organique, elle recolle les déchirures, bouche les trous, canalise ce « flot naturel « inexistant au début et donc nullement naturel mais effet de l'art -- bref elle produit rétrospectivement et indirectement l'impression de l'immédiat et de l'organique. Dans toute oeuvre, il entre une grande part d'apparence, on pourrait hasarder qu'elle est une apparence en soi en tant qu'« oeuvre «. Elle a l'ambition de faire croire qu'elle n'a pas été fabriquée mais que telle Pallas Athéna elle a jailli de la tête de Zeus, parée de ses armes ciselées. Illusion. Jamais oeuvre n'a connu de génération spontanée. Elle est faite de travail, de travail artistique en vue de l'apparence -- et l'on se demande à présent si étant donné l'état actuel de notre conscience, de notre sens de la vérité, ce jeu est encore licite, encore intellectuellement possible, si l'on peut encore le prendre au sérieux, si l'oeuvre en tant que telle, comme création se suffisant à elle-même et harmonieusement fermée sur elle-même, offre encore un rapport légitime avec l'incertain, le problématique et l'absence d'harmonie de nos actuelles conditions sociales, si toute apparence, fût-ce la plus belle, et précisément la plus belle, est devenue aujourd'hui un mensonge. On se le demande, dis-je. J'entends par là : j'ai appris à me le demander dans la fréquentation d'Adrian dont l'acuité de vision ou, si l'on peut risquer le mot, l'acuité de perception dans cet ordre d'idées était irréductible. [...] Je lui ai entendu dire : -- L'oeuvre d'art ? Un leurre. Une chose dont le bourgeois voudrait qu'elle existe encore. Elle va à l'encontre de la vérité et du sérieux. Authentique et sérieux, seul l'est ce qui est très bref, l'instant musical concentré à l'extrême. Source : Mann (Thomas), Docteur Faustus, trad. par Louise Servicen, Paris, Albin Michel, 1950. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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