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Marc-Aurèle, Pensées Pour Moi-Même

Publié le 18/10/2010

Extrait du document

Dans ce texte extrait des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle (121-180) développe les thèmes du temps, de la mort et de son angoisse. Pourquoi la crainte de notre propre mort est, selon Marc-Aurèle, complètement infondée ? L’Empereur y répond par deux thèses ; la première dit que, ne possédant que l’instant, c’est l’unique chose que nous pouvons perdre en mourant. La seconde que cet instant n’est pas une perte regrettable puisque toutes les choses sont éternellement semblables et recommençantes. Cette thèse s’oppose à une vision linéaire du temps, qui donne l’instant comme unique et impossible à retrouver lorsqu’il appartient au passé. D’autres thèses, comme celle de Bergson par exemple, envisage le présent comme une durée et non comme un instant, puisqu’il y inclut passé et futur proche. Et contrairement à Marc-Aurèle, Sartre et Tolstoï pensent notre propre mort comme radicalement inacceptable puisqu’on ne peut ni l’envisager ni l’attendre. Le travail de Marc-Aurèle met alors en question la façon dont chacun doit attendre ou non, craindre ou non sa propre mort, mais interroge aussi sur le désir d’immortalité qu’a l’homme depuis toujours. Après avoir réalisé l’étude ordonnée du texte de Marc-Aurèle, nous en dégagerons les principaux intérêts philosophiques : d’abord que nous ne possédons que l’instant, et ensuite que les instants sont sans cesse recommençants et semblables. Mais ces thèses simplement basées sur la logique peuvent-elles nous débarrasser de l’angoisse de notre propre mort ou de notre désir d’immortalité ? 

 

Premièrement, nous allons procéder à une étude ordonnée du texte de Marc-Aurèle.

Tout d’abord, le philosophe nous dit qu’une vie courte et qu’une vie longue sont équivalentes, et qu’importe alors la différence de longueur. Nous devons avant tout définir le terme de vie pour que ce passage soit éclairci. Une définition serait que la vie est l’existence humaine considérée dans sa durée, l’ensemble des évènements qui se succèdent lors de cette existence ; exister signifiant faire partie d’une réalité. Selon le philosophe, « La vie en elle-même n’est ni un bien ni un mal, elle n’est qu’un lieu où le bien et le mal se produisent. «  Pour prouver que vie longue et courte sont équivalentes, il exagère le temps : « trois mille ans et autant de fois dix mille ans «. Cette durée se rapproche fort d’un idéal d’immortalité tant elle est longue. Mais Marc-Aurèle ajoute que chaque vie est unique, et que, selon lui, la perte est égale quelque soit la durée de la vie, puisqu’on perd l’unique que nous avons : « personne ne perd une autre vie que celle qu’il vit «. Mais il ajoute aussi, et cela annule toute croyance en une vie possible après la mort, ou une quelconque réincarnation, que nous ne vivons en tout et pour tout qu’une seule et unique vie : « il n’en vit pas d’autres que celle qu’il perd «. Le verbe perdre signifie : cesser de posséder, d’avoir à sa disposition un bien, un avantage. La vie, notre vie, serait alors un bien que nous possédons, une possession personnelle. Nous verrons plus tard à quel titre. De ces deux faits (perte égale quelque soit la durée de la vie et vie unique), Marc-Aurèle tire la conclusion (« Donc «) suivante : « Le plus long et le plus court reviennent au même. « Le plus long serait l’immortalité, et le plus court la mort immédiate, et le philosophe affirme que ces deux vies se valent, car elles sont chacune unique pour l’individu et que la mort enlève à chacun exactement le même bien : la vie, soit le présent.

En effet, Marc-Aurèle développe ensuite le fait que l’être humain ne possède que le présent, et que c’est donc l’unique chose qu’il peut perdre. Ceci vient justifier le fait qu’une vie courte et une vie longue sont équivalentes (« Car «). Le présent est considéré par St Augustin dans ses Mémoires, comme « un point dans le temps qui ne puisse être divisé en parcelles de temps si menues soient-elles, c'est le seul point qu'on peut appeler présent et ce point est si rapidement emporté de l'avenir au passé qu'il ne possède aucune extension de durée. « Il est ici opposé au passé, qui serait le temps passé, la vie écoulée, antérieure au présent, et au futur, considéré comme ce qui est à venir, qui n’existe pas encore. Dans cet extrait Marc-Aurèle affirme que passé et futur n’appartiennent en aucun cas à un individu, et que son unique possession, celle qui lui est possible de perdre, est son présent. De plus, il dit qu’il n’y a pas de meilleur présent pour certain : « le présent est égal pour tous «. Ce qui justifie le fait que tout le monde perd la même chose à la mort, quelque qu’ai été la vie vécue et sa durée : « est donc égal aussi ce qui périt «. Il annonce aussi que la perte, soit la mort, est instantanée puisqu’elle représente seulement la perte du présent, moment qui ne possède, on l’a dit, selon St Augustin, aucune durée. Epicure rejoint également Marc-Aurèle sur ce point, lorsqu’il écrit : « La mort n’est rien pour nous car elle est la privation du présent. « Marc-Aurèle ayant prouvé que « la perte apparaît ainsi comme instantanée «, il étoffe encore son argumentation en développant l’idée que ni le passé ni l’avenir ne nous appartiennent et qu’il nous est donc impossible de les perdre, à l’inverse du présent : « comment pourrait-on vous enlever ce que vous ne possédez pas ? «. Donc, la mort n’est pas à craindre car elle ne représente qu’une perte instantanée : celle du présent. Mais ne faut-il pas donner une certaine importance à ce présent que nous perdons ?

Finalement, Marc-Aurèle nous dit deux choses dans ce paragraphe de conclusion : la première (« l’une «) que le présent que nous vivons est cyclique, éternellement semblable, c'est-à-dire similaire, et recommençant, donc qu’il reprend une action ininterrompue, fait une nouvelle fois quelque chose, et qu’il y a donc peu de différence entre quelqu’un qui aurait vécu cent fois le même présent, et un autre qui ne l’aurait vécu qu’une fois. Par les adjectifs « recommençantes « et « semblables «, Marc-Aurèle marque sa position : il voit le temps comme non-linéaire, comme si l’existence et l’accumulation d’instants était sans cesse rejouée et remise en question, et que les évènements de la vie étaient tous vécus au bout d’un certain temps, pour qu’ils puissent se mettre à recommencer. La vie serait alors semblable à un film éternellement ‘rembobinable’, une suite infinie de présents semblables. La deuxième conclusion (« l’autre «), est que la perte est la même quelque soit l’âge de l’individu qui meurt, puisqu’il a été prouvé et dit que la seule chose véritable que l’être humain puisse posséder et donc puisse perdre, est le présent : « c’est la seule que l’on possède «. Ainsi, la perte du passé ou celle du futur, aurait pu être douloureuse et triste, or, pour nous-mêmes, elle n’a pas lieu puisque nous ne possédons ni l’un ni l’autre, « et que l’on ne perd pas ce que l’on n’a pas. « La crainte de notre propre mort est donc selon Marc-Aurèle complètement infondée, puisqu’elle ne représente pour nous que la perte minuscule de l’infime présent.

 

Ensuite, nous allons dégager l’intérêt philosophique de cet extrait de Pensées pour moi-même.

Tout d’abord, Marc-Aurèle affirme que l’être humain ne possède que l’instant, et ainsi que passé et futur lui sont extérieurs. Par cette affirmation, le philosophe remet en question ce qui fait de l’homme un être plus développé que les animaux : sa mémoire. La mémoire n’est-elle pas une manière que nous avons de posséder le passé ? Et notre conscience, qui nous permet de nous projeter, n’est-elle pas la manière humaine de s’approprier le futur dans sa forme hypothétique ? Lorsqu’il affirme que le passé et le futur n’appartiennent pas à l’être humain, Marc-Aurèle redéfinit entièrement ce que nous pensons être, et la façon dont nous pensons maîtriser ce qui nous entoure. Le passé modifie notre présent par l’histoire, l’expérience que nous acquérons au fil du temps : pour ne pas reproduire les mêmes erreurs… Mais le passé nous permet également d’anticiper l’avenir, par des réactions déjà vécues et connues, nous pouvons deviner ce qu’il va se passer si l’on effectue telle ou telle chose. Le présent est alors régit par l’avenir, car nous agissons la plupart du temps en prévoyance de l’avenir, puisque le présent prépare l’avenir en le sens où l’avenir se prépare à être présent sous peu. Nous ne vivrions donc que l’instant présent, ce minuscule glissement serait donc l’unique chose que nous posséderions. Dans ce cas, la mémoire du passé et la capacité à se projeter appartiendraient elles aussi au présent, comme un tout que nous porterions en permanence. Mais si c’était effectivement le cas, la crainte de la mort serait justifiée, car nous perdrions, plus que le présent, le passé et l’avenir qui y sont accroché. Mais si le présent n’est vécu que comme une apparition et une disparition constante de l’instant, il devrait en être pareil pour la mort : simple disparition du moment après l’apparition. C’est l’instantanéité du présent de la mort qui en fait quelque chose que nous ne devrions pas craindre, selon Marc-Aurèle. Mais lorsque nous la prévoyons avec les capacités qui nous sont données, comment ne pas la craindre ? C’est alors le passé que nous craignons de perdre, d’où l’expression ‘voir sa vie défiler devant ses yeux’ à des moments où la mort est proche. Marc-Aurèle voudrait donc faire du passé qui crée cette crainte quelque chose d’extérieur à nous-mêmes, et ainsi, en faire un temps que nous ne pouvons pas perdre. En donnant le passé et le futur comme des temps qui ne nous appartiennent pas, l’auteur fait de la mort, cette fin de l’existence, une perte minime : celle de l’unique présent. Le désir d’immortalité deviendrait insensé, puisqu’il est inspiré par une crainte qui n’a pas lieu d’être. Marc-Aurèle donne donc dans ce texte, une image de la mort qui n’est pas à craindre, et qui est une simple fin d’un cercle sans cesse perpétué d’instants.

En effet, il nous donne à voir une vision cyclique du temps, puisqu’il dit que tout est éternellement semblable et recommençant. On voit donc la notion de temps comme une boucle sans fin où tout passé redevient futur puis présent puis passé à nouveau. Cela s’oppose complètement à la plupart des visions du temps, qui le font linéaire ; le passé serait alors un instant perdu et qu’on ne pourrait revivre, d’où son aspect révolu, et le futur serait donc un moment totalement aléatoire, jamais vécu, et sur lequel l’être humain ne peut faire que des suppositions. Le temps défilerait alors à notre insu, et nous ne pourrions le maîtriser en aucun cas. Le passé serait foule d’espoir déçus et l’avenir mobiliserait entièrement notre présent. Cette vision linéaire du temps est implantée dans la culture et les croyances occidentales, et il paraît la plupart du temps impensable d’envisager le temps comme un cercle où tout instant se répète, et revient toujours semblable. Le progrès et son idéal ont été inventés pour donner un sens à cette course linéaire dans laquelle chacun pense être engagé. Contrairement, une vision cyclique de la temporalité, où « toutes les choses son éternellement semblables et recommençantes «, permettrait à l’homme de maîtriser le temps et les situations dans le sens où il les aurait déjà vécu. Mais selon Marc-Aurèle, voir plusieurs fois les choses ne changent rien, puisqu’on « perd autant que l’on soit très âgé ou que l’on meurt de suite «. Les différents philosophes qui prônent également une vision cyclique du temps s’appuient sur le fait que le Nature toute entière fonctionne en cycle (cycle de l’eau, cycle du jour et de la nuit, cycle des saisons…).  Il serait donc logique qu’il en soit de même pour le temps. Prenons alors comme acquis que le temps est cyclique : nous avons donc chaque instant égal à l’autre par sa durée (« le présent est égal pour tous «), mais aussi par son contenu, puisque chaque instant vécu reviendra forcément dans la boucle de la temporalité. Si tout est perpétuellement semblable et revient dans notre existence indéfiniment, alors, qu’importe pour nous de perdre ce présent, seule chose que nous possédons ? Et de plus, comment dire d’une mort qu’elle est plus malheureuse qu’une autre, puisque la perte est exactement la même quelque soit l’individu ? Nous perdons tous le même présent, et ce présent est pour nous dénué d’importance. Dans ce cas, la crainte de la mort est infondée. Et l’éternel désir d’immortalité l’est également : pourquoi vouloir vivre sans cesse la même boucle infiniment, où tout changement serait illusoire et où toute volonté est vaine ? Donc la philosophie de Marc-Aurèle donne le désir d’immortalité et la crainte de la mort comme profondément injustifiés.

 

En définitive, Marc-Aurèle, en donnant le passé et le futur comme complètement extérieurs à nous, et en ne nous laissant comme possession que l’unique et imperceptible instant, fait voir la mort comme une perte infime qui n’est pas à craindre. Mais il va plus loin, en disant que ce présent que nous possédons n’est qu’une éternelle reproduction d’un cercle temporel, et que donc il importe peu de vivre ce cercle une ou des milliards de fois : la mort et donc la même perte pour tous, et il est inutile d’être immortel. La mort apparaît donc comme la fin subite d’une suite de cercles temporels que nous avons déjà vécus et revécus. Mais qu’en est-il alors de la mort des autres ? Ne prend elle pas la forme de cercles infinis marqués par la douleur d’un manque, d’une absence ? 

 

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